TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE DRAGUIGNAN
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Chambre 3 - CONSTRUCTION
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DU 23 Mai 2024
Dossier N° RG 21/00056 - N° Portalis DB3D-W-B7F-I6NU
Minute n° : 2024/150
AFFAIRE :
[T] [L], [P] [C] épouse [L] C/ [S] [N] épouse [O], [U] [O]
JUGEMENT DU 23 Mai 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
PRÉSIDENT : Madame Hélène SOULON, Vice-Présidente, statuant à juge unique
Greffière lors des débats : Madame Cécile CARTAL
Greffière lors de la mise à disposition: Madame Peggy DONET
DÉBATS :
A l’audience publique du 21 Mars 2024
A l’issue des débats, les parties ont été avisées que le jugement serait prononcé par mise à disposition au greffe le 23 Mai 2024
JUGEMENT :
Rendu après débats publics par mise à disposition au greffe, par décision contradictoire et en premier ressort
copie exécutoire à :
Me Lionel ESCOFFIER
Me Elodie GIGANT
Délivrées le 23 Mai 2024
Copie dossier
NOM DES PARTIES :
DEMANDEURS :
Monsieur [T] [L], demeurant [Adresse 3]
Madame [P] [C] épouse [L], demeurant [Adresse 3]
représentés par Maître Lionel ESCOFFIER, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
D’UNE PART ;
DÉFENDEURS :
Madame [S] [N] épouse [O], demeurant [Adresse 2]
Monsieur [U] [O], demeurant [Adresse 2]
représentés par Maître Elodie GIGANT, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
D’AUTRE PART ;
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EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE :
M. [U] [A] [W] [O] et Mme [S] [N] ont acquis leur droit de propriété de l’indivision [B] par acte du 24 mai 2007 et ils ont effectué un détachement de parcelle dans le cadre d’une division foncière.
Par acte authentique en date du 20 janvier 2016, dressé par Maître [X] [G], M. [U] [O] et Mme [S] [N] épouse [O] ont vendu à M. [T] [L] et son épouse, Mme [P] [C] une parcelle de terrain à bâtir sise [Adresse 6] Section BL n° [Cadastre 1] à [Localité 5].
Reprochant à leurs vendeurs de ne pas les avoir informés de la présence d’une canalisation en eau publique traversant le terrain et les empêchant d’effectuer la construction projetée et mise hors service uniquement au printemps 2019, ils ont tenté une conciliation le 11 juillet 2019 qui n’a pas abouti.
Ils ont également proposé une médiation sans obtenir de réponse des époux [O].
Par acte d’huissier du 22 décembre 2020, M. [T] [L] et Mme [P] [C] épouse [L] ont fait assigner devant le tribunal judiciaire de Draguignan, Mme [S] [O] née [N] et M.[U] [O] , au visa de l’article 1638 du code civil, afin de voir déclarer leur demande recevable et bien fondée et de condamner solidairement les défendeurs à leur payer les sommes suivantes : 3030 € au titre du coût de trois mois de logement en raison du retard de chantier occasionné par la présence du tuyau, 1950 € au titre du surcoût de terrassement occasionné, 17 640 € au titre du préjudice du coût d’enlèvement, 3000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile en sus des entiers dépens.
Le 11 août 2021, M. [U] [O] et Mme [S] [O] ont dénoncé l’assignation et appelé en garantie Maître [X] [G], notaire.
Une ordonnance de jonction entre les deux affaires a été rendue par le juge de la mise en état le 17 janvier 2022.
Par ordonnance du 4 mai 2023, ce même juge a constaté le désistement d’instance et d’action partiel de M. [U] [O] et de Mme [S] [N] épouse [O] à l’encontre de Maître [X] [G].
Toutes les parties ont conclu et une ordonnance de clôture a été rendue le 8 janvier 2024 avec effet différé au 7 mars 2024. L’audience s’est tenue le 21 mars 2024 et l’affaire a été mise en délibéré au 23 mai 2024.
PRETENTIONS ET MOYENS :
Par conclusions récapitulatives numéro 2, notifiées par RPVA le 5 janvier 2024, M. [T] [L] et Mme [P] [L] maintiennent leurs demandes initiales en application des articles 1638 et 1240 du code civil, sauf à voir condamner M. et Mme [F] au paiement de la somme de 3600 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers distraits au profit de M. Le Bâtonnier [E] [K].
