TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE DRAGUIGNAN
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Chambre 3 - CONSTRUCTION
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DU 06 Juin 2024
Dossier N° RG 20/02465 - N° Portalis DB3D-W-B7E-IWTC
Minute n° : 2024/163
AFFAIRE :
[J] [E], [N] [H] épouse [E] C/ [R] [M], [D] [W] épouse [M], S.E.L.A.R.L. PIERONI-MIGNON-GUZMANN, notaires
JUGEMENT DU 06 Juin 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
PRÉSIDENTE : Madame Hélène SOULON, Vice-présidente, statuant à juge unique
GREFFIÈRE : Madame Peggy DONET, Greffière
DÉBATS :
A l’audience publique du 04 Avril 2024
A l’issue des débats, les parties ont été avisées que le jugement serait prononcé par mise à disposition au greffe le 06 Juin 2024
JUGEMENT :
Rendu après débats publics par mise à disposition au greffe, par décision contradictoire et en premier ressort
copie exécutoire à :
Me Vincent MARQUET
Me Jérôme COUTELIER-TAFANI
Me Arnaud LUCIEN
Délivrées le 06 Juin 2024
Copie dossier
NOM DES PARTIES :
DEMANDEURS :
Monsieur [J] [E]
Madame [N] [H] épouse [E]
demeurant ensemble [Adresse 2]
Tous deux représentés par Maître Arnaud LUCIEN, avocat au barreau de TOULON
D’UNE PART ;
DÉFENDEURS :
Monsieur [R] [M]
Madame [D] [W] épouse [M]
demeurant ensemble [Adresse 6]
Tous deux représentés par Maître Vincent MARQUET de l’ASSOCIATION CM AVOCATS MARSEILLE, avocat au barreau de DRAGUIGNAN, avocat postulant, et Maître Stéphanie PERROT-BIELECKI de la SELARL VOXEL, SOCIÉTÉ D’AVOCATS INTER-BARREAUX PRÈS LES COURS D’APPEL D’AGEN ET DE TOULOUSE, avocat au barreau de TOULOUSE, avocat plaidant
S.E.L.A.R.L. PIERONI-MIGNON-GUZMANN, notaires, dont le siège social est sis [Adresse 3], prise en la personne de son représentant légal en exercice,
représentée par Maître Jérôme COUTELIER-TAFANI de l’ASSOCIATION COUTELIER, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
D’AUTRE PART ;
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EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :
Le 17 juin 1981, Mme [X] [T] veuve [I], aux droits de laquelle se trouve Mme [P] [T], a consenti à M. [Y] [B], un bail emphythéotique pour une durée de 28 ans commençant à courir à compter du 1er janvier 1982, sur un terrain composé de plusieurs parcelles situé à [Localité 9].
M.[B] a obtenu aux termes d’un jugement rendu par le tribunal administratif de Nice un permis de construire en vue d’édifier 100 petits chalets de vacances démontables. Il a ensuite concédé à diverses personnes le droit d’occuper les emplacements destinés à l’implantation des chalets.
Par acte authentique du 11 août 1982, M. [Y] [B] a cédé à M. [F] [S], exploitant de camping tous ses droits pour le temps restant à courir à compter du 1er janvier 1982 mais seulement en ce qu’il porte sur certaines parcelles et avec le consentement de Mme [X] [T] veuve [I]. Il a alors été convenu entre Mme [T] et M. [S] de porter la durée du bail à 60 ans à compter du 1er juillet 1982 pour se terminer au 30 juin 2042. Cet acte a également conféré à M. [S] le droit de céder le droit au bail ou de sous-louer le terrain en totalité ou en partie, de faire payer les redevances d’occupation, notamment aux occupants ayant signé avec M. [B] des contrats d’occupation.
Mme [X] [T] et M. [S] ont résilié à compter du 30 juin 1982 le bail emphytéotique portant sur d’autres parcelles.
Aux termes d’un acte reçu par Maître [A] [Z] [V], notaire à [Localité 7], le 21 août 1992, M. [F] [S] a donné à bail à M. [R] [M] et à Mme [D] [W] son épouse un terrain situé à [Adresse 10] cadastré section A n° [Cadastre 4] formants le lot 101 pour une durée de 50 ans à compter du 1er janvier 1990 pour se terminer le 1er janvier 2040
Par actes des 2 juin et 11 août 1997, M.[F] [S] a donné à bail à M. [R] [M] et à son épouse [D] [W] le terrain section A n° [Cadastre 5] [Adresse 12], formant le lot n° 102. Il a été précisé que le bien loué ne pourrait être utilisé que pour l’implantation d’une habitation légère de loisirs, ledit bien étant destiné à l’agrandissement d’un terrain loué à titre principal (le lot 101). Le bail a été consenti pour une durée de 50 ans également, se terminant le 1er janvier 2040.
