TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
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Chambre 01
N° RG 23/02558 - N° Portalis DBZS-W-B7H-XAZM
ORDONNANCE D’INCIDENT
DU 28 JUIN 2024
DEMANDEUR AU PRINCIPAL :
(défendeur à l’incident) :
S.A.R.L. PORFRABEL
inscrite au RCS de DUNKERQUE sous le n° 508 645 694
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Alice MARANT, avocat au barreau de DUNKERQUE
DÉFENDEUR AU PRINCIPAL :
(demandeur à l’incident)
M. [P] [I]
(débiteur opposant à l’injonction de payer de la SARL PORFRABEL)
[Adresse 2]
[Localité 5] / FRANCE
représenté par Me Antoine CHAUDEY, avocat au barreau de LILLE, postulant et Me Sajeeva RAVEENDRAN, plaidant
COMPOSITION
Juge de la mise en État : Marie TERRIER,
Greffier : Benjamin LAPLUME,
DÉBATS :
A l’audience du 08 Avril 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré, les avocats ont été avisés que l’ordonnance serait rendue le 21 Juin 2024 puis prorogée pour être rendue le 28 Juin 2024.
Ordonnance : contradictoire, en premier ressort, mise à disposition au Greffe le 28 Juin 2024, et signée par Marie TERRIER, Juge de la Mise en État, assistée de Benjamin LAPLUME, Greffier.
Exposé du litige
Vu l’opposition faite le 2 février 2023 par Monsieur [P] [I] à l’ordonnance portant injonction de payer rendue par le président du Tribunal judiciaire de Lille le 22 décembre 2022 au bénéfice de la SARL Porfrabel condamnant Monsieur [P] [I] à payer à cette dernière la somme de 53.656,88€ au titre du principal de la créance outre la somme de 51,07€ au titre des frais de requête;
Vu les constitutions d’avocat en demande et en défense.
*
Vu les dernières conclusions d’incident notifiées par le Conseil de Monsieur [P] [I] le 20 mars 2024 auxquelles aux fins de voir, au visa des 122 et 789 du Code de procédure civile, de l’article liminaire du Code de la consommation, de l’article L218-2 du Code de la consommation,
A titre principal,
DECLARER l’action de la société PORFRABEL à l’encontre de Monsieur [P] [I] irrecevable comme prescrite tant celle concernant la facture en date du 30 novembre 2017 n°20170218 d’un montant de 15.708,34 euros TTC que celle concernant la facture en date du 28 décembre 2018 n°20180225 d’un montant de 37.948,54 euros TTC par application de l’article L218-2 du Code de la consommation ;
A titre subsidiaire,
DECLARER l’action de la société PORFRABEL à l’encontre de Monsieur [P] [I] irrecevable comme prescrite en ce qui concerne la facture en date du 30 novembre 2017 n°20170218 d’un montant de 15.708,34 euros TTC ;
En tout état de cause,
CONDAMNER la société PORFRABEL à verser à Monsieur [P] [I] une somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du CPC ainsi qu’aux entiers dépens.
Au soutien de son incident, il expose que même s’il était le salarié de la société Porfrabel, il indique qu’il a procédé à des achats pour procéder à des fins personnelles à des travaux au sein de son immeuble d’habitation, tout en bénéficiant de tarifs avantageux. Il se revendique comme étant un consommateur et en déduit le bénéfice de la prescription biennale. Il conteste les arguments selon lesquels les achats auraient été faits dans le cadre d’une activité individuelle commerciale, reprochant la mauvaise foi de la société Porfrabel et s’il admet avoir tenté une activité d’autoentrepreneur, il conteste que les achats de matériaux aient pu être faits dans ce cadre. Il considère qu’alors le tribunal de commerce aurait dû rendre l’ordonnance et que la facturation ne correspond pas aux règles de la facturation entre professionnels.
Il fixe le point de départ du délai au jour de la livraison des matériaux qui doit au plus tard être fixé à la date d’émission de la facture générale de la société Porfrabel. Il conteste que des livraisons postérieures aient pu intervenir postérieurement et que les pièces produites ne sont pas probantes.
Il ajoute que les réclamations sont intervenues après sa démission mais que le mail du 7 octobre 2019 ne peut être regardé comme un aveu pas plus qu’une mise en demeure n’a un effet interruptif de prescription.
A titre susbidiaire, en retenant que seule la signification de l’ordonnance portant injonction de payer est interruptive de prescription, il précise que celle-ci faite le 10 janvier 2023 est également prescrite.
Vu les dernières conclusions d’incident notifiées par le Conseil de la SARL Porfrabel le 5 octobre 2023, au visa des articles 405 et 1409 du Code de procédure civile, 1103 du Code civil, 2224 du Code civil, l’ancien article L 137-2 devenu l’article L 218-2 du Code de la Consommation L 110-4 du Code de commerce, 2224 et 2248 du code civil,
Débouter Monsieur [P] [I] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions tendant à soutenir l’action de la Société PORFRABEL irrecevable car prescrite.
