T R I B U N A L J U D I C I A I R E
D E D R A G U I G N A N
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JUGEMENT
SELON LA PROCEDURE ACCELEREE AU FOND
REFERE n° : N° RG 23/05863 - N° Portalis DB3D-W-B7H-J6JO
MINUTE n° : 2024/ 100
DATE : 17 Juillet 2024
PRESIDENT : Madame Nathalie FEVRE
GREFFIER : M. Alexandre JACQUOT
DEMANDERESSE
Madame [X] [Z], demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Philippe BARTHELEMY, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
DEFENDEUR
Monsieur [V] [B], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Marie-pierre PRADEAU-IZARD, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
DÉBATS : Après avoir entendu à l’audience du 24/01/2024, les parties comparantes ou leurs conseils ont été avisées que la décision serait rendue le 06/03/2024 puis prorogée au 13/03/2024, 20/03/2024, 27/03/2024, 03/04/2024, 10/04/2024, 17/04/2024, 24/04/2024, 07/05/2024, 15/05/2024, 22/05/2024, 29/05/2024, 05/06/2024, 12/06/2024, 19/06/2024, 26/06/2024, 03/07/2024, 10/07/2024 et 17/07/2024. La décision a été rendue ce jour par la mise à disposition de la décision au greffe.
copie exécutoire à
Me Philippe BARTHELEMY
Me Marie-pierre PRADEAU-IZARD
copie dossier
délivrées le
Envoi par Comci à Me Philippe BARTHELEMY
Me Marie-pierre PRADEAU-IZARD
EXPOSE DU LITIGE
Monsieur [V] [B] et Madame [X] [Z] se sont mariés le [Date mariage 4] 2007 et ont adopté le régime de séparation de biens aux termes de leur contrat de mariage.
Ils sont propriétaires indivis d'une maison d'habitation située à [Adresse 14], cadastrée section B n° [Cadastre 1].
Leur divorce a été prononcé par jugement du juge aux affaires familiales de Draguignan du 5 septembre 2017 faisant suite à une ordonnance de non conciliation du 10 avril 2015.
Monsieur [B] occupe la maison depuis cette date.
Les opérations de liquidation et partage de l'indivision ont donné lieu à une assignation devant le juge aux affaires familiales du 17 avril 2020.
Après avoir sollicité du juge de la mise en état dans le cadre de cette procédure une provision de 66000 euros sur sa part d'indemnité due par Monsieur [B] à l'indivision au titre de son occupation de la maison qui s'est déclaré incompétent pour connaître d'une telle demande, Madame [Z] a, par acte du 14 août 2023, assigné son ex-époux à comparaître devant le président du tribunal judicaire de Draguignan, statuant selon la procédure accélérée au fond pour obtenir sa condamnation à lui régler :
-la somme de 92165.84 euros au titre de sa part annuelle dans les bénéfices de l'indivision constitués de l'indemnité d'occupation due par son ex-époux,
-4000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées via le RPVA le 6 décembre 2023 auxquelles elle se réfère à l'audience et il est expressément renvoyé pour un complet exposé, Madame [Z] sollicite de rejeter la prescription et réitère pour le surplus ses demandes initiales.
Monsieur [B] pour sa part, aux termes de ses conclusions notifiées via le RPVA le 23 janvier 2024 développées à l'audience, demande :
-de déclarer la créance d'indemnité d'occupation prescrite pour la période antérieure au 10 novembre 2018,
-de rejeter la demande en l'absence de fixation et de liquidation de l'indemnité d'occupation et de bénéfices distribuables en l'absence de comptes annuels de gestion,
-très subsidiairement, de dire que le bénéfice est limité à 60494.45 euros soit 30247.22 euros pour chaque ex-époux mais de rejeter la demande au regard de l'absence d'exigibilité de l'indemnité d'occupation, des dettes personnelles de Madame [Z] à son égard,
-de condamner Madame [Z] à lui payer la somme de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS
Le président du tribunal judiciaire tient, concernant l'exercice des droits et obligations des indivisaires sur les biens indivis, des articles 815-9 et 815-11 du code civil des pouvoirs et compétences propres pour prendre des décisions provisoires selon la procédure accélérée au fond.