Par acte d'huissier du 15 juin 2004, Mme [T] a formé une demande en révision du loyer. Après avoir ordonné une expertise par ordonnance du 7 mars 2007, le juge des loyers commerciaux du Tribunal de Grande Instance de Draguignan, par jugement du 14 avri12009, a fixé le loyer révisé à la somme de 90 000 euros à compter du 15 juin 2004, avec intérêts au taux légal depuis le 28 mars 2006.
Par arrêt du 20 janvier 2012, la cour d'appel d’Aix-en-Provence a essentiellement déclaré irrecevable l'appel en intervention forcée de la société SBDF, société d'exploitation dont Mme [U] veuve [S] est l'associée unique, a rejeté la demande en nullité du jugement du 14 avri12009, a confirmé le jugement, et a condamné Mme [U] à payer à Mme [T] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Par arrêt du 19 février 2014, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt rendu le 20 janvier 2012 dans toutes ses dispositions, a dit n'y avoir lieu à renvoi, a rejeté la demande de Mme [T] de sa demande de révision triennale de loyer commercial, l'a condamnée aux dépens de l'instance au fond et de l'instance en cassation, et l'a condamnée à payer à Mme [U] la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Entre-temps, Mme [T] a mis à exécution l'arrêt du 20 janvier 2012, par une saisie exécution et une procédure de saisie immobilière.
Mme [T] a assigné à jour fixe Mme [U] devant le Tribunal de Grande Instance de Draguignan par acte d'huissier du 23 novembre 2012 afin qu'il soit constaté que sa créance consacrée par plusieurs décisions de justice s'élevait à la somme de 832 976,13 euros, que soit prononcée la résolution du bail emphytéotique pour non-paiement, que soit ordonnée l'expulsion de Mme [U] et de tout occupant de son chef, que Mme [U] soit condamnée au paiement d'une indemnité d'occupation mensuelle de 10 124,69 euros jusqu'à son départ définitif, outre 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Après l'arrêt de la Cour de cassation, Mme [T] a maintenu devant le Tribunal de Draguignan sa demande de résolution du bail emphytéotique sur le fondement de l'article L 451-5 du code rural et de la pêche maritime, sa demande d'expulsion, de paiement d'une indemnité d'occupation mensuelle de 10 124,69 euros, outre de sommes à titre de dommages-intérêts et d'indemnité de procédure.
Mme [U] a sollicité la condamnation de Mme [T] à lui payer 132 999,16 euros au titre de la répétition de l'indu de loyer révisé, et plusieurs sommes à titre de dommages-intérêts.
Par jugement du 5 mai 2017, le Tribunal de Grande Instance de Draguignan a :
- condamné Mme [T] à payer à Mme [U] la somme de 132 999,16 euros correspondant aux loyers versés antérieurement à l'arrêt de la Cour de cassation rendu le 19 février 2014 et non dus,
- débouté les parties de leurs autres demandes.
Par arrêt du 17 janvier 2019, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a :
- confirmé le jugement en ce qu'il avait rejeté les demandes de dommages et intérêts,
- infirmé pour le surplus, et statuant à nouveau,
- prononcé la résiliation du bail emphytéotique du 11 août 1982,
- ordonné l'expulsion de Mme [U] et de tous occupants de son chef des lieux loués
- fixé l'indemnité d'occupation mensuelle due à compter de la notification de l'arrêt jusqu'à la libération effective des lieux, à la somme de 5 000 euros,
- constaté qu'ensuite de l'arrêt de la Cour de cassation du 19 février 2014 devait être restituée à Mme [U] la somme de 132 999,16 euros et que Mme [T] avait procédé à cette restitution.
Par arrêt du 3 décembre 2020, la Cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu par la cour d'Aix-en-Provence le 17 janvier 2019 et renvoyé la procédure devant la cour d'appel de Lyon.
