TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
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Chambre 01
N° RG 23/03808 - N° Portalis DBZS-W-B7H-XEG3
JUGEMENT DU 02 AOUT 2024
DEMANDERESSE :
S.C.I. [J],
immatriculée au RCS de Lille sous le n° 508 965 043, pris en la personne de son représentant légal domicilié, es qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Me Charlotte DESMON, avocat au barreau de LILLE
DÉFENDERESSE :
Mme [L] [T]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Maître Stefan SQUILLACI, avocat au barreau de LILLE
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Président : Aurélie VERON, Vice-présidente, statuant en qualité de Juge Unique, en application de l’article R 212-9 du Code de l’Organisation Judiciaire,
Greffier : Benjamin LAPLUME,
DÉBATS :
Vu l’ordonnance de clôture en date du 10 Octobre 2023 ;
A l’audience publique du 15 Avril 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré, les avocats ont été avisés que le jugement serait rendu le 10 juin 2024 puis prorogé pour être rendu le 02 Août 2024.
JUGEMENT : contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 02 Août 2024, et signé par Aurélie VERON, Présidente, assistée de Benjamin LAPLUME, Greffier.
EXPOSE DU LITIGE
La S.C.I. [J] est propriétaire d'un immeuble à usage d'habitation et de commerce situé [Adresse 2] à [Localité 6].
Mme [L] [T] occupe le local commercial situé au rez-de-chaussée depuis le mois de juillet 2019, sans qu'aucun contrat de bail écrit n'ait été régularisé.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 9 novembre 2022, le conseil de Mme [T] a mis en demeure la S.C.I. [J] de procéder à divers travaux de mise en conformité des locaux.
Le 22 novembre 2022, la S.C.I. [J] lui a fait délivrer une sommation d'avoir à quitter les lieux.
Une discussion s'est nouée entre les parties sur l'existence d'un bail verbal.
Par exploit d’huissier délivré le 25 avril 2023, la S.C.I. [J] a assigné Mme [L] [T] devant le tribunal judiciaire de Lille en expulsion et en indemnisation.
Me Squillaci s'est constitué le 9 mai 2023 pour Mme [T].
La demanderesse sollicite le bénéfice de son acte introductif et demande à la juridiction de :
Déclarer la demande de la SCI [J], recevable et bien fondée, et en conséquence :
A titre principal :
Juger que Mme [T] occupe sans droit ni titre les locaux situés [Adresse 2] à [Localité 6] lui appartenant et en conséquence :
Ordonner son expulsion et celle de toutes personnes qu'elle aurait pu introduire dans les lieux de son fait, libre de tous biens meubles, avec si besoin est, l'assistance de la force publique, dans les 24 heures de la décision a intervenir, sous astreinte de 80 € par jour de retard jusqu'à complète libération des locaux ;
Supprimer tout délai pour quitter les lieux ;
Condamner Mme [T] au paiement d'une indemnité d'occupation mensuelle équivalente à la valeur locative de marché soit la somme mensuelle de 1 312 euros, outre les charges, pour la période allant du 1er juillet 2019 jusqu'à parfaite remise des clés ;
A titre subsidiaire :
Juger que la demande reconventionnelle aux fins de revendication d'un bail commercial qui serait introduite par Mme [T] est irrecevable pour cause de prescription de l'action ;
En tout état de cause :
Condamner Mme [T] au paiement des dommages et intérêts au titre du préjudice subi du fait de la dégradation de l'immeuble soit la somme de 35 000 € sauf à parfaire ;
La Condamner au paiement de la somme de 3 729,67 € correspondant aux factures d'eau émises par ILEO pour le local commercial ;
La Condamner au paiement de la somme de 5 000 euros correspondant aux frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
La Condamner en cas de recouvrement forcé des condamnations mises à sa charge par la décision à intervenir, au paiement du droit proportionnel de l'huissier en application de l'article 10 du décret n°96-1080 du 12/12/1996 modifié par le décret n°2011-212 en date du 08 mars 2001 ;
La Condamner aux entiers frais et dépens, en ceux compris les frais de constat d'huissier du 09 décembre 2022 et l'acte de sommation d'avoir à quitter les lieux signifié le 22 novembre 2022 ;
Il sera renvoyé à l'assignation pour un plus ample exposé des motifs, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
Bien que régulièrement constituée, Mme [T] n'a pas signifié de conclusions ni de pièces avant l'ordonnance de clôture.
