TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
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Chambre 01
N° RG 22/06157 - N° Portalis DBZS-W-B7G-WP5J
JUGEMENT DU 02 AOUT 2024
DEMANDEURS :
Mme [S] [H] épouse [X]
[Adresse 4]
[Localité 5]
représentée par Me Paul-Louis MINIER, avocat au barreau de LILLE, postulant et Me Julien KOZLOWSKI, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, plaidant
Mme [V] [H]
[Adresse 6]
[Localité 10]
représentée par Me Paul-Louis MINIER, avocat au barreau de LILLE, postulant et Me Julien KOZLOWSKI, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, plaidant
M. [L] [H]
[Adresse 11]
[Localité 2] (Belgique)
représentée par Me Paul-Louis MINIER, avocat au barreau de LILLE, postulant et Me Julien KOZLOWSKI, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, plaidant
Mme [G] [H]
[Adresse 7]
[Localité 8]
représentée par Me Paul-Louis MINIER, avocat au barreau de LILLE, postulant et Me Julien KOZLOWSKI, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, plaidant
DÉFENDEUR :
LA DIRECTION REGIONALE DES FINANCES PUBLIQUES D’ILE-DE-FRANCE ET DE [Localité 12]
POLE JURIDCTIONNEL JUDICIAIRE
[Adresse 1]
[Localité 9]
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Président : Aurélie VERON, Vice-présidente, statuant en qualité de Juge Unique, en application de l’article R 212-9 du Code de l’Organisation Judiciaire,
Greffier : Benjamin LAPLUME,
DÉBATS :
Vu l’ordonnance de clôture en date du 11 Juillet 2023 ;
A l’audience publique du 15 Avril 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré, les parties ont été avisées que le jugement serait rendu le 10 juin 2024, puis prorogé pour être rendu le 02 Août 2024.
JUGEMENT : contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 02 Août 2024, et signé par Aurélie VERON, Présidente, assistée de Benjamin LAPLUME, Greffier.
EXPOSE DU LITIGE
Au 1er janvier 2012, [D] [J] veuve [H] détenait :
la pleine propriété de 47 868 actions AFM, qui est la dénomination des participations détenues dans les sociétés en commandite par actions Valorest, Acanthe et Cimofat ;
la pleine propriété et l'usufruit des parts de la société civile Philupo, laquelle détient 6 092 848 actions des sociétés Valorest, Acanthe et Cimofat.
Par une proposition de rectification du 30 juin 2014, l'administration fiscale a remis en cause la valeur déclarée des titres précités pour le calcul de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) de l'année 2012 ainsi que la contribution exceptionnelle de solidarité sur la fortune (CEF) de la même année.
[D] [J] veuve [H] a présenté le 28 juillet 2014 des observations sur les rehaussements notifiés.
La contribuable est décédée le [Date décès 3] 2014, en laissant pour lui succéder Mme [S] [H] épouse [X], Mme [V] [H], M. [L] [H] et Mme [G] [H].
Par une réponse aux observations du contribuable du 7 septembre 2016 adressée aux héritiers, l'administration a partiellement maintenu les rehaussements de valeur notifiés.
Les rappels consécutifs ont été mis en recouvrement le 20 décembre 2017 pour un montant total de 363 333 euros, soit de 90 833 euros (droits et intérêts de retard) pour chacun des héritiers.
Ces impositions ont été contestées le 18 décembre 2019.
Ces réclamations ont fait l'objet de décisions d'admission partielle en date du 29 juillet 2022 pour M. [L] [H] et Mme [G] [H] et du 1er août 2022 pour Mmes [S] [H] épouse [X] et [V] [H]. Aux termes de celles-ci l'administration a :
maintenu la valorisation notifiée s'agissant des sociétés civiles par actions ;porté la décote sur la valeur mathématique notifiée, s'agissant de la société Philupo, de 15% à 25%.
