TRIBUNAL JUDICIAIRE
de LILLE
[Localité 4]
☎ :[XXXXXXXX01]
N° RG 22/08405 - N° Portalis DBZS-W-B7G-WX2I
N° de Minute : 24/00079
JUGEMENT
DU : 19 Mars 2024
[O] [F]
C/
S.A.S. INTERIEURS 59, exerçant sous l'enseigne commerciale ROCHE BOBOIS
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
JUGEMENT DU 19 Mars 2024
DANS LE LITIGE ENTRE :
DEMANDEUR
Monsieur [O] [F], demeurant [Adresse 2] - [Localité 5]
représenté par Maître Benjamin MILLOT, avocat au barreau de LILLE
ET :
DÉFENDEUR
S.A.S. INTERIEURS 59, exerçant sous l'enseigne commerciale ROCHE BOBOIS, dont le siège social est sis [Adresse 6] - [Localité 3]
représentée par Maître Guillaume FRANCOIS, avocat au barreau de LILLE
COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DÉBATS À L'AUDIENCE PUBLIQUE DU 16 Janvier 2024
Maxime KOVALEVSKY, Juge, assisté de Mahdia CHIKH, Greffier
COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DU DÉLIBÉRÉ
Par mise à disposition au Greffe le 19 Mars 2024, date indiquée à l'issue des débats par Maxime KOVALEVSKY, Juge, assisté de Mahdia CHIKH, Greffier
EXPOSE DU LITIGE
Suivant bon de commande n°100524135 du 7 mars 2020, Monsieur [O] [F] a acquis auprès de la S.A.S Intérieurs 59, exerçant sous la dénomination commerciale Roche Bobois, un canapé et deux fauteuils dont un fauteuil en cuir « Spoutnik » d’un montant de 2.130 euros remisé à 1.868,01 euros.
Ce fauteuil a été livré le 16 juillet 2020.
Suivant bon de commande n°100524773-2 du 10 décembre 2020, Monsieur [O] [F] a acquis auprès de la S.A.S Intérieurs 59 un second fauteuil en tissu « Spoutnik » d’un montant de 2.140 remisé à 1.825 euros.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 6 juin 2021, Monsieur [O] [F] a informé la S.A.S Intérieurs 59 des défauts constatés sur les patins des deux fauteuils.
Le 22 juillet 2021, un technicien de la S.A.S Intérieurs 59 est intervenu au domicile de Monsieur [O] [F].
Le 26 octobre 2021, les pieds en inox et les patins en plastique ont été remplacés.
Le 11 avril 2022, Monsieur [E] [S], expert en bâtiment, mandaté par Monsieur [O] [F], a déposé son rapport d’expertise.
Par procès-verbal du 9 novembre 2022, Monsieur [V] [C], conciliateur de justice, a constaté l’échec de la tentative préalable de conciliation.
Par acte d’huissier délivré le 16 décembre 2022, Monsieur [O] [F] a fait citer la S.A.S Intérieurs 59 devant le Tribunal judiciaire de LILLE à l’audience du 14 février 2023 afin, sur le fondement des articles L217-4 et suivants du code de la consommation, de prononcer la résolution des ventes des 7 mars 2020 et 10 décembre 2020 et de condamner la S.A.S Intérieurs 59 à lui payer la somme de 3.693,01 euros au titre de la restitution des prix de vente, outre la somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
L’affaire a fait l’objet de plusieurs renvois et a été retenue à l’audience du 16 janvier 2024.
A cette audience, Monsieur [O] [F] a comparu représenté par son conseil.
Aux termes de ses conclusions déposées à l’audience, auxquelles il se réfère, il réitère ses demandes initiales.
En réponse à la fin de non – recevoir, Monsieur [O] [F] soutient que le point de départ du délai biennal de prescription doit être fixé au 6 juin 2021, date de la lettre recommandée adressée à la S.A.S Intérieurs 59. A défaut, il fait valoir que la reconnaissance par la S.A.S Intérieurs 59 de l’usure anormale des patins interrompt la prescription.
A l’appui de sa demande principale, Monsieur [O] [F] soutient que les fauteuils et, plus particulièrement, la structure métallique porteuse, sont affectés de défauts de conformité ayant accéléré l’usure des patins et causé des dégradations sur le carrelage en grès. Il fait valoir que ces désordres rendent les fauteuils impropres à l’usage qu’il recherchait, à savoir leur utilisation sur un sol carrelé. Il estime de ce fait que la résolution s’impose.
La S.A.S Intérieurs 59 a comparu représentée par son conseil.
Aux termes de ses conclusions déposées à l’audience, auxquelles elle se réfère, elle sollicite :
- s’agissant du bon de commande n°100524135 du 7 mars 2020 :
- à titre principal, déclarer l’action en résolution prescrite,
- à titre subsidiaire, la rejeter,
- s’agissant du bon de commande n°100524773-2 du 10 décembre 2020 :
- rejeter l’action en résolution,
- en toute hypothèse,
- condamner Monsieur [O] [F] à lui payer la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Au soutien de sa fin de non-recevoir, sur le fondement de l’article L217-12 du code de la consommation, elle fait valoir que l’action en résolution de la vente du 7 mars 2020 a été introduit par acte d’huissier du 16 décembre 2022, soit plus de deux ans après sa conclusion, la livraison du bien le 16 juillet 2020 ou même la tentative préalable de conciliation du 9 novembre 2022.
