TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE DRAGUIGNAN
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Chambre 3 - CONSTRUCTION
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DU 25 Juin 2024
Dossier N° RG 21/03710 - N° Portalis DB3D-W-B7F-JD37
Minute n° : 2024/184
AFFAIRE :
SCI LES COQUILLES, prise en la personne de sa gérante C/ [U] [F] veuve [T]
JUGEMENT DU 25 Juin 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
PRÉSIDENT : Madame Annabelle SALAUZE, Vice-présidente, statuant à juge unique
GREFFIER lors des débats : Madame Peggy DONET
GREFFIER lors de la mise à disposition : Madame Evelyse DENOYELLE, faisant fonction
DÉBATS :
A l’audience publique du 16 Avril 2024
A l’issue des débats, les parties ont été avisées que le jugement serait prononcé par mise à disposition au greffe le 25 Juin 2024
JUGEMENT :
Rendu après débats publics par mise à disposition au greffe, par décision contradictoire et en premier ressort
copie exécutoire à :
Me Jean-Philippe FOURMEAUX de la SELARL CABINET FOURMEAUX-LAMBERT ASSOCIES
Me Eléonore DARTOIS
Délivrées le 25 Juin 2024
Copie dossier
NOM DES PARTIES :
DEMANDERESSE :
SCI LES COQUILLES, prise en la personne de sa gérante, dont le siège social est sis [Adresse 1]
représentée par Me Eléonore DARTOIS, avocat au barreau de DRAGUIGNAN, avocat postulant et Maître Etienne PETRE de la SELARL PETRE & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
D’UNE PART ;
DÉFENDERESSE :
Madame [U] [F] veuve [T]
[Adresse 7]
représentée par Maître Jean-Philippe FOURMEAUX de la SELARL CABINET FOURMEAUX-LAMBERT ASSOCIES, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
D’AUTRE PART ;
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FAITS, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Selon trois compromis de vente signés en l’étude de Maître [Y] [J], notaire à [Localité 10], entre le 22 octobre 2020 et le 17 novembre 2020, Monsieur [B] [T] et Madame [U] [F] épouse [T] se sont engagés à vendre à la SCI LES COQUILLES trois appartements.
Les parties ont prévu que le paiement se ferait en partie comptant au jour de la signature de l’acte authentique, et pour partie sous la forme d’une rente annuelle viagère payable mensuellement, rente stipulée réversible au profit du conjoint survivant.
Les parties ont ainsi convenu de la vente :
- Selon compromis en date du 22 octobre 2020, du lot n°5 de la résidence sise [Adresse 1], correspondant à un appartement de 71,71 m2, pour le prix de 30.000 euros comptant le jour de la signature de l’acte authentique et une rente annuelle de 7.200 € payable mensuellement jusqu’au décès des vendeurs ;
- Selon compromis en date du 17 novembre 2020, du lot n°19 du même immeuble correspondant à un appartement d’une superficie de 79.99 m2, les mêmes modalités de prix étant fixées ;
- Selon compromis en date du 05 novembre 2020, des lots n° 31, 92 et 93 au sein de l’immeuble en copropriété LE COLOMBIER sis [Adresse 11] à [Localité 6] correspondant à un appartement de 49,41 m2 et à 2 aires de stationnement, pour le prix de 30.000 euros comptant le jour de la signature de l’acte authentique et une rente annuelle de 7.800 € payable mensuellement jusqu’au décès des vendeurs.
Monsieur [B] [T] est décédé le 28 novembre 2020, avant la date fixée pour la régularisation des actes.
Madame [U] [F] veuve [T] ayant signifié le 2 mars 2021 son refus de réitérer l’acte devant notaire, la SCI LES COQUILLES l’a fait sommer de comparaître en l’étude de Maître [J], aux fins de régularisation.
En l’état du procès-verbal de difficulté dressé par Maître [J] le 22 avril 2021, la SCI LES COQUILLES a fait assigner Madame [U] [F] veuve [T] devant le tribunal judiciaire de Draguignan par exploit d’huissier en date du 14 mai 2021 aux fins de régularisation des ventes.