Par exploit d’huissier délivré le 22 septembre 2022, Mme [S] [H] épouse [X], Mme [V] [H], M. [L] [H] et Mme [G] [H] ont assigné la Direction régionale des finances publiques d'Île de France et de Paris devant le tribunal judiciaire de Lille afin d'être déchargé des impositions.
Dans leurs dernières conclusions responsives et récapitulatives n°2 signifiées par acte de commissaire de justice le 1er mars 2023, Mme [S] [H] épouse [X], Mme [V] [H], M. [L] [H] et Mme [G] [H] demandent à la juridiction de :
dire non fondée la décision de rejet ;
prononcer la décharge des impositions et la restitution des sommes payées à tort par la demanderesse ;
condamner l'administration fiscale au paiement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
À l'appui de leurs prétentions, ils font valoir que l'administration fiscale était tenue, pour respecter le caractère contradictoire de la procédure de rectification, d'adresser une réponse motivée au contribuable avant l'émission de l'avis de mise en recouvrement et qu'elle ne l'a fait qu'à l'égard de deux des quatre héritiers. Ils considèrent que cette irrégularité de procédure est de nature à entrainer la décharge des impositions dans la mesure ou M. [L] [H] et Mme [G] [H] n'ont pas pu connaître les motifs et les pièces sur lesquels l'administration fiscale s'est appuyée, ni la possibilité de saisir la commission départementale de conciliation. Ils ajoutent qu'aucun d'eux n'a été destinataire de la proposition de rectification du 30 juin 2014 avant la mise en recouvrement des impositions qui lui sont réclamées. Ils considèrent que les principe du contradictoire et de loyauté n'ont pas été respectés et en déduisent qu'ils constituent des irrégularités substantielles de la procédure d'imposition justifiant à eux seuls l'annulation de la procédure d'imposition dans la mesure où les héritiers ont été privés de la possibilité de se défendre utilement.
Dans leurs conclusions signifiées par acte de commissaire de justice du 9 janvier 2023, la Direction régionale des finances publiques d'Île de France et de [Localité 12] sollicite :
le débouté des demandeurs de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
la confirmation des décisions des 29 juillet et 1er août 2022 ;
le rejet de la demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
la condamnation des demandeurs aux entiers dépens.
A cet effet, elle expose que les réclamations des demandeurs ayant fait l'objet de décisions d'admission partielle, l'étendue du litige est limitée aux sommes laissées à charge par ces décisions, soit 59 362 euros en droits et 4 512 euros d'intérêts de retard s'agissant de l'impôt de solidarité sur la fortune 2012 et 154 343 euros en droit et 11 730 euros d'intérêts de retard s'agissant du CEF. Elle estime que l'irrégularité de la procédure ne peut être soulevée à l'égard de Mme [S] et [V] [H] puisqu'elles ont reçu la réponse de l'administration aux observations de [D] [H].
L'administration soutient encore que [D] [H] n'étant pas décédée au jour de l'envoi de la proposition de rectification du 30 juin 2014, elle n'était tenue d'adresser cette pièce de procédure qu'à la seule intéressée. Elle ajoute que ce n'est que suite à son décès que la procédure s'est poursuivie avec ses héritiers et que ceux-ci n'étaient pas tenus solidairement avec la défunte de son vivant du paiement des rappels d'ISF et de CEF 2012. Elle en conclut à l'absence d'irrespect des principes du contradictoire et de loyauté et à l'absence d'irrégularité de la procédure pour défaut d'envoi de la proposition de rectification aux demandeurs.
La clôture des débats est intervenue le 11 juillet 2023 avec fixation de l'affaire à l'audience du 5 avril 2024 à l'issue de laquelle la décision a été mise en délibéré par mise à disposition au greffe au 10 juin 2024 prorogé au 2 août 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I- Sur la demande de décharge des impositions
Aux termes de l'article 55 du livre des finances publiques, sous réserve des dispositions de l'article L. 56, lorsque l'administration des impôts constate une insuffisance, une inexactitude, une omission ou une dissimulation dans les éléments servant de base au calcul des impôts, droits, taxes, redevances ou sommes quelconques dues en vertu du code général des impôts ou de l'article L. 2333-55-2 du code général des collectivités territoriales, les rectifications correspondantes sont effectuées suivant la procédure de rectification contradictoire définie aux articles L.57 à L.61 A.
Selon l'article L.57 du même livre, l'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. Sur demande du contribuable reçue par l'administration avant l'expiration du délai mentionné à l'article L.11, ce délai est prorogé de trente jours.
En cas d'application des dispositions du II de l'article L. 47 A, l'administration précise au contribuable la nature des traitements effectués. Lorsque, pour rectifier le prix ou l'évaluation d'un fonds de commerce ou d'une clientèle, en application de l'article L. 17, l'administration se fonde sur la comparaison avec la cession d'autres biens, l'obligation de motivation en fait est remplie par l'indication :
1° Des dates des mutations considérées ;
2° De l'adresse des fonds ou lieux d'exercice des professions ;
3° De la nature des activités exercées ;
4° Et des prix de cession, chiffres d'affaires ou bénéfices, si ces informations sont soumises à une obligation de publicité ou, dans le cas contraire, des moyennes de ces données chiffrées concernant les entreprises pour lesquelles sont fournis les éléments mentionnés aux 1°, 2° et 3°.
Lorsque l'administration rejette les observations du contribuable sa réponse doit également être motivée.
L'article R.57-1 dispose que la proposition de rectification prévue par l'article L.57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée.
L'administration invite, en même temps, le contribuable à faire parvenir son acceptation ou ses observations dans un délai de trente jours à compter de la réception de la proposition, prorogé, le cas échéant, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de cet article.
L'article L.59 du même code prévoit que lorsque le désaccord persiste sur les rectifications notifiées, l'administration, si le contribuable le demande, soumet le litige à l'avis soit de la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires prévue à l'article 1651 du code général des impôts, soit de la Commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires prévue à l'article 1651 H du même code, soit de la Commission nationale des taxes aéronautiques prévue à l'article 1651 L bis du même code, soit du comité consultatif prévu à l'article 1653 F du même code, soit de la commission départementale de conciliation prévue à l'article 667 du même code. Les commissions peuvent également être saisies à l'initiative de l'administration.
D'après l'article L.59 B, la commission départementale de conciliation intervient en cas d'insuffisance des prix ou évaluations ayant servi de base aux droits d'enregistrement ou à la taxe de publicité foncière dans les cas mentionnés au 2 de l'article 667 du code général des impôts ainsi qu'à l'impôt de solidarité sur la fortune.
Après l'établissement du rôle ou l'émission de l'avis de mise en recouvrement, le contribuable conserve le droit de présenter une réclamation conformément à l'article L.190 (article L61).
Selon l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, les réclamations relatives aux impôts, contributions, droits, taxes, redevances, soultes et pénalités de toute nature, établis ou recouvrés par les agents de l'administration, relèvent de la juridiction contentieuse lorsqu'elles tendent à obtenir soit la réparation d'erreurs commises dans l'assiette ou le calcul des impositions, soit le bénéfice d'un droit résultant d'une disposition législative ou réglementaire.
A- Sur l'irrégularité de la procédure tenant à l'absence de notification de la réponse aux observations du contribuable à l'ensemble des héritiers
En l'espèce, bien que cela ne soit établi par aucune pièce, il est acquis aux débats que [D] [J] veuve [H] est décédée au cours de la procédure de rectification contradictoire de l'impôt de solidarité sur la fortune et de la CEF de l'année 2012, en laissant pour lui succéder quatre héritiers, Mme [S] [H] épouse [X], Mme [V] [H], M. [L] [H] et Mme [G] [H].
L'administration fiscale ne justifie pas de la notification de sa réponse aux observations du contribuable et n'établit ainsi pas l'avoir transmise aux quatre héritiers et plus particulièrement à M. [L] [H] et à Mme [G] [H], lesquels contestent en avoir été destinataires. Elle ne fait pas davantage état d'éventuelles difficultés pour leur notifier sa réponse.