L'article 815-9 du code civil prévoit: "chaque indivisaire peut user et jouir des biens indivis conformément à leur destination, dans la mesure compatible avec le droit des autres indivisaires et avec l'effet des actes régulièrement passés au cours de l'indivision. A défaut d'accord entre les intéressés, l'exercice de ce droit est réglé, à titre provisoire, par le président du tribunal.
L'indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d'une indemnité ".
L'article 815-11 prévoit : " tout indivisaire peut demander sa part annuelle dans les bénéfices, déduction faite des dépenses entraînées par les actes auxquels il a consenti ou qui lui sont opposables.
A défaut d'autre titre, l'étendue des droits de chacun dans l'indivision résulte de l'acte de notoriété ou de l'intitulé d'inventaire établi par le notaire.
En cas de contestation, le président du tribunal judiciaire peut ordonner une répartition provisionnelle des bénéfices sous réserve d'un compte à établir lors de la liquidation définitive.
A concurrence des fonds disponibles, il peut semblablement ordonner une avance en capital sur les droits de l'indivisaire dans le partage à intervenir ".
Le président du tribunal judiciaire règle donc à titre provisoire les conditions d'usage et de jouissance des biens indivis et le cas échéant , les conditions financières de cette jouissance en fixant l'indemnité d'occupation provisoire en résultant.
Il ne procède pas aux opérations de comptes et de liquidation des droits des intérêts patrimoniaux des ex-époux et indivisaires de sorte que la fixation définitive de la créance de l'indivision envers l'un d'eux au titre de l'occupation ne ressort pas de ces pouvoirs.
Par ailleurs, l'indemnité d'occupation d'un bien indivis étant un fruit accroissant à l'indivision au sens de l'article 815-10 du code civil , elle est susceptible de donner lieu à des bénéfices auquel a droit chaque indivisaire ainsi que le prévoit son alinéa 4, et dont il peut demander sa part annuelle.
Le président du tribunal judiciaire peut ordonner une répartition provisionnelle de ces bénéfices au profit des indivisaires en cas de contestation.
Il le fait également " sous réserve d'un compte à établir lors de la liquidation définitive ", ce qui confirme qu'il n'a pas à y procéder.
Cette répartition provisionnelle ne suppose pas , contrairement au règlement d'une avance prévue par le dernier alinéa de l'article 815-11, l'existence de fonds disponibles, notamment lorsque les revenus de l'indivision sont principalement constitués de l'indemnité d'occupation due par l'un des indivisaires qui n'est pas réglée en tant que telle.
1-sur la prescription de l'indemnité d'occupation du bien indivis
L'article 815-10 du code civil prévoit : " sont de plein droit indivis, par l'effet d'une subrogation réelle, les créances et indemnités qui remplacent des biens indivis, ainsi que les biens acquis, avec le consentement de l'ensemble des indivisaires, en emploi ou remploi des biens indivis.
Les fruits et les revenus des biens indivis accroissent à l'indivision, à défaut de partage provisionnel ou de tout autre accord établissant la jouissance divise.
Aucune recherche relative aux fruits et revenus ne sera, toutefois, recevable plus de cinq ans après la date à laquelle ils ont été perçus ou auraient pu l'être.
Chaque indivisaire a droit aux bénéfices provenant des biens indivis et supporte les pertes proportionnellement à ses droits dans l'indivision ".
Il sera rappelé qu'en l'espèce, l'indivision n'est pas née du divorce, d'autant que les époux étaient mariés sous un régime séparatiste, mais existe depuis le 1er juillet 2004, date de la cession de la moitié indivise de la maison par Madame [Z] à Monsieur [B].
