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11/07/2024 | FRANCE | N°22/00661

France | France, Tribunal judiciaire de Lille, Chambre 01, 11 juillet 2024, 22/00661


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
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Chambre 01
N° RG 22/00661 - N° Portalis DBZS-W-B7G-V2XK


JUGEMENT DU 11 JUILLET 2024



DEMANDEURS:

M. [L] [H]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représenté par Me Laurent FILLIEUX, avocat au barreau de LILLE

Mme [WE] [K] épouse [H]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Laurent FILLIEUX, avocat au barreau de LILLE


DÉFENDEURS:

M. [RT] [G]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représenté par Me Natacha MAREELS-SIMONET, avocat au barreau de LILLE

Mme [IS] [G]


[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Natacha MAREELS-SIMONET, avocat au barreau de LILLE



COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président : Marie TERRIER,...

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-

Chambre 01
N° RG 22/00661 - N° Portalis DBZS-W-B7G-V2XK

JUGEMENT DU 11 JUILLET 2024

DEMANDEURS:

M. [L] [H]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représenté par Me Laurent FILLIEUX, avocat au barreau de LILLE

Mme [WE] [K] épouse [H]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Laurent FILLIEUX, avocat au barreau de LILLE

DÉFENDEURS:

M. [RT] [G]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représenté par Me Natacha MAREELS-SIMONET, avocat au barreau de LILLE

Mme [IS] [G]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Natacha MAREELS-SIMONET, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président : Marie TERRIER,
Assesseur : Juliette BEUSCHAERT,
Assesseur : Nicolas VERMEULEN,

Greffier : Benjamin LAPLUME,

DÉBATS

Vu l’ordonnance de clôture en date du 04 Juillet 2023.

A l’audience publique du 16 Avril 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré, les avocats ont été avisés que le jugement serait rendu le 11 Juillet 2024.

Vu l’article 804 du Code de procédure civile, Juliette BEUSCHAERT, juge préalablement désigné par le Président, entendu en son rapport oral, et qui, ayant entendu la plaidoirie, en a rendu compte au Tribunal.

JUGEMENT : contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 11 Juillet 2024 par Marie TERRIER, Présidente, assistée de Benjamin LAPLUME, Greffier.

Exposé du litige
 
Monsieur [L] [H] et Madame [WE] [K] épouse [H] ont fait l’acquisition le 15 mai 2008 d’une parcelle de terrain sis à [Adresse 4] sur laquelle ils ont construit une maison de plain pied, ainsi que des parcelles de jardin avoisinantes, et ont revendu l’ensemble le 13 juillet 2021.
 
L’immeuble sis [Adresse 1], jouxtant cette propriété, appartient à Monsieur [RT] et Madame [IS] [G] qui élèvent sur leur parcelle des pigeons.
 
Monsieur et Madame [H], se plaignant de troubles anormaux de voisinage du fait de cet élevage, ont sollicité l’indemnisation de leur préjudice par Monsieur et Madame [G].
 
En l’absence d’accord entre les parties malgré une médiation conventionnelle tenue le 7 octobre 2020, Monsieur et Madame [H] ont fait assigner par acte d’huissier du 21 janvier 2022, Monsieur et Madame [G] devant le tribunal judiciaire de Lille aux fins de reconnaître le trouble anormal de voisinage et de réparer leur préjudice moral et financier. 
 
Sur cette assignation, les époux [G] ont constitué le même avocat et les parties ont échangé leurs conclusions.
 
Sur ordonnance du juge de la mise en état du 4 juillet 2023, la clôture de l’instruction de l’affaire a été ordonnée et l’affaire a été fixée à plaider à l’audience prise à juge rapporteur du 16 avril 2024.
 