1/ Selon ses dernières conclusions régulièrement notifiées par RPVA le 18 septembre 2023, elle sollicite du tribunal de :
- Condamner Madame [U] [F] veuve [T] à régulariser les actes de cession conformément aux compromis de vente signés le 22 octobre 2020 et les 5 et 17 novembre 2020 dans le délai de deux mois à compter de la signification du Jugement à intervenir ;
- Enjoindre pour ce faire Madame [U] [F] veuve [T] à fournir l’ensemble des documents nécessaires à la régularisation des ventes à réitérer dans le délai d’un mois à compter de la signification du Jugement à intervenir et ce sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard ;
- A défaut de régularisation par acte authentique des ventes conformément aux compromis de vente signés le 22 octobre 2020 et les 5 et 17 novembre 2020 dans le délai de 2 mois à compter de la signification de votre Jugement, ordonner que le Jugement à intervenir vaudra vente et sera publié au bureau des hypothèques pour :
- L’appartement (lot n°5) situé [Adresse 1] (cadastré section BY n°[Cadastre 4] [Adresse 9] Surface 00 ha 11 a 65 ca) moyennant le paiement comptant par la SCI LES COQUILLES d’une somme de 30.000 Euros plus le versement d’une rente viagère annuelle de 7.200 Euros à Madame [U] [F] veuve [T] ,
- L’appartement (lot n°19) situé [Adresse 1] (cadastré section BY n°[Cadastre 4] [Adresse 9] Surface 00 ha 11 a 65 ca) moyennant le paiement comptant par la SCI LES COQUILLES d’une somme de 30.000 euros plus le versement d’une rente viagère annuelle de 7.200 Euros à Madame [U] [F] veuve [T],
- L’appartement et deux aires de stationnement (lots n°31, 92 et 93) situé [Adresse 2] et [Adresse 8] – [Localité 6] (cadastré section AB n°[Cadastre 3] lieudit [Adresse 2] Surface 00 ha 28 a 61 ca), moyennant le paiement comptant par la SCI LES COQUILLES d’une somme de 30.000 euros plus le versement d’une rente viagère annuelle de 7.800 Euros, à Madame [U] [F] veuve [T].
- De rejeter l’ensemble des demandes, fins et conclusions présentées par Madame [U] [F] veuve [T] dont notamment les demandes de condamnation de la SCI LES COQUILLES au paiement des sommes suivantes soit de 50.000 €, 18.850 € et 650 € par mois à titre de dommages et intérêts ;
- Condamner Madame [U] [F] veuve [T] à payer à la SCI LES COQUILLES la somme de 4.500 € au titre de l’article 700 du Code de procédure Civile ;
- Condamner Madame [U] [F] veuve [T] en tous les dépens de d’instance que Maître Eléonore DARTOIS pourra recouvrer conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions fondées sur les dispositions de l’article 1589 du Code civil, la SCI LES COQUILLES fait valoir que la promesse de vente vaut vente lorsqu’il y a accord sur la chose et le prix ce qui est le cas en l’espèce pour chacun des appartements, objets des ventes conclues suivant compromis signés le 22 octobre 2020. Elle rappelle que le décès de l’un des vendeurs n’a pas d’impact sur le sort de la vente dès lors que celle-ci pouvait être poursuivie par sa veuve.
Sur la fixation de la rente viagère, elle rappelle que le taux est librement fixé par les parties en application de l’article 1976 du Code civil, et que le contrat de rente viagère doit réunir deux conditions que sont l’aléa et le caractère sérieux du prix, l’aléa résultant du fait que le contrat a été passé sur deux têtes.
En réponse aux moyens soulevés en défense, tenant à l’abus de la faiblesse des vendeurs âgés, et au vil prix proposé, elle indique que l’âge avancé des vendeurs ne caractérise pas un état de faiblesse dont la SCI LES COQUILLES aurait abusé pour conclure une vente à vil prix. Elle souligne que les compromis ont été signés devant leur notaire habituel et fournissent à cet effet diverses attestations de personnes en lien avec les vendeurs au moment des conclusions des compromis pour démontrer que les époux [T] avaient l’intention de vendre et disposaient de leur entière capacité de discernement.
Elle soutient que Madame [T] sur qui pèse la charge de la preuve ne démontre pas la vileté du prix et conteste les éléments d’évaluations fournis en défense, en produisant des évaluations moindres et en invoquant notamment la vétusté des biens vendus.
