TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE DRAGUIGNAN
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Chambre 3 - CONSTRUCTION
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DU 12 Juillet 2024
Dossier N° RG 21/05654 - N° Portalis DB3D-W-B7F-JFD7
Minute n° : 2024/209
AFFAIRE :
La Commune de [Localité 2], prise en la personne de son Maire en exercice C/ S.A.S.U. GARAGE DES 3R, représentée par son Président en exercice, Monsieur [X] [T]
JUGEMENT DU 12 Juillet 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
PRÉSIDENT : Madame Nadine BARRET, Vice-Présidente, statuant à juge unique
GREFFIER lors des débats : Madame Peggy DONET
GREFFIER lors de la mise à disposition : Madame Evelyse DENOYELLE, faisant fonction
DÉBATS :
A l’audience publique du 09 Février 2024
A l’issue des débats, les parties ont été avisées que le jugement serait prononcé par mise à disposition au greffe le 10 Mai 2024, prorogé au 12 Juillet 2024
JUGEMENT :
Rendu après débats publics par mise à disposition au greffe, par décision contradictoire et en premier ressort
copie exécutoire à :
Me Philippe CAMPOLO de la SELAS ATEOS
Me Gérald GUILLOT
Délivrées le 12 Juillet 2024
Copie dossier
NOM DES PARTIES :
DEMANDERESSE :
La Commune de [Localité 2], prise en la personne de son Maire en exercice, dont le siège social est sis [Adresse 3]
représentée par Maître Philippe CAMPOLO de la SELAS ATEOS, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
D’UNE PART ;
DÉFENDERESSE :
S.A.S.U. GARAGE DES 3R, représentée par son Président en exercice, Monsieur [X] [T], dont le siège social est sis [Adresse 4]
représentée par Maître Gérald GUILLOT, avocat au barreau de GRASSE
D’AUTRE PART ;
PARTIES INTERVENANTES :
Madame [B] [O] épouse [T]
Monsieur [L] [T]
demeurant ensemble : [Adresse 4]
représentés par Maître Gérald GUILLOT, avocat au barreau de GRASSE
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FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Par exploit délivré le 18 août 2021, la commune de [Localité 2] faisait assigner la SASU Garage des 3R au visa des articles L 411-1, L 421-1 du code des procédures civiles d’exécution.
La commune exposait avoir acquis de la SAFER le 23 juillet 2020 une parcelle cadastrée K [Cadastre 1] supportant deux bâtiments accolés. L’acte de vente précisait que le bien était libre de toute occupation ou location.
L’un des deux bâtiments s’avérait occupé par la SASU Garage des 3R qui y entreposait des biens, sans bail, et ce, selon courrier de son conseil, depuis plusieurs années.
La commune sollicitait la libération de la parcelle occupée sans droit ni titre, sous astreinte de 500 € par jour de retard jusqu’à exécution. Elle demandait la fixation d’une indemnité d’occupation de 750 € par mois, outre la somme de 2.500 € en application de l’article 700 du Code de procédure civile et la condamnation de la défenderesse aux dépens.
Le 9 septembre 2021 les époux [T], représentants légaux de la SASU constituaient avocat afin d’intervenir volontairement à la procédure.
Dans le dernier état de ses écritures, notifiées par voie électronique le 7 septembre 2023, la commune de [Localité 2] renonçait à sa demande d’expulsion sous astreinte de la SASU, celle-ci et les consorts [T] ayant libéré les lieux le 26 juillet 2021.
La commune maintenait sa demande d’indemnité d’occupation jusqu’à cette date. Elle observait en effet que les occupants dans leur courrier du 26 juillet 2021 de remise des clés, persistaient à faire valoir leur qualité d’occupants du local. Elle demandait le rejet de l’ensemble de leurs prétentions.
La commune portait à 4.500 € sa demande de frais irrépétibles.
Par conclusions signifiées par voie électronique le 31 mars 2023, la SASU Garage des 3 R, Monsieur [X] [T], mécanicien, défendeurs, Monsieur [L] [T] et Madame [B] [T] née [O], retraités, intervenants volontaires, exposaient qu’ils louaient depuis le 1er janvier 1964 la parcelle cadastrée K [Cadastre 1] alors dénommée la remise [W] de la fontaine ou encore le garage [W]. À cette date le bailleur était Monsieur [C] [W], sans aucun bail écrit. À son décès le bail avait continué avec son fils, puis avec l’épouse de ce dernier, puis avec la fille de cette dernière, Madame [I] [W], qui en percevait les loyers. Cette occupation était connue de Monsieur [P], ancien propriétaire du bien, comme de la municipalité du village de [Localité 2] qui compte 378 habitants et dont la mairie est située à 100 m du garage.
Par acte sous seing privé en date du 12 novembre 2018 les consorts [W] et [P] s’étaient engagés à vendre le bien à la commune.
