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08/03/2024 | FRANCE | N°21/07469

France | France, Tribunal judiciaire de Lille, Chambre 01, 08 mars 2024, 21/07469


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-

Chambre 01
N° RG 21/07469 - N° Portalis DBZS-W-B7F-VYX7

JUGEMENT DU 08 MARS 2024



DEMANDEURS:

M. [B] [K]
[Adresse 1]
[Localité 7]
représenté par Me Frédéric VAUVILLE, avocat au barreau de LILLE

M. [E] [R]
[Adresse 2]
[Localité 8]
représenté par Me Frédéric VAUVILLE, avocat au barreau de LILLE

S.C.P. [B] [K] et [E] [R],
SCP immatriculée au RCS [Localité 10] sous le numéro 338 585 524
[Adresse 4]
[Localité 6]
représentée par Me Frédéric VAUVIL

LE, avocat au barreau de LILLE



DÉFENDERESSE:

URSSAF NORD PAS DE [Localité 9]
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Me Maxime DESEURE, avoc...

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-

Chambre 01
N° RG 21/07469 - N° Portalis DBZS-W-B7F-VYX7

JUGEMENT DU 08 MARS 2024

DEMANDEURS:

M. [B] [K]
[Adresse 1]
[Localité 7]
représenté par Me Frédéric VAUVILLE, avocat au barreau de LILLE

M. [E] [R]
[Adresse 2]
[Localité 8]
représenté par Me Frédéric VAUVILLE, avocat au barreau de LILLE

S.C.P. [B] [K] et [E] [R],
SCP immatriculée au RCS [Localité 10] sous le numéro 338 585 524
[Adresse 4]
[Localité 6]
représentée par Me Frédéric VAUVILLE, avocat au barreau de LILLE

DÉFENDERESSE:

URSSAF NORD PAS DE [Localité 9]
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Me Maxime DESEURE, avocat au barreau de BETHUNE

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président: Marie TERRIER,
Assesseur: Juliette BEUSCHAERT,
Assesseur: Nicolas VERMEULEN,

Greffier: Benjamin LAPLUME,

DÉBATS

Vu l’ordonnance de clôture en date du 22 Mars 2023.

A l’audience publique du 09 Janvier 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré,les avocats ont été avisés que le jugement serait rendu le 08 Mars 2024.

Vu l’article 804 du Code de procédure civile, Nicolas VERMEULEN, juge préalablement désigné par le Président, entendu en son rapport oral, et qui, ayant entendu la plaidoirie, en a rendu compte au Tribunal.

JUGEMENT : contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 08 Mars 2024 par Marie TERRIER, Président, assistée de Benjamin LAPLUME, Greffier.

Exposé du litige

Suivant acte sous seing privé en date du 09 juin 2008, l’URSSAF [Localité 10]-[Localité 9]-[Localité 11] s’est engagée à confier à la SCP [K]-[N]-[R], aux droits de laquelle vient la SCP [B] [K] et [E] [R] (ci-après la SCP), la mission de recouvrer pour son compte des sommes dues par ses débiteurs.

L’URSSAF Nord-Pas-de-Calais (ci-après l’URSSAF) a par la suite régularisé une convention de même nature par acte sous seing privé en date du 2 janvier 2013.

Suivant courrier du 20 mars 2017, concluant une procédure de consultation annoncée par lettre du 26 janvier 2017 et mise en œuvre le 1er février 2017, l’URSSAF a informé la SCP [B] [K] et [E] [R] de sa volonté de résilier unilatéralement la convention avec effet au 20 mai 2017.

Par acte d'huissier en date du 8 décembre 2021, la SCP [B] [K] et [E] [R], M. [B] [K] et M. [E] [R] ont fait assigner l’URSSAF devant le tribunal judiciaire de Lille en paiement de diverses sommes à titre de dommages-intérêts.

Sur ce, l’URSSAF a constitué avocat.

La clôture est intervenue le 22 mars 2023, suivant ordonnance du même jour, et l'affaire a été fixée à l'audience de plaidoiries du 12 janvier 2024.

Au terme de leur acte introductif d’instance, la SCP [B] [K] et [E] [R], M. [B] [K] et M. [E] [R] demandent de :

Condamner l’URSSAF du Nord-Pas-de-Calais à payer à la SCP [B] [K] et [E] [R] la somme de 271.750 euros ;
La condamner au paiement d'une somme de 5.000 euros au titre des frais.
La SCP [B] [K] et [E] [R] estime que le contrat à durée indéterminée a été rompu brutalement par l’URSSAF en ce que le délai de préavis de deux mois n’est pas suffisant compte tenu de l’ancienneté de leurs relations professionnelles.