Aux termes des dernières conclusions signifiées par la voie électronique le 30 mars 2023, Monsieur et Madame [H] demandent au tribunal de :
 
Vu l’article 544 du code civil
Vu l’article 651 du code civil 
Vu l’article 700 du code de procédure civile 
 
1°) Dire et juger que la responsabilité des époux [G] est engagée sur le fondement du trouble anormal de voisinage ;

2°) Condamner les époux [G] à verser aux époux [H] la somme de 10.000,00 euros chacun au titre du trouble dans les conditions d’existence et du préjudice moral subi; 

3°) Condamner les époux [G] à verser aux époux [H] la somme de 50.000,00 euros au titre du préjudice financier ;

4°) Condamner les époux [G] à verser aux époux [H] la somme de 4.000,00 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

5°) Condamner les époux [G] aux dépens de la présente instance.
 
Les époux [H] soutiennent que leur action pour trouble anormal du voisinage n’est pas prescrite puisque la première manifestation du trouble, constituant le point de départ du délai de prescription, n’est apparue qu’en 2019, en raison de l’augmentation du nombre de pigeons de l’élevage, passant de 40 à 136 pigeons. Ils font valoir que les témoins dont les attestations sont produites par les défendeurs, ne datent pas leurs constatations et ne permettent donc pas de rapporter la preuve que Monsieur et Madame [G] ont toujours disposé d’une centaine de pigeons.

Au surplus, ils invoquent que les troubles anormaux du voisinage étant des faits répétés et successifs, chacun d’eux ouvre droit à réparation.
 

Les requérants soulèvent que les défendeurs ne peuvent s’exonérer sur le fondement de l’article L.113-8 du code de la construction et de l’habitation puisque les conditions de cet article ne sont pas réunies.

Ils expliquent d’une part que l’activité d’élevage de pigeons n’est pas une activité culturelle ni agricole au sens de cet article.

En outre, ils soutiennent que les pigeonniers ne respectent pas les dispositions de l’article 26 du règlement sanitaire départemental du Nord d’une part, ni celles en matière d’urbanisme puisque le premier a fait l’objet de modifications sans autorisation et le second, dont la date de construction n’est pas démontrée, a été construit sans autorisation, d’autre part.

Enfin, ils allèguent que la condition de poursuite de l’activité dans les mêmes conditions n’est pas remplie puisque le nombre de pigeons détenus a augmenté.
 
Ils exposent que le trouble anormal de voisinage qu’ils subissent a commencé en 2019 et résulte du survol quotidien, à différents moments de la journée, en dehors des horaires de travail et pendant environ vingt minutes, de leur habitation et de leur terrain par plusieurs dizaines de pigeons, qui ne leur permet pas de profiter pleinement de leur extérieur. Ils expliquent que leur habitation a subi des dégradations du fait de ces volatiles qui avaient l’habitude de venir se poser sur celle-ci.

Par ailleurs, ils invoquent des nuisances olfactives et sonores, résultant du roucoulement continu, de l’envol et de l’atterrissage des pigeons, des travaux réguliers et du nettoyage des pigeonniers.

Ils soulignent que les attestations des voisins sont sans valeur dans la mesure où leurs domiciles ne sont pas situés à la même distance du pigeonnier litigieux que le leur.

En outre, ils font valoir que les défendeurs ne peuvent s’exonérer des nuisances causées en invoquant qu’il existe d’autres nuisances sonores dans le quartier (poste électrique, route et entreprise) ni qu’il y a d’autres volatiles ou encore du caractère légal de leur implantation.
Ils allèguent avoir subi un trouble dans leurs conditions d’existence, n’ayant pu profiter pleinement de leur habitation et de son extérieur ainsi qu’un préjudice moral, pour le trouble anxieux de Madame [H] associé à une perte de poids et une asthénie, les obligeant à vendre leur maison. Ils soutiennent subir un préjudice financier en raison de la moins-value lors de la revente de leur bien, due à la proximité du pigeonnier.
 
 
Par conclusions récapitulatives signifiées par la voie électronique le 31 mars 2023, Monsieur et Madame [G] sollicitent du tribunal :
 
Vu les articles du Code Civil et les arrêts de jurisprudence précités, 
Vu les pièces versées au débat,

Dire que l’action des époux [H] est prescrite et en conséquence les débouter de l’intégralité de leurs demandes ;
Dire mal fondées leurs demandes et les rejeter
Reconventionnellement,

Condamner les époux [H] à verser aux époux [G] aux dépens et à la somme de 2500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile

 
Les époux [G] soutiennent que l’action des requérants est prescrite puisqu’ils avaient connaissance du pigeonnier dès leur acquisition et qu’il n’a fait l’objet d’aucun agrandissement depuis, le nombre de pigeons étant resté constant chaque année.