Les parties ont convenu à l'occasion de l'ordonnance de non conciliation du 10 avril 2015 que Monsieur [B] occuperait le bien indivis à titre onéreux, l'ordonnance renvoyant cependant la fixation de l'indemnité à " la liquidation-partage du régime matrimonial ".
Cette date est le point de départ de la prescription quinquennale.
Par assignation du 17 avril 2020, Madame [Z] a demandé au fond notamment la fixation de l'indemnité d'occupation à la somme de 2200 euros par mois.
Cette assignation réputée délivrée avant le 10 avril 2020, en application des dispositions des articles 1er -I et 2 de l'Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, a interrompu le délai de prescription et l'instance est toujours en cours (réouverture des débats et renvoi devant le juge de la mise en état au 24 novembre 2022).
Il résulte de l'article 2241 du code civil que " la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.
Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure " et de l'article 2242 du même code que " l'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance ".
Les indemnités d'occupation dues depuis le 10 avril 2015 ne sont donc pas prescrites.
2-sur la demande
La maison indivise occupée par Monsieur [B] se situe à [Localité 13], dispose d'une surface habitable de 138 m2 sur un terrain arboré de 1182 m2 avec piscine, terrasse et garage et comprend 3 chambres dont une suite parentale avec dressing et salle de bains à l'étage de 20 m2 avec vue dégagée sur le golf 18 trous , et un salon-séjour-salle à manger de 51 m2.
Le jugement rendu le 14 juin 2023 avait retenu dans le cadre de sa fixation provisoire pour les besoins de l'action dont le président du tribunal judiciaire était saisi les éléments ci-après qui seront repris.
L'agence [10] en a évalué la valeur locative mensuelle à 2000 à 2200 euros en janvier 2020 et 2500 à 2700 euros en novembre 2022 (pièces communiquées dans le cadre de la procédure pendante devant le juge aux affaires familiales le 14 mai 2020 puis le 10/11/2022) et l'agence [9] à 1800 à 2200 euros (sans date, pièce communiquée le 26 mai 2020).
Monsieur [B] produit sur ce point :
-un avis de valeur locative de [12] du 16 décembre 2015 pour 1300 euros par mois
-de l'agence [11] du 16 décembre 2015 pour 1500/1600 euros par mois
-de l'agence [10] du 7 janvier 2016 pour 1600/1700 euros ( même agence que celle consultée par Madame [Z] en janvier 2020 et novembre 2022)
-d'[7] du 14 février 2018 pour 1300 euros par mois
-de l'agence [6] pour 1300/1400 euros
-d'[8] du 6 mars 2020 pour 1400 euros
-de l'agence [5] du 6 mars 2020 pour 1300 euros
-de l'agence [15] pour 1300/1500 euros par mois.
L' évaluation de l'agence [10] qui y a procédé à 3 reprises à la demande tant de Monsieur [B] que de Madame [Z] sera prise pour base soit 1650 euros, montant auquel sera fixée provisoirement l'indemnité d'occupation à la date de l'ordonnance de non conciliation.
Pour tenir compte de l'évolution de la valeur locative, cette indemnité sera également dans le cadre de sa fixation provisoire, indexée sur l'indice de référence des loyers, comme l'aurait été un loyer (base 1er trimestre 2015 :125.19) soit
- 1654.88 à compter du 1er avril 2016 ( indice 125.26 /1er trim 2016)
- 1659.35 à compter du 1er avril 2017 (125.90/ 1er trim 2017)
- 1676.75 à compter du 1er avril 2018 (127.22/ 1er trim 2018)
- 1705.22 à compter du 1er avril 2019 (129.38/ 1er trim 2019)
-1720.90 à compter du 1er avril 2020 (130.57/ 1er trim 2020)
-1722.49 à compter du 1er avril 2021 (130.69 / 1er trim 2021)
-1765.19 euros à compter du 1er avril 2022 (133.93/ 1er trim 2022)
- 1826.87 euros à compter du 1er avril 2023(138.61/1er trim 2023).