Il est constant que dans le cas de décès du contribuable, la notification du redressement peut être valablement adressée à l'un quelconque des ayants-droits ou des signataires de la déclaration de succession (article 204-2 du code général des impôts). La circonstance que l'un des ayants-droits n'a pas reçu la notification est sans influence sur la régularité de la procédure.
La réponse de l'administration fiscale aux observations de [D] [H] a été notifiée à Mme [O] [H] et à Mme [V] [H] le 7 septembre 2016, de leur propre aveu. Dans cette réponse, il a été fait droit partiellement aux arguments soulevés par la contribuable. Il n'est pas contesté que cette réponse comporte la motivation exigée de l'administration.
Par ailleurs, il est également constant que si les dispositions procédurales prévues par le livre des procédures fiscales constituent des garanties pour les contribuables, leur méconnaissance n'entraine pas pour autant la décharge systématique des impositions. Pour qu'une telle décharge intervienne, il est nécessaire que le contribuable ait été réellement privé de la garantie visée par la règle de procédure en cause.
Or, le défaut de réponse des services fiscaux n'est pas susceptible de priver le contribuable de la garantie découlant de la possibilité, en cas de persistance du désaccord, de saisir la commission départementale de conciliation en application de l'article L59 du livre des procédures fiscales.
De plus, les héritiers de [D] [J] veuve [H] n'ont pas été privés de la possibilité d'exercer un recours suite au maintien partiel des rehaussements après observations du contribuable, puisqu'ils ont pu effectivement exercer un tel recours lequel a donné lieu à des décisions d'admission partielle les 29 juillet 2022 et 1er août 2022.
Dès lors, même si la réponse de l'administration fiscale aux observations du contribuable n'a pas été notifiée à l'ensemble des héritiers de [D] [J] veuve [H], ces derniers n'ont pas été privés de la garantie de contester la rectification, de sorte que la demande de décharge des impositions sur ce moyen n'est pas fondée.
B- Sur l'irrégularité de la procédure tenant à l'absence de transmission aux héritiers de la proposition de rectification du 30 juin 2024 avant la mise en recouvrement des impositions qui lui sont réclamées
La procédure de rectification contradictoire a été initiée avec [D] [J] veuve [H] avant son décès, la proposition de rectification lui ayant été adressée le 30 juin 2014 et celle-ci ayant formulé ses observations le 28 juillet 2014.
Si la procédure s'est poursuivie avec ses héritiers, aucun texte n'impose à l'administration fiscale de reprendre l'ensemble de la procédure avec ceux-ci ou de leur transmettre la proposition de rectification.
Par ailleurs, les requérants ne justifient avoir vainement sollicité des services fiscaux la communication dudit document.
Dès lors, il n'est justifié ni d'un manquement au principe du contradictoire ni d'un manquement au principe de loyauté, dans le cadre de la procédure de rectification contradictoire de l'article L.57.
L'irrégularité alléguée n'est donc pas établie.
En conséquence, il convient de rejeter la demande de décharge des impositions et de remboursement des sommes versées.
III- Sur les demandes accessoires
Mme [S] [H] épouse [X], Mme [V] [H], M. [L] [H] et Mme [G] [H] succombant au principal, ils supporteront in solidum les dépens de la présente instance et seront déboutés de leur demande sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant publiquement, par décision contradictoire et en premier ressort,
DÉBOUTE Mme [S] [H] épouse [X], Mme [V] [H], M. [L] [H] et Mme [G] [H] de leur demande de décharge des impositions et de restitution des sommes payées ;
Les DÉBOUTE de leur demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE les consorts [H] de leurs autres demandes ;
DÉBOUTE la Direction régionale des finances publiques d'Île de France et de [Localité 12] de ses autres demandes ;
CONDAMNE in solidum Mme [S] [H] épouse [X], Mme [V] [H], M. [L] [H] et Mme [G] [H] aux dépens de la présente instance.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE
Benjamin LAPLUME Aurélie VERON