Elle estime également, en tout état de cause, que le délai de préavis n’a pas été respecté puisque l’URSSAF a cessé d’envoyer des dossiers dès le courrier de résiliation du 20 mars 2017.

Elle estime que son préjudice est équivalent à la perte de chiffre d’affaires pour une année et elle l’évalue à la somme de 271.750 euros, somme correspondant à la moyenne annuelle du chiffre d’affaires apporté par l’URSSARF sur cinq ans.

Au terme de ses dernières écritures, notifiées par voie électronique le 6 avril 2022, l’URSSAF demande de :

Débouter la SCP [B] [K] et [E] [R] de l’ensemble de ces demandes ;
La condamner à lui payer chacun la somme de 800 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
La condamner aux dépens.

L’URSSAF estime que les parties ont contractualisé les conséquences de la résiliation et ont expressément stipulé, d’une part, que le délai de préavis à la résiliation permet exclusivement de gérer le stock en cours et, d’autre part, que le délai de préavis ne peut pas dépasser deux mois.

L’URSSAF soutient également que, préalablement à la notification de la résiliation, elle avait informé l’étude d’huissier de son intention de réduire son nombre d’études partenaires.

A titre subsidiaire, elle énonce que le préjudice réparable est celui né de la brutalité de la rupture et non de la rupture elle-même. Elle conteste également le mode de calcul et souligne que le chiffre d’affaires apporté par l’URSSAF était en baisse depuis plusieurs années.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions susvisées pour plus ample l'exposé des faits, prétentions et moyens des parties.

L'affaire a été mise en délibéré au 08 mars 2024.

Motifs de la décision

Sur la demande de dommages-intérêts
Sur la rupture des relations :

L’alinéa 1 de l’article 1134 du code civil, pris dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, dispose que « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ».

Il résulte de l’article 1147 du code civil, pris dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, que le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages-intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justice pas que l’exécution a été empêché par la force majeure.

En l’espèce, les relations entre l’URSSAF et la SCP, qui avaient débuté courant 2008, étaient contractualisées par acte sous seing privé du 2 janvier 2013 aux termes duquel « la présente convention prend effet (…) pour une durée initiale d’un an. Elle est reconductible chaque année par tacite reconduction ».

Il est constant que la relation contractuelle s’est poursuivie jusqu’à la notification de la dénonciation de la convention, par l’URSSAF, suivant lettre recommandée en date du 20 mars 2017 avec effet au 20 mai 2017.

Lors de la notification de la rupture, l’URSSAF a accordé à la SCP un délai de deux mois pour gérer le stock en se fondant sur l’article 5 de la convention litigieuse qui stipule que chaque partie peut dénoncer unilatéralement la convention et que, dans cette hypothèse, « le flux d’envoi de dossiers sera interrompu dès la date de notification du courrier de déconventionnement. Le courrier de déconventionnement informera l’étude du délai de préavis qui lui est accordé pour gérer le stock de titre en cours, lequel ne devra pas dépasser deux mois (…) ».

Toutefois, cette clause écarte expressément le maintien du contrat dans ses conditions initiales dès la dénonciation du contrat et se limite à accorder un délai de gestion de l’encours, sans nouveau flux vers l’étude. Elle ne tend pas à retarder la cessation de la relation contractuelle à compter de la réception par la SCP de la volonté de l’URSAFF de mettre un terme à la relation. Elle ne donc peut pas être interprétée comme un délai de préavis à la résiliation du contrat.

Dès lors, en l’absence de délai de préavis contractuel, il appartenait à l’URSSAF de respecter un délai raisonnable de préavis pour mettre fin au contrat.

Par ailleurs, l’URSSAF n’est pas fondée à alléguer que le délai contractuel de deux mois pour s’occuper de l’encours accordé dans le courrier de dénonciation du 20 mars 2017 est exclusif d’une rupture brutale et irrégulière de la relation contractuelle avec la SCP.

Afin de fixer la durée du délai raisonnable, le tribunal observe que la relation entre les parties avait débuté près de 10 ans avant la dénonciation de la convention par L’URSSAF.

Celle-ci s’engageait à confier à la SCP une mission de recouvrement forcée moyennant le paiement des frais d’actes exposés à l’occasion des procédures diligentées. Aux termes de la convention, l’URSSAF réalisait annuellement un état global des relations, procédait à une analyse partagée des performances de recouvrement de l’étude et fixait des objectifs annuels. La relation contractuelle supposait ainsi un investissement certain pour l’étude d’huissier en contrepartie de la gestion d’un stock non négligeable comme le démontre le chiffre d’affaires apporté par l’URSSAF à la SCP de l’ordre de 20 % à 25 % du chiffre d’affaires total de l’étude selon les années.