Ils expliquent que s’ils ont déclaré qu’il y avait une quarantaine de pigeons aux officiers de police municipale en 2019, il ne s’agissait que du nombre de pigeons en vol à ce moment donné et non de l’ensemble de pigeons présents dans l’élevage. Sur la contestation du caractère probant de leurs pièces, ils précisent qu’ils sont les seuls à pouvoir apporter la preuve du nombre de pigeons dont ils sont propriétaires.

Par ailleurs, ils ajoutent que la récurrence des nuisances alléguées n’a aucune incidence sur le point de départ du délai de prescription de l’action.
 
Pour contester la reconnaissance d’un trouble anormal de voisinage, les époux [G] invoquent d’une part qu’ils ont respecté leurs obligations administratives et sanitaires puisque Monsieur [G] détient une licence de colombophilie lui permettant d’exercer cette activité et qu’ils ont déclaré l’édification du pigeonnier n°1 dès sa construction en 1989 et sa modification ultérieure. Ils précisent que le pigeonnier n°2, construit en 1981, ne nécessitait à cette époque, aucune autorisation.

Sur le plan sanitaire, ils expliquent qu’ils vaccinent annuellement l’ensemble de leurs pigeons, que la fédération contrôlant les installations n’a relevé aucune anomalie et que les pigeonniers sont correctement et régulièrement entretenus. Ils ajoutent que les nuisances auditives ne sont pas excessives ni permanentes.
 
D’autre part, ils invoquent que l’article L.113-8 du code de la construction est applicable puisqu’ils exercent une activité culturelle reconnue comme telle, connue dans le quartier, et soutiennent ainsi que les requérants, en construisant leur maison alors que le pigeonnier était déjà en place, avaient nécessairement connaissance de leur activité et des désagréments que cela pouvait engendrer.
 
Enfin, ils allèguent que les nuisances causées par le pigeonnier ne peuvent être qualifiées d’anormales. Ils expliquent que s’agissant de pigeons voyageurs, ils ne sont pas en liberté toute la journée mais uniquement à certaines périodes de l’année, une ou deux fois par jour, pendant les horaires de travail et que lorsqu’ils sont lâchés, ils n’ont pas vocation à se poser sur la toiture du voisinage mais sont dressés pour voler et revenir directement au pigeonnier ; qu’ils volent au-dessus de l’ensemble des habitations avoisinantes mais qu’aucun autre voisin ne se plaint de nuisances à l’exception des requérants.

Ils font valoir que les constats d’huissier ne relatent aucune nuisance olfactive et que la présence d’ouvrages bruyants (sortie de camions, zone industrielle, routes passantes et poste électrique) à proximité du domicile des requérants, ne permet pas de déduire des mesures prises par l’huissier, des nuisances sonores excessives causées par le pigeonnier et qu’au surplus, il est constaté que le bruit n’est pas incessant mais intermittent.

Ils soutiennent que d’autres volatiles ont pu causer les dommages invoqués par les requérants puisqu’il y a plusieurs colombophiles dans le quartier et des tourterelles sauvages.
 
Ils contestent leur réclamation au titre d’une moins-value de leur immeuble du fait de la présence de ce pigeonnier, faisant valoir que les attestations et estimations produites par les requérants ne sont pas fiables dans la mesure où elles reposent sur des informations partielles et erronées.

S’agissant du préjudice moral, ils invoquent que la preuve du lien de causalité avec la présence de leur pigeonnier n’est pas rapportée.
 
La décision a été mise en délibéré au 11 juillet 2024.
 
Sur ce,
 
Le tribunal rappelle, à titre liminaire, qu'il n'est pas tenu de statuer sur les demandes de « constatations » ou de « dire et juger » qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques mais constituent, en réalité, les moyens invoqués par les parties au soutien de leurs demandes.
 