Monsieur [X] [T] exerçait à la connaissance de tous la profession de mécanicien sur les lieux depuis le 1er janvier 2016, la SASU garage des 3R étant régulièrement immatriculée. La location de la remise [W] était matérialisée par une occupation continue de véhicules et de pièces automobiles.
Les concluants avaient recherché une solution amiable auprès de la mairie avant l’acquisition de la parcelle.
Par lettre en date du 9 octobre 2020 le conseil des concluants soutenait auprès du maire que l’acte authentique avait été passé en fraude de leurs droits et leur était inopposable. Le locataire entendait donc se porter acquéreur aux conditions d’achat réalisé par la mairie. Ce courrier restait sans suite. La tentative de règlement de loyer par la SASU était rejetée par la mairie.
À titre préliminaire les concluants rappelaient que la qualité de locataire des époux [T] n’était pas contestée par la commune et qu’elle justifiait leur intervention à la procédure.
En premier lieu les concluants soutenaient que la contrepartie de la location du bien constitué d’une vieille grange centenaire était la remise en état et l’entretien du bien ainsi que le paiement d’un forfait de 100 € annuels réglés par chèque ou virement depuis 60 ans.
En 2e lieu, il ne faisait pas de doute que la qualité de locataire était connue de l’acquéreur qui avait acheté le bien 13 jours après avoir réceptionné la lettre des consorts [T].
L’occupation du bien était cachée à l’acte authentique tant par la commune que par les consorts [W], ce manquement à l’obligation d’information étant susceptible d’entraîner l’annulation du contrat en application des articles 1112 – 1. Et 1130 et suivants du Code civil.
En 3e lieu les consorts [T] avaient bénéficié d’un bail régi par le droit commun défini par les articles 1713 à 1778 du Code civil sans difficulté entre le 1er janvier 1964 et le 1er janvier 2016. À partir du 1er janvier 2016 le local avait été voué à l’exploitation professionnelle exclusive par Monsieur [X] [T] en qualité de gérant de la SASU. Le bail avait alors été muté en bail commercial, le local étant affecté à l’exploitation du fonds de commerce, ou en bail professionnel, la location ayant été consentie pour un usage exclusivement professionnel, et n’avait jamais été remis en cause par les propriétaires successifs.
Ainsi les époux [T] avaient transmis le local à leur fils sans objection du bailleur qui en avait connaissance dès le 1er janvier 2016. Les concluants n’étaient donc pas sans droit ni titre.
Aucun des bailleurs successifs ne leur avait délivré de congé. Qu’il s’agisse d’un bail professionnel, d’une durée de 6 ans, ou d’un bail commercial, également d’une durée de 6 ans s’agissant d’un bail verbal ou sans mention de durée, la durée du bail reconduit devait être de 6 ans, soit une fin de bail au 31 décembre 2028.
La SASU sollicitait donc sa réintégration immédiate sous astreinte de 500 € par jour de retard au terme d’un délai de 7 jours suivant la signification du jugement outre l’indemnisation du préjudice de jouissance à hauteur de 750 € par mois et 25 € par jour. La commune devrait donc être condamnée au titre de la période du 1er août 2021 au 1er janvier 2023 à verser à la SASU et aux consorts [T] la somme de 12.975 € chacun à parfaire.
Chacun des défendeurs réclamait la somme de 10.000 € au titre de l’action abusive.
Les défendeurs soutenaient que le loyer à venir à compter du 23 juillet 2020 ne pouvait être supérieur à 100 € par an montant convenu avec les anciens propriétaires.
Ils demandaient la condamnation de la commune à leur verser la somme de 6.000 € au titre des frais irrépétibles et à régler les dépens.
Pour un plus ample exposé des faits moyens et prétentions des parties il est renvoyé aux écritures susvisées conformément à l’article 455 du Code de procédure civile.
La procédure était clôturée par ordonnance en date du 11 décembre 2023 et l’affaire était renvoyée pour être plaidée à l’audience du 9 février 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l’occupation du bien litigieux
Selon le courrier de la SAFER en date du 12 mars 2021, les consorts [W]- [P] devaient vendre à la commune une propriété d’une superficie totale de 13 ha 22 art 50 centiares incluant la parcelle litigieuse K [Cadastre 1]. Le bien était mentionné comme libre de toute occupation.
La SAFER avait exercé son droit de préemption le 14 novembre 2019 sur une partie seulement de la propriété vendue dont la parcelle K [Cadastre 1] était exclue. La SAFER avait été mise en demeure par les vendeurs d’acquérir l’intégralité du bien, exigence acceptée le 19 décembre 2019.
La SAFER avait acquis la totalité du bien par acte notarié du 23 juillet 2020 sans avoir pu visiter les locaux, toutefois l’acte stipulait expressément que les vendeurs déclaraient l’immeuble libre de toute occupation.
