TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
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Chambre 01
N° RG 22/05814 - N° Portalis DBZS-W-B7G-WPEH
JUGEMENT DU 28 JUIN 2024
DEMANDERESSE :
S.E.L.A.R.L. PHARMACIE SEBASTIEN BONTE,
immatriculée au RCS de DUNKERQUE sous le n° 483 475 943
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Juan GARCIA, avocat au barreau de LILLE
DÉFENDEURS :
M. [V] [O] Monsieur [V] [O] est assigné en qualité de Gérant de la SELARL GPP (Grande Pharmacie de Paris).
Il est donc domicilié au siège de la SELARL GPP.
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me Simon DUTHOIT, avocat au barreau de LILLE
S.E.L.A.R.L. GPP (GRANDE PHARMACIE DE PARIS),
immatriculée au RCS de LILLE METROPOLE sous le n° 529 479 834
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Simon DUTHOIT, avocat au barreau de LILLE
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Président: Marie TERRIER,
Assesseur: Juliette BEUSCHAERT,
Assesseur: Nicolas VERMEULEN,
Greffier: Benjamin LAPLUME,
DÉBATS :
Vu l’ordonnance de clôture en date du 11 Juillet 2023.
A l’audience publique devant la formation collégiale du 11 Avril 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré, les avocats ont été avisés que le jugement serait rendu le 21 Juin 2024 puis prorogé pour être rendu le 28 Juin 2024.
JUGEMENT : contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 28 Juin 2024 par Marie TERRIER, Présidente, assistée de Benjamin LAPLUME, Greffier.
Exposé du litige
La SELARL Pharmacie Sébastien Bonte (ci-après, la SELARL Bonte) et M. [V] [O] ont constitué par acte sous seing privé du 18 décembre 2010 la SELARL Grande pharmacie de Paris (ci-après, la pharmacie GPP).
La société dispose d’un capital social de 300.000 euros réparti en 3.000 parts de 100 euros chacune ; celles-ci étant détenues respectivement par M. [V] [O] à hauteur de 1.650 euros et par la SELARL Bonte à hauteur de 1.350 euros.
M. [V] [O], disposant de 55 % du capital social, est gérant associé majoritaire de la pharmacie GPP.
Lors de l’assemblée générale en date du 19 avril 2019, la SELARL Bonte a voté contre les résolutions relatives à la rémunération du gérant et aux conventions réglementées. Il a été mentionné au procès-verbal que les résolutions ont été adoptées à la majorité.
Lors de l’assemblée générale en date du 11 septembre 2020, la SELARL Bonte a voté contre la quatrième résolution relative à la rémunération du gérant. Il a été mentionné au procès-verbal que la résolution a été adoptée à la majorité.
Se plaignant de divers prélèvements par M. [V] [O] à titre de rémunération sur les comptes sociaux, par actes d'huissier en date du 28 décembre 2020, la SELARL Bonte a fait assigner la pharmacie GPP et M. [V] [O] en annulation des résolutions litigieuses.
Sur ce, les défendeurs ont constitué avocat.
L’affaire a été radiée par décision du 10 mars 2021 pour conclusions notifiées tardivement par le demandeur. Elle a été réinscrite par décision du 19 septembre 2022.
