TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE DRAGUIGNAN
_______________________
Chambre 3 - CONSTRUCTION
************************
DU 12 Juillet 2024
Dossier N° RG 22/05535 - N° Portalis DB3D-W-B7G-JR3Y
Minute n° : 2024/204
AFFAIRE :
[K] [E], [Y] [D] épouse [E] C/ [W] [O]
JUGEMENT DU 12 Juillet 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
PRÉSIDENT : Madame Nadine BARRET, Vice-Présidente, statuant à juge unique
GREFFIER lors des débats : Madame Peggy DONET, Greffière
GREFFIER lors de la mise à disposition : Madame Evelyse DENOYELLE, faisant fonction
DÉBATS :
A l’audience publique du 18 janvier 2024
A l’issue des débats, les parties ont été avisées que le jugement serait prononcé par mise à disposition au greffe le 18 avril 2024 prorogé au 12 juin 2024 puis au 12 juillet 2024.
JUGEMENT :
Rendu après débats publics par mise à disposition au greffe, par décision contradictoire et en premier ressort.
Copie exécutoire à :
Me Alain-David POTHET
Me Laurent LE GLAUNEC
Délivrées le 12 Juillet 2024
Copie dossier
NOM DES PARTIES :
DEMANDEURS :
Monsieur [K] [E]
Madame [Y] [D] épouse [E]
Demeurant ensemble sis [Adresse 3]
Tous deux représentés par Maître Alain-David POTHET de la SELAS CABINET POTHET, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
D’UNE PART ;
DÉFENDEUR :
Monsieur [W] [O], demeurant [Adresse 3]
Représenté par Maître Laurent LE GLAUNEC de la SCP MOEYAERT-LE GLAUNEC, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
D’AUTRE PART ;
******************
EXPOSE DU LITIGE
Suivant exploit d’huissier délivré le 17 août 2022, les époux [E] faisaient assigner M. [O] sur le fondement des articles 637 et suivants du code civil.
Propriétaires en vertu d’un acte notarié du 7 août 2017 d’un bien en indivision et faisant l’objet d’une action en licitation-partage entre les indivisaires, les consorts [I] et [O] demandaient la condamnation de M. [O] à déplacer l’ensemble des canalisations alimentant sa propriété et notamment celle passant dans le vide sanitaire de leur maison.
Ils exposaient que la maison qu'ils avaient acquise, était sise sur la parcelle cadastrée AD [Cadastre 2] à [Localité 5], laquelle avait été détachée d'un immeuble de plus grande importance cadastré section AD [Cadastre 1], le surplus après division restant la propriété du vendeur, selon document d'arpentage dressé le 19 juillet 2017 et déposé à la publicité foncière.
Une servitude de passage et de stationnement avait été constituée au profit du fonds dominant appartenant à Monsieur [O] sur le fonds servant appartenant aux époux [E].
Un plan de division foncière était annexé à l'acte de vente. Établi le 29 mai 2017 il révélait que les consorts [I] et [O] s'étaient organisés pour créer des servitudes de passage et de tréfonds et permettre une alimentation indépendante des immeubles.
Une servitude de tréfonds réservée aux eaux usées avait été créée sur une largeur de 2 m pour une superficie de 60 m² au profit du fonds [O].
Il avait été créé en outre au profit dudit fonds, une servitude de tréfonds délimitée F2 sur le plan, laquelle ne faisait pas l'objet de la présente assignation, ainsi qu'une servitude de passage et de tréfonds intitulée S 3 d'une superficie de 285 m² et une servitude de tréfonds S 4 d'une superficie de 145 m². Un plan d'état des lieux avait été établi par le même géomètre que celui qui avait établi le plan annexé au titre de propriété.
Alors qu'il n'était pas prévu qu'une servitude de tréfonds passe sous la partie bâtie de la propriété des époux [E], les gaines des réseaux alimentant la maison voisine étaient visibles dans le vide sanitaire de leur maison, selon constat en date du 26 novembre 2019.
Un constat en date du 15 mars 2021 permettait d'établir le passage dans le vide sanitaire d'un tuyau noir servant à l'eau et de 2 gaines rouges et d'une gaine verte vers la villa de M. [O].
Les demandeurs rappelaient que plusieurs contentieux les opposaient au défendeur, relatifs à une servitude de passage, un portail, à des caméras posées par le défendeur.
M. [I] avait attesté n'avoir jamais autorisé le non-respect de la servitude de tréfonds antérieurement à la vente, n'ayant donné aucun accord pour le passage de canalisations sous son ancienne maison.
Les demandeurs avaient informé par courrier RAR en date du 19 novembre 2019, M. [O] de leur désaccord sur le mode constructif de la tranchée qui n'était pas assez profonde et sur le choix d'une entreprise de jardinage pour ses travaux de terrassement. Ils s'étaient plaints des désordres occasionnés sur leur fonds et avaient réclamé l'attestation d'assurance de responsabilité décennale de l'entreprise.