La commune ayant fait jouer son droit de priorité la SAFER avait le même jour signé l’acte de rétrocession de la parcelle K [Cadastre 1] au profit de la commune.
L’acte de vente de la SAFER à la commune décrivait le bien comme deux bâtiments accolés l’un contre l’autre avec patec devant les bâtiments et terres derrière la parcelle et étant d’une contenance de 8 a 50 centiares. Le prix était de 125.500 €.
Les clichés des locaux produits par la commune correspondaient à la description des défendeurs : il s’agissait de granges.
S’il n’est pas contestable au vu des nombreuses attestations émanant de personnes vivant à [Localité 2] ou s’ y rendant régulièrement que ces bâtiments aient été mis à disposition de la famille [T] depuis les années 60 par les propriétaires, pour y garer le surplus de véhicules des clients de l’Hôtel [T], puis pour y abriter des voitures, notamment de collection, aucun témoin n’indique que le local serait le lieu d’exploitation du garage, qui se situe à une autre adresse à [Localité 2], ni même une annexe de l’exploitation.
Or, un bail commercial porte avant tout sur un local qui est le lieu d’exploitation d’un fonds de commerce, ce qui emporte notamment pour son bénéficiaire le droit au renouvellement et le droit de céder le bail avec le fonds de commerce. Tant l’état des locaux, que leur usage par les consorts [T], ne présentent pas les caractères de commercialité requis par les article L 145-1 et s. du code de commerce.
Le bail commercial doit comporter un prix. Son existence implique le paiement d'un loyer. La modicité du loyer ne fait pas perdre au bail son caractère propre, alors surtout que le locataire prend la charge de toutes les réparations ( Cass. 3e civ., 15 mai 1973 : Bull. civ. III, n° 336 ).
Les défendeurs produisent un témoignage selon lequel la toiture avait été refaite en 2014 à la demande de M. [L] [T]. Ils produisent également des relevés bancaires et plusieurs photocopies de chèques et preuves de virement établissant qu’ils se sont effectivement acquittés régulièrement du montant de 100 euros annuels.
L’extrême modicité de ce montant ne permet pas davantage de caractériser un bail commercial.
Par le passé les consorts [W] ont pu, vraisemblablement en raison de liens personnels avec la famille [T], convenir de la mise à disposition du local à charge pour les bénéficiaires d’en entretenir le clos et le couvert, et de leur verser un montant fortement minoré ne pouvant correspondre à un loyer mais manifestant en tous cas que les consorts [T] n’étaient pas occupants sans droit ni titre.
Il apparaît que la convention par laquelle les consorts [W] ont mis à disposition le local correspond davantage à un prêt à usage ou commodat qui est un contrat par lequel l'une des parties livre une chose à l'autre pour s'en servir, à la charge pour le preneur de la rendre après s'en être servi (art. 1875 et s. C.C). Ce prêt est essentiellement gratuit selon l'article 1876 et repose sur l’intuitu personae.
La convention de mise à disposition d'un local n'est pas un bail, le prêteur conservant sur la chose le droit de la reprendre à plus ou moins brève échéance.
Le prêteur doit néanmoins exécuter le contrat de prêt à usage de bonne foi. En l’espèce, il est manifeste que les consorts [W]-[P] devaient à tout le moins informer les consorts [T] de la vente du local et de la nécessité de le libérer.
En toute hypothèse la commune n’est pas comptable du respect par les consorts [W]-[P] de leurs obligations.
A défaut de caractériser l’existence d’un bail de droit commun, et a fortiori d’un bail commercial, qui seraient opposables à la commune, les défendeurs ne peuvent qu’être déboutés de leurs demandes reconventionnelles.
Sur la demande d’indemnité d’occupation de la commune
Les défendeurs ont libéré les lieux avant la délivrance de l’assignation. La commune n’évoque pas de préjudice spécifique qui lui aurait été causé par le maintien dans les lieux de la SASU.
Dans ces conditions, la demande sera rejetée.
Sur les dépens
La partie défenderesse, partie perdante, est condamnée aux dépens de l’instance.
Sur les frais irrépétibles
Compte tenu des circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire application de l’article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,
Vu les articles L 145-1 et s. du code de commerce, 1713 et s. du Code civil,
Reçoit l’intervention volontaire de Monsieur [L] [T] et de Mme [B] [O] épouse [T],
Déboute la SASU Garage les 3R, M. [X] [T], Monsieur [L] [T] et de Mme [B] [O] épouse [T] de l’intégralité de leurs demandes,
Déboute la commune de [Localité 2] de sa demande d’indemnité d’occupation,
Condamne la SASU Garage les 3R, M. [X] [T], Monsieur [L] [T] et de Mme [B] [O] épouse [T] aux dépens de l’instance,
Déboute les parties de leurs demandes au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
Rappelle que l’exécution provisoire est de droit.
Le Greffier, Le Président,