De plus, il ne peut-être nullement pallié l’absence de durée de préavis dans les conditions initiales du contrat par le fait que l’URSSAF ait informé l’étude d’huissier par courrier du 26 janvier 2017 de sa volonté de réduire le nombre de ses partenaires et l’invitant à renseigner un dossier de candidature pour maintenir leurs relations.

Compte tenu de ces circonstances et de l’ancienneté des relations professionnelles, le délai raisonnable du préavis aurait dû être d’un an.

En conséquence, la dénonciation notifiée le 20 mars 2017 par l’URSSAF, qui se limite à accorder un délai de deux mois pour gérer les encours, est constitutive d’une rupture brutale de la relation contractuelle et ouvre droit à indemnisation des préjudices subis par la SCP.

Sur le préjudice :

L’article 1146 du code civil, pris dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, dispose que « les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé (…) ».

Il est de jurisprudence constante que le préjudice tiré du non-respect du préavis raisonnable consiste en la perte de marge brute escomptée que le cocontractant aurait pu réaliser en poursuivant ses relations contractuelles pendant la durée du préavis non respecté. (Com. 28 juin 2023 n°21-16940)

En l’espèce, afin de justifier sa demande de dommages-intérêts, la SCP verse aux débats le tableau du chiffre d’affaires apporté par URSSAF annuellement, un tableau des comptes annuels comprenant les résultats annuels, ainsi qu’un tableau comparatif du chiffre d’affaires total de l’étude par rapport à celui apporté par URSSAF.

Toutefois, la SCP n’est pas fondée à solliciter une indemnisation équivalente à la rémunération qu’elle aurait perçue si le délai de préavis raisonnable avait été respecté, d’autant plus qu’il n’est pas allégué que le recouvrement forcé ne suppose aucun coût.

L’URSSAF s’oppose quant à elle à la demande en paiement en estimant qu’il n’est pas démontré que le chiffre d’affaires de la SCP ait subi une baisse à la suite de la dénonciation de la relation contractuelle par lettre du 20 mars 2017.

Cependant, il est indifférent que l’étude d’huissier ait subi ou non une baisse de son chiffre d’affaires dans sa globalité pour justifier l’existence d’un préjudice tiré du non-respect du préavis raisonnable par l’URSSAF.

Le tribunal observe au contraire qu’il est nécessaire de rechercher si la SCP pouvait espérer un gain dans l’hypothèse où la relation avec l’URSSAF s’était poursuivie pendant la durée du préavis non respecté. A cette fin il convient déduire du chiffre d’affaires escompté les coûts non supportés durant la période d’insuffisance du préavis, tels les coûts matériels des significations et la masse salariale affectée à la gestion des dossiers de l’URSSAF.

Les parties ne précisent néanmoins pas les coûts non supportés durant la période de d’insuffisance du préavis, précision faite que la SCP n’allègue pas avoir dû procéder à des licenciements, ce qui suppose ainsi que les salariés qui étaient affectés aux dossiers de l’URSSAF ont été affectés à d’autres tâches.

Enfin, l’URSSAF, qui met en cause péremptoirement la sincérité des documents financiers établissant le chiffre d’affaires apporté par elle à la SCP, n’apporte cependant aucun élément de nature à les critiquer.

Dans ces conditions, afin d’évaluer la marge brute escomptée, le tribunal applique le rapport moyen des cinq dernières années entre le résultat financier de l’étude d’huissiers et le chiffre d’affaires total de celle-ci (394.297 € / 1.231.686 € = 0,32) à la moyenne des cinq dernières années du chiffre d’affaires apporté par l’URSSAF (271.750 € * 0,32 = 86.690 €).

Ainsi, la marge brute qu’aurait pu réaliser la SCP si la relation avec l’URSSAF s’était poursuivie pendant la durée du préavis non respecté s’élève à la somme de 86.690 euros.

En conséquence, l’URSSAF sera condamnée au paiement de la somme de 86.690 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture irrégulière de la relation contractuelle avec la SCP.

Sur les mesures accessoires
L’URSSAF, partie perdante, sera condamnée aux dépens. Elle sera également condamnée au paiement d'une somme de 2.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort, prononcé par mise à disposition au greffe,

CONDAMNE l’URSSAF Nord-Pas-de-Calais à payer à la SCP [B] [K] et [E] [R] la somme de 86.690 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive de la relation contractuelle ;

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

CONDAMNE l’URSSAF Nord-Pas-de-Calais à payer à la SCP [B] [K] et [E] [R] la somme de 2.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE l’URSSAF Nord-Pas-de-Calais aux dépens.

LE GREFFIERLA PRÉSIDENTE

Benjamin LAPLUMEMarie TERRIER


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Lille
Formation : Chambre 01
Numéro d'arrêt : 21/07469
Date de la décision : 08/03/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-08;21.07469 ?
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