Elle représente au total pour la période du 10 avril 2016 au 30 janvier 2024, la somme de :
-10 avril 2015 au 31 mars 2016 :1650x11+1650*20/30 =18150+11=19250 euros
-du 1er avril 2016 au 31 mars 2017 :1654.88x12=19858.56 euros
-du 1er avril 2017 au 31 mars 2018 :1659.35x12=19912.20 euros
-du 1er avril 2018 au 31 mars 2019 :1676.75x12=20121 euros
-du 1er avril 2019 au 31 mars 2020 :1705.22x12=20462.64 euros
-du 1er avril 2020 au 31 mars 2021 :1720.90x12=20650.80 euros
-du 1er avril 2021 au 31 mars 2022 :1722.49x12=20669.88 euros
-du 1er avril 2022 au 31 mars 2023 :1765.19x12=21182.28 euros
-du 1er avril 2023 au 30 janvier 2024 :1826.87x10=18268.70 euros
180376.06 euros.
L'article 815-11 du code civil permet seulement à Madame [Z] de solliciter sa part annuelle dans les bénéfices, déduction faite des dépenses entraînées par les actes auxquels il a consenti ou qui lui sont opposables.
Il en résulte que les dépenses afférentes au bien indivis pour la même période, distinctes de celles que doit supporter l'occupant liée à son occupation, doivent être déduites des revenus pour déterminer le bénéfice partageable.
Il en est ainsi des taxes foncières payées de 2015 à 2023 (pièces 36 , 54-4 et 57) soit 19591 euros, des charges d'ASL pour la même période (pièces 37-4 à 37-9,54-6 et 58) soit 1271.88 euros, des frais d'entretien et de conservation du bien de 2015 à 2023 (pièces 45 à 51,59 et 60) soit 5982.65 euros.
Il en est également du règlement des échéances des prêts ayant servi au financement de la construction de la piscine (CASDEN n°9111194) pour 489.43 euros par mois de mai 2015 à mars 2018 soit 17130.05 euros (pièce 3 -tableau d'amortissement) ou de travaux d'aménagement (SOLENDI) pour 74.08 euros par mois pendant 24 mois à compter du 10 avril 2015 soit 1777.92 euros (pièce 5 tableau d'amortissement).
Les dépenses justifiées pour l'entretien, la conservation et la réparation du bien indivis représentent donc la somme de 19591+1271.88+5982.65+17130.05+1777.92 = 45753.50 euros.
Le bénéfice de la période est donc de 134 622.56 euros.
Les comptes à faire entre les ex-époux au titre de la liquidation du régime de séparation de biens et notamment de créances de Monsieur [B] à l'égard de Madame [Z] au titre de dettes personnelles réglées par ses soins sont étrangers à la présente instance.
Au titre de la répartition provisionnelle des bénéfices pour la période du 10 avril 2015 au 31 janvier 2024, il sera en conséquence fait droit à la demande de Madame [Z] à hauteur de 65000 euros.
Monsieur [B] qui succombe supportera les dépens, outre le paiement de la somme de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, qui correspond au montant que chaque partie avait identiquement considéré justifié au titre des frais irrépétibles engagés dans l'instance.
Il n'y a pas lieu d'écarter l'exécution provisoire de droit.
PAR CES MOTIFS
Nathalie FEVRE, présidente statuant selon la procédure accélérée au fond, par jugement contradictoire et en premier ressort,
CONDAMNE Monsieur [V] [B] à payer à Madame [X] [Z] la somme de 65000 euros au titre de la répartition provisionnelle des bénéfices produits par le bien indivis pour la période du 10 avril 2015 au 31 janvier 2024,
CONDAMNE Monsieur [V] [B] aux dépens,
CONDAMNE Monsieur [V] [B] à payer à madame [X] [Z] la somme de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
DISONS n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire de droit.
Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition au greffe, les jours, mois et an susdits.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE