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06/08/2024 | FRANCE | N°22/01782

France | France, Tribunal judiciaire de Draguignan, Chambre 3 - construction, 06 août 2024, 22/01782


TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE DRAGUIGNAN
_______________________

Chambre 3 - CONSTRUCTION

************************

DU 06 Août 2024
Dossier N° RG 22/01782 - N° Portalis DB3D-W-B7G-JMPW
Minute n° : 2024/223

AFFAIRE :

Commune [Localité 6] C/ S.A.S LOVERA ESPACES VERTS, [K] [W] épouse [Y]




JUGEMENT DU 06 Août 2024




COMPOSITION DU TRIBUNAL :

PRÉSIDENT : Monsieur Frédéric ROASCIO

JUGES : Madame Annabelle SALAUZE
Monsieur Guy LANNEPATS

GREFFIER : Madame Peggy DONET

DÉBATS :

A l’audience publique du 14 Mai 2024
A l’issue des débats, les parties ont été avisées que le jugement serait prononcé par mise à disposition au greffe le 06 Août...

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE DRAGUIGNAN
_______________________

Chambre 3 - CONSTRUCTION

************************

DU 06 Août 2024
Dossier N° RG 22/01782 - N° Portalis DB3D-W-B7G-JMPW
Minute n° : 2024/223

AFFAIRE :

Commune [Localité 6] C/ S.A.S LOVERA ESPACES VERTS, [K] [W] épouse [Y]

JUGEMENT DU 06 Août 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

PRÉSIDENT : Monsieur Frédéric ROASCIO

JUGES : Madame Annabelle SALAUZE
Monsieur Guy LANNEPATS

GREFFIER : Madame Peggy DONET

DÉBATS :

A l’audience publique du 14 Mai 2024
A l’issue des débats, les parties ont été avisées que le jugement serait prononcé par mise à disposition au greffe le 06 Août 2024

JUGEMENT :

Rendu après débats publics par mise à disposition au greffe, par décision contradictoire et en premier ressort.

copie exécutoire à :
MeThierry GARBAIL
Me Philippe PARISI
Me Jean-Luc MARCHIO

Délivrées le 06 Août 2024

Copie dossier

NOM DES PARTIES :

DEMANDERESSE :

Commune [Localité 6], dont le siège social est sis [Adresse 4] - [Localité 6], prise en la personne de son maire en exercice, Monsieur [M] [C].

représentée par Maître Philippe PARISI de la SCP IMAVOCATS, avocat au barreau de TOULON

D’UNE PART ;

DÉFENDERESSES :

S.A.S LOVERA ESPACES VERTS, dont le siège social est sis [Adresse 7] - [Localité 9], prise en la personne de son représentant légal en exercice.

représentée par Maître Jean-Luc MARCHIO, avocat au barreau de NICE

Madame [K] [W] épouse [Y], demeurant [Adresse 3] - [Localité 1]
représentée par Maître Thierry GARBAIL de l’ASSOCIATION CABINET GARBAIL AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de TOULON

D’AUTRE PART ;

******************

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Madame [K] [W] épouse [Y] est propriétaire d’une parcelle cadastrée section AC numéro [Cadastre 2], d’une superficie de 7129 mètres carrés, située [Adresse 5], le long de la [Adresse 8], sur le territoire de la commune de [Localité 6].

Par acte authentique consenti le 8 juillet 2019, Madame [Y] a donné à bail commercial la parcelle à la SAS LOVERA ESPACES VERTS, exploitant une activité de création, entretien, exploitation d’espaces verts et toutes activités s’y rattachant.

Exposant que cette parcelle est classée en zone agricole du plan local d’urbanisme et qu’il a été constaté la présence d’aménagements contraires aux règles d’urbanisme (stockage de 34 oliviers plantés en jauge et en pleine terre, réalisation de six allées avec un revêtement de type tout venant tassé, installation d’un système complet d’arrosage), la commune de [Localité 6], prise en la personne de son Maire en exercice, a, par exploits d’huissier de justice des 3 et 7 mars 2022, fait assigner Madame [Y] et la SAS LOVERA ESPACES VERTS devant le tribunal judiciaire de Draguignan, et ce aux fins d’obtenir, à titre principal et sur le fondement de l’article L.480-14 du code de l’urbanisme, les condamnations in solidum et sous astreinte des défenderesses à procéder à l’enlèvement des aménagements en litige et à la remise en état des lieux.