Au terme de ses conclusions récapitulatives, notifiées par voie électronique le 29 mars 2023, la SELARL Bonte demande de :
Prononcer la nullité, sinon à tout le monde l’inopposabilité à son égard, des résolutions des assemblées générales de la pharmacie GPP suivantes :
La résolution 3 de l’assemblée générale du 19 avril 2019 ;La résolution 4 de l’assemblée générale du 19 avril 2019 ;La résolution 4 de l’assemblée générale du 11 septembre 2020 ;La résolution 4 de l’assemblée générale en date du 26 mars 2021 ;La résolution 4 de l’assemblée générale en date du 24 mars 2022 ;La résolution 5 de l’assemblée générale en date du 24 mars 2022 ;
Déclarer inopposable à la société pharmacie GPP les charges supportées par elle indûment au titre des conventions réglementées ainsi que les prélèvements effectués par le gérant au titre de sa rémunération dont les votes ont été refusés aux termes des résolutions suivantes :
La résolution 3 de l’assemblée générale du 19 avril 2019 ;La résolution 3 de l’assemblée générale du 11 septembre 2020 ;La résolution 4 de l’assemblée générale du 11 septembre 2020 ;La résolution 3 de l’assemblée générale en date du 26 mars 2021 ;
Déclarer inopposable à la société pharmacie GPP le prélèvement effectué par le gérant au titre de la prime qu’il s’est accordée dont le vote a été refusé aux termes de l’assemblée générale ordinaire de la SELARL GPP en date du 11 septembre 2020 ;
Condamner M. [V] [O] à rembourser à la SELARL GPP les sommes suivantes :
29.193 euros au titre des charges relevant des conventions réglementées indument supportées par la SELARL GPP sur l’exercice clos au 30 septembre 2018 ;
32.150 euros au titre des charges relevant des conventions réglementées indument supportées par la SELARL GPP sur l’exercice clos au 30 septembre 2019 ;
60.000 euros au titre de sa rémunération indument prélevée sur l’exercice clos au 30 septembre 2019 ;
6.847 euros au titre des charges sociales afférentes à la rémunération du gérant sur l’exercice clos au 30 septembre 2019 ;
33.456 euros au titre des charges sociales relevant des conventions réglementées indument supportées par la SELARL GPP sur l’exercice clos au 30 septembre 2019 ;
48.000 euros au titre de la rémunération indument prélevée par le gérant sur l’exercice clos au 30 septembre 2020 ;
6.401 euros au titre des charges sociales afférentes à la rémunération du gérant sur l’exercice clos au 30 septembre 2020 ;
4.000 euros au titre de la prime indument prélevée par le gérant et les sommes supportées par la société au titre des charges sociales y afférentes sur l’exercice clos au 30 septembre 2021 ;
48.000 euros au titre de la rémunération indument prélevée par le gérant et les sommes supportées par la société au titre des charges sociales y afférentes sur l’exercice clos au 30 septembre 2021 ;
101.600 euros au titre de la prime exceptionnelle indument prélevée par le gérant et les sommes supportées par la société au titre des charges sociales y afférentes sur l’exercice clos au 30 septembre 2021 ;
Le tout avec intérêts au taux légal avec capitalisation ;
Condamner M. [V] [O] à rembourser à la SELARL GPP toutes sommes qui seraient prélevées depuis lors en l’absence de toute autorisation régulière de l’assemblée des associés de la SELARL GPP avec intérêts et capitalisation de ceux-ci ;
Condamner M. [V] [O] à payer à la SELARL Bonte la somme de 30.000 euros à titre de préjudice ;
Le condamner à lui payer la somme de 9.500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Le condamner aux dépens.
Au terme de ses conclusions récapitulatives, notifiées par voie électronique le 02 février 2023, M. [V] [O] et la pharmacie GPP demandent de :
A titre principal,
Déclarer irrecevables les demandes de la SELARL Bonte ;
A titre subsidiaire,
Débouter la SELARL Bonte de l’ensemble de ses demandes ;
En tout état de cause,
Condamner la SELARL Bonte à payer la pharmacie GPP la somme de 6.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamner la SELARL Bonte à payer à M. [V] [O] la somme de 6.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
La condamner aux entiers dépens de l’instance ;
A titre très subsidiaire,
Dans l’hypothèse d’une nullité des résolutions litigieuses, débouter la requérante de ses demandes en paiement d’un indu au titre de la rémunération jusqu’à 48.000 euros et pour la totalité en ce qui concerne les charges personnelles ;
En conséquence limiter le montant des condamnations à la seule fraction de la rémunération dépassant 48.000 euros par an ;
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il sera renvoyé aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties.
A l’audience, le tribunal a sollicité les observations des parties par note en délibéré sur le moyen de droit soulevé d’office relatif au caractère tardif de la fin de non-recevoir élevée devant le tribunal en application de l’article 789 du code de procédure civile.
L'affaire a été mise en délibéré au 21 juin 2024 puis prorogé au 28 Juin 2024.
Motifs de la décision
Sur les fins de non-recevoir tirées du défaut d’intérêt à agir
1. Il ressort de l’article 789 du code de procédure civile que lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exécution de tout autre formation pour statuer sur les fins de non-recevoir.
Les parties ne sont plus recevables à soulever ces fins de non-recevoir au cours de la même instance à moins qu’elles ne surviennent ou soient révélées postérieurement au dessaisissement du juge de la mise en état.
2. En l’espèce, il ressort des pièces du dossier que les fins de non-recevoir ont été élevées suivant conclusions notifiées par voie électronique le 11 mai 2021, soit pendant l’instruction du dossier et postérieurement à la désignation du juge de la mise en état.
3. Les défendeurs n’ont pas fait d’observation sur le moyen relevé d’office tiré de l’irrecevabilité des fins de non-recevoir présentées devant le tribunal.