M. [U] [O] et Mme [S] [O], par conclusions récapitulatives numéro 2, notifiées par RPVA le 21 février 2024, demandent au tribunal de débouter les consorts [L] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions et à titre subsidiaire de leur accorder les plus larges délais de paiement pour apurer leur dette, d’écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir et en tout état de cause de condamner M.et Mme [L] au paiement de la somme de 5000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Les prétentions respectives et moyens des parties sont résumées dans les motifs de la décision. Pour plus ample exposé, il convient de se référer aux dernières conclusions susvisées conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION :
. Sur l’application des articles 1638 et 1240 du code civil :
Moyens des parties :Les époux [L] font valoir qu’une servitude non apparente ne constitue pas un vice caché mais relève des dispositions de l’article 1638 du code civil et qu’en l’espèce la présence d’un tuyau d’approvisionnement d’eau sur leur terrain a retardé les travaux de construction prévus.
Ils soulignent que le règlement de copropriété établi le 12 avril 1971 avec rectificatif du 6 juin 1972, accompagné d’un document d’arpentage et du plan établi par M. [D], géomètre expert a été publié le 14 juin 1972 sous les numéros de volume 399 n° 11 et 12 et que le plan révèle que le lot n° 2 est affectée d’une servitude pour canalisation d’eau.
Ils considèrent que les vendeurs devaient donc les informer de cette servitude et peu importe qu’ils en aient ou non eu connaissance, libre à eux de se retourner contre leur vendeur ou le notaire qui aurait dû regarder le plan de M. [D].
Ils ajoutent que le fait que les vendeurs n’aient pas mentionné dans l’acte l’existence de la servitude constitue une faute qui leur causé des préjudices.
M. et Mme [O] exposent que la servitude n’a jamais été publiée auprès des services de la publicité foncière et ne figure pas dans leur acte d’acquisition. Qu’elle n’apparait pas non plus dans l’état hypothécaire.
Ils indiquent ne pas comprendre la présence de cette canalisation et font valoir qu’ils sont surpris que les demandeurs n’engagent pas une procédure contre la société Veolia. Ils précisent que cette société, exploitante du réseau a considéré que cette canalisation datait des années 1960 et appartenait à l’ancienne société d’exploitation Seve mais qu’elle avait été abandonnée au profit d’une autre liaison de sorte qu’il n’y a plus de servitude de passage.
Ils font valoir que l’acte de dépôt de pièces du 6 avril 1972 ne révèle aucune servitude particulière concernant le lot numéro 2 si ce n’est une servitude de non altius tollendi à l’intérieur des virages.
1.2 Réponse du tribunal :
Selon l'article 1626 du code civil, le vendeur est obligé de droit à garantir l'acquéreur de l'éviction qu'il souffre dans la totalité ou partie de l'objet vendu, ou des charges prétendues sur cet objet, et non déclarées lors de la vente. L'article 1628 du code civil, qui est une application de ce principe pour les servitudes indique que « Si l'héritage vendu se trouve grevé, sans qu'il en ait été fait de déclaration de servitudes non apparentes, et qu'elles soient de telle importance qu'il y ait lieu de présumer que l'acquéreur n'aurait pas acheté s'il en avait été instruit, il peut demander la résiliation du contrat, si mieux il n'aime se contenter d'une indemnité.' Ce texte s'applique à toutes les charges occultes à caractère réel ou personnel. Une charge pouvant se définir comme un droit dont un tiers est titulaire sur une chose ou en rapport avec elle et qui est de nature à diminuer la valeur du droit de propriété acquis par l'acheteur.
En l’espèce, la lecture du document en date du 6 avril 1972 intitulé « dépôt des pièces du lotissement la Pinède » qui a été publié le 14 juin 1972 indique que se trouve annexé à l’ampliation notamment le règlement du lotissement et tous les plans établis par M. [D], géomètre expert demeurant à [Localité 4]. Un acte rectificatif est intervenu et a précisé que de nouvelles références cadastrales ont été publiées mais qu’il « n’est ni innové ni dérogé aux autres termes de l’acte du six avril mil neuf cent soixante douze qui demeurent tous en vigueur notamment l’origine de propriété du chef de la commune de [Localité 5]. ».