Suivant ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 29 janvier 2024, la commune de [Localité 6], prise en la personne de son Maire en exercice Monsieur [M] [C], sollicite du tribunal de :
In limine litis, se déclarer incompétent au profit du juge de la mise en état pour statuer sur la jonction entre la présente instance et celle opposant Madame [Y] à Maître [F] ès-qualités de notaire ;
A défaut, dire n’y avoir lieu à jonction entre la présente instance et celle opposant Madame [Y] à Maître [F] ès-qualités de notaire ;

Sur le fond, condamner in solidum Madame [K] [W] épouse [Y] et la société LOVERA ESPACES VERTS à procéder ou faire procéder à l’enlèvement de l’ensemble des aménagements (robinets et six allées en revêtement tout venant tassé) réalisés sur la parcelle cadastrée section AC numéro [Cadastre 2], sise à [Localité 6], Lieudit [Adresse 5], [Adresse 8], et par voie de conséquence à remettre intégralement les lieux dans leur état d’origine, à savoir en nature de sol cultivable ;
Dire qu’à défaut d’exécution spontanée, dans un délai de 15 jours suivant la signification du jugement à intervenir, la condamnation sera assortie d’une astreinte de 1000 euros par jour de retard ;
Dire n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire du jugement à intervenir ;
Débouter les défendeurs de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;
Condamner Madame [K] [Y] et la société LOVERA ESPACES VERTS à payer à la commune de [Localité 6] la somme de 3000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamner Madame [K] [Y] et la société LOVERA ESPACES VERTS aux dépens de la présente instance, avec distraction au bénéfice de Maître Philippe PARISI, avocat aux offres de droit, par application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions fondées sur les articles 367, 783 du code de procédure civile et L.480-14 du code de l’urbanisme, elle expose :
- qu’elle est habilitée à faire sanctionner les règles d’urbanisme méconnues et que la mesure de démolition s’impose en l’espèce puisque les conditions légales sont réunies ; qu’en effet, l’action est introduite dans le délai de dix ans suivant l’achèvement des travaux, constatés en 2021, lesquels contreviennent à l’article A1-2 c du règlement du plan local d’urbanisme en raison d’une occupation illicite des sols ; que l’activité commerciale de négoce de végétaux est en outre strictement interdite en zone A du plan local d’urbanisme, causant un détournement de terres cultivables protégées ; que l’intégralité du territoire communal constitue un site inscrit à l’inventaire des sites pittoresques de la Presqu’île de [Localité 9] et il ne pouvait être procédé sur la parcelle à des travaux autres que ceux d’exploitation courante et d’entretien sans avoir informé l’administration quatre mois à l’avance, démarches non accomplies par les défenderesses ;
- que la situation n’a pas été totalement régularisée par les défenderesses et une remise en état s’impose toujours ; que l’ancien système d’arrosage a été supprimé alors que les six allées en tout venant rendent le terrain complètement impropre à la culture, notamment de vignes, qui y était exploitée auparavant ; que la résiliation en date du 29 novembre 2022 du bail conclu entre Madame [Y] et la société LOVERA ESPACES VERTS, accompagné d’un état des lieux de sortie, est inopposable à la requérante et contredit par le rapport d’urbanisme dressé le 24 janvier 2024 ;
- que la jonction de procédures relève de la seule compétence du juge de la mise en état ; qu’une telle jonction avec la procédure suivie contre le notaire, dont l’assignation n’est pas produite, ne semble utile que pour apprécier les rapports entre Madame [Y] et son preneur, relations contractuelles auxquelles la commune est étrangère.

Suivant ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 11 janvier 2024, Madame [K] [W] épouse [Y] sollicite du tribunal, outre de juger des éléments qui ne constituent pas des prétentions au sens de l’article 4 du code de procédure civile, de :
Débouter la commune de [Localité 6] de ses demandes ;
Débouter la société LOVERA ESPACES VERTS de ses demandes ;
Ecarter l’exécution provisoire de plein droit ;
Ordonner la jonction de la présente instance opposant la commune de [Localité 6] à Madame [Y] et la société LOVERA ESPACES VERTS portant le numéro RG 22/01782 pendante devant la 3ème chambre du tribunal judiciaire à l’instance opposant Madame [Y] à Maître [F], notaire.

Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir :
- que la parcelle a été remise en état selon l’attestation d’état des lieux de sortie en date du 29 novembre 2022 accompagnant la résiliation du bail conclu avec la société LOVERA ESPACES VERTS ; que les demandes de la requérante sont ainsi sans objet ;
- que la société LOVERA ESPACES VERTS a exploité la parcelle durant plus de trois ans sans avoir été troublée dans la jouissance de la chose louée ; que les préjudices de celle-ci ne sont pas davantage démontrés ;
- que la jonction de l’instance l’opposant à son notaire à la présente instance est de l’intérêt d’une bonne justice.

Suivant ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 31 mars 2023, la SAS LOVERA ESPACES VERTS sollicite du tribunal de :
REJETER les demandes présentées par la commune de [Localité 6] ;
CONDAMNER, sur le fondement de l’article 1231-1 du code civil, Madame [K] [W] épouse [Y] à lui payer la somme de 83 043,31 euros (quatre-vingt-trois mille quarante-trois euros et trente-et-un centimes) à titre de dommages et intérêts eu égard aux investissements effectués en pure perte ;
CONDAMNER Madame [K] [W] épouse [Y] à lui payer la somme de 20 000 euros (vingt mille euros) à titre de dommages et intérêts eu égard au préjudice moral subi ;
CONDAMNER Madame [K] [W] épouse [Y] à lui payer la somme de 5000 euros (cinq mille euros) sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
STATUER ce que de droit sur les dépens.

Au soutien de ses prétentions au visa des articles 1101, 1104, 1231-1 et 1719 du code civil, elle estime :
- que le bail commercial a été consenti pour une durée de neuf ans sur l’activité exclusive sur la parcelle en litige de stockage de plantes en vue de leur vente ; qu’il n’existe aucune activité de vente mais uniquement une façon de stocker les produits mis en place dans le cadre de son activité ;

- qu’elle a quitté les lieux le 29 novembre 2022 en raison de la pression de la requérante ; que cette dernière présente une situation tronquée alors que seul le stockage de plantes a été réalisé ; qu’elle est de bonne foi et a investi la somme de 83 043,31 euros pour utiliser le terrain conformément aux stipulations du bail ;
- que Madame [Y] a commis une faute contractuelle en violant son obligation de délivrance, donnant à bail une parcelle sur laquelle il est impossible d’user de la chose louée conformément à la destination contractuellement fixée ; qu’elle doit réparer ses préjudices à raison des investissements réalisés en pure perte et du préjudice moral causé.

Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures visées ci-dessus conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

Par ordonnance du 19 février 2024, modifiée le 27 février 2024, la clôture de la procédure a été fixée au 30 avril 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la procédure

Le conseil de Madame [W] épouse [Y] a adressé le 13 mai 2024, à la veille de l’audience de plaidoirie, une demande de renvoi de l’affaire à la mise en état, arguant notamment de la nécessaire jonction à l’instance d’appel en cause délivrée au notaire susceptible de la relever et garantir des condamnations éventuellement prononcées à son encontre au bénéfice de la SAS LOVERA ESPACES VERTS.

A l’audience de plaidoirie du 14 mai 2024, il a été relevé par le président l’absence de délivrance certaine à ce jour de l’instance d’appel en cause et l’affaire principale, introduite en 2022 par la commune de [Localité 6], opposée à tout renvoi et à toute jonction, a été retenue.

Sur ces éléments, il convient de rappeler qu’aux termes de l’alinéa 1er de l’article 367 du code de procédure civile, « le juge peut, à la demande des parties ou d’office, ordonner la jonction de plusieurs instances pendantes devant lui s’il existe entre les litiges un lien tel qu’il soit de l’intérêt d’une bonne justice de les faire instruire ou juger ensemble. »

Par ailleurs, la réouverture des débats, que le renvoi de la mise en état implique, est prévue à l’alinéa 1er de l’article 444 du code de procédure civile, qui impose une telle réouverture chaque fois que les parties n’ont pas été à même de s’expliquer contradictoirement sur les éclaircissements de droit ou de fait qui leur avaient été demandés. A défaut, il s’agit d’une simple faculté appréciée discrétionnairement par le président de l’audience.