4. Il convient en conséquence de déclarer M. [V] [O] et la pharmacie GPP irrecevable en leur fin de non-recevoir.
Sur les demandes au titre de l’action sociale en responsabilité contre M. [V] [O].
5. Sur le fondement des articles 1844 du code civil et L. 235-9 du code de commerce, la SELARL Bonte dispose que les résolutions litigieuses concernant la rémunération du gérant n’ont pas été prises conformément aux statuts. Elle précise que l’article 14 des statuts de la société stipule que les résolutions relatives à la rémunération du gérant exigent une majorité des trois-quarts du capital. Elle rappelle que, d’une part, elle s’est opposée aux résolutions relatives à la rémunération du gérant et, d’autre part, elle possède 45 % du capital. Elle en conclut que les résolutions litigieuses ne pouvaient pas être considérées comme adoptées par le gérant. Elle sollicite en conséquence leur annulation.
La SELARL Bonte demande en conséquence la restitution des sommes versées au titre des rémunérations, des charges sociales afférentes aux rémunérations et des primes exceptionnelles.
La SELARL Bonte estime que le tribunal ne peut se substituer aux décisions des associés et que la résolution relative à la rémunération des associés en date du 20 avril 2018 n’a pas vocation à perdurer les années suivantes sans vote des associés.
Par ailleurs, s’agissant des résolutions relatives aux conventions réglementées, la SELARL Bonte indique que des prélèvements sur les comptes sociaux ont été réalisés alors que les résolutions relatives aux conventions réglementées aux assemblées générales des 11 septembre 2020 (résolution n°3), 26 mars 2021 (résolution n°3) et 24 mars 2022 (résolution n°3) ont été rejetées. Elle en conclut que M. [V] [O] doit restituer les sommes indument prélevées.
Elle précise également que le vote d’une résolution relative aux conventions réglementées en 2013 ne pouvait pas valoir approbation pour celles des années 2019 à 2022. Il estime également qu’il n’avait pas connaissance de l’existence de telles conventions lors de l’assemblée générale en 2013. Au surplus, elle argue que les conditions ayant été modifiées en substance, il était nécessaire de voter à nouveau. Elle estime également que seule la SELARL Bonte pouvait prendre part au vote ; que M. [V] [O] ne pouvait en revanche pas prendre part en vote en sa qualité d’associé intéressé par la question. Dès lors les résolutions litigieuses qui ont été adoptées doivent être annulées.
La SELARL Bonte demande en conséquence la restitution des sommes versées à ce titre.
*
6. En réponse, M. [V] [O] estime avoir eu un investissement sans faille dans l’officine pharmaceutique. Il critique également l’attitude d’obstruction systématique de la SELARL Bonte en alléguant que celle-ci est dépourvue d’affectio societatis. Il énonce que les résolutions relatives à la rémunération et aux primes correspondent aux résultats financiers et ne portent pas atteinte à l’intérêt social.
M. [V] [O] expose que la rémunération du gérant relève de l’article 16 alinéa 2 des statuts relatif aux décisions collectives ordinaires qui stipule que les décisions sont prises à une majorité simple, soit la moitié des parts sociales.
Il énonce également que l’article 14 des statuts de la société prévoit le droit de la gérance à un traitement fixe ou proportionnel, ce qui serait contraire à l’annulation des résolutions relatives à la rémunération du gérant, y compris s’agissant des primes exceptionnelles.
A titre subsidiaire, M. [V] [O] énonce que, lors de l’assemblée générale du 20 avril 2018, il a été voté une résolution selon laquelle les associés ont adopté à l’unanimité le maintien de la rémunération mensuelle nette du gérant à 4.000 euros outre les charges sociales. Il estime que cette résolution perdure en raison de l’absence de limitation temporelle.
Par ailleurs, M. [V] [O] prétend que la prise en charge des cotisations sociales ne relève pas des conventions réglementées et n’a pas à faire l’objet d’un vote à une majorité qualifiée en excluant le gérant. Il estime que la société a systématiquement pris en charge les cotisations sociales entre 2012 et 2018. Il expose que les charges sociales et que les diverses conventions ont été approuvées en 2013 et que celles-ci n’avaient pas à faire l’objet de nouvelles résolutions.
M. [V] [O] précise également que les règles du code de la santé publique et du code de déontologie des pharmaciens interdisent les rémunérations dérisoires. Il en déduit que le comportement de la SELARL Bonte est déloyal. Il estime que sa rémunération est en deçà de celle à laquelle il peut prétendre en raison du chiffre d’affaires annuels et des salariés de l’officine. Il précise que l’expert-comptable estime que la rémunération annuelle du gérant devrait être comprise entre 60.000 euros et 72.000 euros outre 25% du disponible financier.
