RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
Au nom du Peuple Français
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BOULOGNE SUR MER
ORDONNANCE STATUANT SUR UNE DEMANDE DE MAINTIEN EN RETENTION
MINUTE : 24/1065
Appel des causes le 07 Juillet 2024 à 10h00 en visioconférence
Div\étrangers
N° étr\N° RG 24/03111 - N° Portalis DBZ3-W-B7I-755DL
Nous, Madame BOIVIN Anne, Vice Présidente au Tribunal judiciaire de BOULOGNE SUR MER, Juge des Libertés et de la Détention, assistée de Madame FAIT Mylène, Greffier, statuant en application des articles L.742-1, L.743-4, L.743-6 à L.743-8, L. 743-20 et L. 743-24 du Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile;
En présence de Madame [B] [T], interprète en langue turque, serment préalablement prêté ;
Vu le Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile notamment en ses articles L. 741-1 et suivants ;
Monsieur [O] [V]
de nationalité Turque
né le 20 Mai 1976 à [Localité 4] (TURQUIE), a fait l’objet :
- d’une obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, fixant le pays de destination de la reconduite, lui faisant interdiction de retour sur le territoire français prononcée le 06 juillet 2022 par Mme PREFETE DE la HAUTE-VIENNE, qui lui a été notifié le 22 juillet 2022 ;
- et ordonnant son placement en rétention administrative pour une durée de quarante-huit heures, prononcée le 04 juillet 2024 par Mme PREFETE DE L’OISE , qui lui a été notifié le même jour à 22h10.
Par requête du 06 Juillet 2024 reçue au greffe à 11h08, Mme PREFETE DE L’OISE invoquant devoir maintenir l’intéressé au-delà de quarante-huit heures, demande l’autorisation de prolonger ce délai pour une durée de VINGT HUIT jours maximum.
En application des articles L.743-9 et L. 743-24 du Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile il a été rappelé à l’intéressé, assisté de Me Victoire BARBRY, avocat au Barreau de BOULOGNE-SUR-MER et commis d’office, les droits qui lui sont reconnus pendant la rétention et a été informé des possibilités et des délais de recours contre toutes les décisions le concernant ; qu’il a été entendu en ses observations.
L’intéressé déclare : Je souhaite être assisté d’un avocat. Mes enfants sont ici, ma famille est ici. J’ai deux enfants scolarisés en France. Si vous voulez me séparer de mes enfants et me renvoyer malgré cela, je vous laisse apprécier. Je demanderai que vous me donniez une autorisation de travail pour que je puisse subvenir aux besoins de ma famille et de mes enfants.
Me Victoire BARBRY entendu en ses observations : Je souligne le fait qu’il y a eu une intervention tardive de l’interprète. Monsieur a été placé en garde à vue et à 12h30 on lui notifie sa garde à vue et on lui donne un formulaire en langue turque lui notifiant ses droits. Il n’y avait pas d’interprète à 12h30. Le formulaire n’indique pas à Monsieur ce qui lui est reproché, à quelle date et où. Il y a un avis à magistrat à 12h35 et on attend 40 minutes pour faire appel à un interprète. L’article 63-1 est clair : la personne doit être immédiatement informée du pourquoi de la garde à vue. Je soulève le défaut de base légale sur le placement en rétention administrative. Depuis la loi du 26.01.2024, l’OQTF a des effets plus durables (3 ans). Il y a une jurisprudence qui se base sur l’article 2 du code civil et la non rétroactivité de la loi. La décision de placement en rétention est fondée sur une OQTF prise le 06.07.2022. Cette OQTF a expiré le 06.07.2023. L’OQTF était expirée, on ne peut pas lui donner les effets de la loi du 26.01.2024. Le placement en rétention est dépourvu de base légale. Je soulève le défaut de notification effective de la décision de placement. On a une notification des droits et du placement en rétention qui a duré 2 minutes. C’est évidemment insuffisant. Je vous demande de rejeter la demande de la préfecture.
MOTIFS
Le 4 juillet 2024, alors que les policiers étaient en cours de verbalisation d’un véhicule pour une infraction routière, Monsieur [V] se présentait à eux expliquant être Turque et présentant une carte d’identité turque. Faisant l’objet d’une interdiction de retour sur le territoire français, il a été placé en garde-à-vue. A l’issue, Monsieur [V] a été placé en rétention administrative le 4 juillet 2024 consécutif à un arrêté portant obligation de quitter le territoire du 6 juillet 2022, sachant qu’un précédent avait été pris le 4 novembre 2021.
Il a fait une demande d’asile auprès de l’OFPRA le 3/03/2022 puis a exercé un recours contre le rejet qui l’a également débouté le 22/06/2022.
Sur l’intervention tardive de l’interprète
Il résulte des différents procès-verbaux d’une part que Monsieur [V] est arrivé au commissariat de police à 12h20 où il a été présenté à un officier de police judiciaire. Sa garde-à-vue lui a été notifiée au moyen d’un formulaire en langue turque à 12h30.
Un autre procès-verbal du 4 juillet 2024 à 13h10 mentionne que les policiers ont « effectué des recherches dans leurs listes d’interprète aux fins de traduction orale en langue turque » et qu’ils n’ont « réussi à joindre Monsieur [R] [M] domicile à [Localité 1] qui leur indique pouvoir se déplacer en leurs service, le temps de faire la route. Il leur indique que la notification des droits liés à la garde-à-vue se fera en présentiel dès son arrivée prévue vers 14h30 ».