Dans le cadre de l'action en référé menée par le défendeur sur le non-respect de la servitude de passage par les demandeurs, ceux-ci avaient reconventionnellement demandé le respect de la servitude de tréfonds. Par ordonnance en date du 4 novembre 2020 le juge des référés, observant que les pièces relatives au permis de construire n’étaient pas produites, avait estimé qu'en l'absence de trouble manifestement illicite et en présence d'une contestation sérieuse sur l'obligation de M. [O] à déplacer les réseaux, il n'y avait pas lieu à référé sur ce point.
Les plans du permis de construire étaient donc versés aux débats et démontraient notamment par le plan des réseaux PR 5 que ceux-ci ne passaient pas sous la propriété des demandeurs et étaient organisés selon les servitudes de tréfonds visées aux plans de division parcellaire annexés à la vente à leur profit.
Les demandeurs observaient que le défendeur contrairement aux affirmations de l'ordonnance de référé n'avait jamais eu l'intention de déplacer les canalisations passant sous leur fonds.
Ils sollicitaient sa condamnation à déplacer conformément aux servitudes de tréfonds dont il disposait l'ensemble des canalisations alimentant sa propriété et particulièrement celles se trouvant dans le vide sanitaire de leur maison, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement.
Ils réclamaient sa condamnation à leur verser 5.000 euros de dommages et intérêts, outre 5000 euros de frais irrépétibles, et à régler les dépens avec distraction au profit de leur conseil. Il soutenait n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 9 juin 2023, M. [O] concluait au débouté, faute pour les demandeurs de démontrer que le passage des réseaux serait non conforme aux engagements contractuels.
Il rappelait les termes de la clause créant la servitude de passage au profit de son fonds dans l'acte notarié du 7 août 2017, clause que les époux [E] ne respectaient pas, et ce, en dépit de deux ordonnances de référé en dates du 4 novembre 2020 et du 2 février 2022, et d'une liquidation d'astreinte.
M. [I] et [O] avaient acquis une parcelle de terre incluse dans le périmètre de l'ASL [Adresse 4] pour y construire deux maisons jumelées, l'une ayant été conservée par le concluant, et l'autre, cédée aux époux [E]. Les vendeurs étaient les constructeurs d'ouvrage. Les deux maisons avaient été construites selon un seul et même permis de construire en date du 26 février 2008 avec des alimentations et des tranchées communes. Le plan de division parcellaire ratifié par les maîtres d'ouvrage permettait d'identifier la zone de passage des servitudes liant les indivisaires mais n'indiquait pas qu'il ne devait y avoir aucune alimentation ni gaine passant dans le vide sanitaire du fonds [E]. Le plan de masse annexé au permis de construire était imprécis sur ce point.
Soutenant que la présente procédure était abusive, le défendeur demandait la condamnation des époux [E] à lui verser la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts, outre 3.000 euros au titre des frais irrépétibles et à régler les dépens.
Pour un plus ample exposé des faits moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures susvisées, en application de l’article 455 du code de procédure civile.
La clôture de la procédure était fixée par ordonnance du 13 novembre 2023, et l’affaire était renvoyée pour être plaidée à l’audience du 18 janvier 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande de déplacement de la canalisation
En application des articles 637 à 639 du code civil les servitudes, charges imposées sur un héritage pour l'usage et l'utilité d'un héritage appartenant à un autre propriétaire, dérivent de la situation naturelle des lieux, ou des obligations imposées par la loi, ou des conventions entre les propriétaires.
Constitutives de droits réels sur le fonds servant au profit du fonds dominant, elles s'imposent aux propriétaires successifs du fonds servant.
En l'espèce, l'acte de vente des consorts [I] et [O] aux époux [E] rappelait en pages 6 et suivantes les servitudes grevant le fonds au profit de tiers et le cas échéant de la commune pour l'extension du réseau communal d'assainissement collectif, ainsi que le protocole d’accord valant transaction conclu entre la SARL des propriétaires du lotissement [Adresse 4] et des tiers.
En page 16 était créée la servitude de passage et de stationnement au profit du bien restant la propriété de M. [O] et à la charge du bien vendu. La clause se référait aux zones hachurées en vert et en bleu du plan annexé aux présentes.
L'acte ne faisait pas mention des servitudes de passage des canalisations et réseaux. Ainsi que le rappelle l’ordonnance de référé en date du 4 novembre 2020, il n’était en effet pas possible de créer des servitudes entre deux parties d’un fonds appartenant à deux propriétaires indivis.
L’acte de cession à titre de licitation faisant cesser l’indivision en date du 17 août 2017 rappelait les mêmes servitudes.
L’acte indiquait que M. [I] et [O], indivisaires, avaient fait édifier deux logements de 5 pièces chacun tel que cela résultait du permis de construire délivré le 26 février 2008 sous le numéro PC 83 115 07X02 39 suivi d'une déclaration attestant l'achèvement et la conformité des travaux en date du 10 juillet 2011.
Au jour de l'acte les indivisaires avaient décidé de diviser la propriété qui leur appartenait en deux habitations distinctes avec un chemin d'acode civilès commun sous forme de servitude ainsi qu'il résultait du plan de division demeuré annexé aux présentes après mention.