Sur ce,
7. La SELARL Bonte engage une action aux fins de restitutions à la pharmacie GPP de plusieurs sommes prélevées par M. [V] [O], de sorte que son action est soumise à l’alinéa 1 de l’article 1844-5 du code civil qui dispose que « outre l’action en réparation du préjudice subi personnellement, un ou plusieurs associés peuvent intenter l’action sociale en responsabilité contre les gérants. Les demandeurs sont habilités à poursuivre la réparation du préjudice subi par la société ; en cas de condamnation, les dommages-intérêts sont alloués à la société. »
8. En l’espèce, le litige, initialement noué à l’encontre des résolutions relatives aux rémunérations et aux conventions réglementées des assemblées générales des 19 avril 2019 et 11 septembre 2020, a par la suite évolué pour y ajouter la contestation de plusieurs résolutions des assemblées générales des 26 mars 2021 et 24 mars 2022.
Les associés sont en désaccords sur l’interprétation des statuts sur trois points distincts : les règles de vote de la rémunération du gérant, celles des éventuelles primes au bénéfice du gérant et enfin la prise en charge par la société de certaines conventions du gérant.
9. Il convient d’aborder successivement les points de désaccord.
Sur les demandes en nullité des résolutions relatives à la rémunération du gérant et sur les demandes en restitution des sommes prélevées à ce titre.
10. L’article 1844 du code civil dispose que « tout associé a le droit de participer aux décisions collectives. »
Il résulte de l’article 1 de la loi n°90-1258 du 31 décembre 1990 et l’article L. 223-29 du code de commerce que « dans les assemblées ou lors des consultations écrites, les décisions sont adoptées par un ou plusieurs associés représentant plus de la moitié des parts sociales. »
Par ailleurs, il est de jurisprudence constante que, en application de l’article 1 de la loi précitée et de l’article L. 223-18 du code de commerce, la rémunération du gérant qui a fait l’objet d’un vote de l’assemblée générale des associés est due tant qu’aucune décision la révoquant n’est intervenue.
11. En l’espèce, les résolutions suivantes ont été mises au vote et ont recueilli 55 % des voix :
La résolution n°4 de l’assemblée générale du 19 avril 2019 relative à la rémunération mensuelle à hauteur de 4.000 euros du gérant ;La résolution n°4 de l’assemblée générale du 11 septembre 2020 relative, d’une part, à la rémunération du gérant pour l’année précédente à hauteur de 60.000 euros et, d’autre part, à la rémunération mensuelle à hauteur de 4.000 euros du gérant pour l’année en cours ;La résolution n°4 de l’assemblée générale du 26 mars 2021 relative à la rémunération mensuelle à hauteur de 4.000 euros du gérant ;La résolution n°4 de l’assemblée générale du 24 mars 2022 relative à la rémunération mensuelle à hauteur de 4.000 euros du gérant ;
Il a été mentionné sur les procès-verbaux que les résolutions ont été adoptées.
12. Or, l’article 14 des statuts stipule que « chaque gérant a droit à un traitement fixe ou proportionnel ou fixe et proportionnel déterminé par décision collective ordinaire des associés, prise à la majorité des trois quarts du capital social. »
Cet article déroge à l’article 16 des statuts qui stipule que « les décisions collectives ordinaires sont adoptées par un ou plusieurs associés représentant plus de la moitié des parties sociales », de sorte que les constituants ont souhaité que, par exception aux autres décisions collectives ordinaires, les décisions relatives à la rémunération du gérant soient prises à la majorité des trois quarts, lors de la première convocation.
Ainsi, les résolutions litigieuses, mises aux voix sur première convocation de l’assemblée générale, n’ont pas obtenu la majorité qualifiée stipulée aux statuts. Elles n’ont donc pas été régulièrement adoptées.
13. C’est donc à bon droit que la SELARL Bonte sollicite la nullité des résolutions litigieuses.
14. S’agissant des demandes en restitution des prélèvements effectués au titre de la rémunération du gérant, le tribunal observe que l’article 14 des statuts stipule que le gérant a droit à un traitement fixe ou proportionnel ou fixe et proportionnel. Cet article doit s’interpréter en ce sens que la rémunération du gérant qui a fait l’objet d’un vote de l’assemblée générale des associés est due tant qu’aucune décision la révoquant n’est intervenue. Par ailleurs, l’ensemble des résolutions relatives à la rémunération du gérant propose de « maintenir » celle qui a été fixée auparavant, ce qui est révélateur de l’opinion des associés sur le droit à la rémunération du gérant en l’absence de décision révocatoire.