1)     Sur la prescription de l’action des époux [H]
 
Selon l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
 
Les époux [G] demandent au tribunal de dire que l’action des époux [H] est prescrite et en conséquence de débouter les requérants de leurs demandes.
 
Mais, selon les dispositions précitées, la prescription est une fin de non-recevoir et dans la mesure où il n’y a pas dans le dispositif des dernières écritures des défendeurs, de demande tendant à l’irrecevabilité de la demande mais seulement une demande de débouté, le tribunal ne tranchera pas la question de la prescription.
 
Au surplus, il est ici précisé qu’en application du décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019, pour les instances introduites à compter du 1er janvier 2020, le juge de la mise en état est en principe seul compétent pour statuer sur les fins de non-recevoir telles que la prescription et les parties ne sont plus recevables à soulever ces fins de non-recevoir au cours de la même instance à moins qu’elles ne surviennent ou ne soient révélées postérieurement au dessaisissement du juge de la mise en état.
 
En conséquence, les défendeurs ne sauraient être accueillis en leur demande tendant au débouté des requérants du chef de la prescription.
 
 
2)     Sur le trouble anormal de voisinage
 
L’article 544 du code civil prévoit que la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas à un usage prohibé par les lois ou par les règlements.

Néanmoins, en application de l’article 651 du même code, les propriétaires sont assujettis à différentes obligations l’un à l’égard de l’autre. Ainsi, nul ne peut causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage et il appartient à celui qui invoque un trouble anormal de voisinage, en l’espèce les époux [H], de rapporter la preuve d’un trouble répétitif d’une certaine intensité et d’un préjudice en résultant.

S’agissant d’une responsabilité sans faute, il importe donc de rechercher si les nuisances, même en l’absence de toute infraction aux règlements, n’excèdent pas les inconvénients normaux du voisinage. Cette appréciation souveraine s’effectue in concreto, en fonction des circonstances de temps et de lieu.
 
*
En l’espèce, il ressort des éléments soumis aux débats que les consorts [G], colombophiles, sont propriétaires de plus d’une centaine de pigeons, ceux-ci évoquant un nombre de 138 pigeons sur la période litigieuse. Il est constant que les propriétés respectives des parties à la procédure sont mitoyennes. Sur les plans et photographies produites, il apparaît que l’arrière d’un des pigeonniers des consorts [G] jouxte la limite séparative des deux fonds, et se situe à quelques mètres de la maison des consorts [H] construite en 2011.

 
Les époux [H] produisent pour justifier des nuisances alléguées, un procès-verbal de constat d’huissier effectué le 30 juillet 2020 dont il résulte qu’à 19 heures 20, une vingtaine de pigeons se sont envolés depuis le jardin de Monsieur et Madame [G] générant des bruits de battements d’ailes conséquents et un envolement de poussières. Il est constaté que les pigeons volent pendant une vingtaine de minutes en faisant des tours au-dessus des maisons avoisinantes et étant de plus en plus rapprochés de la maison des requérants avant d’atterrir sur le même point que le décollage.

L’huissier poursuit en indiquant que quelques minutes plus tard un deuxième envol de pigeons a lieu et que les bruits ont été mesurés à l’aide d’un sonomètre qui indique 73.4 BDA en position « HIGH » et 63.6 DBA en position « LOW ».
L’huissier de justice constate que les roucoulements sont continus sans interruption pendant ses constatations jusque 20 heures et qu’ils sont audibles du jardin des requérants ainsi que de l’intérieur de la maison lorsqu’une fenêtre est entrouverte.
 
Un second constat a été effectué le 4 août 2020 aux termes duquel l’huissier de justice constate un envol d’une cinquantaine de pigeons à 7 heures 18, un survol des terrains avoisinants pendant 20 minutes et un atterrissage, avec bruit de claquement d’ailes à proximité immédiate du jardin, audible depuis le jardin et l’intérieur de la maison quand la baie vitrée est entrouverte, atterrissage générant un bruit de claquement d’ailes.
 