En défense, elle soutient que l’usure du piétement des fauteuils ne constitue pas un défaut de conformité. Elle indique que le carrelage du requérant provoque une abrasion des piétements mais également que le déplacement des fauteuils, sans les soulever, peut en accélérer l’usure.
Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, il sera expressément renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens.
L’affaire a été mise en délibéré au 19 mars 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
En application de l’article 40 du code de procédure civile, le jugement qui statue sur une demande indéterminée est, sauf disposition contraire, susceptible d’appel.
La demande en résolution d’un contrat est par nature indéterminée. La présente décision est donc susceptible d’appel nonobstant le prix de vente des fauteuils.
Sur la fin de non-recevoir :
En application de l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut du droit d’agir telle […] la prescription.
En application de l’article L217-3 du code de la consommation, le vendeur répond des défauts de conformité existant au moment de la délivrance du bien au sens de l’article L216-1, qui apparaissent dans un délai de deux ans à compter de celle-ci. Ce délai de garantie s’applique sans préjudice des articles 2224 et suivants du code civil. Le point de départ de la prescription de l’action du consommateur est le jour de la connaissance par ce dernier du défaut de conformité.
En l’espèce, dans sa lettre du 6 juin 2021, Monsieur [O] [F] indique, « après huit mois d’utilisation du fauteuil recouvert de cuir », avoir constaté que « les patins des pieds sont usés prématurément » en raison de « l’inclinaison des armatures de soutien de l’ensemble du fauteuil ». Il précise que « afin de ne pas abimer davantage le revêtement du sol, j’ai décidé le 2 mai 2021 d’arrêter d’utiliser ces deux fauteuils ».
Au 2 mai 2021, Monsieur [O] [F] avait donc connaissance du défaut de conformité aujourd’hui allégué.
Il convient donc de fixer le point de départ de l’action en résolution à cette date.
En conséquence, son action en résolution du bon de commande n°100524135 du 7 mars 2020 est recevable pour avoir été introduite le 16 décembre 2022, soit moins de deux ans après le 2 mai 2021.
Sur le défaut de conformité :
Les contrats des 7 mars et 10 décembre 2020 constituent des contrats de vente de biens meubles corporels entre un vendeur professionnel et un acheteur consommateur, au sens des articles L217-1 et suivants du code de la consommation.
En application de l'article L217-4 du code de la consommation, le bien est conforme au contrat s'il répond notamment, le cas échéant, aux critères suivants :
1° Il correspond à la description, au type, à la quantité et à la qualité, notamment en ce qui concerne la fonctionnalité, la compatibilité, l'interopérabilité, ou toute autre caractéristique prévues au contrat ;
2° Il est propre à tout usage spécial recherché par le consommateur, porté à la connaissance du vendeur au plus tard au moment de la conclusion du contrat et que ce dernier a accepté ;
3° Il est délivré avec tous les accessoires et les instructions d'installation, devant être fournis conformément au contrat ;
4° Il est mis à jour conformément au contrat.
Selon l'article L217-5 du même code :
I. En plus des critères de conformité au contrat, le bien est conforme s'il répond aux critères suivants:
1° Il est propre à l'usage habituellement attendu d'un bien de même type, compte tenu, s'il y a lieu, de toute disposition du droit de l'Union européenne et du droit national ainsi que de toutes les normes techniques ou, en l'absence de telles normes techniques, des codes de conduite spécifiques applicables au secteur concerné ;
2° Le cas échéant, il possède les qualités que le vendeur a présentées au consommateur sous forme d'échantillon ou de modèle, avant la conclusion du contrat ;
3° Le cas échéant, les éléments numériques qu'il comporte sont fournis selon la version la plus récente qui est disponible au moment de la conclusion du contrat, sauf si les parties en conviennent autrement;
4° Le cas échéant, il est délivré avec tous les accessoires, y compris l'emballage, et les instructions d'installation que le consommateur peut légitimement attendre ;
5° Le cas échéant, il est fourni avec les mises à jour que le consommateur peut légitimement attendre, conformément aux dispositions de l'article L. 217-19 ;
6° Il correspond à la quantité, à la qualité et aux autres caractéristiques, y compris en termes de durabilité, de fonctionnalité, de compatibilité et de sécurité, que le consommateur peut légitimement attendre pour des biens de même type, eu égard à la nature du bien ainsi qu'aux déclarations publiques faites par le vendeur, par toute personne en amont dans la chaîne de transactions, ou par une personne agissant pour leur compte, y compris dans la publicité ou sur l'étiquetage.