15. Dans le cas d’espèce, la rémunération annuelle du gérant de la pharmacie GPP a été fixée, par décision d’assemblée générale du 20 avril 2018, à la somme de 48.000 euros net, précision faite qu’il appartient à la société de supporter l’ensemble des cotisations sociales afférentes à cette rémunération.
A défaut de décision contraire, le gérant a donc le droit à une rémunération annuelle net de 48.000 euros.
16. En conséquence, les demandes en restitution des prélèvements d’un montant de 48.000 euros au titre de sa rémunération sur les exercices clos au 30 septembre 2020 et au 30 septembre 2021 seront rejetées.
Sera également rejetée, pour les mêmes motifs, la demande en restitution des prélèvements d’un montant de 6.401 euros au titre des charges sociales afférentes à la rémunération du gérant sur l’exercice clos au 30 septembre 2020.
En revanche, il résulte du rapport de gestion de la gérance pour l’exercice clos le 30 septembre 2019 que le gérant déclare avoir perçu, outre la rémunération annuelle de 48.000 euros, une somme complémentaire de 12.000 euros net en rémunération de travaux exceptionnels et de reliquat de la rémunération qui n’avait pas été perçue par le gérant au cours de l’exercice clos au 30 septembre 2016.
Toutefois, d’une part, la rémunération du gérant étant décidée par l’assemblée des associés, le gérant ne pouvait pas seul, par acte de gestion, déterminer une augmentation de celle-ci. D’autre part, les allégations selon lesquelles la société aurait eu une dette de rémunération envers le gérant relative à l’exercice clos au 30 septembre 2016 ne sont pas reprises par M. [V] [O] dans sa défense dans la présente instance.
Enfin, M. [V] [O] oppose vainement les textes du code de la santé publique en défense des demandes de restitution dès lors qu’il n’allègue pas que la rémunération annuelle à hauteur de 48.000 euros net serait disproportionnée par rapport aux usages, fonctions et responsabilités qu’il assume.
17. Il convient en conséquence de condamner M. [V] [O] à restituer la somme correspondant au surplus de la rémunération qui avait été fixée sur l’exercice clos au 30 septembre 2019 par assemblée générale des associés, soit la somme de 12.000 euros. Il sera également condamné à restituer une somme au titre des charges sociales afférentes à la rémunération du gérant sur l’exercice clos au 30 septembre 2019, au-delà de la somme de 48.0000 euros net.
Sur les demandes en nullité des résolutions relatives aux primes au bénéfice du gérant et sur les demandes en restitution des sommes prélevées à ce titre.
18. L’article 1844 du code civil dispose que « tout associé a le droit de participer aux décisions collectives. »
Il résulte de l’article 1 de la loi n°90-1258 du 31 décembre 1990 et de l’article L. 223-29 du code de commerce que « dans les assemblées ou lors des consultations écrites, les décisions sont adoptées par un ou plusieurs associés représentant plus de la moitié des parts sociales. »
19. En l’espèce, la résolution suivante a été mise au vote et a recueilli 55 % des voix :
La résolution n° 5 de l’assemblée générale en date du 24 mars 2022 relative au versement d’une prime exceptionnelle de 101.600 euros net ;
Il a été mentionné sur le procès-verbal que la résolution a été adoptée à la majorité, ce que conteste la SELARL Bonte qui allègue que la majorité des trois-quarts du capital était nécessaire.
20. Néanmoins, la clause aggravant la condition de majorité, par dérogation au principe de majorité absolue prévu à l’article 16 des statuts de la société pour les décisions ordinaires de l’assemblée générale, doit s’interpréter strictement. Ainsi, l’article 14 des statuts, qui stipule que la majorité des trois-quarts du capital social est nécessaire pour définir la rémunération fixe et/ou proportionnelle du gérant, ne saurait s’étendre au-delà. Dans le cas présent, la résolution tend à gratifier le gérant d’une prime exceptionnelle qui, par définition, n’a pas vocation à se renouveler les années suivantes. Cette prime ne donne donc pas au gérant un droit à une rémunération proportionnelle des résultats de l’entreprise. Dans ces conditions, il y a lieu d’appliquer les règles de vote ordinaire prévues par les statuts de la société, à savoir l’adoption des décisions à la moitié des parts sociales.