Les époux [H] versent aux débats des photographies datant de juillet, août et septembre 2019 et de mai, juin 2020 sur lesquelles on distingue sur la toiture des requérants plusieurs volatiles bagués, parfois une dizaine. Eu égard à la proximité des lieux, la présence de bagues sur les pattes des volatiles, et de l’absence de preuve d’autres élevages de pigeons dans l’environnement immédiat, il apparaît raisonnable de considérer qu’il s’agit des pigeons des consorts [G]. Il en ressort que les pigeons appartenant à Monsieur et Madame [G] se posaient régulièrement sur la propriété de leurs voisins, engendrant des déjections sur le haut de la toiture.
 
Les requérants se sont plaints à trois reprises des nuisances subies auprès de la police municipale, les 1er août, 27 août 2019 et 17 avril 2020. La fiche de main courante du 27 août 2019 mentionne que des nuisances olfactives ont été signalées par Monsieur [H] et qu’il est constaté sur place par l’agent municipal une forte odeur émanant de l’emplacement où se trouvent les pigeons. Aux termes de la fiche de main courante datée du 17 avril 2020, le policier municipal indique avoir constaté, depuis le domicile, le bruit continu bien que de faible intensité des volatiles et une légère odeur au niveau de sa haie.
 
Les époux [H] versent aux débats les attestations de témoins suivantes :

-   Monsieur [OB] [F], voisin, atteste le 29 juillet 2020 que « quand nous sommes dans le jardin, on entend les roucoulements des pigeons et l’envol des pigeons sont bruyant avec les claquements d’ailes, les odeurs de fientes, le bruit dans le pigeonnier, quand ils se posent ou dessus, le bruit est répétitif, nous étions là de 19h10 à 19h45. Le vol est à basse altitude et ils sont très nombreux (une centaine). »

-  Madame [UK] [K] atteste le 30 août 2021 que « lors de notre bail du 3/01/2019 au 06/07/2020, nous avons été témoins avec mon conjoint [A] [V] des nuisances de la part de la famille [G] : leurs pigeons étaient nombreux et omniprésents, envahissaient le toit de la maison de la famille [H] (qui donnait sur notre jardin) ; beaucoup de cris pour les rappeler ainsi que le week-end très tôt, (…). »
 
L’ensemble de ces éléments tend à démontrer la réalité des troubles sonores et olfactifs importants provoqués par la présence en nombre important des pigeons appartenant aux consorts [G] et leur survol de l’habitation des requérants quotidiennement.

Contrairement à ce qui est soutenu par ces derniers, il est démontré que l’envol des oiseaux a lieu en dehors des horaires de travail, parfois tôt le week-end. S’il a pu être soutenu que ceci se pratiquait lors des canicules, les consorts [G] qui ont pourtant sollicité un huissier à l’effet d’effectuer un constat, ne le démontrent pas. A cet égard, l’huissier a ainsi seulement constaté le 18 novembre 2021 à 14h30 que « des bruissements d’ailes et des roucoulements sont audibles en intermittence avec des périodes où aucun bruit n’est audible (…) Je constate qu’aucune odeur nauséabonde n’est perceptible. Je précise avoir entendu des bruits de circulation automobile pendant la durée de mes constatations. J’ai pu également que des oiseaux autres que des pigeons survolent le jardin de mes requérants ainsi que les immeubles aux alentours ». Mais ce constat a été réalisé dans un autre contexte, alors que les pigeons des consorts [G] ne s’envolaient pas, et alors que ceux-ci avaient manifestement nettoyé leurs pigeonniers. Puis, la circonstance que les consorts [G] nettoient, même régulièrement, leurs pigeonniers, n’exclut pas ipso facto la possibilité de nuisances olfactives engendrées par les déjections des nombreux volatiles, laquelle a été constatée à deux reprises par un policier municipal.
 