La clôture des débats est intervenue par ordonnance du 10 octobre 2023 avec fixation de l'affaire à l'audience du 15 avril 2024.
Le 24 octobre 2023, Me Squillaci a signifié par la voie électronique pour le compte de Mme [T] des conclusions de révocation de l'ordonnance de clôture et de renvoi à la mise en état. Il a en outre signifié des conclusions au fond et des pièces le 27 octobre 2023.
Par voie de conclusions signifiées le 30 octobre 2023, Me Desmon s'est opposée à la demande de révocation de l'ordonnance de clôture.
Par ordonnance du 30 janvier 2024, le juge de la mise en état a rejeté la demande de révocation de l'ordonnance de clôture.
Le 10 avril 2024, Me Squillaci a signifié de nouvelles conclusions au fond dans lesquelles il sollicite à nouveau la révocation de l'ordonnance de clôture. Il a signifié de même de nouvelles pièces.
A l'audience du 15 avril 2024, le dossier a été retenu et la décision a été mise en délibéré par mise à disposition au greffe au 10 juin 2024 prorogé au 2 août 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, les demandes des parties tendant à voir le tribunal "constater" ou "dire et juger" ne constituant pas des prétentions au sens des articles 4, 5, 31, 768 et 954 du code de procédure civile mais des moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions, il n'y a pas lieu de statuer sur celles ci.
I- Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture
Aux termes de l'article 802 du code de procédure civile, après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office.
L'article 803 du même code dispose que l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue ; la constitution d'avocat postérieurement à la clôture ne constitue pas, en soi, une cause de révocation.
L'ordonnance de clôture peut être révoquée, d'office ou à la demande des parties, soit par ordonnance motivée du juge de la mise en état, soit, après l'ouverture des débats, par décision du tribunal.
Le juge de la mise en état a déjà statué sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture qu'il a rejetée par ordonnance du 30 janvier 2024.
Mme [T] n'apporte aucun élément nouveau pour caractériser l'existence d'une cause grave au sens de l'article 803 du code de procédure civile justifiant la révocation de l'ordonnance de clôture.
En conséquence, il convient de rejeter la demande de révocation de l'ordonnance de clôture et de déclarer irrecevables les conclusions et pièces signifiées par Mme [T] postérieurement à l'ordonnance de clôture.
II- Sur la demande d'expulsion
Aux termes des articles 1103 et 1104 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. Ils doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
Le bail commercial n'est soumis à aucun formalisme. Le statut des baux commerciaux s'applique ainsi même en présence d'un bail verbal.
En l'absence d'écrit, la preuve du bail verbal peut être apportée par tout moyen portant sur l'exécution des obligations réciproques du bailleur et du locataire. L'accord des parties sur la durée du bail, sur la chose et sur le loyer doit être prouvé.
En l'espèce, il résulte des pièces versées aux débats et notamment du courrier de Me Squillaci du 9 novembre 2022 (pièce 3), que le local commercial appartenant à la S.C.I. [J] a été mis à disposition de Mme [T] à compter du mois de juillet 2019 et qu'elle l'occupe.
Me Squillaci précisait dans ce courrier que « Il a été convenu que ma cliente devait faire un certain nombre de travaux de rénovation à l'intérieur des lieux et qu'à l'issue des travaux, elle pourrait bénéficier d'un bail commercial afin d'ouvrir son restaurant. Les travaux sont quasiment terminés. ».
Ces éléments sont corroborés par un courrier du 20 décembre 2019, dans lequel M. [E] [J], au nom de la société [J], indiquait certifier que « une fois les travaux d'aménagement effectués par Mlle [T] [L], elle-même seront terminés, un contrat de location gérance ainsi que le bail commercial seront immédiatement établis, afin qu'elle puisse ouvrir son restaurant. ».
Il est par ailleurs justifié d'un projet de bail commercial à effet du 1er octobre 2022 pour une durée de douze mois et moyennant un loyer mensuel de 700 euros hors taxes hors charges.
Il ressort des échanges ultérieurs entre les conseils des parties que Mme [T] et la société [J] sont en désaccord sur la durée du bail, Mme [T] réclamant un bail d'une durée de neuf années, tandis que le propriétaire propose uniquement une durée de douze mois.