Il est constant que la résolution litigieuse a été adoptée par un associé représentant plus de la moitié des parts sociales.
21. En conséquence, la demande en nullité de la résolution n°5 de l’assemblée générale du 26 mars 2021 sera rejetée.
22. Sera également rejetée, subséquemment, la demande en restitution d’une somme de 101.600 euros à l’encontre de M. [V] [O].
23. Par ailleurs, il ressort du procès-verbal de l’assemblée générale du 26 mars 2021, que la cinquième résolution relative au versement d’une prime exceptionnelle de 4.000 euros a été refusée. Il est relevé que M. [V] [O] ne précise pas les raisons pour lesquelles il a été mentionné un rejet de la résolution malgré un vote des associés représentant la moitié du capital social en faveur de la résolution. Il existe donc une contradiction dans le procès-verbal. M. [V] [O] ne précise toutefois pas si l’erreur provient du décompte des votes ou de l’interprétation des résultats.
Il est constant que, malgré la mention de refus sur le procès-verbal, M. [V] [O] a prélevé la somme de 4.000 sur les comptes sociaux à titre de prime.
La SELARL Bonte sollicite du tribunal qu’il déclare inopposable le prélèvement effectué au titre de la prime de 4.000 euros ainsi que la restitution de cette somme.
Il est relevé qu’un prélèvement, fait matériel, ne peut pas être déclaré inopposable, de sorte que la demande en déclaration d’inopposabilité du prélèvement litigieux à la société sera rejetée.
24. En revanche, M. [V] [O] sera condamné à restituer la somme de 4.000 euros au titre de la prime prélevée malgré le rejet de l’adoption n°5 de l’assemblée générale du 26 mars 2021.
Sur les demandes en nullité de la résolution n°3 de l’assemblée générale du 19 avril 2019 et en inopposabilité de plusieurs prélèvements au titre de conventions réglementées et sur les demandes en restitution des sommes prélevées à ce titre.
25. L’article L. 223-19 du code du commerce dispose que le gérant présente à l’assemblée un rapport sur les conventions intervenues directement par personnes interposées entre la société et l’un de ses gérants ou associés. L’assemblée statue sur ce rapport. Le gérant ou l’associé intéressé ne peut prendre part au vote et ses parts ne sont pas prises en compte pour le calcul du quorum et de la majorité.
26. Il est observé que la résolution n°3 relative aux conventions réglementées de l’assemblée générale du 19 avril 2019 a été adoptée avec les voix de M. [V] [O], associé gérant.
Or, aux termes de l’article précité, le gérant ne peut pas prendre part aux votes relatifs aux conventions réglementées, de sorte qu’il convient d’annuler la résolution litigieuse.
27. En revanche, s’agissant des demandes d’inopposabilité, il est observé que la SELARL Bonte demande l’inopposabilité à la société des prélèvements qui sont déjà intervenus. Il est relevé qu’un prélèvement, fait matériel, ne peut pas être déclaré inopposable, de sorte que les demandes en déclaration d’inopposabilité des prélèvements litigieux à la société seront rejetées.
28. Il est enfin demandé au tribunal de condamner M. [V] [O] à restituer diverses sommes payées par la pharmacie GPP au titre de contrats que la SELARL Bonte qualifie de conventions réglementées.
29. Le tribunal précise à titre préliminaire que l’annulation de la résolution n°3 de l’assemblée générale du 19 avril 2019 ne peut entraîner aucune obligation de restitution dès lors que le procès-verbal de délibérations ne fait pas mention des conventions réglementées qui auraient été mises au vote ; celles-ci n’étant par ailleurs pas annexées au procès-verbal.
De plus, les parties ne s’accordent pas sur la qualification des contrats litigieux, la SELARL Bonte estimant qu’ils doivent être qualifiés de conventions réglementées, M. [V] [O] alléguant qu’il s’agit de cotisations sociales accessoires à la rémunération.
Il est rappelé que les règles de vote spéciales relatives aux conventions réglementées prévues à l’article L. 223-19 du code de commerce ne sont pas applicables aux conventions portant sur des opérations courantes et conclues à des conditions normales.
Le tribunal observe en première lieu que la liste des conventions réglementées n’est pas mentionnée lors du vote des résolutions litigieuses.
