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28/06/2024 | FRANCE | N°22/01407

France | France, Tribunal judiciaire de Lille, Chambre 01, 28 juin 2024, 22/01407


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-

Chambre 01
N° RG 22/01407 - N° Portalis DBZS-W-B7G-V6FC


JUGEMENT DU 28 JUIN 2024




DEMANDERESSE:

Mme [U] [M]
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Laurent GUILMAIN, avocat au barreau de LILLE



DÉFENDERESSE:

S.A. CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE HAUTS-DE-FRANCE
Prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège.
Venant aux droits et obligations de la CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE NORD FRANCE EUROPE par

voie de fusion/absorption à effet du 1er mai 2017.
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Eric DELFLY, avocat au barreau de LILLE

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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-

Chambre 01
N° RG 22/01407 - N° Portalis DBZS-W-B7G-V6FC

JUGEMENT DU 28 JUIN 2024

DEMANDERESSE:

Mme [U] [M]
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Laurent GUILMAIN, avocat au barreau de LILLE

DÉFENDERESSE:

S.A. CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE HAUTS-DE-FRANCE
Prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège.
Venant aux droits et obligations de la CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE NORD FRANCE EUROPE par voie de fusion/absorption à effet du 1er mai 2017.
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Eric DELFLY, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président: Marie TERRIER,
Assesseur: Juliette BEUSCHAERT,
Assesseur: Nicolas VERMEULEN,

Greffier: Benjamin LAPLUME,

DÉBATS

Vu l’ordonnance de clôture en date du 14 Juin 2023.

A l’audience publique du 09 Avril 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré, les avocats ont été avisés que le jugement serait rendu le 21 Juin 2024 puis prorogé pour être rendu le 28 Juin 2024.

Vu l’article 804 du Code de procédure civile, Nicolas VERMEULEN, juge préalablement désigné par le Président, entendu en son rapport oral, et qui, ayant entendu la plaidoirie, en a rendu compte au Tribunal.

JUGEMENT : contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 28 Juin 2024 par Marie TERRIER, Présidente, assistée de Benjamin LAPLUME, Greffier.

Exposé du litige

Mme [U] [M] a ouvert dans les livres de la Caisse d’épargne et de prévoyance Hauts-de-France (ci-après la Caisse d’épargne) un compte de dépôt.

Les 15, 17 et 18 septembre 2021 trois virements d’un montant de 5.000 euros ont été opérés depuis son compte vers un compte tiers.

Après avoir porté plainte pour escroquerie, Mme [U] [M], qui allègue ne pas être à l’origine des virements d’un montant de 15.000 euros, a suivant courrier du 7 janvier 2022, mis en demeure la Caisse d’épargne de lui rembourser cette somme.

Par courrier du 24 janvier 2022, la Caisse d’épargne a refusé de lui rembourser la somme de 15.000 euros en lui reprochant d’avoir communiqué ses informations bancaires à des tiers.

Par acte d'huissier en date du 18 février 2022, Mme [U] [M] a fait assigner la Caisse d’épargne devant le tribunal judiciaire de Lille en paiement de diverses sommes.

Sur ce, la Caisse d’épargne a constitué avocat.

La clôture est intervenue le 14 juin 2023, suivant ordonnance du même jour, et l'affaire a été fixée à l'audience de plaidoiries du 09 avril 2024.

Au terme de ses conclusions récapitulatives, notifiées par voie électronique le 24 janvier 2023, Mme [U] [M], demande de :

Condamner la Caisse d’épargne à lui payer la somme de 15.000 € avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure ;
La condamner à lui payer la somme de 3.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Sur le fondement des articles L. 133-19 et L. 133-23 du code monétaire et financier, Mme [U] [M] expose avoir été démarchée téléphoniquement par un numéro comme étant celui de la Caisse d’épargne. Elle soutient que les virements ont été réalisés à son insu et sans faute de sa part. Elle estime que la banque ne justifie pas qu’elle a pris toutes les mesures utiles pour éviter le détournement de ses coordonnées personnelles sur le fondement du règlement UE 2016/679 du Parlement européen et du conseil du 27 avril 2016.