A la lecture de la pièce 10, correspondant à des échanges de message électroniques entre les parties, il apparaît que Mme [T] et la société [J] sont également en désaccord sur la nature des contrats, puisque Mme [T] se prévaut d'un prix de 700 euros pour le loyer et le fonds de commerce, alors que le propriétaire estime que cette somme correspond uniquement au « loyer » et qu'il n'y aura pas de bail pour le fonds de commerce.
Bien que régulièrement constituée, Mme [T] n'a pas communiqué de pièces ni de conclusions avant la clôture de la procédure pour s'opposer à la demande.
Elle ne se prévaut ni ne justifie d'aucun bail ni d'aucun accord sur la durée du bail, sur la chose et le prix permettant de caractériser un bail verbal.
Dans ces conditions, Mme [T] est occupante sans droit ni titre du local commercial sis [Adresse 2] à [Localité 6], de sorte que son expulsion sera ordonnée selon les modalités reprises au dispositif de la présente décision.
Compte tenu de la durée de la procédure mais aussi afin de laisser Mme [T] le temps d'organiser son déménagement, alors que les locaux ont été mis à sa disposition, il lui sera accordé un délai de huit jours à compter de la signification de la présente décision.
La décision étant assortie de l'exécution provisoire et le concours de la force publique étant accordé, il n'apparaît pas nécessaire d'assortir la présente décision d'une astreinte afin de garantir l'exécution de la décision.
III- Sur le paiement d'une indemnité d'occupation
En vertu de l’article 1240 dudit code, tout préjudice causé à autrui oblige celui qui a commis la faute qui l’a causé à le réparer. L’obligation de réparer est cependant soumise à la preuve de la responsabilité de la personne, qui se caractérise par l’existence d’une faute, d’un dommage, et d’un lien de causalité direct et certain entre la faute et le dommage.
L'occupation sans droit ni titre d'un local cause un préjudice au propriétaire qui doit être réparé par l'allocation d'une indemnité d'occupation correspondant à la valeur locative du bien.
En l'espèce, il résulte des pièces versées aux débats que la société [J] a mis le local à disposition de Mme [T] à compter du mois de juillet 2019, en contrepartie de travaux de rénovation, et dans le cadre de négociations d'un contrat de bail. Ce n'est qu'en octobre 2022, et à défaut de régularisation d'un bail commercial, que les relations entre les parties se sont tendues, une sommation de quitter les lieux étant délivrée le 22 novembre 2022.
Dès lors, la société [J] ne peut se plaindre d'un préjudice lié à l'occupation sans droit ni titre de son local qu'à compter du moment où elle a demandé à Mme [T] de quitter les locaux mis à sa disposition.
Il résulte des trois offres de location produites par la requérante une valeur locative moyenne de 16,36 €/m², qui sera arrondie à 16,40€/m².
Il convient ainsi de fixer l'indemnité d'occupation à la somme de 1 312 euros par mois, le local étant d'une surface de 80 m² (1312€ x 80 m²).
En conséquence, il convient de condamner Mme [L] [T] à payer à la S.C.I. [J] une indemnité d'occupation mensuelle de 1 312 euros outre les charges pour la période courant à compter du 22 novembre 2022 et jusqu'à la libération effective des locaux.
IV- Sur la demande de dommages-intérêts
En vertu de l’article 1240 dudit code, tout préjudice causé à autrui oblige celui qui a commis la faute qui l’a causé à le réparer. L’obligation de réparer est cependant soumise à la preuve de la responsabilité de la personne, qui se caractérise par l’existence d’une faute, d’un dommage, et d’un lien de causalité direct et certain entre la faute et le dommage.
Il résulte du procès-verbal de constat de commissaire de justice du 9 décembre 2022, la dégradation de la porte d'entrée de l'immeuble donnant accès aux parties communes (serrure forcée, encadrement de porte découpé et tordu), l'installation d'une porte métallique entre le local et les parties communes, la dégradation du cadenas interdisant l'accès à la cave (cadenas tronçonné). En revanche, il ne ressort pas de ce procès-verbal que les tuyaux d'arrivée d'eau ont été tronçonnés.
Compte tenu de ces éléments et en l'absence de devis du coût de remise en état, il convient d'évaluer le préjudice subi par la société [J] à la somme de 5 000 euros.