En second lieu, afin de solliciter la restitution de certaines sommes, la SELARL Bonte s’appuie sur les documents comptables qui listent pour les exercices de 2018 à 2020 les prélèvements sociaux au bénéfice du gérants suivants :
CAVP que le tribunal comprend comme la caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens ;Loi Madelin retraite ;Swisslife retraite 2 ;Swisslife Prevoyance ;Swisslife mutuelle santé ;
30. Il est relevé que la caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens est une caisse de retraite obligatoire pour l’ensemble des pharmaciens en exercice. Ainsi, s’agissant de cotisations obligatoires, les sommes versées à ce titre ne relèvent pas des conventions réglementées.
31. Par ailleurs, pour s’opposer à la demande, M. [V] [O] verse aux débats le rapport de la gérance sur les conventions réglementées 2013 aux termes duquel il a été pris en charge par la société au bénéfice du gérant un contrat de prévoyance complémentaire auprès de Swisslife, une mutuelle complémentaire souscrite auprès de Swisslife et une retraite complémentaire entrant dans le cadre de la loi Madelin souscrite auprès de Swisslife.
Il ne peut pas être allégué par la SELARL Bonte qu’elle n’avait pas eu connaissance de ce rapport dès lors qu’elle a signé le procès-verbal des délibérations de l’assemblée générale du 24 juin 2013 aux termes duquel il est mentionné que le rapport sur les conventions réglementées a été mis à l’ordre du jour et que, lecture faite du rapport, les associés non gérants ont adopté à l’unanimité les conventions soumises au vote.
Le tribunal juge que les trois conventions réglementées qui ont été adoptées suivant la résolution n°3 de l’assemblée générales du 24 juin 2013 n’ont pas à faire l’objet d’un nouveau vote lors des années suivantes, mêmes si les cotisations ont connu une augmentation.
32. En revanche, s’agissant des deux autres conventions litigieuses (Swisslife retraite 2 et Swisslife prévoyance), le tribunal observe qu’elles n’ont jamais été mises au vote des associés. Dans ces conditions, il appartient à M. [V] [O] de démontrer qu’il s’agit d’opérations courantes et conclues à des conditions normales. Or, M. [V] [O] ne verse pas les conventions litigieuses aux débats, de sorte que le tribunal est dans l’impossibilité d’apprécier le caractère courant des conventions conclues par la société à son bénéfice.
Les deux conventions litigieuses (Swisslife retraite 2 et Swisslife prévoyance) doivent donc être qualifiées de conventions réglementées et sont soumises aux règles de vote prévues à l’article L. 223-19 du code de commerce.
Il a été rappelé ci-avant que la résolution n° 3 de l’assemblée générale du 19 avril 2019 a été annulée (point 26). Les conventions litigieuses n’ont pas donc pas été adoptées conformément aux règles sociales.
33. M. [V] [O] sera donc condamné à restituer, au titre des conventions réglementées, les sommes suivantes :
4.378,65 euros au titre des prélèvements sur l’exercice clos le 30 septembre 2018 relatifs aux conventions réglementées non autorisées par les associés ;5.912 euros au titre des prélèvements sur l’exercice clos le 30 septembre 2019 relatifs aux conventions réglementées non autorisées par les associés ;6.012,92 euros au titre des prélèvements sur l’exercice clos le 30 septembre 2020 relatifs aux conventions réglementées non autorisées par les associés ;
- Sur la demande de dommages-intérêts en son nom personnel
34. Sur le fondement de l’article 1240 du code civil, la SELARL Bonte sollicite la somme de 30.000 euros et estime avoir subi un préjudice personnel issu du non-respect du droit à l’information et des règles de vote. Plus précisément, elle indique ne pas avoir reçu en temps utile le rapport du commissaire aux comptes en prévision de l’assemblée générale en date du 28 avril 2019. Elle soutient qu’elle a été dans l’obligation de relancer le gérant pour obtenir les documents en prévision des assemblées générales de mars 2017 et mars 2018.
Elle précise également que le refus de rembourser à première demande le compte courant d’associé d’un montant de 151.495 euros est constitutif d’une faute.
35. En réponse, M. [V] [O] prétend qu’aucune faute ne peut lui être imputée. Il précise que la SELARL Bonte était débitrice de la pharmacie GPP d’une somme de 84.596,29 euros qu’elle n’a remboursée que le 02 août 2021 ; date à laquelle la pharmacie GPP a remboursé le compte courant d’associé de la SELARL Bonte.
M. [V] [O] estime également avoir communiqué systématiquement les documents sociaux, à l’exception du rapport du commissaire aux comptes lors de l’assemblée générale du 28 mars 2019, qui procède d’un oubli et non d’une intention frauduleuse.
