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31/05/2024 | FRANCE | N°22/02550

France | France, Tribunal judiciaire de Lille, Chambre 01, 31 mai 2024, 22/02550


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-

Chambre 01
N° RG 22/02550 - N° Portalis DBZS-W-B7G-WDQK


JUGEMENT DU 31 MAI 2024



DEMANDERESSES :

Mme [A] [D] épouse [B],
venant aux droits de [Y] [D] veuve [G] (décédée le [Date décès 3]-2018)
[Adresse 5]
[Adresse 5]
représentée par Me Elodie MULON, avocat au barreau de PARIS, plaidant et Me Margaux MACHART, avocat au barreau de LILLE, postulant

Mme [H] [D] épouse [X],
venant aux droits de [Y] [D] veuve [G] (décédée le [Date décès 3]-2018)
[Adresse 4]
[Adre

sse 4]
représentée par Me Elodie MULON, avocat au barreau de PARIS, plaidant et Me Margaux MACHART, avocat au barreau de LILLE, p...

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-

Chambre 01
N° RG 22/02550 - N° Portalis DBZS-W-B7G-WDQK

JUGEMENT DU 31 MAI 2024

DEMANDERESSES :

Mme [A] [D] épouse [B],
venant aux droits de [Y] [D] veuve [G] (décédée le [Date décès 3]-2018)
[Adresse 5]
[Adresse 5]
représentée par Me Elodie MULON, avocat au barreau de PARIS, plaidant et Me Margaux MACHART, avocat au barreau de LILLE, postulant

Mme [H] [D] épouse [X],
venant aux droits de [Y] [D] veuve [G] (décédée le [Date décès 3]-2018)
[Adresse 4]
[Adresse 4]
représentée par Me Elodie MULON, avocat au barreau de PARIS, plaidant et Me Margaux MACHART, avocat au barreau de LILLE, postulant

DÉFENDEURS :

Mme [U] [N] épouse [YJ]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Corinne RIGALLE- DUMETZ, avocat au barreau de LILLE

M. [C] [YJ]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représenté par Me Corinne RIGALLE- DUMETZ, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président: Marie TERRIER,
Assesseur: Juliette BEUSCHAERT,
Assesseur: Nicolas VERMEULEN,

Greffier: Benjamin LAPLUME,

DÉBATS

Vu l’ordonnance de clôture en date du 03 Mai 2023.

A l’audience publique du 13 Février 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré, les avocats ont été avisés que le jugement serait rendu le 24 Mai 2024 puis prorogé pour être rendu le 31 Mai 2024.

Vu l’article 804 du Code de procédure civile, Juliette BEUSCHAERT, juge préalablement désigné par le Président, entendu en son rapport oral, et qui, ayant entendu la plaidoirie, en a rendu compte au Tribunal.

JUGEMENT : contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 31 Mai 2024 par Marie TERRIER, Président, assistée de Benjamin LAPLUME, Greffier.

Exposé du litige

[Y] [L] [F] [P] [D] veuve d’[MB] [G], est décédée à [Localité 7], le [Date décès 3] 2018.

N’ayant pas de descendant, elle laisse pour lui succéder, les trois filles de [WV] [D], son frère prédécédé :

Madame [T] [O] née [D] ;Madame [A] [B] née [D] ; Madame [H] [X] née [D].
[Y] [D] veuve [G] avait établi un testament authentique le 14 janvier 2009 reçu par Maître [KB] [GE], notaire à [Localité 6] aux termes duquel, d’une part, sont désignés comme légataires universels la fille de la sœur de son défunt mari, Madame [U] [YJ] née [R] et son époux, Monsieur [C] [YJ] et, d’autre part, elle lègue à titre particulier à Mesdames [E] et [V] [YJ], filles des époux [YJ], la somme de 1.564 euros chacune.

Par acte d’huissier en date du 8 avril 2021, Mesdames [A] [B] et [H] [X] ont fait assigner Monsieur et Madame [YJ] devant le Tribunal judiciaire de Lille en nullité du testament.

Sur cette assignation, les époux [YJ] ont constitué avocat et les parties ont échangé leurs conclusions.