En conséquence,
Rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action de la Société PORFRABEL à l’encontre de Monsieur [P] [I]
Dire et juger l’action de la Société PORFRABEL à l’encontre de Monsieur [P] [I] recevable.
Condamner Monsieur [P] [I] au paiement de la somme de 1.500,00 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
Elle s’oppose à l’application de la prescription biennale en relevant que Monsieur [I] qui certes, était un de ses salariés a procédé à ces achats dans le cadre de son activité professionnelle secondaire au titre d’une autoentreprise de travaux d’isolation.
Elle fixe le point de départ du délai au jour de la refacturation soit le 30 novembre 2017 pour la facture 201702018 et au 28 décembre 2018 pour la facture 20180225 et estime que le délai de prescription s’est trouvé interrompu du fait d’un mail du 7 octobre 2019 par lequel Monsieur [I] a reconnu le bien fondé de cette créance.
Motifs
sur l’opposition à injonction de payer
Selon l'article 1416 du Code de Procédure Civile, l'opposition à l'ordonnance d'injonction de payer doit être formée dans le mois qui suit la signification de l'ordonnance. Toutefois, si la signification n'a pas été faite à personne, l'opposition est recevable jusqu'à l'expiration du délai d'un mois suivant le premier acte signifié à personne, ou à défaut, suivant la première mesure d'exécution ayant pour effet de rendre indisponibles en tout ou partie les biens du débiteur.
En l’espèce, il n’est pas contesté quoique non établi à défaut d’avoir produit la signification de l’ordonnance portant injonction de payer que Monsieur [P] [I] a formé opposition le 2 février 2023, soit dans le délai d’un mois suivant la signification de l’ordonnance qui serait intervenue le 10 janvier 2023, selon des modalités également ignorées de la juridiction.
Il y a lieu de déclarer recevable l’opposition et de mettre à néant l’injonction de payer du 22 décembre 2022.
En application de l’article 1420 du Code de Procédure civile, le présent jugement s’y substitue purement et simplement.
Sur la prescription
Selon les dispositions de l’article 789 du Code de procédure civile :
“Lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour :
(...) 6° Statuer sur les fins de non-recevoir. (...)”
Et l’article 122 du Code de procédure civile prévoit :
“Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.”
L’article L 218-2 du Code de la consommation prescrit :
“L’action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans.”
Selon l’article liminaire du même code: «Pour l'application du présent code, on entend par:
1° Consommateur: toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole;
2° Non-professionnel: toute personne morale qui n'agit pas à des fins professionnelles;
3° Professionnel: toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu'elle agit au nom ou pour le compte d'un autre professionnel»
En l’espèce, il est acquis que Monsieur [P] [I] n’a pas passé commande des fournitures de la société Porfrabel dans le cadre de son activité principale de salariés mais il l’a fait au titre de ses activités accessoires, soit à titre privé ainsi qu’il l’affirme, soit à titre professionnel ainsi que le soutien la société Porfrabel.
Il résulte des pièces du dossier que les factures, dont il est réclamé le paiement, ont été éditées au nom de Monsieur [I] et pour la première à l’adresse [Adresse 7] à [Localité 5] pour la seconde [Adresse 6] à [Localité 5]. Or, il est acquis que l’adresse personnelle de Monsieur [I] se situe [Adresse 1] à [Localité 5].
Par ailleurs, les factures ne mentionnent aucun numéro de SIRET ou de SIREN et ont été libellées toutes taxes comprises. Enfin au titre du code client, il est mentionné «divers» ne permettant pas d’en déduire qu’il s’agirait d’un professionnel, client habitué de l’enseigne Porfrabel.
Enfin et surtout, et même si l’adresse [Adresse 7] à [Localité 5] ne permet pas exactement de connaître où elle se situe, il est toutefois pas alléguée qu’elle correspondrait à l’adresse du siège de l’autoentreprise qu’aurait Monsieur [I].
Dans un courrier du 19 octobre 2022 de rappel de mise en demeure, la société Porfrabel a indiqué à Monsieur [P] [I] « vous n’êtes pas sans savoir qu’il ne s’agit aucunement d’une erreur, puisque vous êtes vous même à l’origine de ces factures qui correspondaient à des matériaux dont vous aviez besoin pour la construction de votre habitation à [Localité 5]».
Enfin, il n’est pas anodin de souligner qu’au jour du dépôt de la requête en injonction de payer, l’huissier entendait attirer l’attention sur le fait que Monsieur [P] [I] était salarié de la société Porfrabel. Les commandes ont été faites par Monsieur [I] et au nom de la société Porfrabel afin de bénéficier d’un tarif préférentiel sur les matériaux nécessaires à la construction/rénovation de son habitation personnelle» [le juge de la mise en état souligne ].