Sur ce,
36. Il résulte de l’article 1240 et 1843-5 du code civil que les associés peuvent agir en réparation du préjudice subi personnellement par le fait fautif d’un gérant.
37. En l’espèce, les échanges de courriels entre les parties révèlent en réalité un conflit entre les associés, notamment sur l’interprétation des statuts, et non une fraude du gérant aux droits de la SELARL Bonte que ce soit dans la communication des pièces ou dans la tenue des assemblées générales.
38. Par ailleurs, il est constant que le remboursement du compte courant d’associé de la SELARL Bonte, d’un montant de 151.495 euros, est intervenu le 15 septembre 2021 malgré une demande en date du 22 mars 2020. Il ressort des procès-verbaux de délibérations de l’assemblée générale du 11 septembre 2020 que le gérant énonce que la situation financière de la société ne permettait pas de rembourser immédiatement le compte courant d’associé. Les échanges des parties révèlent également que la SELARL Bonte était redevable d’une dette d’un montant de 84.596,29 euros, qui a été remboursée le 02 août 2021. Il n’est pas démontré que le gérant a de mauvaise foi refusé le paiement du compte courant d’associé, précision faite que celle-ci ne peut pas se déduire du retard de paiement.
Enfin, la SELARL Bonte, qui allègue que le retard de paiement lui a causé un préjudice en ce qu’elle avait besoin de cette somme pour couvrir ses charges, n’apporte aucun élément aux débats pour démontrer ses assertions.
39. En conséquence, il y a lieu de débouter la SELARL Bonte de ses demandes.
- Sur les demandes accessoires
40. Les parties succombent partiellement en leurs demandes. Il y a lieu de faire masse des dépens et dire qu’ils seront supportés chacun par moitié.
41. L’équité commande de ne pas faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement, en dernier ressort, par jugement contradictoire, et par mise à disposition au greffe
DECLARE irrecevable M. [V] [O] et la SELARL Grande pharmacie de Paris en leurs fins de non-recevoir tirées du défaut d’intérêt à agir ;
ANNULE les résolutions suivantes :
La résolution n°4 de l’assemblée générale du 19 avril 2019 relative à la rémunération mensuelle du gérant à hauteur de 4.000 euros ;La résolution n°4 de l’assemblée générale du 11 septembre 2020 relative d’une part à la rémunération du gérant pour l’année précédente à hauteur de 60.000 euros et d’autre part à la rémunération mensuelle à hauteur de 4.000 euros du gérant pour l’année en cours ;La résolution n°4 de l’assemblée générale du 26 mars 2021 relative à la rémunération mensuelle du gérant à hauteur de 4.000 euros ;La résolution n°4 de l’assemblée générale du 24 mars 2022 relative à la rémunération mensuelle à hauteur de 4.000 euros du gérant ;La résolution n°3 de l’assemblée générale du 19 avril 2019 relative aux conventions réglementées ;
DEBOUTE la SELARL Pharmacie Sébastien Bonte du surplus de ses demandes en annulation ;
DEBOUTE la SELARL Pharmacie Sébastien Bonte de ses demandes en inopposabilité ;
CONDAMNE M. [V] [O] à payer à la SELARL Grande pharmacie de Paris les sommes suivantes :
12.000 euros au titre du surplus de la rémunération qui avait été fixée sur l’exercice clos au 30 septembre 2019 ;
Une somme correspondante aux charges sociales afférentes au surplus de la rémunération annuelle du gérant fixée à 48.000 euros sur l’exercice clos au 30 septembre 2019 ;
4.000 euros au titre de la prime prélevée malgré le rejet de l’adoption n°5 de l’assemblée générale du 26 mars 2021 ;
4.378,65 euros au titre des prélèvements sur l’exercice clos le 30 septembre 2018 relatifs aux conventions réglementées non autorisées par les associés ;
5.912 euros au titre des prélèvements sur l’exercice clos le 30 septembre 2019 relatifs aux conventions réglementées non autorisées par les associés ;
6.012,92 euros au titre des prélèvements sur l’exercice clos le 30 septembre 2020 relatifs aux conventions réglementées non autorisées par les associés ;
DEBOUTE la SELARL Pharmacie Sébastien Bonte du surplus de ses demandes indemnitaires au titre de l’action sociale ;
DEBOUTE la SELARL Pharmacie Sébastien Bonte de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour préjudice personnel ;
DEBOUTE les parties de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
FAIT MASSE des dépens et DIT qu’ils seront supportés par moitié par chacune des parties
LE GREFFIERLA PRÉSIDENTE
Benjamin LAPLUMEMarie TERRIER