Par acte du notarié du 27 juillet 2018, les époux [E] ont acquis de époux [M] un droit au bail portant sur deux parcelles de terrain, équipées d'un chalet, situées à [Localité 9] (Var), à l'intérieur d'un parc organisé en village de vacances dénommé [13]. Le bail objet du droit cédé a été accepté par Mme [K] [U] veuve de M. [F] [S] qui a attesté que le cédant était à jour de ses règlements.
Considérant le droit au bail acheté atteint d'un vice caché en raison de la découverte d'une procédure visant à la résiliation du bail emphytéotique liant la propriétaire à leur bailleur, avec risque de résiliation de leur propre bail, les époux [E] ont fait assigner, le 8 avril 2020, les époux [M] ainsi que la S.E.L.A.R.L Pieroni-Mignon-Guzmann, société de notaires qui a reçu l’acte authentique, à comparaître devant le tribunal de céans sur le fondement de l'action estimatoire et de la responsabilité du notaire, aux termes de l'assignation délivrée le 8 avril 2020.
Par conclusions d’incident notifiées par voie électronique le 10 août 2021, les époux [E] dont saisi le juge de la mise en état d’un incident aux fins de sursis à statuer dans l’attente de l’arrêt de renvoi après cassation à rendre par la Cour d’Appel de Lyon dans l’affaire [T]/[U].
Les époux [M] s’y sont opposés.
Le juge de la mise en état par ordonnance du 16 décembre 2021 a indiqué que « l’existence du droit de louer que les époux [E] ont acquis étant susceptible d’être remise en cause selon l’issue de la procédure actuellement pendante devant la Cour d’appel de Lyon, la solution du litige opposant les époux [E] aux époux [M] apparait dépendre pour partie au moins de la décision à rendre par cette juridiction. » et a ordonné le sursis à statuer dans l’attente de l’arrêt de la Cour d’Appel de Lyon.
Par conclusions notifiées par RPVA le 4 décembre 2022, M. [J] [E] et Mme [N] [H] épouse [E] ont sollicité la reprise d’instance en indiquant que la Cour d’Appel de Lyon avait rendu sa décision.
Par arrêt du 22 septembre 2022, la Cour d’Appel de Lyon :
- Dit n'y avoir lieu à révocation de l'ordonnance de clôture du 19 octobre 2021 ;
- Dit n'y avoir lieu d'écarter les conclusions déposées par Mme [T] le 18 octobre 2021 ;
- Confirme le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Draguignan le 5 mai 2017 en ce qu'il a débouté Mme [U] et Mme [T] de leurs demandes de dommages et intérêts ;
- Le confirme en ce qu'il a condamné Mme [T] à payer à Mme [U] la somme de 132 999,16 euros correspondant aux loyers versés antérieurement à l'arrêt de la Cour de cassation rendu le 19 février 2014 et non dus, et constate que Mme [T] s'est acquittée de cette condamnation ;
- L'infirmant sur le surplus et statuant à nouveau :
- Prononce la résiliation du bail emphytéotique du 11 août 1982 ;
- Ordonne l'expulsion de Mme [U] des lieux loués, dénommés [13], situés à [Localité 9] (Var) lieudits [Localité 11] et [Localité 8], ainsi que de tout occupant de son chef, avec l'assistance de la force publique et d'un serrurier le cas échéant, avec séquestration de mobilier sur place ou en garde-meubles à ses frais et risques ;
- La condamne à payer à Mme [T] à compter de la notification du présent arrêt et jusqu'à parfaite libération des lieux une indemnité d'occupation de 5 000 euros par mois ;
- Condamne Mme [U] aux dépens de première instance et d'appel et à payer à Mme [T] une somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, sa propre demande sur ce point étant rejetée.
Toutes les parties ont conclu et une ordonnance de clôture a été rendue le 15 janvier 2024. L’audience s’est tenue le 4 avril 2024 et l’affaire a été mise en délibéré au 6 juin 2024.
PRETENTIONS ET MOYENS
Par conclusions récapitulatives notifiées par RPVA le 4 septembre 2023, au visa des articles 1641 et suivants et 1240 du code civil, M.[J] [E] et Mme [N] [H] épouse [E] demandent au tribunal de :
- Ordonner la reprise d’instance.
- Dire et juger que les époux [M] ont volontairement omis d’informer les époux [E] d’une procédure en cours opposant la propriétaire du parc et la bailleresse, Mme [P] [T] et l’exploitante Mme [U] veuve [S].