2/ Selon ses dernières conclusions régulièrement notifiées par RPVA le 12 janvier 2024, Madame [U] [F] veuve [T] sollicite du tribunal de :
- PRONONCER la nullité des compromis de vente signés les 22 octobre 2020 s’agissant du lot n° 5 de l’immeuble en copropriété dénommé MOBIROC à [Localité 12] sis [Adresse 5], le 5 novembre 2020 concernant les lots n° 31, 92 et 93 de l’immeuble en copropriété dénommée Résidence LE COLOMBIER sis [Adresse 2] et [Adresse 8] à [Localité 6] (YVELINES) et enfin du compromis de vente signé le 17 novembre 2020 concernant le lot n° 19 de l’immeuble en copropriété dénommé MOBIROC sis [Adresse 5].
- CONDAMNER, en outre, la SCI LES COQUILLES à payer à Madame [U] [F] veuve [T] la somme de 50.000,00 € à titre de dommages et intérêts en l’état de l’abus de faiblesse manifeste commis par la SCI LES COQUILLES au préjudice de Madame [U] [F] veuve [T] .
- ORDONNER la restitution par la SCI LES COQUILLES des clés de l’appartement lot n° 5 de l’immeuble MOBIROC à [Localité 12] à Madame [U] [F] VEUVE [T], et ce sous astreinte de 150,00 € par jour de retard passé un délai de 8 jours suivant la signification du jugement à intervenir.
- CONDAMNER en outre la SCI LES COQUILLES à payer à Madame [U] [F] veuve [T] la somme de 18.850,00 € à titre de dommages et intérêts correspondant aux préjudices subis consécutifs à l’impossibilité de jouir du lot n°5 de l’immeuble MOBIROC depuis le 22 octobre 2020, outre la somme de 650 € par mois à titre de dommages et intérêts jusqu’à restitution des clés du lot n°5 de l’immeuble MOBIROC à [Localité 12].
Très subsidiairement,
- DESIGNER deux experts avec mission décrite dans le corps des conclusions.
- CONDAMNER la SCI LES COQUILLES à payer à Madame [U] [F] veuve [T] la somme de 5.000,00 € en application de l’article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu’en tous les frais et dépens.
- DIRE ET JUGER n’y avoir lieu d’écarter l’exécution provisoire en particulier compte-tenu de l’âge de Madame [U] [F] veuve [T]
Au soutien de ses prétentions, Madame [U] [F] veuve [T] conclut à la nullité des compromis de vente pour prix vil et absence d’aléa, sur le fondement de l’article 1169 du code civil sanctionnant de nullité un contrat à titre onéreux formé avec une contrepartie illusoire ou dérisoire.
Elle estime qu’il existe un déséquilibre contractuel privant le contrat de tout aléa compte tenu de l’insuffisance de la rente et du bouquet, le prix ne pouvant dès lors être considéré comme sérieux. Elle affirme que le débirentier était certain d’obtenir un bénéfice très au-delà de la durée d’espérance de vie des crédirentiers, et produit en ce sens des évaluations immobilières concluant à des montants des biens que les époux [T] ne pouvaient espérer percevoir en l’état des modalités de paiement de prix de vente fixés.
Elle précise que le montant du bouquet est inférieur à 20% du prix de vente, malgré l’âge avancé des crédirentiers, et que s’agissant d’un bien non occupé, cette valeur aurait dû être appréciée au regard de celle de la nue-propriété, fixée en fonction de l’âge de Monsieur et Madame [T] à 70% de la valeur du bien, conformément à l’article 669 du code général des impôts.
Elle indique également que pour chacun des biens, la rente est insuffisante à s’assurer pour les vendeurs de gains dans le temps estimés au titre de leur espérance de vie. Elle ajoute qu’il est constant que lorsque les rentes sont équivalentes ou supérieures aux revenus des biens, cela prive le contrat d’aléa car le débirentier est assuré de réaliser un bénéfice.
Elle forme à titre reconventionnel une demande d’indemnisation estimant avoir été victime d’un abus de faiblesse de la part de la SCI LES COQUILLES avec la complicité passive du notaire, faisant remarquer que celui-ci n’a pas fixé la valeur vénale des biens immobiliers objets des compromis.