Dès lors, les services de police ont effectué des diligences pour trouver un interprète mais qui n’ont pu aboutir qu’à 13h10 étant précisé qu’il a été nécessaire de recourir à un interprète résidant à 1h20 de route du commissariat. Les droits de Monsieur [V] ont été notifiés dans un premier temps par le biais d’un formulaire puis s’agissant du motif de son placement en garde-à-vue dès qu’ils ont pu avoir un interprète en tout état de cause il ne peut être reproché aux policiers d’avoir rencontré des difficultés pour trouver un interprète qui constitue pour eux un obstacle insurmontable.
Dans ces conditions, le moyen sera rejeté.
Sur l’absence de base légale du fait de l’expiration de la mesure d’éloignement avant le placement en rétention administrative
L’article 731-1 du CESEDA dans sa version issue de la loi n°2024-42 du 26 janvier 2024 a ainsi allongé le délai au-delà duquel une OQTF ne peut plus constituer la base légale d’un arrêté de placement en rétention d’un an à trois. Cette loi est entrée en vigueur le 28 janvier 2024.
En conséquence, toute décision d’assignation à résidence ou de placement en rétention administrative prise à compter de cette date est susceptible d’avoir pour base légale un arrêté portant obligation de quitter le territoire français pris depuis moins de 3 ans sans que cela n’implique d’effet rétractif de la loi nouvelle.
Il est ainsi sans incidence que, sous l’empire des dispositions précédemment applicables, le délai d’un an alors prévu soit arrivé à expiration le 22 juillet 2023, ce qui n’aurait eu de conséquence qu’à l’égard d’une mesure de placement prise en application de la loi antérieure.
En l’espèce, la loi du 26 janvier 2024 s’applique immédiatement et permet que toute OQTF prise moins de 3 ans auparavant puisse constituer la base légale d’un arrêté de placement en rétention.
De reste, la question de la validité de la mesure d’éloignement sur laquelle est fondée la mesure de rétention dont l’appréciation relève de la compétence du juge administratif n’est pas en cause en l’espèces, seul, au-delà de son existence son caractère exécutoire à la date de la mesure de placement devant être vérifié pour satisfaire aux conditions posées par les dispositions de l’articles L741-1 et L731-1 CESEDA et apprécier ainsi la régularité de la mesure de placement ce qui relève bien en l’état du droit applicable de la compétence du juge judiciaire.
En l’espèce, Monsieur [V] a fait l’objet d’une décision de placement en rétention notifiée le 4 juillet 2024 date à laquelle la loi nouvelle était donc applicable. Or à cette date la mesure d’OQTF prise et notifié le 22 juillet 2022 était bien antérieure de moins de 3 ans à la décision de placement de sorte que l’éloignement peut intervenir sur cette base dans le cadre de la rétention en cours.
Le moyen sera donc rejeté.
Sur le défaut de notification effective de la décision
Il résulte des documents joints à la procédure que les droits de Monsieur [V] dans le cadre de la mesure de rétention lui ont été notifiés le 4 juillet 2024 de 22h10 à 22h12. Si Monsieur [V] fait valoir que ce temps serait trop bref, le juge judiciaire n’est pas en mesure d’apprécié les capacités de traduction d’un interprète.
Dès lors, en l’absence d’élément qui viendrait démontrer de l’existence d’un grief, le moyen sera rejeté.
Sur la demande de prolongation de la mesure de rétention
Il ressort de l’article 741-3 CESEDA que l’administration doit justifier avoir effectué toutes les diligences utiles suffisantes pour réduire au maximum la période de rétention de l’étranger.
Monsieur [V] est en possession d’un document d’identité mais dépourvu de documents de voyage en cours de validité, ce qui a conduit à une demande de laissez-passer consulaire auprès des autorités turques le 4 juillet 2024 à 20h03. Une demande de routing à destination de la Turquie a été faite le 5 juillet 2024 à 7h54.
En attente d’une réponse à ces diligences, utiles et suffisantes en l’espèce, la prolongation du placement en rétention administrative de l’intéressé est justifiée au regard de l’article 742-1 du CESEDA.
Attendu que l’intéressé ne présente pas de garanties suffisantes pour la mise à exécution de la mesure de reconduite à la frontière, que des mesures de surveillance sont nécessaires.
Eu égard aux nécessités invoquées par Mme PREFETE DE L’OISE, il convient d’accorder la prolongation demandée.
PAR CES MOTIFS
Autorisons l’autorité administrative à retenir : Monsieur [O] [V] dans les locaux ne relevant pas de l’Administration pénitentiaire pour une prolongation de rétention administrative d’une durée maximale de VINGT HUIT JOURS soit jusqu’au : 3 août 2024
NOTIFIONS sur le champ la présente ordonnance par mail au CRA pour remise à l’intéressé qui, en émargeant ci-après, atteste avoir reçu copie et l’avisons de la possibilité de faire appel, devant le Premier Président de la Cour d’Appel ou son délégué, de la présente ordonnance dans les vingt quatre heures de son prononcé ; l’informons que la déclaration d’appel doit être motivée et peut être transmise par tout moyen (notamment par mail via la boîte structurelle : [Courriel 3] ) au greffe de la Cour d’Appel de DOUAI ; lui indiquons que seul l’appel formé par le ministère public peut être déclaré suspensif par le Premier Président de la Cour d’Appel ou son délégué.
Le Représentant de la Préfecture, L’Avocat, Le Greffier, Le Juge,
Présent sur le site
de [Localité 2]
décision rendue à 12h10
L’ordonnance a été transmise ce jour par mail à Mme PREFETE DE L’OISE et au Tribunal administratif de LILLE
N° étr\N° RG 24/03111 - N° Portalis DBZ3-W-B7I-755DL
Décision notifiée à ...h...
L’intéressé, L’interprète,