- Dire et juger que si les époux [E] avaient eu connaissance de l’existence de cette procédure ils n’auraient pas souscrit cet acte de cession/vente dans les mêmes conditions.
- Dire et juger que cette omission remplie les conditions caractérisant le vice caché en application des dispositions de l’article 1641 du code civil.
- Dire et juger que les époux [E] sont donc fondés à solliciter la nullité des actes de cession.
- Ordonner la nullité des actes de vente constatés par acte notarié du 27 juillet 2018, de l'acquisition d'un droit au bail concernant deux parcelles de terre situées à [Adresse 10] cadastré section A n° [Cadastre 4] de 6 ares et 81 centiares et n°[Cadastre 5] de 3 ares et 23 centiares pour la somme 15 000 € et la nullité de l’acquisition d’un chalet démontable situé sur la parcelle de terre, cadastrée section A n° [Cadastre 4], au [Adresse 1], pour un prix de 35 000 €.
- Dire et juger que la SELARL Pieroni Mignon Guzmann a commis un manquement à ses obligations de vérification des éléments utiles à l'efficacité de l'acte.
- Condamner solidairement les époux [M] et la SELARL Pieroni Mignon au paiement de la somme de 50 000 € au titre des restitutions.
- Dire et juger que cette faute est en lien direct avec les préjudices financiers et moraux rencontrés et décrits par les époux [E].
- Condamner solidairement les époux [M], la SELARL Pieroni Mignon Guzmann au paiement de la somme de 32 000 € au titre du préjudice de jouissance des époux [E], somme à parfaire jusqu'à parfait jugement.
- Dire n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire.
- Condamner in solidum les époux [M] et la SELARL Pieroni Mignon Guzmann au paiement de la somme de 5.000 €, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
- Dire que les dépens seront employés en frais privilégiés de compte, liquidation et partage et en ordonner distraction au profit de Maître Arnaud Lucien, avocat constitué.
M. [R] [M] et Mme [D] [W] épouse [M], par conclusions récapitulatives et en réplique numéro 2, notifiées par RPVA le 16 novembre 2023 demandent au tribunal, au visa des articles 1641, 1240 et 1178 du code civil, de :
- Débouter les époux [E] de leur demande en nullité des cessions sur le fondement des vices cachés et par suite de leur demande de restitution.
- Débouter les époux [E] de leur demande en paiement de dommages et intérêts au titre du préjudice de jouissance.
- Condamner solidairement les époux [E] au paiement de la somme de 10 000 € aux époux [M] en raison de la procédure abusivie et du préjudice qu’ils subissent.
- Condamner solidairement les époux [E] à payer à la somme de 5000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions notifiées par RPVA le 5 décembre 2023, la Selarl Pieroni-Mignon-Guzmann, demande au tribunal de :
- Débouter les époux [E] de toutes leurs fins, demandes, moyens et conclusions.
Subsidiairement,
- Condamner solidairement les époux [M] à relever et garantir la SCP Pieroni Mignon Guzmann de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre tant en principal qu’intérêts, frais et accessoires.
- Condamner solidairement tout succombant à payer aux concluants la somme de 5000 € à titre de dommages et intérêts compte tenu du caractère abusif de la procédure initiée à l’encontre de la SCP Pieroni Mignon Guzmann, ainsi qu’à la somme de 5000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
- Ordonner l’exécution provisoire des condamnations prononcées au profit de la SCP Pieroni Mignon Guzmann.
- Débouter toutes les parties de leur demande d’exécution provisoire au titre des condamnations qui pourraient être prononcées à l’encontre de la SCP Pieroni Mignon Guzmann.
Les prétentions respectives et moyens des parties sont résumées dans les motifs de la décision. Pour plus ample exposé, il convient de se référer aux dernières conclusions susvisées conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISIONÂ :
1.Sur responsabilité des époux [M], vendeurs :
1.1 Moyens des parties :
M. [J] [E] et Mme [N] [E] font valoir que les époux [M] ne pouvaient ignorer la procédure judiciaire en cours avant leur acquisition et ne les ont pas informés du litige ce qui constitue un vice grave et rédhibitoire. Ils soulignent que la bataille juridique opposant la propriétaire des lieux à Mme [U] veuve [S] a été largement médiatisée et que les époux [M] ont cédé le droit au bail avant le terme de la procédure pour éviter le paiement d’un loyer plus élevé ou d’être expulsé. Ils indiquent qu’ils n’auraient pas fait l’acquisition du chalet et du droit au bail s’ils avaient connu la situation.