Elle invoque en outre un préjudice de jouissance car la SCI LES COQUILLES ne lui a pas restitué les clés de l’appartement de Saint Aygulf lot n°5 depuis la date du compromis le 20 octobre 2020, préjudice qu’elle fixe à 650 euros mensuels, qui correspondrait à la valeur locative du bien.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties il est renvoyé aux écritures visées ci-dessus conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 15 janvier 2024. L’affaire a été évoquée à l’audience du 16 avril 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le défaut d'aléa ou le vil prix :
L’article 1589 du code civil dispose que la promesse de vente vaut vente lorsqu’il y a accord sur la chose et sur le prix. L'article 1591 du même code ajoute que Le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties». Il doit non seulement exister, mais être réel et sérieux.
L’article 1976 du code civil édicte le principe selon lequel « la rente viagère peut être constituée au taux qu'il plaît aux parties contractantes de fixer ».
Le contrat de rente viagère est un contrat aléatoire correspondant à la définition suivante résultant de l’article 1108 alinéa 2 du code civil : « il est aléatoire lorsque les parties acceptent de faire dépendre les effets du contrat, quant aux avantages et aux pertes qui en résulteront, d’un évènement incertain ».
Il est constant qu’en matière de vente comprenant une rente viagère, l’évènement incertain correspond à la date du décès des crédirentiers. Il est ainsi considéré qu'il n'y a pas d'aléa dans une vente en viager lorsque le montant des arrérages est vil ou dérisoire, l'acquéreur étant certain d'obtenir un bénéfice quelle que soit l'espérance de vie du vendeur. La vente est ainsi considérée comme dépourvue de tout aléa lorsque le montant des arrérages est inférieur ou égal aux revenus du bien aliéné.
Il appartient à celui qui invoque l'annulation de la vente pour vileté du prix, d'en apporter la preuve.
En l’espèce, à titre liminaire, il convient de souligner que si Madame [U] [F] veuve [T] demande reconventionnellement la condamnation de la SCI LES COQUILLES à des dommages et intérêts pour abus de faiblesse, elle n’invoque pas ce fondement à l’appui de sa demande d’annulation des actes de vente fondée uniquement sur le vil prix et l’absence d’aléa.
En l’état, les parties ne se sont pas accordées au titre des compromis sur une valeur vénale théorique des biens au moment de leurs ventes, puisqu’aucune ne fournit d’estimation réalisée au moment des pourparlers, qui se sont déroulés directement entre les parties, sans intervention d’intermédiaires ou mandataires immobilier. Elles s’opposent aujourd’hui sur l’appréciation de la valeur vénale de chacun des biens, élément fondamental pour apprécier tant l’existence d’un aléa que la vileté du prix.
Sur l’appartement (lot N°19) situé [Adresse 1] :
Madame [U] [F] veuve [T] produit pour apprécier la valeur vénale du bien, et en déduire la vileté du prix fixé au compromis :
- un avis de valeur rédigé par l’agence immobilière ANGELI IMMOBILIER en date du 25 janvier 2021 estimant le lot n°19 entre 180.000 à 200.000 € ;
- un rapport d’expertise amiable émanant de Monsieur [K] en date du 28 mai 2021 retenant une valeur de 203.000 € ;
- des pièces attestant de la vente dans le même immeuble d’appartement de même surface pour un montant de 230.000 € et 242.000 € ;
La SCI LES COQUILLES critique ces valeurs estimant que l’analyse de l’expert immobilier est incohérente au regard de l’écart de prix entre cet appartement, et l’appartement lot n°5 objet d’un autre compromis, alors que les logements sont de surfaces équivalentes et situés au même étage, et qu’il n’a pas tenu compte l’état de vétusté du bien ni retenu un abattement 10 à 20% du fait du caractère loué. Elle estime encore que la vente de biens situés en étages supérieurs est un élément de comparaison insuffisant.
Pour autant, la valeur qu’elle retient pour rejeter la vileté du prix, soit une valorisation entre 160.000€ et 180.000€, n’est étayée que par la production d’un avis de valeur non signé, particulièrement succinct, en date du 21 mars 2022 émanant d’une société MW GROUP, et une attestation de la locataire actuelle du bien relevant les défauts du bien.
Madame [U] [F] veuve [T] fournit des éléments plus précis et concordants, puisque les évaluations de l’agence immobilière et de l’expert, qui a pu visiter le logement et a pris en cause un état de vétusté d’usage, sont concordantes et corroborées par les éléments relatifs aux prix de vente des autres biens vendus dans l’immeuble.