Le juge de la mise en état a été saisi par Monsieur et Madame [YJ] d’une demande aux fins de voir déclarer la nullité de la demande de Mesdames [A] [B] et [H] [X] au motif qu’elle émanait de la défunte. Puis, les défendeurs indiquant dans un message RPVA du 14 octobre 2021 que la nullité n’était pas sollicitée dans le cadre d’un incident mais d’écritures au fond, le juge de la mise en état a constaté le désistement d’incident et le dessaisissement du juge de la mise en état et renvoyé l’affaire à la mise en état, par ordonnance d’incident du 9 décembre 2021.

L’affaire a été radiée par ordonnance du juge de la mise en état le 5 avril 2022 puis réinscrite.

Sur ordonnance du juge de la mise en état du 3 mai 2023 la clôture de l’instruction de l’affaire a été ordonnée et l’affaire fixée à l’audience de plaidoiries prise à juge rapporteur du 13 février 2024.
 
Aux termes des dernières conclusions signifiées par la voie électronique le 31 janvier 2023, les consorts [D] sollicitent du tribunal de :

Vu le testament authentique du 14 janvier 2009
Vu les articles 117, 118 et 789 du code de procédure civile
Vu l’article 1130 du code civil
Vu l’articles 414-2 et 901 du code civil,


DECLARER recevables et bien fondées Mesdames [A] [B] et [H] [X] nées [D] en l’ensemble de leurs demandes ;
DEBOUTER Madame [U] [TN] née [N] et son époux, Monsieur [C] [TN] de l’ensemble de leurs demandes ;
Ce faisant,


A titre principal,

DECLARER la demande de nullité de l’assignation des époux [YJ] sur le fondement de l’article 117 du code de procédure civile irrecevable en ce qu’elle relève de la compétence exclusive du juge de la mise en état ;

A titre subsidiaire, si par extraordinaire, le Juge près le Tribunal judiciaire de Lille se déclarait compétent pour statuer sur cette demande,

REJETER purement et simplement la demande de nullité de l’assignation des époux [YJ] sur le fondement de l’article 117 du code de procédure civile ;
A titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire, le Juge de la mise en état près le Tribunal judiciaire de Lille retenait la qualité de demanderesse de la défunte aux côtés des consorts [D],

PRONONCER la nullité relative de l’assignation délivrée le 8 avril 2021 à Madame [U] [TN] née [N] et son époux, Monsieur [C] [TN] uniquement à l’égard de Madame [Y] [D] veuve [G] ;
CONDAMNER les époux [YJ] à la somme de 5.000 € au titre des dommages-intérêts sur le fondement de l’article 118 du code de procédure civile ;
En conséquence,

A titre principal,

PRONONCER, la nullité du testament authentique établie par Madame [Y] [D] veuve [G] en date du 14 janvier 2009 reçu par Maître [KB] [GE], notaire à [Localité 6] sur le fondement de l’article 901 du code civil pour insanité d’esprit ;
A titre subsidiaire,

PRONONCER la nullité du testament authentique établie par Madame [Y] [D] veuve [G] en date du 14 janvier 2009 reçu par Maître [KB] [GE], notaire à [Localité 6] sur le fondement de l’article 901 du code civil pour vice du consentement, à titre principal, pour abus de faiblesse et à titre subsidiaire, pour manœuvres dolosives ;
DECLARER Madame [U] [TN] née [N] et son époux, Monsieur [C] [TN] désignés légataires universels ainsi que Mesdames [E] et [V] [TN] désignées légataires à titre particulier par le testament authentique établie par Madame [Y] [D] veuve [G] en date du 14 janvier 2009, irrecevables et mal fondés à s’en prévaloir ;
CONDAMNER les époux [YJ] à la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du code procédure civile et aux dépens.

Sur la recevabilité de la demande, elles soutiennent que les défendeurs ne peuvent solliciter la nullité de l’assignation devant le juge du fond car cette demande relève de la compétence exclusive du juge de la mise en état et que si le juge se déclare compétent, l’assignation est valide puisque la demande a été formée dès le début par les héritiers qui étaient identifiables clairement et sans ambiguïté dans l’assignation et le dispositif tenant le juge. Elles précisent que si le nom de la défunte apparaît en première page de l’assignation avec la date de son décès, cela n’avait pour objectif que de démontrer leur qualité à agir et non de faire de la défunte une partie demanderesse.

Par ailleurs, elles soutiennent que lorsqu’un acte est délivré au nom de plusieurs demandeurs, le défaut de capacité d’ester en justice de l’un d’eux n’affecte pas la validité de l’acte à l’égard des autres ; qu’en conséquence si la nullité devait être prononcée, elle ne le serait qu’à l’égard de la défunte.