Ils considèrent que la responsabilité des époux [M] doit être engagée sur le fondement de l’article 1641 du code civil, pour vice caché, ces derniers ayant eu connaissance de la procédure judiciaire et ayant volontairement omis de les en informer.
M et Mme [M] rappellent les conditions d’application de l’article 1641 du code civil et exposent que l’existence d’un litige ne constitue pas un défaut du bien, qu’il ne s’agit pas d’un élément inhérent ou intrinsèque du bien vendu.
Ils ajoutent que même si la Cour d’Appel de Lyon a prononcé la résiliation du bail emphytéotique, rien ne démontre que cette décision a été exécutée et qu’il n’y a pas eu de régularisation entre la propriétaire, Mme [T] et les résidents, aucun commandement de quitter les lieux ou avis d’expulsion n’ont été pris.
Ils soulignent que Mme [T] était en contentieux uniquement avec l’exploitante, Mme [U] mais en aucun cas avec les locataires et qu’aucune procédure d’expulsion n’a été engagée par celle-ci à l’égard des époux [E].
Ils font valoir que les ces derniers n’apportent pas la preuve qu’ils n’auraient pas achetés s’ils avaient eu connaissance des procédures judiciaires alors qu’ils étaient très motivés pour acquérir le chalet situé dans le domaine [13] et l’ont acquis à un prix inférieur à la valeur du marché.
Ils indiquent qu’ils n’étaient pas partis à la procédure opposant Mme [P] [T] à Mme [U] qui ne les a jamais informés de sa situation juridique.
Ils exposent que l’article de presse de Var Matin du 12 avril 2019 est postérieur à la cession et que l’émission de FR3 a été diffusée 5 ans avant la vente.
Ils précisent qu’ils vivent dans le lot et Garonne et n’ont pas eu accès aux informations varoises, qu’ils ont continué à régler leur loyer et occupaient le chalet que quelques semaines par an.
Ils ajoutent que d’autres résidents n’étaient pas d’avantage au courant de la situation avant la réunion du 29 mars 2019. Ils indiquent également que Mme [U] qui a été sollicité en qualité de bailleresse lors de la vente n’a pas d’avantage donné d’information sur la procédure judiciaire.
1.2.Réponse du tribunal :
Les époux [E] recherchent la responsabilité de leurs vendeurs sur le fondement de la garantie des vices cachés et en aucun cas sur le défaut de conformité de la chose vendue. La garantie des vices cachés est objective et ne dépend nullement d'une quelconque faute du vendeur. La garantie des vices cachés est toutefois subordonnée à l'existence d'un vice d'une certaine gravité. En comparaison, le défaut de conformité est une inexécution contractuelle assimilable à une faute du vendeur qui aurait dû livrer une chose conforme et qui ne le fait pas.
Selon l’article 1641 du code civil : « le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus » ;
Il appartient ainsi aux époux [E] d’établir le caractère rédhibitoire du vice invoqué et le fait que le vice était connu des époux [M] avant la vente.
Il ne peut toutefois être imposé aux demandeurs, sauf à ajouter à l’article 1641 du code civil une restriction qu’elle ne comporte pas, soit la nécessité d’un vice n’ayant pas de cause extérieure, comme une procédure judiciaire.
M.[J] [E] et Mme [N] [E] n’établissent pas que le vice caché dont ils font état rende la chose impropre à sa destination normale. En effet l’usage du terrain et du chalet donnés après cession du droit au bail par les époux [M] n’est pas affecté puisque les demandeurs ne justifient d’aucune mesure d’expulsion à leur encontre suite à la décision rendue par la Cour d’Appel de Lyon, il y a plus d’un an, soit le 22 septembre 2022, Aucun avis de mise en demeure ne leur a été adressé par la propriétaire des lieux Mme [P] [T] dont le conseil a indiqué par courrier du 27 mars 2019 adressé à l’association [13], qu’il a autorisé à diffuser, que sa cliente n’avait pas l’intention de faire procéder à l’expulsion des résidents du [13] mais de régulariser leur situation. Il a ajouté que suite à l’arrêt du 17 janvier 2019, Mme [S] n’avait plus aucun pouvoir sur [13]. Ils ne justifient pas non plus d’une absence de location ou d’occupation de leur chalet depuis 2019.