Dans tous les cas, l’équilibre du contrat et l’aléa doivent encore être mesurés en tenant compte du montant du bouquet et du taux de la rente, calculés en tenant compte de l’âge des deux crédirentiers, et en l’espèce de l’absence de réserve du droit de jouissance et des éventuels travaux nécessaires.
Ainsi, même en retenant la valeur vénale de l’immeuble la plus basse telle que résultant de l’avis de valeur de MW GROUP, soit 160.000€, le montant du bouquet de 30.000€ est relativement faible puisqu’il ne correspondrait qu’à 19 % de la valeur du bien, alors même que les vendeurs étaient âgés de 82 ans pour Monsieur et 86 ans pour Madame au moment de la vente, l’espérance de vie pour leurs âges et genres respectifs, étant classiquement évaluée à un peu plus de 8 ans.
En prenant en compte la rente annuelle contractuellement fixée à 7.200€, soit 600 € mensuels, il conviendrait que les vendeurs survivent 18 ans pour avoir une chance de gain, soit bien au-delà de leur espérance de vie.
En outre, le taux de la rente, doit prendre en compte les revenus susceptibles d’être produits par le bien.
Si le grand âge des vendeurs n’est pas à lui seul un critère supprimant d’aléa, il sera constaté en l’espèce que le revenu locatif moyen de l’appartement s'établissait de manière certaine au moment de la vente a minima à la somme de 669 € en location classique permanente, soit 8.028€ par an, soit une somme supérieure à la rente fixée. Si la SCI LES COQUILLES soutient que ces loyers doivent être minorés du fait des travaux devant nécessairement être réalisés dans le logement, ce que confirme une attestation de la locataire qui liste les défauts du logement mis à bail, il reste que celle-ci précise que les défauts du bien sont justement compensés par un loyer largement inférieur au prix du marché. La demanderesse indique encore à juste titre que les charges relatives à cet appartement, d’un montant de 1.000€ annuel, doivent être déduites.
Néanmoins, une fois ce montant déduit, la valeur de la rente apparaît encore équivalente voire légèrement supérieure au montant du loyer perçu. En outre et surtout, aucune moins-value pour occupation du bien ne peut être appliquée s’agissant d’une rente viagère libre.
En conséquence, même en retenant la valeur vénale proposée par la SCI LES COQUILLES, le montant de 600 euros de la rente resterait supérieur aux revenus perçus, et ne serait compensé ni par le montant du bouquet, particulièrement bas compte tenu de l’âge des vendeurs et de l’absence de réserve de jouissance, ni par leur espérance de vie.
Ces éléments privent en conséquence les crédirentiers de toute chance de gain, l'acquéreur étant certain d'obtenir un bénéfice quelle que soit l'espérance de vie du vendeur.
Il sera enfin remarqué que chacune des parties verse le même courrier adressé par les conseils des vendeurs le 2 mars 2021 au notaire, évoquant un prix de vente en réalité fixé entre les parties à 95.000€ ; le prix de vente qui aurait été convenu entre les parties est de fait cohérent au regard du montant du bouquet, de la rente fixée et de l’espérance de vie des crédirentiers (soit environ 8 ans), puisque le bouquet de 30.000 € équivaut à environ 30% du prix de vente, et que la rente annuelle de 7.200 € permettrait aux crédirentiers d’obtenir des gains après 9,03 années. Or, ce prix, au regard de la localisation du bien et l’ensemble des évaluations fournies, tant en demande qu’en défense, ne peut être considéré comme un prix réel et sérieux.