Elles allèguent que les défendeurs sont animés d’une intention dilatoire afin que les requérantes ne puissent introduire une nouvelle action avant la prescription de celle-ci et estiment subir un préjudice de ce comportement notamment par les frais d’avocat engagé pour plaider à l’audience d’incident et que la radiation de l’affaire pour « défaut de diligence de la partie demanderesse » dont les demandeurs n’avaient pas connaissance, ne permet pas de déduire que les défendeurs n’étaient animés d’aucune intention dilatoire.

Elles font valoir que leur demande de nullité du testament est recevable puisqu’elles sont héritières désignées par la loi en l’absence de conjoint survivant et de descendants et que leur action intervient dans le délai de cinq ans à compter du décès.

Elles sollicitent la nullité du testament en soutenant que leur tante n’avait pas le jour de la rédaction du testament, la lucidité nécessaire pour comprendre les conséquences de son acte en raison de sa fragilité, de son âge avancé et de son état de santé. Elles expliquent que leur tante se sentait seule, démunie et isolée avec un fort sentiment de dépression, qu’elle était fragilisée par les différentes maladies, traitements et opérations successifs qu’elle a subis depuis le décès son époux, intervenu une année après celui de son frère.

A titre subsidiaire, elles invoquent que le consentement de leur tante a été vicié par l’abus de faiblesse exercé par les défendeurs qui, par leur comportement et le chantage effectué, ont placé [Y] [D] sous emprise dans le but d’obtenir des dispositions testamentaires qui leur étaient favorables. Elles exposent que la volonté des époux [G] n’était pas de maintenir le patrimoine du côté de la famille [G] puisqu’aucune disposition n’a été prise en ce sens de leur vivant et qu’ils ont par ailleurs opté pour le régime de la communauté universelle. Elles expliquent que les époux [YJ] avaient connaissance de ce testament en leur faveur, qu’ils ont participé à isoler davantage [Y] [D] en maintenant un lien fictif jusqu’à son décès ; qu’ils se limitaient à la gestion de son patrimoine sans lui apporter une assistance matérielle et morale. Elles soutiennent que Monsieur [C] [YJ] a organisé la succession de leur tante à son profit.

Enfin, elles soutiennent que les défendeurs ont usé de manœuvres dolosives, à savoir le chantage qu’ils ont organisé, la mise en place d’un isolement, leur intérêt à géométrie variable ainsi que l’immixtion dans la gestion de son patrimoine, sans lesquelles la disposante n’aurait pas rédigé ce testament, que son consentement a donc été vicié.

Par conclusions récapitulatives signifiées par la voie électronique le 21 février 2023, Monsieur et Madame [YJ] sollicitent du tribunal :

Vu les articles 32 et 789 du code de procédure civile
Vu l’article 901 du Code civil

ACCUEILLIR la demande en nullité de l’assignation formulée par Madame [U] [N] épouse [YJ] et Monsieur [C] [YJ] ;
PRONONCER la nullité de l’assignation délivrée le 8 avril 2021 à la requête de la défunte ;
Si par extraordinaire, la nullité de l’assignation n’était pas prononcée ;

DEBOUTER les requérantes de leurs demandes en nullité du testament authentique établi par Madame [Y] [D] veuve [G] en date du 14 janvier 2009 reçu par Maître [KB] [GE] notaire fondées sur l’insanité d’esprit et les vices du consentement ;

JUGER valide le testament établi le 14 janvier 2009 par Madame [Y] [D] veuve [G] valable et opposable à Madame [A] [D] épouse [B] et Madame [H] [D] épouse [X] ;
JUGER que le testament établi le 14 janvier 2009 produira ses entiers effets ;
DEBOUTER les requérantes de leurs demandes, fins et conclusions ;
CONDAMNER solidairement Madame [D] épouse [B] ni Madame [D] épouse [X] au paiement de la somme de 6.000 euros envers Monsieur et Madame [YJ] sur le fondement des dispositions de l’article 700 du CPC ;
CONDAMNER solidairement Madame [D] épouse [B] ni Madame [D] épouse [X] aux dépens.

Les époux [YJ] sollicitent la nullité de l’assignation au motif qu’elle a été délivrée à la demande de [Y] [D], décédée avant la signification de l’acte, qu’il s’agit d’un vice de fond devant être tranché par le juge du fond et qu’il ne peut être couvert par la reprise de l’instance par les héritiers. Ils soutiennent que l’assignation ne permet pas d’identifier Mesdames [A] et [H] [D] comme étant les autres parties au nom desquelles l’acte a été délivré puisque l’assignation ne les mentionne que comme héritières légaux de la défunte et que leur désignation ne peut résulter du dispositif de l’assignation qui n’a pour fonction que d’énoncer les prétentions.

Sur la demande de nullité du testament pour cause d’insanité d’esprit, les époux [YJ] soulèvent qu’aucun élément de preuve ne permet de caractériser un état de faiblesse ni l’insanité d’esprit de la disposante lors de la rédaction de son testament en 2009 ; que l’état de tristesse invoqué par les requérantes est insuffisant à le caractériser. Ils font valoir que le testament authentique précise que la testatrice est saine d’esprit, ainsi qu’il est apparu au notaire et aux témoins, qu’elle a déclaré bien comprendre celui-ci et qu’à défaut de preuve contraire, cela vaut présomption de la lucidité de [Y] [D] lors de la dictée de son testament.

Ils soutiennent, s’agissant de l’abus de faiblesse allégué, que [Y] [D] ne présentait aucune déficience physique ou intellectuelle susceptible de la placer dans un état de faiblesse lors de la rédaction de son testament et qu’aucune emprise ni abus d’une situation d’isolement n’est démontré.

S’agissant du dol, ils allèguent qu’aucun élément ne permet de démontrer l’existence de telles manœuvres lors de la rédaction du testament et font valoir qu’ils avaient au contraire de très bonnes relations avec elle et qu’elle n’était en aucun cas isolée.

La décision a été mise en délibéré au 24 mai 2024.

Sur ce,

Le tribunal rappelle, à titre liminaire, qu'il n'est pas tenu de statuer sur les demandes de «constatations» ou de «dire et juger» qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques mais constituent, en réalité, les moyens invoqués par les parties au soutien de leurs demandes.

Sur l’exception de nullité de l’assignation
Aux termes de l’article 789 du code de procédure civile, « lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour statuer :

1° Statuer sur les exceptions de procédure, les demandes formées en application de l'article 47 et les incidents mettant fin à l'instance ;

Les parties ne sont plus recevables à soulever ces exceptions et incidents ultérieurement à moins qu'ils ne surviennent ou soient révélés postérieurement au dessaisissement du juge;

2° Allouer une provision pour le procès ;

3° Accorder une provision au créancier lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Le juge de la mise en état peut subordonner l'exécution de sa décision à la constitution d'une garantie dans les conditions prévues aux articles 514-5,517 et 518 à 522;

4° Ordonner toutes autres mesures provisoires, même conservatoires, à l'exception des saisies conservatoires et des hypothèques et nantissements provisoires, ainsi que modifier ou compléter, en cas de survenance d'un fait nouveau, les mesures qui auraient déjà été ordonnées;

5° Ordonner, même d'office, toute mesure d'instruction ;

6° Statuer sur les fins de non-recevoir. »

L’article 791 du code de procédure civile précise que « le juge de la mise en état est saisi par des conclusions qui lui sont spécialement adressées distinctes des conclusions au sens de l’article 768. »

L’article 117 du code de procédure civile énonce que « constituent des irrégularités de fond affectant la validité de l'acte le défaut de capacité d'ester en justice, le défaut de pouvoir d'une partie ou d'une personne figurant au procès comme représentant soit d'une personne morale, soit d'une personne atteinte d'une incapacité d'exercice et le défaut de capacité ou de pouvoir d'une personne assurant la représentation d'une partie en justice ».

L’article 118 du même code précise que « les exceptions de nullité fondées sur l'inobservation des règles de fond relatives aux actes de procédure peuvent être proposées en tout état de cause, à moins qu'il en soit disposé autrement et sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages-intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt ».

En l’espèce, le moyen tiré de la nullité de l’assignation a d’abord été invoqué devant le juge de la mise en état par des conclusions intitulées « conclusions d’incident n°1 » le 10 juillet 2021. Néanmoins, l’avocat des époux [YJ] a indiqué le 14 octobre 2021 que ces conclusions ont été improprement qualifiées de conclusions d’incident et qu’il s’agissait de conclusions au fond, en sorte qu’une ordonnance d’incident a été rendue le 9 décembre 2021 aux termes de laquelle le juge de la mise en état a déclaré parfait le désistement d’incident du conseil des défendeurs et a constaté en conséquence son dessaisissement. La demande de nullité de l’assignation est donc portée devant le tribunal.

Or, il est admis que le moyen tiré de la nullité de l’acte délivré au nom d’une personne décédée et comme telle dénuée de la capacité d’ester en justice constitue une exception de nullité pour irrégularité de fond, qui doit, en application des dispositions précitées de l’article 789 du Code de procédure civile, être soumise au juge de la mise en état saisi.

En conséquence, il y a lieu de déclarer les défendeurs irrecevables en leur exception de nullité, dès lors qu’elle est présentée devant le tribunal.

Il n’y a, par conséquent, pas lieu de statuer sur leurs demandes présentées à titre subsidiaire et infiniment subsidiaire, en ce compris la demande indemnitaire.

Sur les demandes en nullité du testament fondée sur les dispositions de l’article 901 du Code civil

Selon l’article 901 du Code civil, pour faire une libéralité, il faut être sain d’esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l’erreur, le dol ou la violence.

Par application des dispositions de l'article 9 du Code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

Sur la demande en nullité pour cause d’insanité d’esprit
Le testament litigieux a été établi le 14 janvier 2009.

Il est constant que le mari de la défunte était décédé le [Date décès 2] 2008, soit à peine un an avant, alors qu’il ressort par ailleurs des éléments soumis par les requérantes que son unique frère était déjà décédé quelques mois auparavant, ce qui a nécessairement affecté la défunte.

Les requérantes versent ainsi aux débats diverses attestations de l’entourage amical de la défunte (pièces 7, 8, 9, 10, 18, 19, 20 et 21) qui révèlent qu’elle se sentait seule, isolée, démunie et effondrée après le décès de son époux :

Celle de [Z] [I]Celle d’[W] [S] qui s’est un peu occupée d’elleEt celles de [AW] [J] qui s’attache à détailler le désarroi émotionnel provoqué par le décès de son mari
Pour autant, aucune de ces personnes ne fait état d’affections ou d’un état général tels que la lucidité de la testatrice en serait atteinte, alors qu’il est indiqué au demeurant qu’elle a continué à se prendre en charge et entretenir des relations avec des tiers.

Pour le reste, s’agissant de la succession de maladies affectant la défunte, de son état de dépendance quotidienne, appuyés sur des attestations ou courriers médicaux, il s’agit de faits postérieurs de plusieurs années de la date d’établissement du testament authentique, en sorte qu’ils ne sont pas pertinents pour établir la réalité d’une insanité d’esprit en 2009.

Un seul compte-rendu médical daté du 31 décembre 2018 évoque une récidive de cancer du sein en 2008, sans aucune description de son état alors, ce qui ne saurait nécessairement conduire à déduire qu’elle n’était alors pas saine d’esprit, alors même que dans un autre courrier médical daté du 29 août 2012, il est indiqué que [Y] [D] « présente par ailleurs un état général tout à fait floride pour son âge ». Quant à l’état de dépendance, selon les propres déclarations des parties et un compte-rendu médical de 2018, il n’est apparu que dans les dernières années de la vie de [Y] [D] et ne peut donc permettre de caractériser l’insanité d’esprit lors de la rédaction de l’acte testamentaire en 2009.

Enfin, les requérantes soutiennent que la défunte vivait dans des conditions assez précaires malgré sa fortune – se lavant à l’eau dans une bassine préalablement chauffée – ce qui n’est pas, en soi, plus étayant pour prouver une insanité d’esprit à la date du testament.

Il ne peut être ignoré non plus que le notaire lui-même indique dans le testament que la testatrice est saine d’esprit.

En conséquence, il se déduit de ces constats que l’insanité d’esprit alléguée de [Y] [D] lors de la rédaction de son testament authentique le 14 janvier 2009, n’est pas démontré en sorte que le testament ne saurait être annulé de ce chef.

b) Sur la demande en nullité du testament pour vice du consentement

Les requérantes se prévalent, de ce chef, d’un abus de faiblesse au sens de l’article 223-15-2 du Code pénal et, subsidiairement, de l’existence de manœuvres dolosives, pour fonder la demande d’annulation pour vice du consentement, en invoquant les mêmes faits à l’origine.

L’abus de faiblesse s’entend de l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse soit d'un mineur, soit d'une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables.

L’article 1137 du Code civil définit le dol comme le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manœuvres ou des mensonges ; que constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie.