Après l’arrêt de la Cour d’Appel de Lyon du 22 septembre 2022, la seule mise en demeure de quitter les lieux versée aux débats par les demandeurs, qui date du 17 juillet 2023, émane du conseil de Mme [S] et concerne, un autre résident, M. [O]. Elle n’est pas accompagnée d’une procédure d’expulsion.
Il sera également précisé que le 2 juillet 2018, Mme [K] [U] veuve de M. [F] [S] a reconnu avoir été informé par les époux [M] du projet de cession de leurs baux au profit des époux [E], a indiqué que les charges pour l’année 2018 avaient été entièrement réglées par les vendeurs et qu’elle donnait son plein et entier agrément à la cession. Elle n’a pas fait état des procédures judiciaires en cours auxquelles elle était partie et dont elle avait donc nécessairement connaissance.
M et Mme [E] n’apportent pas non plus la preuve qu’ils n’auraient pas acquis le droit au bail s’ils avaient eu connaissance de la situation et que le prix aurait pu être diminué alors qu’au vu des pièces produites par les époux [M] les chalets se vendent à des prix bien supérieurs à la somme de 50 000 € versée par les demandeurs à la présente instance.
En ce qui concerne la connaissance de la procédure judiciaire en cours lors de la vente le 27 juillet 2018, l’émission diffusée sur France 3 en 2013 intitulée « Bataille autour d’un village de vacances avec à la clé d’éventuelles expulsions » et l’article de Var Matin du 12 avril 2019, soit postérieurement à la vente, titré « [Localité 9], sous le coup d’une expulsion » ne peuvent suffire aux époux [E] pour établir que M. [R] [M] et Mme [D] [M], qui n’ont jamais été parties à ces procédures, avaient connaissance du litige qui opposait Mme [T] à Mme [U] veuve [S]. De plus, en juillet 2018, le bail emphythéotique n’était pas encore résilié puisqu’il ne l’a été que par l’arrêt de la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence du 17 janvier 2019 qui a fait l’objet ensuite d’un pourvoi en cassation.
Il n’est donc aucunement prouvé par les demandeurs que les époux [M] aient eu connaissance des procédures judiciaires en cours en juillet 2018 et les ait volontairement cachés. Ces derniers qui vivent dans le Lot et Garonne n’étaient pas les seuls à les ignorer puisque Mme [C] [G], du chalet n° 110 indique, dans un courriel du 19 mars 2019, qu’elle a appris trois semaines avant cette date l’existence du contentieux opposant Mme [T] à Mme [S] et a décidé de créer une amicale pour se défendre avec les autres occupants du [13]
Ainsi, M et Mme [E] seront déboutés de toutes leurs demandes dirigées contre M. et Mme [M].
2.Sur la responsabilité du notaire :
2.1 Moyens des parties :
M.[J] [E] et Mme [N] [E] recherchent la responsabilité solidaire du rédacteur de l’acte notarié du 27 juillet 2018, sur le fondement de l’article 1240 du code civil, pour manquement à son devoir de vérification et d’information alors qu’il ne pouvait ignorer la situation. Ils lui reprochent de ne pas avoir entrepris des vérifications utiles pour corroborer les déclarations des cédants alors que l’affaire du [13] avait été médiatisée.
La Selarl Pieroni-Mignon-Guzmann rappelle que la responsabilité d’un notaire rédacteur d’actes ne peut être engagée que s’il est rapporté la preuve d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre les deux.
Elle indique qu’elle n’a jamais été au courant de la procédure opposant Mme [T] à Mme [S], exploitante du site et que la résiliation du bail emphytéotique ne fait pas l’objet de publication à la conservation des hypothèques et qu’à la différence des procédures collectives aucune publicité n’existait en l’espèce
Elle souligne que son siège se trouve à [Localité 14] et non pas sur la même Commune que [13] et qu’elle n’a pas eu connaissance du reportage de France 3 diffusé 5 ans avant la signature de l’acte.
Elle ajoute que le préjudice n’est pas établi et que seul celui ayant perçu le prix peut être tenu à le restituer, ce qui n’est pas son cas.
2.2 Réponse du tribunal :
Selon l’article 1240 du code civil « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
Les époux [E] affirment que le notaire, la Selarl Pieroni-Mignon-Guzmann a commis une faute en ne vérifiant pas l’existence de procédures judiciaires en cours et en les informant pas de ces dernières.