Le règlement du lotissement communal de la Pinède fait état de différentes servitudes et pour les servitudes foncieres particulières précise en son article 15 qu’il n’y a pas de conditions de construction dans certains lots et en son article 16 que les lots 2 et 4 sont frappés d’une servitude non altius tollendi à l’intérieur des virages. Toutefois si les plans de M. [D], géomètre expert font apparaitre sur le lot numéro 2, en pointillé, une servitude pour canalisation d’eau, cette servitude n’a pas été reprise dans le règlement du lotissement et les demandeurs ne justifient que la canalisation dont ils se plaignent se situent à l’endroit qui est mentionné sur lesdits plans, le procès-verbal de constat d’huissier du 11 mars 2016 étant peu précis sur ce point. De plus les plans (pièces 14 et 15 des demandeurs) ne sont pas datés et il est impossible d’affirmer qu’il s’agit des plans qui auraient été annexés lors du dépôt des pièces du lotissement, sachant que figure sur le plan de masse la mention suivante : vu pour être annexé à l’acte favorable en date du 4 janvier 1973, ce qui ne correspond pas aux dates précitées.
De plus et en tout état de cause, ce seul plan est insuffisant pour constituer une servitude de réseau d’eau qui n’a été reprise dans aucun document et aucun acte notarié Elle ne figure pas dans le règlement du lotissement communal, elle n’apparait pas dans l’acte de vente du 24 mai 2007 intervenu entre les consorts [B], M. [O] et Mme [N], ni dans l’acte de vente du 20 janvier 2016 entre les époux [O] et les époux [L], ni dans le certificat de la publicité foncière du 10 juillet 2015 alors toutes ces pièces mentionnent la servitude de non altius tollendi.
Il a été rappelé dans les actes de vente que les biens immobiliers vendus étaient situées dans un lotissement dont l’arrêté de lotir a été délivré depuis plus de dix ans et qu’aucune demande de maintien des règles d’urbanisme n’a été déposée par les colotis, de sorte que les règles d’urbanisme résultant du règlement de lotissement ne s’appliquent plus et que les autres dispositions contractuelles résultant du cahier des charges du lotissement subsistent, or l’existence d’un réseau d’eau avec une éventuelle servitude ne figure nulle part, à l’exception des plans indiquées précédemment. Selon le courrier de la société Veolia ladite conduite d’eau n’est plus en service depuis 2019 et elle n’en revendique ni la propriété ni l’accès.
L’acte notarié du 20 janvier 2016 prévoit en page 21 que l’acquéreur prend le bien dans l’état où il se trouve au jour de l’entrée en jouissance, sans recours contre le vendeur pour quelque cause que ce soit notamment en raison des vices apparents et des vices cachés. Par l’emploi de la formule « pour quelque cause que ce soit » cette clause exonère donc les époux [O] de la garantie de l’article 1638 du code civil. Les vendeurs ne pouvaient pas avoir connaissance de l’existence d’une canalisation sur la parcelle de terrain vendue aux époux [L], celle-ci n’ayant été mise en évidence que lors de la fouille du bien par les acquéreurs.
Faute de publication de cette servitude ou d’une mention de celle-ci dans les actes dont ils ont eu connaissance, rien ne permet de remettre en cause leur bonne foi et il n’est pas démontré que M. [U] [O] et Mme [S] [N] épouse [O] avaient une connaissance avérée de l'existence de la charge ayant trait à la présence de la canalisation souterraine litigieuse.
Aucune faute de la part des époux [O], en lien direct avec les préjudices dont les demandeurs se prévalent n’est établie et il n’y pas lieu non plus de faire application de l’article 1240 du code civil.
Par conséquent, M. [T] [L] et Mme [P] [L] seront déboutés de toutes leurs demandes.
2. Sur les demandes accessoires :
M. [T] [L] et Mme [P] [L], parties perdantes, seront condamnés, en application de l’article 696 du code de procédure civile aux entiers dépens de l’instance.
L’équité ne justifie pas de faire application de l’article 700 du code de procédure civile en faveur de M.[U] [O] et Mme [S] [N] épouse [O] et les époux [L] seront également déboutés de leur demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS :
Le tribunal statuant en audience publique, par mise à disposition au Greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort :
DEBOUTE M. [T] [L] et Mme [P] [L] de toutes leurs demandes ;
REJETTTE toutes les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE M. [T] [L] et Mme [P] [L] aux entiers dépens de l’instance ;
RAPPELLE que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire.
Ainsi jugé par mise à disposition au greffe de la troisième chambre du tribunal judiciaire de Draguignan le 23 mai 2024
La greffière, La présidente,