La villa 1 était vendue aux époux [E]. La villa 2 était cédée par M. [I] à M. [O].
Il n'était pas mentionné de création de servitudes de tréfonds et de canalisations entre les deux villas appartenant désormais à deux propriétaires différents.
Le plan de division foncière annexé, dressé à la demande des indivisaires, mentionnait néanmoins un « projet de servitudes » et notamment « servitude de tréfonds » "réseaux eaux usées". Il comporte l’encadré suivant : « Nota : aucune autre servitude n’a été portée à la connaissance du géomètre expert, auteur du présent document. Liste non exhaustive. Les servitudes nouvelles devront faire l’objet d’une publication par le notaire devant recevoir l’acte ».
Le plan montrait qu’effectivement la commune intention des vendeurs était bien de délimiter les implantations des servitudes, afin que le fonds dominant bénéficie de servitudes de tréfonds pour les eaux usées et tous réseaux, dont aucune ne passait sous la maison vendue aux époux [E].
Ces servitudes rendues indispensables par la situation des lieux, le fonds [O] étant sans accès à la voie publique, et devant être raccordé aux dessertes, ne nécessitaient pas de passer sous l’habitation [E].
M. [I] attestait ne pas avoir donné d’accord pour le passage de canalisations sous son ancienne maison. Il certifiait ne pas agir aux côtés de M. [O] à l’encontre des époux [E].
Ceux-ci ne contestent pas l’existence de servitudes au profit du fonds de leur voisin, mais sollicitent que les réseaux ne passent pas sous leur habitation et respectent les limites définies par le plan de division foncière.
L’article 697 du code civil dispose que celui auquel est due une servitude a droit de faire tous les ouvrages nécessaires pour en user et pour la conserver.
L’article 698 du code civil met à la charge du propriétaire du fonds dominant les frais exposés pour ces ouvrages, à moins que le titre d’établissement de la servitude ne dise le contraire.
Les articles 700 et suivants du code civil posent la règle de la non-aggravation de la situation du fonds servant.
En l’espèce, l’utilité du passage des canalisations desservant le fonds dominant sous la maison du fonds servant n’est pas démontrée ni même alléguée par M. [O]. Or l’article 697 du code civil évoque les ouvrages nécessaires, et non la convenance du propriétaire du fonds dominant.
Le passage de canalisations dans le vide sanitaire de la maison [E] constitue indéniablement une gêne supplémentaire pour le fonds servant. En cas de sinistre, ou de simple entretien, les occupants du fonds servant sont contraints de laisser passer les hommes de l’art dans le vide sanitaire, voire dans leur propre habitation.
Il sera donc fait droit à la demande de déplacement des canalisations passant sous la maison des époux [E], dans le délai de trois mois suivant la signification du présent jugement, par une entreprise spécialisée, et justifiant d’une assurance de responsabilité décennale. A l’issue de ce délai, une astreinte de 500 euros par jour s’appliquera.
Concernant les autres canalisations passant dans le tréfonds du fonds servant, il n’est pas démontré qu’elles passent hors des limites prévues à cette effet par le plan de division foncière.
Les époux [E] seront donc déboutés du surplus de leur demande.
Sur la demande de dommages-et-intérêts
Les époux [E] évoquent plusieurs contentieux les opposant à leur voisin, tous liés à l’exercice des servitudes et à l’extrême proximité de leurs fonds. Ils évoquent le préjudice particulier résultant de la gêne occasionnée par la présence des canalisations sous leur maison.
Celui-ci sera condamné à leur verser la somme de 2.000 euros de dommages et intérêts.
Sur les dépens
M. [O] partie perdante, est condamné aux dépens.
Sur les frais irrépétibles
M. [O] est condamné à verser aux demandeurs la somme de 2.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Sur l’exécution provisoire
Il n’y a pas lieu d’écarter l’exécution provisoire.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,
Vu les articles 682 et suivants du code civil,
CONDAMNE M. [W] [O] à faire déplacer à ses frais les canalisations passant sous la maison des époux [E], selon les normes en vigueur et les règles de l’art, par une entreprise spécialisée et justifiant d’une assurance de responsabilité décennale, selon le tracé des servitudes figurant au plan de division foncière dressé pour le compte de M. [W] [O] et de M. [M] [I] par la SARL LAUGIER GEOMER, géomètre-expert, délivré le 19 juillet 2017, dans le délai de trois mois suivant la signification du présent jugement ;
DIT qu’au terme de ce délai s’appliquera une astreinte de 500 euros par jour de retard, pendant un délai de trois mois, à l’issue duquel l’astreinte pourra être liquidée et une nouvelle astreinte pourra être prononcée ;
CONDAMNE M. [W] [O] à verser à M. [K] [E] et Mme [F] [D] épouse [E] la somme de 2.000 euros de dommages et intérêts ;
CONDAMNE M. [W] [O] aux dépens de l’instance ;
CONDAMNE M. [W] [O] à verser à M. [K] [E] et Mme [F] [D] épouse [E] la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile;
DIT n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire ;
DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes.
La Greffière, La Présidente,