Les époux [G] produisent eux aussi des attestations de témoins :

-          Madame [GS] [LJ] déclare « qu’ils ont toujours eu des animaux et en aucun cas, cela nous a déjà embêté. A ma connaissance, aucun voisin n’a déjà eu l’occasion de se plaindre des animaux détenus par Mr et Mme [G] » ;

-          Monsieur [DG] [C] déclare ne pas considérer les pigeons de la famille [G] comme étant une nuisance, que leur présence ne le dérange pas et qu’il n’a jamais observé leur présence sur sa toiture ou celles du voisinage ;

-          Madame [FV] [XB] déclare « je ne connais personne qui s’est plaint que Mr [G] élève poules et pigeons ça ne me dérange pas et je suis au 8, Mr [H] habitait au 9 » ;

-          Madame [E] [R] certifie qu’elle n’a aucune nuisance avec les pigeons de Monsieur [G] [J] ;

-          Madame [SP] [I] épouse [UJ] déclare que personnellement les animaux ne la dérangent absolument pas.

-          Monsieur [CO] [Y] [T] déclare habiter la première maison depuis 21 ans et indique que les pigeons de Monsieur [G] ne l’ont jamais dérangé ou ont été nuisibles à son existence et qu’il n’a rien à leur reprocher concernant leurs pigeons ;

-          Madame [M] [D] déclare n’avoir jamais été embêtée par les pigeons de ses voisins, appartenant à Monsieur et Madame [G], « ces pigeons en cage fermée se situent à moins de 15m de mon domicile. Et au plus près de ma chambre à coucher (…) Mes 3 enfants (21, 18 et 15 ans) et moi-même n’entendons absolument aucun bruit, et n’avons constaté aucune odeur. Nous vivons dans notre maison depuis 15 ans ! et cohabitons tout à fait bien avec les pigeons de nos charmants voisins » ;

-          Monsieur [S] [Z] déclare « les faits auxquel Mr [G] et constater nui aucunement au voisinages » ;

-          Monsieur [N] [B] déclare que les pigeons détenus par la famille [G] ne lui causent aucun dommage particulier.
 
Ainsi plusieurs voisins du quartier soulignent ne pas être gênés par les volatiles. Mais il ne ressort d’aucun de ces témoignages que l’habitation des personnes concernées soit aussi proche que celle des requérants. A cet égard, aucun n’évoque les envols des pigeons ni le fait que ceux-ci se posent sur leur habitation.  Les époux [H] produisent pour leur part le témoignage d’anciens voisins ci-dessus évoqués, attestant spécifiquement des nuisances des pigeons pour les consorts [H].
 
En l’état de ces éléments, il est avéré que la présence en nombre conséquent et les sorties quotidiennes des pigeons appartenant aux consorts [G] engendrent des nuisances sonores mais également olfactives ainsi que des dégradations, en raison de leurs déjections, au préjudice des requérants. Ces nuisances excédent les inconvénients normaux du voisinage, du fait de leur fréquence et de leur survenance lorsque les requérants sont chez eux, y compris le week-end.
 
Les défendeurs invoquent le fait que les requérants ont construit leur immeuble en connaissance de l’existence des pigeonniers, mais la connaissance de la présence des volatiles à proximité ne vaut pas acceptation des nuisances qui en résultent et qui ne peuvent être connues dans leur ampleur qu’en y vivant quotidiennement. De même, le fait que l’installation ait fait l’objet d’une autorisation, du moins pour l’un des deux, ne dispense pas les personnes concernées de respecter la tranquillité de leurs voisins.
 
Toujours en opposant l’antériorité de leurs pigeonniers à l’édification de la maison des requérants, les défendeurs se prévalent des dispositions de l’article L. 113-8 du de code de la construction et de l’habitation, ainsi rédigé « les dommages causés aux occupants d'un bâtiment par des nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales, touristiques, culturelles ou aéronautiques, n'entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférent au bâtiment exposé à ces nuisances a été demandé ou l'acte authentique constatant l'aliénation ou la prise de bail établi postérieurement à l'existence des activités les occasionnant dès lors que ces activités s'exercent en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et qu'elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions. » 
 
La colombophilie, pratique répandue dans les Hauts de France, figure dans la liste de l’inventaire national du Patrimoine culturel immatériel français et peut ainsi être considérée comme une activité culturelle au sens des dispositions précitées.

Toutefois, il ressort de ces dispositions que l’auteur des activités génératrices du trouble doit, pour pouvoir se prévaloir valablement de leur antériorité, être en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires. Or, il convient de rappeler les termes de l’article 26 du règlement sanitaire départemental du Nord qui dispose qu’ « il est interdit d’élever et d’entretenir dans l’intérieur des habitations, leurs dépendances et leurs abords des animaux de toutes espèces dont le nombre ou le comportement ou l’état de santé pourrait porter atteinte à la sécurité ou à la salubrité des habitations ou de leur voisinage ». Ces dispositions ne sont pas ici respectées s’agissant de pigeonniers hébergeant pas loin de 150 pigeons compte tenu de leurs déjections sur l’habitation des requérants, outre les nuisances olfactives et sonores.  
 
Ainsi, les requérants établissent la réalité des troubles anormaux du voisinage imputables aux défendeurs en sorte qu’il convient d’étudier les demandes indemnitaires qu’ils forment sur ce fondement.
 
Sur le préjudice moral et dans leurs conditions d’existence
 
Les requérants qui font valoir que les nuisances ont commencé en 2019 invoquent un préjudice dans leurs conditions d’existence et un préjudice moral et sollicitent leur indemnisation à hauteur de 10 000 euros chacun.
 
Ils produisent un certificat médical du docteur [VH] daté du 10 septembre 2021 attestant que Madame [H] présente un trouble anxieux associé à une perte de poids et une asthénie entre le mois d’août 2020 et mars 2021.
 
Ils apportent également une attestation de Madame [TM] [W] épouse [OY], responsable hiérarchie de Monsieur [H], datée du 3 août 2022 qui atteste que dans le courant de l’année 2020, « [L] s’est montré stressé, agacé, contrarié et je dirai même limite au burn out par une situation qui n’arrivait pas à contrôler et trouver un compromis.

[L] et moi avons longuement échangé sur le voisinage et le problème de pigeons qu’il rencontrait avec sa famille, ceux qu’il l’empêchait d’être heureux avec ses enfants. Les pigeons lui ont nuit à son bien-être. Aujourd’hui il va mieux car il a déménagé. »
 
Monsieur [JO] [H], père du requérant atteste le 27 août 2022 que « régulièrement j’allais chez mon fils garder les enfants, en 2019 je me suis rendu compte que les roucoulements, les claquements d’ailes, les cris de rappel étaient entendu à l’extérieur mais aussi à l’intérieur de la maison plus les odeurs de fientes des pigeons dans le jardin. [L] et [WE] étaient stressés, fatigués par toute cette activité bruyante après des concessions avec leurs voisins ils ont décidé à regret de vendre leur plain-pied pour préserver leurs santés, depuis l’éloignement ils vont mieux ».
 
Madame [P] [H], mère du requérant, atteste le même jour que « mon mari et moi étions invités régulièrement chez notre fils et son épouse, la maison ainsi que le jardin étaient agréables. En 2019, ils m’ont fait remarquer l’élevage de pigeons chez leurs voisins, Mr et Mme [G]. Depuis, des roucoulements, des cris de rappel des pigeons sont devenus quotidiens et fréquents. Mr et Mme [G] n’ont pas essayé d’arranger les choses et c’est la que je me suis aperçue que mon fils et ma belle-fille devenaient de plus en plus angoissés, stressés, fatigués et surtout l’amaigrissement de ma belle-fille. Ils ont perdu le goût de recevoir : anniversaires des enfants, fête des mères, pères, Noël etc… quel gâchis après 10 ans d’aménagement sans partir en vacances pour arriver à la vente de leur maison ».
 
Le 20 août 2020, la sœur de Monsieur [H], Madame [X] [H] atteste avoir constaté une perte de poids significative de sa belle-sœur ainsi qu’une anxiété et un mal être de son frère et de son épouse courant 2021 et ont exprimé la raison de leur mal être à savoir la nuisance olfactive, sonore de leurs voisins possédant une quantité importante de pigeons, cette situation ayant entraîné la vente de leur maison.
 
Il est ainsi suffisamment démontré par les requérants l’impact de ces nuisances sur leur bien-être et ainsi le préjudice moral et un préjudice dans leurs conditions d’existence de 2019 jusque la vente de leur maison en juillet 2021, qu’il convient d’évaluer à hauteur de 5000 euros chacun.

 
Sur le préjudice financier
 
Les époux [H] ont vendu leur immeuble par acte du 13 juillet 2021 reçu par Maître [O] [U], notaire à [Localité 3] moyennant le prix de 370 000 euros dont 10 990 euros de mobilier et estiment subir une moins-value due aux nuisances causées par le pigeonnier voisin et sollicitent leur indemnisation à hauteur de 50 000 euros.
 
Ils produisent une attestation de l’agence « Le Lion Immobilier » du 8 septembre 2021 dont il résulte que « dans le cadre de la vente de votre maison, je vous informe que le prix de vente aurait pu atteindre 420 000 euros si les nuisances n’étaient pas présentes. En effet, nous avons réalisé 34 visites, et ce point était certes parfois bloquant ».
 
Ils apportent également la liste des ventes de biens avoisinants pour des prix supérieurs à celui qu’ils ont obtenu ainsi qu’une estimation réalisée via un formulaire internet datée du 4 juillet 2022 et faisant apparaître une fourchette de prix pour leur immeuble de 470 639 euros à 608 808 euros. De plus, le bien a été estimé par l’agence Domiris suite aux informations transmises, entre 440 000 et 460 000 euros net vendeur le 3 septembre 2022.
 
Il convient néanmoins de nuancer ces éléments dans la mesure où les requérants sont parvenus à vendre leur maison, nonobstant la réticence exprimée par certains acquéreurs et où les éléments de comparaison produits doivent être relativisés, la période de vente n’étant pas la même. Finalement, la réclamation repose sur l’attestation d’une seule agence immobilière qui soutient que le bien aurait pu être vendu plus cher en l’absence de nuisances, ce qui apparaît insuffisant pour les indemniser à hauteur du montant demandé.

Au regard de l’ensemble des éléments fournis, il convient de reconnaître le préjudice financier à hauteur de 5000 euros que les consorts [G] devront leur payer.
 
 
3)     Sur les demandes accessoires
 
Monsieur et Madame [G], parties perdantes à l’instance, supportera les dépens.
 
Il convient, pour les mêmes motifs, de les condamner à payer à Monsieur et Madame [H] la somme de 2500 euros pour leurs frais non compris dans les dépens.    
 
 
PAR CES MOTIFS
 
Le tribunal statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort :
 
DIT que la responsabilité de Monsieur [RT] et Madame [IS] [G] est engagée sur le fondement du trouble anormal de voisinage ;
 
CONDAMNE Monsieur [RT] et Madame [IS] [G] à payer à Monsieur [L] [H] et Madame [WE] [K] épouse [H], la somme de 5000 euros chacun au titre de leur préjudice moral et leur préjudice dans leurs conditions d’existence ;
 
CONDAMNE Monsieur [RT] et Madame [IS] [G] à payer à Monsieur [L] [H] et Madame [WE] [K] épouse [H], la somme de 5000 euros au titre de leur préjudice matériel ;
 
DEBOUTE Monsieur [L] [H] et Madame [WE] [K] épouse [H] de leur demande indemnitaire plus ample ;
 
CONDAMNE Monsieur [RT] et Madame [IS] [G] à payer à Monsieur [L] [H] et Madame [WE] [K] épouse [H], la somme de 2500 euros pour leurs frais non compris dans les dépens ;
 
CONDAMNE Monsieur et Madame [G] aux dépens de l’instance ;
 
RAPPELLE que l’exécution provisoire est de droit.
 
 
LE GREFFIER                                                                    LA PRESIDENTE
 

Benjamin LAPLUME Marie TERRIER


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Lille
Formation : Chambre 01
Numéro d'arrêt : 22/00661
Date de la décision : 11/07/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-07-11;22.00661 ?
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