En conséquence, il est démontré le montant vil des arrérages et l’absence de prix réel et sérieux privant la vente d'aléa, justifiant que soit prononcée la nullité de la vente ;
Sur l’appartement (lot n°5) situé [Adresse 1] :
Madame [U] [F] veuve [T] produit pour la valorisation de ce bien :
- Un avis de valeur de l’agence immobilière ANGELI IMMOBILIER en date 25 janvier 2021 entre 200.000 et 220.000 €
- Un rapport d’expertise amiable de Monsieur [K] en date du 28 mai 2021retenant une valeur de 242.000 euros et une valeur locative estimée à 9.600 euros
- Des pièces attestant de la vente dans le même immeuble d’appartements de même surface pour un montant de 230.000 et 242.000 €
Cet appartement est situé dans le même immeuble et au même étage que le lot n°19. Il est cependant libre de toute occupation. La SCI LES COQUILLES critique là encore les estimations de la défenderesse indiquant que l’analyse de l’expert immobilier est incohérente au regard de l’écart de prix entre les deux appartements, de surfaces équivalentes et situés au même étage. Elle relève particulièrement que le lot n°5 correspond à un appartement nécessitant de lourds travaux, comme en atteste un devis de 109.000 euros pour réfection complète, et souligne que l’expert ne l’a pas visité avant de fixer une valeur. Elle estime encore que la vente de biens situés en étages supérieurs est un élément de comparaison insuffisant, alors que l’appartement est situé en premier étage d’un immeuble comprenant une supérette en rez-de-chaussée.
La demanderesse retient pour sa part une valorisation de l’appartement entre 150.000 et 160.000€ (avant travaux) selon l’avis de valeur non signé sur lequel figure également l’évaluation du lot n°19, et des devis et attestations démontrant la nécessité d’effectuer des travaux importants sur ce bien. Elle fournit également un échange de courrier sur la remise des clés de cet appartement, au terme duquel les parties avaient estimé les travaux nécessaires à la somme de 60.000 à 70.000 euros, et 20.000 € si l’acheteur les réalisait lui-même.
Madame [U] [F] veuve [T] fournit là encore des éléments plus précis et concordants concernant l’évaluation de ces biens, dont l’évaluation plus haute que celle du lot n°19 est justifiée au titre des documents remis par l’exposition de l’appartement, la présence d’une terrasse ouverte, et le bénéfice d’une petite vue mer pour le lot n°5. Il reste comme le souligne la demanderesse que l’expert n’a pu visiter ce lieu pour effectuer son évaluation, et qu’il est justifié de travaux importants devant être réalisés.
En tout état de cause, malgré les différences de ces deux logements, les parties ont entendu fixer le même prix de vente, soit un bouquet de 30.000 € et une rente annuelle de 7.200 € soit 600 € mensuels, étant souligné qu’aucun des biens n’est grevé de réserve de jouissance. Le même prix de vente de 95.000€ est encore évoqué comme convenu par les parties dans le courrier du 02 mars 2021 envoyé par le conseil de Madame [T] au notaire.
La différence essentielle entre les deux appartements tient cependant au fait que l’appartement n°19 était donné à bail au moment de la vente moyennant un loyer mensuel de 669 €, alors que le lot n°5 est libre de toute occupation.
Or, pour apprécier la présence d’aléa, il doit être effectué une comparaison entre le montant des arrérages et les revenus qu’est susceptible de procurer l’immeuble, non grevé en l’espèce d’une réserve de jouissance.
En l’occurrence, le bien n’est pas loué, ce qui ne permet pas d’apprécier in concreto le revenu qu’il pourrait procurer ; néanmoins, les parties ont convenu au terme des compromis signés d’une valeur vénale équivalente, avant travaux, à celle du lot N°19, appartement situé dans le même immeuble ; ce loyer constitue dès lors une valeur de référence fiable pour apprécier les intérêts que procurerait le capital correspondant à la valeur du lot n°5.
Les observations ayant prévalues à l’annulation de la vente du lot n°19, quant aux montants du bouquet et de de la rente et à l’espérance de vie des vendeurs trouvent donc application dans l’appréciation de la vente du lot n°5.
En conséquence, il est démontré le montant vil des arrérages et l’absence de prix réel et sérieux privant la vente d'aléa, justifiant que soit prononcée la nullité de la vente.
Il sera conséquemment fait droit à la demande de Madame [U] [F] veuve [T] visant à obtenir la restitution des clés de l’appartement qui avaient été remises à la SCI LES COQUILLES dans le cadre d’un bail temporaire à titre gratuit en attendant la régularisation de l’acte, avec astreinte de 5 euros par jour de retard à compter du mois suivant la signification de la présente décision.
Les lots n° 31, 92 et 93 au sein de l’immeuble en copropriété LE COLOMBIER sis [Adresse 11] et [Adresse 8] à [Localité 6] ;
Monsieur [B] [T] et Madame [U] [F] veuve [T] ont également consenti à la SCI LES COQUILLES la vente d’un appartement de 50 m2 avec deux places de stationnement situé en région parisienne.