En conséquence, Mme [T], dont il n'est pas contesté qu'elle occupe les locaux, et qui n'a pas contesté les dégradations des lieux occupés, sera condamnée au paiement de la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts.
V- Sur la demande au titre de la facture Ileo
Sur le fondement de l’article 1240 du code civil, l’exercice d’une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant justifier l’octroi de dommages et intérêts que dans le cas de la mauvaise foi ou de l’intention de nuire.
En l'espèce, il résulte du « dernier avis délivré avant poursuite » du 5 décembre 2022, un montant à régler de 3 729,67 euros au titre du contrat pour l'adresse [Adresse 2] à [Localité 6].
En conséquence, il convient de condamner Mme [T] au paiement de cette somme.
VI- Sur les demandes accessoires
1. Sur l'exécution provisoire
Aux termes de l'article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.
2. Sur les frais de recouvrement
L'article 10 du décret n°96-1080 du 12 décembre 1996 modifié par le décret n°2011-212 du 8 mars 2001 a été abrogé le 29 février 2016 par le décret du n°2016-230 du 26 février 2016.
L'article A444-32 du code de commerce prévoit que la prestation de recouvrement ou d'encaissement donne lieu à la perception d'un émolument par l'huissier de justice, ces frais étant à la charge du créancier.
Mme [T] se trouvant débitrice à l’égard de la S.C.I. [J], les frais de l’exécution forcée éventuelle du présent jugement sont par principe à sa charge en application de l’article L. 111-8 du code des procédures civiles d’exécution dans les strictes limites d’ordre public prévues par ce texte de telle sorte que les frais laissés par les textes réglementaires à la charge du créancier de l’exécution, qui ne sont pas des dépens et ne revêtent pas le caractère d’un dommage, ne sauraient être mis à la charge du débiteur de l’exécution autrement que dans le cadre des prévisions de l’article 700 du code de procédure civile. La S.C.I. [J] sera donc déboutée de sa demande présentée au titre de l’article A. 444-32 du code de commerce.
3. Sur les frais irrépétibles et les dépens
Mme [L] [T] succombant au principal, elle supportera les dépens de la présente instance en ce compris le coût du constat de commissaire de justice du 9 décembre 2022 et de l'acte de sommation à quitter les lieux signifiée le 22 novembre 2022.
Elle sera redevable d’une indemnité sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile qui sera justement fixée à la somme de 2 000 euros.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant publiquement, par décision contradictoire et en premier ressort,
REJETTE la demande de révocation de l'ordonnance de clôture ;
DECLARE irrecevables les conclusions et pièces de Mme [T] signifiées le 27 octobre 2023 et le 10 avril 2024 ;
ORDONNE l'expulsion de Mme [L] [T] et de tout occupant de son chef du local commercial sis [Adresse 2] à [Localité 6] à défaut de libération volontaire effective dans le délai de huit jours à compter de la signification de la présente décision et avec le concours de la force publique si nécessaire ;
ORDONNE l’enlèvement de tous mobiliers, matériels et marchandises pouvant garnir les lieux dans tel garde-meuble au choix de la requérante et aux frais de Mme [L] [T], en application des articles 834 et 835 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE la S.C.I. [J] de sa demande d'astreinte ;
CONDAMNE Mme [L] [T] à payer à la S.C.I. [J] une indemnité d'occupation mensuelle de 1 312 euros, outre les charges, pour la période courant à compter du 22 novembre 2022 et jusqu'à la libération effective des locaux ;
La CONDAMNE à payer à la S.C.I. [J] la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des dégradations du local ;
La CONDAMNE à payer à la S.C.I. [J] la somme de 3 729,67 euros à titre de dommages-intérêts correspondant aux factures d'eau Ileo ;
DEBOUTE la S.C.I. [J] de sa demande au titre des frais de recouvrement ;
CONDAMNE Mme [L] [T] à payer à la S.C.I. [J] la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
RAPPELLE que l’exécution provisoire est de droit ;
DÉBOUTE la S.C.I. [J] de ses autres demandes ;
CONDAMNE Mme [L] [T] aux dépens de la présente instance, en ce compris le coût du constat de commissaire de justice du 9 décembre 2022 et de l'acte de sommation à quitter les lieux signifiée le 22 novembre 2022 ;
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE
Benjamin LAPLUME Aurélie VERON