Elle précise que les faits révèlent que les fraudeurs ont eu connaissance de son numéro de téléphone et de sa titularité d’un compte à la Caisse d’épargne par la faute de la banque.

Sur le préjudice, Mme [U] [M] sollicite une somme équivalente aux virements frauduleux.

Au terme de ses conclusions récapitulatives, notifiées par voie électronique le 4 octobre 2022, la Caisse d’épargne demande de :

Débouter Mme [U] [M] de l'ensemble de ses demandes ;
La condamner à lui payer la somme de 1.000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.
La Caisse d’épargne allègue, sur le fondement de l’article L. 133-19 du code monétaire et financier, que Mme [U] [M] doit démontrer un détournement à son insu de l’instrument de paiement ainsi que l’absence de négligence grave.

Elle estime que l’application n’a subi aucune déficience technique.

Elle énonce que Mme [U] [M] a sciemment communiqué ses coordonnées bancaires par téléphone à une personne s’identifiant comme étant un employé de la banque. La banque conclut que Mme [U] [M] a commis une négligence grave. La Caisse d’épargne ajoute que les virements ont nécessairement reçu le concours de Mme [U] [M] en raison du code « securpass ».

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il sera renvoyé aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties.

L'affaire a été mise en délibéré au 21 juin 2024.

Motifs de la décision

Sur la demande en paiement

La responsabilité de l’établissement bancaire et de l’usager en cas d’opérations bancaire non autorisées est notamment prévue par les alinéas 1 de l’article L. 133-18 et 4 de l’article L. 133-19 du code monétaire et financier qui disposent respectivement :

« En cas d'opération de paiement non autorisée signalée par l'utilisateur dans les conditions prévues à l'article L. 133-24, le prestataire de services de paiement du payeur rembourse immédiatement au payeur le montant de l'opération non autorisée et, le cas échéant, rétablit le compte débité dans l'état où il se serait trouvé si l'opération de paiement non autorisée n'avait pas eu lieu. Le payeur supporte toutes les pertes occasionnées par des opérations de paiement non autorisées si ces pertes résultent d'un agissement frauduleux de sa part ou s'il n'a pas satisfait intentionnellement ou par négligence grave aux obligations mentionnées aux articles L. 133-16 et L. 133-17 ».
Il est rappelé que la négligence grave du payeur, qui décharge l’établissement bancaire de sa responsabilité, s’apprécie eu égard aux obligations de l’usager, telles que définie notamment par l’alinéa 1 de l’article L. 133-16 du code monétaire et financier aux termes duquel « dès qu’il reçoit un instrument de paiement, l’utilisateur de service de paiement prend toute mesure raisonnable pour préserver la sécurité de ses données de sécurités personnalisées. »

En l’espèce, il n’est pas contesté par la Caisse d’épargne que les trois virements d’un montant respectif de 5.000 euros ont été précédés d’un échange téléphonique entre Mme [U] [M] et un interlocuteur malveillant, de sorte que les virements litigieux ont été réalisés à l’insu du consentement de Mme [U] [M].

Il appartient ainsi à la Caisse d’épargne de démontrer que les opérations bancaires frauduleuses résultent d’une négligence grave de la part de Mme [U] [M].

Il résulte du relevé de l’historique des connexions de l’application internet bancaire de Mme [U] [M] qu’un compte bénéficiaire a été ajouté le 15 septembre 2021 et que trois virements ont par la suite été réalisés ; l’ensemble de ces opérations a nécessité une authentification par Mme [U] [M] au moyen d’un code. On peut raisonnablement en déduire que Mme [U] [M] a communiqué les identifiants de son espace personnel de son application bancaire et/ou procédé à l’authentification des opérations à la demande de l’interlocuteur malveillant qui s’est fait passer pour le conseiller bancaire de la requérante.

La fraude dont a été victime Mme [U] [M] débute par la réception d’un message textuel court (dit « SMS) sur son téléphone portable dont la teneur est la suivante : « CAISSEDEPARGNE : Tentative de connexion suspicieuse à votre espace personnel. Veuillez effectuer la mise en sécurité du compte. http://cutt.ly/LWNe052 ». S’agissant de l’établissement bancaire dans lequel elle a fait ouvrir dans ses livres un compte de dépôt, Mme [U] [M] s’est connectée sur le site internet proposé avant d’être appelé par un interlocuteur ayant usurpé un des numéros téléphoniques de la Caisse d’épargne.

C’est par une mauvaise interprétation l’arrêt de la Cour de cassation du 25 octobre 2017 (n°16-11644) que la Caisse d’épargne s’estime déchargée de toute responsabilité par la simple transmission par le titulaire d’un instrument de paiement de ses données confidentielles.

Il appartient au contraire au tribunal d’apprécier si les messages et appels reçus par Mme [U] [M] contenaient des indices permettant à un utilisateur normalement attentif de douter de sa provenance, peu important que Mme [U] [M] soit, ou non, avisée des risques de fraudes.

Or, il a été rappelé que le SMS est signé de la Caisse d’Epargne et renvoi vers un lien hypertexte ; celui ne présente pas de faute d’orthographe ni d’élément permettant de douter de sa provenance. En outre, ce n’est qu’à l’occasion de l’échange téléphonique que Mme [U] [M] a transmis ses données confidentielles. Or, il est démontré qu’il s’agit d’un des numéros de la Caisse d’épargne, pour être celui du service opposition de l’établissement bancaire. Il est par ailleurs relevé que l’usurpation de l’une de ses lignes téléphoniques est reconnue par la Caisse d’épargne qui a prévenu ses clients par courriel en date du 19 novembre 2021, soit deux mois après la fraude de la requérante, dont le contenu est le suivant « cher client, soyez vigilant face aux sollicitations diverses que vous pouvez recevoir, des fraudeurs usurpent les numéros de téléphone en se faisant passer pour votre banque (service fraude ou service d’opposition des cartes bancaires). »

Mme [U] [M] pouvait donc ne pas avoir conscience que l’appel reçu le 15 septembre 2021 était frauduleux ; ainsi l’imprudence ayant amené Mme [U] [M] à communiquer ses données confidentielles de son application internet bancaire ne peut pas être qualifiée de négligence grave.

En conséquence, la Caisse d’Epargne est défaillante à rapporter la preuve d’une négligence grave de la part de Mme [U] [M] ; elle est donc tenue de lui rembourser le montant des virements litigieux, soit la somme de 15.000 euros.

La Caisse d’Epargne sera donc condamnée à payer à Mme [U] [M] la somme de 15.000 euros.

Sur les demandes accessoires

La Caisse d’épargne, partie perdante, sera condamnée aux dépens.

Elle sera également condamnée au paiement d'une somme de 2.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Le sens de la décision conduit à la débouter de sa demande au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, en premier ressort, par jugement contradictoire, et par mise à disposition au greffe :

CONDAMNE la Caisse d’épargne et de prévoyance Hauts-de-France à payer à Madame [U] [M] la somme de 15.000 euros au titre son obligation de remboursement des opérations non autorisées ;

CONDAMNE la Caisse d’épargne et de prévoyance Hauts-de-France à payer à Madame [U] [M] la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la Caisse d’épargne Hauts de France aux dépens.

LE GREFFIERLA PRÉSIDENTE

Benjamin LAPLUMEMarie TERRIER


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Lille
Formation : Chambre 01
Numéro d'arrêt : 22/01407
Date de la décision : 28/06/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 08/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-28;22.01407 ?
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