En l’espèce, à l’époque du testament, [Y] [G] était déjà âgée de 83 ans et avait été fragilisée par la perte de son mari et de son frère, outre la récidive d’un cancer du sein, ce qui peut faire la preuve d’une certaine vulnérabilité.

Mais quant aux agissements incriminés, il y a lieu de constater tout d’abord que les requérantes se prévalent essentiellement, pour la période contemporaine du testament, d’un seul agissement lequel est décrit par une personne de l’entourage de la défunte. Ainsi, [AW] [J], dans un courrier du 16 janvier 20109, affirme, sans dater précisément l’évènement, que lors d’un repas, les défendeurs se sont montrés particulièrement froids à l’égard de la défunte, ce qui l’a fait souffrir et que quelques temps après, [C] [YJ] se serait rendu chez elle pour lui demander si elle n’avait rien remarqué et lui avait ensuite précisé que « c’était pour l’appartement », en sorte que dans la semaine qui a suivi, la défunte a pris attache avec son notaire pour prendre rendez-vous et « régler l’affaire ».

Ce seul témoignage, indirect, assez imprécis s’agissant du sujet évoqué, apparaît peu suffisant pour établir l’existence d’un abus de faiblesse ou de manœuvres dolosives.

En défense, à l’inverse, est produite l’attestation de Mme [M] [K], qui a été la voisine de palier de la défunte pendant plus de 20 ans jusqu’en 2013, ayant ainsi entretenu des relations amicales et qui soutient qu’il était dans les intentions du couple [G] de faire de Mme [YJ], leur nièce et filleule, leur seule héritière, estimant que la quasi-totalité de leur patrimoine émanait de la famille [G] et devait rester dedans ; que c’est ainsi qu’elle a été sollicitée par Mme [G] pour être témoin lors de la rédaction du testament authentique. Ce témoignage tend plutôt à démontrer que le testament résultait d’une démarche de couple réfléchie.

Ensuite, les requérantes se prévalent de divers éléments relatifs à des comportements voire des manquements des défendeurs, tous postérieurs à la rédaction du testament, parfois de nombreuses années après, y compris après le décès de la défunte : un intérêt à géométrie variable porté à la défunte, le sentiment d’isolement et de solitude ressenti par elle, leur participation à l’isolement de la défunte.

Mais l’intérêt modéré porté à la testatrice ou le fait que la défunte se soit sentie isolée ou seule après le décès de son mari, à les supposer avérés, ne caractérisent pas en soi des actes positifs d’abus de faiblesse ni des manœuvres dolosives. Au demeurant, il ressort des attestations soumises au tribunal par les défendeurs mais également de l’attestation de Mme [S] produite par les requérantes qu’ils conviaient la défunte chez eux, se préoccupaient de sa situation de santé, étaient présents lors des hospitalisations, ainsi qu’à son domicile.

Puis, l’allégation selon laquelle les défendeurs auraient isolé la défunte, après son hospitalisation en 2017, repose sur les éléments suivants :

L’attestation de Mme [I] qui affirme que la défunte se sentait déprimée et privée de sa liberté : « elle répétait sans cesse : "on ne fait pas toujours ce qu'on veut..." et semblait me signifier qu'on décidait beaucoup de choses à sa place. »
Le fait d’avoir empêché [W] [S] qui avait apporté son aide à la défunte pendant plusieurs années, moyennant le paiement de la somme de 150 euros par mois, d’aller la voir à l’hôpital :
« là j'ai appelé [C] et ils sont arrivés lui et [U] et m'ont dit de partir que je n'avais plus rien à faire là maintenant qu'ils y été finalement. […] j'y allais trois fois par semaine, ce qu'ils ne supportaient pas, ils voulaient faire le vide autour de Mme [G]. […] Puis voyant ce qui allait se passer j’ai demandé à [AW] de joindre la famille de [Localité 8] ».

Ici encore, l’isolement n’est allégué que par une seule personne et Mme [W] [S] ne fait finalement état que de sa propre expérience, sans qu’aucune autre personne de l’entourage de la défunte ne l’évoque, et alors qu’il ne ressort d’aucune des attestations produites l’existence de liens d’affection et de relations entre la défunte et les requérantes que les défendeurs auraient cherché à freiner, Mme [K] soulignant pour sa part des liens plutôt distendus entre les requérantes et la défunte.