Dans ces conditions, il est donc certain que les parties s’étaient accordées pour que Monsieur [P] [I] bénéficie des avantages financiers de la société Porfrabel pour un achat à titre privé. Aucun élément n’est produit dans le cadre de la présente instance, laissant penser que les achats auraient pu être faits à titre professionnel, y compris dans le cadre de l’activité accessoire de Monsieur [I] et qu’il aurait à ce titre été appréhendé comme un client professionnel.
En conséquence, il doit bénéficier du délai biennal de prescription .
Depuis un arrêt du 19 mai 2021 de la première chambre civile de la Cour de Cassation, il est admis qu’ «en application des articles 2224 du code civil et L. 137-2, devenu L. 218-2, du code de la consommation, il y a désormais lieu de prendre en compte, pour fixer le point de départ du délai biennal de prescription de l'action en paiement de travaux et services engagée à l'encontre de consommateurs par un professionnel, la date de la connaissance des faits permettant à ce dernier d'exercer son action. Cette date peut être caractérisée par l'achèvement des travaux ou l'exécution des prestations. Toutefois, dès lors que l'application, au cas d'espèce, de la jurisprudence nouvelle aboutirait à priver ce professionnel d'accès au juge, il est justifié de faire exception au principe de cette application immédiate, et de prendre en compte la date d'établissement de la facture comme constituant le point de départ de la prescription au jour de l'assignation des consommateurs. Dès lors, la cour d'appel, qui a fait abstraction de la date d'établissement de la facture qu'il lui incombait, le cas échéant, de déterminer, a violé les textes susvisés»
En l’espèce, il y a donc lieu de fixer le point de départ du délai de la première facture n°20172018 au 30 novembre 2017 et la deuxième n° 20180225 au 28 décembre 2018.
Même à supposer que les deux envois de mails du lundi 7 octobre 2019 adressé à 16h01 par Monsieur [P] [I] par lequel celui-ci indique «En résumé j’ai eu 3 refus de prêt par les banques[...] je dois attendre d’avoir plus de 12 mois de remboursement de prêt pour essayer de renégocier mes taux et augmenter ma capacité d’emprunt. Le problème c’est que je serai obligé d’emprunter sur de la courte durée car pas possible en prêt immo sans achat ou travaux. Nous ne pourrons pas emprunter ce montant sur moins de 6 ans en tant que prêt conso.
Je voudrai donc rembourser sur 4 ans avec les dividences Isoldry chaque année et payer 10 k€ par an. [U] m’a également évoqué une prime pour pouvoir solder cette facture» puis celuis du 7 octobre 2019 à 19h43 par lequel il indiquat «sinon il faut envisagé le rachat de mes parts chez Isoldry! J’avoue que je n’ai pas de solution concrète pour l’instant» peuvent être regardés comme la reconnaissance du droit de la société Porfrabel et avoir valeur interruptive, cette reconnaissance a eu pour effet de faire courir un nouveau délai d’une durée identique au délai inital.
De sorte qu’il appartenait alors à la société Porfrabel d’agir à l’encontre de Monsieur [P] [I] avant le 7 octobre 2021.
De plus en matière d’injonction de payer, il est admis que seule la signification de l’ordonnance portant injonction de payer a valeur interruptive, la mise en demeure étant totalement dépourvue d’effet à cet égard.
La société Porfrabel n’ayant entrepris aucun autre acte interruptif de prescription avant le 10 janvier 2023, date de la signification de l’ordonnance portant injonction de payer, elle doit être déclarée irrecevable à agir comme prescrite.
Sur les demandes accessoires
Les circonstances du litige commandent de condamner la société Porfrabel aux dépens, en ce compris le coût de la requête et de la signification de l’injonction de payer .
Supportant les dépens, elle sera condamnée à payer à Monsieur [P] [I] la somme de 1 500 Euros au titre des frais irrépétibles non compris dans les dépens exposés par celui-ci dernière.
PAR CES MOTIFS
Nous, juge de la mise en état, statuant publiquement, par ordonnance contradictoire, susceptible d'appel et par mise à disposition au greffe,
Déclarons recevable l’opposition faite le 2 février 2023 à l’ordonnance portant injonction de payer rendue le 22 décembre 2022,
Mettons à néant ladite ordonnance,
Statuant à nouveau :
Déclarons la SARL PORFRABEL irrecevable à agir ;
Condamnons la SARL PORFRABEL à payer à Monsieur [P] [I] la somme de 1500 Euros au titre des frais irrépétibles, non compris dans les dépens exposés par celui-ci;
Condamnons la SARL PORFRABEL aux dépens ;
LE GREFFIERLE JUGE DE LA MISE EN ÉTAT
Benjamin LAPLUMEMarie TERRIER