Madame [U] [F] veuve [T] verse aux débats une expertise immobilière en date du 28 mai 2021 portant la valeur du bien à 150.000 €, tandis que la SCI LES COQUILLES produit une évaluation immobilière à 133, 064 euros. Il est évoqué dans le courrier du 02 mars 2021, que les parties avaient fixé le prix de vente à la somme de 100.500 € moyennant le paiement d’un bouquet de 30.000 € et d’une rente annuelle de 7.800 euros, soit 650 euros, soit une possibilité de gain, pour les vendeurs, à compter de 9,03 années).
Les parties versent des documents de valeur et qualité équivalentes concluant à des évaluations sensiblement différentes, étant rappelé qu’il appartient à Madame [U] [F] veuve [T] de démontrer l’absence d’aléa et le vil prix. L’estimation la plus basse sera donc retenue.
Ce bien était en l’occurrence vendu sans réserve de jouissance, et loué pour un montant de 665,35 € mensuels.
Cette rente est supérieure au loyer fixé, alors que ne sont pas pris en compte en charge les charges de propriétés afférentes d’un montant de 2.000 €. Il ne peut dès lors être conclu que la valeur de la rente rapportée aux revenus du bien rend impossible toute forme de gain et d’aléa pour les crédits rentiers.
Par ailleurs, les crédirentiers en l’état de la rente fixée pouvaient estimer un gain, sur la base d’un prix de vente à 133.064 €, au bout de 13 années, ce qui dépasse leur espérance de vie, mais ne permet pas de considérer qu’il n’existe pas d’aléa, s’agissant en outre d’une rente portant sur deux têtes.
Enfin, en prenant en considération le montant du bouquet et celui de la rente annuelle, ils pouvaient, en se fondant sur une espérance de vie de 8 ans, obtenir une somme de 100.000 euros, qui ne peut caractériser un vil prix, eu égard aux évaluations fournies.
La valeur de la nue-propriété retenue pas l’administration fiscale, avancée par la défenderesse à terme de comparaison, et qui reviendrait dans le cas d’espèce à retenir un bouquet devant être fixé à 70% du prix de vente, ne trouve pas application dans le cadre de la rente viagère, contrat obéissant à des règles distinctes de celles-fixées par l’administration, l’appréciation du prix et de ses modalités de paiement étant laissés à l’appréciation des parties.
Dès lors, il n’y a pas lieu de prononcer l’annulation de la vente, et il convient de faire droit à la demande de la SCI LES COQUILLES et de condamner Madame [U] [F] veuve [T] à régulariser l’acte de cession relatif à cet appartement.
La demande subsidiaire formée par Madame [U] [F] veuve [T] aux fins de désignation d’un expert judiciaire sera rejetée, le Tribunal étant suffisamment informé par les évaluations et pièces produites par les parties.
Sur la demande de dommages et intérêts pour abus de vulnérabilité :
Sans invoquer de fondement juridique, Madame [U] [F] veuve [T] soutient avoir été victime d’un abus de faiblesse avec la complicité passive du notaire et sollicite 50.000€ de dommages et intérêts.
S’il n’est pas établi comme il est soutenu par la SCI LES COQUILLES que les époux [T] étaient animés par la volonté de « déshériter » les filles de Madame [U] [F] veuve [T], aucun élément du dossier ne permet de caractériser une quelconque vulnérabilité des vendeurs, leurs âges avancés ne permettant pas de présumer de la perte de leurs capacités. Il sera au surplus constaté que la responsabilité du notaire désigné comme « complice », n’est pas recherchée.
Madame [U] [F] veuve [T] sera en conséquence déboutée de sa demande.
Sur la demande de Madame [U] [F] veuve [T] au titre du préjudice de jouissance :
Madame [U] [F] veuve [T] forme enfin reconventionnellement une demande d’indemnisation au titre de son préjudice de jouissance liée au fait qu’elle n’a plus les clés de l’appartement lot n°5 de Saint Aygulf depuis le 22 octobre 2020, sans là encore fournir de fondement juridique à cette demande.