En premier lieu, il ne résulte pas de l’article 783 du code de procédure civile une compétence exclusive du juge de la mise en état pour ordonner la jonction ou la disjonction d’instances, seul l’article 789 du même code prévoyant la compétence exclusive du juge de la mise en état sur des demandes autres que celle concernant la jonction ou la disjonction.
De plus, l’article 368 du code de procédure civile rappelle que la jonction est une simple mesure d’administration judiciaire que le juge peut ordonner, ce qui n’exclut à l’évidence pas le tribunal statuant au fond.

En second lieu, Madame [Y] ne justifie pas de l’assignation introduite à l’égard de son notaire Maître [F], qui a reçu le bail commercial conclu avec la SAS LOVERA ESPACES VERTS.
Elle invoque seulement une assignation avec un numéro provisoire sans qu’un enrôlement de l’affaire d’appel en cause ne soit prouvée au moment de l’audience.

Si le tribunal peut en pure opportunité renvoyer le dossier à la mise en état en vue d’une jonction, une telle mesure n’est clairement pas adaptée alors que le litige principal a été introduit par la commune de [Localité 6] depuis plus de deux années et que la présence en la cause du notaire de Madame [Y], ne conditionnant pas l’application des règles d’urbanisme objet principal du présent litige, aurait pour seul effet de retarder l’issue dudit litige.

La jonction sollicitée n’est pas de l’intérêt d’une bonne justice et la demande de Madame [Y] de ce chef sera rejetée, de même que sa demande tendant à renvoyer l’affaire à la mise en état.

Sur les demandes principales de la commune de [Localité 6]

La requérante fonde ses prétentions sur l’article L.480-14 du code de l’urbanisme, selon lequel « la commune ou l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme peut saisir le tribunal judiciaire en vue de faire ordonner la démolition ou la mise en conformité d’un ouvrage édifié ou installé sans l’autorisation exigée par le présent livre, en méconnaissance de cette autorisation ou, pour les aménagements, installations et travaux dispensés de toute formalité au titre du présent code, en violation de l’article L.421-8. L’action civile se prescrit en pareil cas par dix ans à compter de l’achèvement des travaux. »

Pour l’application de ce texte, l’obligation de démolition s’impose au juge si les conditions sont réunies, mais il doit s’agir d’une mesure subsidiaire à défaut de possibilité de mise en conformité acceptée par le propriétaire des lieux. (Cons.Const., 31 juillet 2020, QPC numéro 2020-853)

Aux termes de l’article L.421-8 du code de l’urbanisme, les constructions, aménagements, installations et travaux dispensés de toute formalité doivent être conformes aux dispositions mentionnées à l’article L.421-6, lequel vise notamment la conformité aux dispositions réglementaires relatives à l’utilisation des sols.

En l’espèce, la commune requérante produit le règlement de la zone A du plan local d’urbanisme (PLU), et en particulier l’article A1-2 c du règlement sur les types d’occupations ou d’utilisations des sols interdites, qui prévoit notamment l’interdiction des dépôts visés en annexe 3, même à titre provisoire, à l’exception des dépôts liés aux nécessités de l’exploitation agricole ou forestière.

L’annexe 3 vise notamment les dépôts ou expositions en plein air de meubles, objets divers, plantes et arbres en pot ou en jauge proposés à la vente.

Après un courrier du Maire de [Localité 6] adressé le 7 avril 2021 à la société LOVERA ESPACES VERTS aux fins de solliciter l’enlèvement des oliviers en pots stockés, il a été dressé deux procès-verbaux concluant :

- le 22 mai 2021, qu’une vingtaine d’oliviers sont en partie en terre, la partie supérieure étant entourée d’un cerclage appelé « jauge » ;

- le 23 novembre 2021, que douze oliviers sont en jauge et en pleine terre, quatorze oliviers sont en pleine terre et huit arbres en pleine terre ; que selon la police municipale, ces arbres sont préparés à la vente par les caractéristiques suivantes : des allées artificielles aménagées en tout venant tassé, le cerclage des racines, un mélange d’essences, un espacement faible dont certains houppiers se touchent pratiquement.

La société LOVERA ESPACES VERTS entend faire valoir la différence entre une activité de stockage de végétaux en vue de la vente et l’activité de vente proprement dite, mais il apparaît évident en l’espèce que les arbres sont préparés à la vente, stockés en grand nombre, et que de ce fait ils ne sauraient constituer des dépôts liés aux nécessités de l’exploitation agricole ou forestière, que la défenderesse ne revendique d’ailleurs pas. Ainsi, le stockage de ces végétaux en vue de la vente, non contesté par la société LOVERA ESPACES VERTS et conforme aux stipulations du bail commercial du 8 juillet 2019, n’est de toute manière pas autorisé par l’article A1-2 c du règlement du PLU, que la parcelle serve à la vente ou non.