Or, la diffusion d’un reportage en 2013 sur FR3, soit plusieurs années avant la vente n’est pas un élément suffisant pour constituer une faute à l’encontre du notaire qui ne peut connaitre toutes les affaires médiatiques du Var. De plus, il ne peut lui être reproché de ne pas avoir rechercher une publication à propos du contentieux opposant la propriétaire des lieux, Mme [T] à l’exploitante puisqu’il n’en existait pas et l’article de Var Matin est postérieur à la vente de 2018.
Aussi en l’absence de faute établie par M.[J] [E] et Mme [N] [E] à l’encontre de la Selarl Pieroni-Mignon-Guzmann, ils seront déboutés de toutes leurs demandes dirigées contre celle-ci.
3. Sur les demandes de dommages et intérêts :
3.1 Moyens des parties :
A titre reconventionnel, les époux [M] font valoir que la violence des propos tenus à leur encontre en toute mauvaise foi et l’existence même de la procédure judiciaire abusive leur cause un préjudice moral. Ils ajoutent que l’attitude des époux [E] laisse penser qu’ils souhaitent battre monnaie et leur faire financer leur acquisition. Ils sollicitent la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.
La Selarl Pieroni-Mignon-Guzmann sollicite la somme de 5000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.
3.2 Réponse du tribunal :
Il n’est pas établi que le comportement des époux [E] soit assimilable à une volonté de nuire aux défendeurs ou relève de la malvaillance, de la mauvaise foi ou de la légéreté blâmable et leur comportement n’a pas dégénéré en abus de son droit d’ester en justice. Les époux [M] et la Selarl Pieroni-Mignon-Guzmann seront alors déboutés de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Monsieur et Madame [M] ne justifient pas d’un préjudice moral et ils seront également déboutés de cette demande.
4. Sur les demandes accessoires
Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, « la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie […]. ».
M. [J] [E] et Mme [N] [H] épouse [E], parties perdantes, seront condamnés aux entiers dépens de l’instance.
Il résulte de l’article 700 du code de procédure civile que, dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou à défaut la partie perdante à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à condamnation.
En l’espèce, il n’apparaît pas équitable de laisser l’ensemble de leurs frais irrépétibles à la charge des époux [M] et de la Selarl Pieroni-Mignon-Guzmann, de sorte que M. [J] [E] et Mme [N] [H] épouse [E] seront condamnés solidairement à payer à chacun, la somme de 1500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, soit au total 3000 €.
Le surplus des demandes à ce titre sera rejeté.
Conformément aux articles 514 et 514-1 du code de procédure civile dans leur version applicable aux procédures introduites depuis le 1er janvier 2020, le juge peut écarter l’exécution provisoire de droit, en tout ou partie, s’il estime qu’elle est incompatible avec la nature de l’affaire. Il statue, d’office ou à la demande d’une partie, par décision spécialement motivée.
Aucune circonstance ne justifie en l’espèce d’écarter l’exécution provisoire.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal statuant en audience publique, par mise à disposition au Greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort :
DEBOUTE M. [J] [E] et Mme [N] [H] épouse [E] de toutes leurs demandes dirigées contre M. [R] [M], Mme [D] [W] épouse [M] et la Selarl Pieroni-Mignon-Guzmann ;
DEBOUTE M. [R] [M] et Mme [D] [W] épouse [M] de leur demande de dommages et intérêts ;
DEBOUTE la Selarl Pieroni-Mignon-Guzmann de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
CONDAMNE M. [J] [E] et Mme [N] [H] épouse [E] aux dépens de l’instance ;
CONDAMNE solidairement M. [J] [E] et Mme [N] [H] épouse [E] à payer à M. [R] [M], Mme [D] [W] épouse [M] la somme de 1500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
CONDAMNE solidairement M. [J] [E] et Mme [N] [H] épouse [E] à payer à la Selarl Pieroni-Mignon-Guzmann la somme de 1500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
RAPPELLE que l’exécution provisoire de droit assortit l’entière décision.
REJETTE le surplus des demandes.
Ainsi jugé par mise à disposition au greffe de la troisième chambre du Tribunal Judiciaire de Draguignan le SIX JUIN DEUX MILLE VINGT-QUATRE.
La greffière, La présidente,