Or, il n’est démontré aucune faute de la SCI LES COQUILLES, qui pour rappel a obtenu ces clés dans le cadre d’un bail temporaire à titre gratuit qui devait prendre fait lors de la réalisation de la vente par réitération de l’acte authentique. Aucune faute n’est établie à l’encontre de la SCI LES COQUILLES, qui a assigné en perfection de la vente, sans qu’un abus dans le droit d’agir ne soit invoqué par Madame [U] [F] veuve [T] .
Il y a lieu de rejeter la demande.
Sur les demandes accessoires :
Aux termes de l'article 696 du Code de procédure civile, « la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie […]. »
En l’espèce, chacune des parties succombant partiellement, il convient de laisser à chacun la charge de ses dépens ;
Il résulte de l'article 700 du Code de procédure civile que, dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou à défaut la partie perdante à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à condamnation.
En l'espèce, les circonstances de la cause et l’équité ne justifient pas qu’il soit fait droit aux demandes des parties sur ce fondement qui seront rejetées.
Conformément aux articles 514 et 514-1 du Code de procédure civile dans leur version applicable aux procédures introduites depuis le 1er janvier 2020, le juge peut écarter l'exécution provisoire de droit, en tout ou partie, s'il estime qu'elle est incompatible avec la nature de l'affaire. Il statue, d'office ou à la demande d'une partie, par décision spécialement motivée.
Aucune circonstance ne justifie en l'espèce d'écarter l'exécution provisoire de droit.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal statuant en audience publique, par mise à disposition au Greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort :
CONDAMNE Madame [U] [F] veuve [T] à régulariser l’acte de cession relatif à la vente des lots n° 31, 92 et 93 au sein de l’immeuble en copropriété LE COLOMBIER sis [Adresse 11] et [Adresse 8] à [Localité 6] conformément au compromis de vente signé avec la SCI LES COQUILLES le 5 novembre 2020, dans le délai de deux mois à compter de la signification du Jugement à intervenir ;
ENJOINT à Madame [U] [F] veuve [T] à fournir l’ensemble des documents nécessaires à la régularisation de la vente à réitérer dans le délai d’un mois à compter de la signification du présent jugement et ce sous astreinte de 5 euros par jour de retard ;
A défaut de régularisation par acte authentique des ventes conformément au compromis de vente signé le 5 novembre 2020 dans le délai de 2 mois à compter de la signification de la présente décision, ORDONNE que le présent jugement venir vaudra vente et sera publié au bureau des hypothèques pour l’appartement et deux aires de stationnement (lots n°31, 92 et 93) situé [Adresse 2] et [Adresse 8] – [Localité 6] (cadastré section AB n°[Cadastre 3] lieudit [Adresse 2] Surface 00 ha 28 a 61 ca), moyennant le paiement comptant par la SCI « LES COQUILLES » d’une somme de 30.000 Euros plus le versement d’une rente viagère annuelle de 7.800 Euros, à Madame [U] [F] Veuve [T] ;
PRONONCE la nullité du compromis signé entre les parties le 17 novembre 2020 relatif à la vente d’un appartement (lot n°19) situé [Adresse 1] ;
PRONONCE la nullité du compromis signé entre les parties le 22 octobre 2020 relatif à la vente d’un appartement (lot n°5) situé [Adresse 1] ;
DEBOUTE la SCI LES COQUILLES de sa demande de condamnation de Madame [U] [F] veuve [T] à régulariser les actes de cession portant sur les ventes des lots n° 5 et 19 de l’immeuble situé [Adresse 1] ;
ORDONNE à la SCI LES COQUILLES de restituer les clés de l’appartement lot n°5 situé [Adresse 1] à Madame [U] [F] veuve [T] sous astreinte de 5 euros par jour de retard passé un délai d’un mois après la signification de la présente décision ;
DEBOUTE Madame [U] [F] veuve [T] de sa demande en indemnisation au titre de l’abus de faiblesse ;
DEBOUTE Madame [U] [F] veuve [T] de sa demande en indemnisation de son préjudice de jouissance ;
DEBOUTE Madame [U] [F] veuve [T] de sa demande d’expertise formée à titre infiniment subsidiaire.
DEBOUTE les parties de leurs demandes sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
LAISSE à chaque partie la charge de ses dépens ;
DIT n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire ;
REJETTE le surplus des demandes.
Ainsi jugé par mise à disposition au greffe de la troisième chambre du tribunal judiciaire de Draguignan le 25 juin 2024.
Le greffier,Le président,
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