Il en résulte que le respect des stipulations du bail commercial n’est pas de nature à prouver une conformité des aménagements en litige aux dispositions du PLU, alors qu’au contraire les dépôts constatés ne sont pas autorisés par le PLU.

Dès lors, la prétendue bonne foi de la société LOVERA ESPACES VERTS, tant par le respect des stipulations du bail commercial que par les investissements réalisés pour le stockage des végétaux, est indifférente à la situation illicite au regard des règles d’urbanisme. Il ne peut à ce titre être reproché une pression de la part de la commune requérante à vouloir faire respecter les règles d’urbanisme.

Au demeurant, la commune requérante vise l’article L.341-1 du code de l’environnement qui dispose notamment que, dans les sites dont la conservation ou la préservation présente un intérêt général, il est interdit de procéder à des travaux, autres que ceux d’exploitation courante en ce qui concerne les fonds ruraux, ou d’entretien en ce qui concerne les constructions, sans avoir avisé l’administration quatre mois à l’avance.

La commune de [Localité 6] se situe, par les arrêtés ministériels des 15 février 1966 et 12 janvier 1967, parmi les sites inscrits au sens de l’article L.341-1 précité et les défenderesses ne justifient pas avoir avisé la commune de leur intention de réaliser les aménagements en litige, en particulier la construction des six allées de type tout venant qui ne peut par nature être considérée comme des travaux d’exploitation courante ou d’entretien.

Le caractère illicite des aménagements est établi, que ce soit en violation du PLU ou de l’article L.341-1 du code de l’environnement, si bien que la commune requérante est bien fondée à agir sur le fondement de l’article L.480-14 précité, étant encore relevé que ces aménagements ont été réalisés depuis moins de dix ans pour les besoins de l’exploitation de la société LOVERA ESPACES VERTS.

Les parties s’accordent sur le fait que les oliviers en litige ont été enlevés depuis l’arrêt de l’exploitation de la parcelle par la société LOVERA ESPACES VERTS après résiliation du bail commercial le 29 novembre 2022, la commune requérante ne sollicitant plus l’enlèvement des oliviers dans ses dernières écritures.

Le constat d’état des lieux réalisé le 29 novembre 2022 entre Madame [Y] et la société LOVERA ESPACES VERTS se contente d’indiquer que le terrain est « en parfait état » et qu’il n’a « subi aucune dégradation », mais ces éléments ne permettent pas d’affirmer que les aménagements dont il est sollicité l’enlèvement (construction des six allées, nouveau système d’arrosage) ont été démolis et que la parcelle a été remise en l’état antérieur.

La commune requérante produit deux rapports d’urbanisme, dont le dernier établi le 24 janvier 2024 par la police municipale laissant voir que l’ensemble de la parcelle est dépourvue de plantation et de construction. Les photographies montrent une parcelle devenue un pré recouvrant ainsi les allées en revêtement de style « tout venant » tassé, outre l’enlèvement du système d’arrosage mais avec la présence de quatre robinets.

Il résulte de ces dernières constatations que les allées en tout venant ne sont plus visibles mais recouvertes par la végétation.

Il est rappelé que l’annexe 3 précitée prohibe uniquement les dépôts et que de tels dépôts ne sont actuellement plus visibles, les quatre robinets encore présents ne pouvant être assimilés à de tels dépôts.

S'agissant du second fondement retenu par la commune requérante relatif à l’absence d’autorisation des travaux en méconnaissance de l’article L.341-1 du code de l’environnement, les allées en tout venant sont à ce jour recouvertes de végétation et les robinets ne peuvent davantage être qualifiés de travaux. Il n’est d'ailleurs pas contesté par la requérante l’absence de poursuite de toute activité de stockage de plantes en vue de leur vente depuis la résiliation du bail conclu entre les défenderesses.

Si les allées en tout venant n’ont pas fait l’objet d’une autorisation préalable en méconnaissance de l’article L.341-1 précité, elles ne sont plus visibles à ce jour et la requérante affirme sans le démontrer que la qualité du sol en serait à ce jour altérée.