En application de l’article 1353 du code civil, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver.
Il appartient donc à Monsieur [O] [F] de rapporter la preuve du défaut de conformité allégué.
En application de l’article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
S’agissant d’un fait juridique, la preuve peut être rapportée par tout moyen tel qu’une expertise officieuse, c’est-à-dire de l’avis demandé unilatéralement par une partie à un technicien.
Si les opérations d’une expertise officieuse sont, par définition, non contradictoires, le rapport qui en résulte n’en est pas moins recevable pourvu qu’il ait été soumis au débat contradictoire.
Néanmoins, il résulte d’une jurisprudence constante que le juge ne peut fonder sa décision exclusivement sur une expertise officieuse.
En l’espèce, la S.A.S Intérieurs 59 est intervenue au domicile de Monsieur [O] [F] le 22 juillet 2021 et a remplacé les pieds des fauteuils ainsi que les patins usés le 26 octobre 2021 (confère pièce demandeur n°6 : bordereau d’intervention).
En dépit de leur remplacement, Monsieur [E] [S] a, au cours des opérations d’expertise du 3 février 2022, constaté que les patins étaient à nouveau « anormalement » usés.
Ces éléments suffisent à établir l’usure anormale des patins.
Cependant, l’usure des patins ne constituent pas un défaut de conformité au sens des dispositions du code de la consommation précitée.
En effet, ces fauteuils restent propres à leur usage habituel qui est de s’asseoir. La circonstance selon laquelle l’usure des patins dégraderaient le carrelage en grès du requérant est inopérante en ce qu’elle n’affecte pas l’usage du fauteuil lui-même. D’ailleurs, dans sa lettre du 6 juin 2021, Monsieur [O] [F] reconnait cesser de s’en servir afin de ne pas endommager davantage son carrelage. Enfin, il ne peut être soutenu que les parties auraient convenu d’un usage spécial, recherché par Monsieur [O] [F] et porté à la connaissance de la S.A.S Intérieurs 59 au moment de la conclusion du contrat, à savoir un usage des fauteuils sur un sol particulièrement fragile, cette circonstance n’étant bien entendu pas évoquée dans les bons de commande.
L’expertise officieuse attribue l’usure anormale des patins à la forme et l’épaisseur de la structure métallique porteuse. En effet, il écrit, aux termes d’une observation visuelle – « nous effectuons un test des fauteuils en demandant à Monsieur [O] [F] de s’y asseoir normalement » - constater que l’armature « fléchie légèrement et provoque l’écartement des pieds vers l’extérieur […] ce phénomène entraîne un léger recul du fauteuil, ce qui explique l’usure des patins » et, par voie de conséquence, les marques au sol. Il estime donc que la structure métallique porteuse est « mise en cause » et conseille à Monsieur [O] [F], qui l’a mandaté, « d’exercer un recours ».
Nonobstant la qualité technique des conclusions, le défaut de la structure métallique des fauteuils, à même de caractériser un défaut de conformité, n’est corroboré par aucune autre pièce.
A cet égard, la pièce n°7 versée par le demandeur, intitulée « étude mécanique », réalisée par Monsieur [D] [G], enseignant en génie mécanique à la retraite, ne constitue ni une expertise officieuse, au sens précédemment défini, dans la mesure où son auteur n’est pas expert, ni une attestation, selon les dispositions des articles 200 et suivants.
En ce sens, il ne s’agit pas d’une « preuve » de nature à corroborer l’expertise officieuse.
En toute hypothèse, sa valeur probatoire serait mince compte tenu de son caractère inintelligible.
Il s’ensuit, d’une part, que l’usure des patins ne constitue pas un défaut de conformité, et, d’autre part, que le défaut de la structure métallique n’est pas démontré.
En conséquence, il convient de débouter Monsieur [O] [F] de ses demandes en résolution des deux contrats de vente et de ses demandes subséquentes en restitution.
Sur les demandes accessoires :
L'article 696 du Code de procédure civile dispose que la partie perdante est condamnée aux dépens à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.
En l'espèce, rien ne motive l'inversion de la charge normale des dépens. Il y a donc lieu de condamner Monsieur [O] [F], partie perdante, aux entiers dépens de l'instance.
En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.
En l’espèce, Monsieur [O] [F] sera condamné à payer la S.A.S Intérieurs 59 la somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Sur l'exécution provisoire :
En application de l'article 514 du code de procédure civile, l'exécution provisoire est de droit.
Rien ne justifie de l’écarter.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort,
REJETTE la fin de non-recevoir tirée de la prescription contre l’action en résolution de la vente du 7 mars 2020;
DEBOUTE Monsieur [O] [F] de ses demandes en résolution des ventes des 7 mars et 10 décembre 2020 et de ses demandes subséquentes en restitution ;
CONDAMNE Monsieur [O] [F] à payer à la S.A.S Intérieurs 59 la somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE Monsieur [O] [F] aux entiers dépens ;
RAPPELLE que l’exécution provisoire est de droit.
LE GREFFIERLE J