Au demeurant, il s’agit encore d’allégations portant sur des faits bien postérieurs à la date d’établissement du testament.

L’épisode du déplacement par les défendeurs de la photographie du mari de la défunte de la cuisine vers le buffet, pour installer sur le réfrigérateur des magnets avec les photographies des membres de leur famille, n’apparaît pas plus déterminant pour caractériser d’éventuelles manœuvres, quand bien même la défunte aurait alors exprimé des regrets.

Les requérantes évoquent encore la gestion du patrimoine de la défunte par [C] [YJ] en affirmant que :

- Il avait procuration sur ses comptes ;
- Il s’occupait de faire sa déclaration d’impôts en ligne ;
- Il allait retirer de l’argent à la banque ;
- Il organisait des réunions avec la banquière et la conseillère en gestion de patrimoine de la défunte.

Pourtant, les requérantes ne produisent pas de pièce établissant qu’il avait procuration sur les comptes de la défunte, ni ne prouvent qu’il effectuait des retraits d’argent.

Pour le reste, [W] [S] évoque, dans son attestation, l’aide que [C] [YJ] lui apportait pour effectuer sa déclaration d’impôt, du moins en 2017. Puis, les requérantes produisent aux débats :

des synthèses de compte de la défunte d’avril 2018 annotées du conseiller en gestion de patrimoine, lequel mentionne qu’il faut « prévoir un rendez-vous avec [C] la prochaine fois »
des contrats d’assurance-vie souscrits pour le premier le 27 mai 1993 avec un changement de bénéficiaire au profit de [E] et [V] [YJ] le 16 décembre 2009, et pour le second le 4 mai 2018 au bénéfice de [U] [YJ].

Si ces éléments mettent en évidence une certaine implication de [C] [YJ] auprès de la défunte s’agissant de certains aspects de la gestion de son patrimoine, du moins dans les dernières années de sa vie, et si la souscription d’un contrat d’assurance vie dans les mois qui ont précédé le décès de [Y] [G] alors âgée de 92 ans, soit en mai 2018, interroge, alors qu’à cette date, l’état de l’intéressée se dégradait fortement, il ne peut s’en déduire l’existence d’un abus de faiblesse ou de manœuvres dolosives ayant conduit la défunte à établir un testament le 14 janvier 2009, soit près de huit années auparavant, étant observé que pour cette période, il n’est justifié d’aucun acte d’abus ou de manœuvres.

Il sera finalement observé que la plainte déposée le 24 juillet 2019 par les requérantes pour abus de faiblesse a fait l’objet d’un classement sans suite.

Il ressort de l’ensemble de ces éléments que les requérantes ne font pas la démonstration d’un abus de faiblesse ni de manœuvres dolosives qui auraient conduit la défunte à conclure le testament litigieux, en sorte que la demande de nullité du testament sera également rejetée de ce chef.

Sur les demandes annexes

Compte tenu de l’issue du litige, il convient de condamner les requérantes, qui succombent aux entiers dépens de l’instance.

Il convient pour le même motif de condamner in solidum les requérantes à payer aux demandeurs la somme de 2800 euros au titre de leurs frais irrépétibles non compris dans les dépens, et de les débouter de leur propre demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant publiquement, par jugement contradictoire, mis à disposition au greffe et en premier ressort,

DECLARE irrecevable l’exception de nullité de l’assignation soulevée par Madame [U] [N] épouse [YJ] et Monsieur [C] [YJ] ;

DEBOUTE [A] et [H] [D] de leur demande tendant à la nullité du testament authentique de [Y] [D] reçu par Maître [KB] [GE], notaire, en date du 14 janvier 2009 pour insanité d’esprit et vice du consentemtent  ;

CONDAMNE in solidum [A] et [H] [D] à payer à Madame [U] [N] épouse [YJ] et Monsieur [C] [YJ] la somme de 2800 euros pour leurs frais non compris dans les dépens ;

DEBOUTE [A] et [H] [D] de leur demande faite sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE [A] et [H] [D] aux dépens de l’instance ;

REJETTE toutes demandes, fins et prétentions, plus amples ou contraires, des parties ;

RAPPELLE que la présente décision est assortie de l’exécution provisoire.

LE GREFFIERLA PRÉSIDENTE

Benjamin LAPLUMEMarie TERRIER


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Lille
Formation : Chambre 01
Numéro d'arrêt : 22/02550
Date de la décision : 31/05/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-31;22.02550 ?
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