Dès lors, la commune requérante n’est pas bien fondée à soutenir la nécessité d’une remise en état du site afin de le rendre à nouveau propice à la culture, alors que les fondements juridiques invoqués n’obligent aucunement la propriétaire du terrain concerné à une telle obligation, et en particulier de cultiver des vignes.

La commune de [Localité 6] sera en conséquence déboutée de ses demandes, devenues sans objet.

Sur les demandes reconventionnelles de la société LOVERA ESPACES VERTS

Aux termes de l’article 1719 du code civil, le bailleur est notamment obligé, par la nature du contrat et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée et d’en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail.

En l’espèce, il est constant que le bail commercial du 8 juillet 2019 stipule que la parcelle est destinée exclusivement à l’activité de stockage de plantes en vue de leur vente.

La société LOVERA ESPACES VERTS ne conteste pas avoir exercé cette activité, mais elle attribue le caractère illicite de cette activité à Madame [Y], ayant manqué à ses obligations de résultat de lui délivrer la chose louée conforme à sa destination comme d’en permettre la jouissance paisible.

Cependant, la société LOVERA ESPACES VERTS, en sa qualité de professionnelle de l’exploitation des végétaux, ne peut sérieusement attribuer à Madame [Y], profane en la matière, la responsabilité exclusive des stipulations du bail relatives à l’activité à laquelle était destinée l’utilisation de la parcelle.

Dès lors, la société LOVERA ESPACES VERTS ne prouve pas que Madame [Y] a manqué à ses obligations en connaissance de cause, ou en général qu’elle a commis une faute permettant d’engager sa responsabilité contractuelle.

Elle ne prouve pas davantage le lien de causalité entre ces éventuelles fautes et les préjudices dont elle se plaint, en particulier les investissements en pure perte réalisés.

La société LOVERA ESPACES VERTS sera déboutée de l’intégralité de ses demandes reconventionnelles.

Sur les demandes accessoires

Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, « la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie […]. »

La commune de [Localité 6], partie perdante ayant introduit l’instance et maintenu ses demandes malgré régularisation de la situation par Madame [Y], sera condamnée aux entiers dépens de l’instance.

L’article 699 du code de procédure civile dispose : « les avocats et avoués peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l’avance sans avoir reçu provision. »

Il y a lieu d’autoriser le recouvrement direct des dépens au profit de Maître Philippe PARISI.

Il résulte de l’article 700 du code de procédure civile que, dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou à défaut la partie perdante à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations dire qu’il n’y a pas lieu à condamnation.

L’équité ne commande pas de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. La commune de [Localité 6] et la SAS LOVERA ESPACES VERTS seront déboutées de leurs demandes de ce chef.

Conformément à l’article 514 du code de procédure civile dans sa version applicable aux procédures introduites depuis le 1er janvier 2020, le juge peut écarter l’exécution provisoire de droit, en tout ou partie, s’il estime qu’elle est incompatible avec la nature de l’affaire. Il statue, d’office ou à la demande d’une partie, par décision spécialement motivée.

Madame [Y] prétend que la nature de l’affaire et le caractère contesté de sa responsabilité justifient d’écarter l’exécution provisoire de droit. Néanmoins, en l’absence de condamnations prononcées à son encontre, il n’est pas utile d'écarter l’exécution provisoire de droit.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant après débats en audience publique, par mise à disposition au Greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort :

REJETTE la demande de jonction présentée par Madame [K] [W] épouse [Y] et sa demande de renvoi de l’affaire à la mise en état.

DEBOUTE la commune de [Localité 6], prise en la personne de son Maire en exercice Monsieur [M] [C], de ses demandes principales.

DEBOUTE la SAS LOVERA ESPACES VERTS de ses demandes reconventionnelles.

CONDAMNE la commune de [Localité 6], prise en la personne de son Maire en exercice Monsieur [M] [C], aux dépens de l’instance et ACCORDE à Maître Philippe PARISI le droit au recouvrement direct des dépens dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

DIT n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

RAPPELLE que l’exécution provisoire assortit l’entière décision.

REJETTE le surplus des demandes.

Ainsi jugé par mise à disposition au greffe de la troisième chambre du tribunal judiciaire de Draguignan le SIX AOUT DEUX MILLE VINGT-QUATRE.

La greffière, Le président,


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Draguignan
Formation : Chambre 3 - construction
Numéro d'arrêt : 22/01782
Date de la décision : 06/08/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 12/08/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-08-06;22.01782 ?
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