Tribunal judiciaire de Bobigny
Service du contentieux social
Affaire : N° RG 24/00330 - N° Portalis DB3S-W-B7I-Y4O2
Jugement du 04 SEPTEMBRE 2024
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BOBIGNY
JUGEMENT CONTENTIEUX DU 04 SEPTEMBRE 2024
Serv. contentieux social
Affaire : N° RG 24/00330 - N° Portalis DB3S-W-B7I-Y4O2
N° de MINUTE : 24/01585
DEMANDEUR
Monsieur [C] [N]
né le 16 Juin 1977 à SENEGAL (00248)
[Adresse 1]
[Localité 3]
présent et assisté par Me Hugo ESTEVENY, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, vestiaire : PB 96
DEFENDEUR
MDPH DE LA SEINE SAINT DENIS Secteur Est
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Madame [E] [R], audiencière
COMPOSITION DU TRIBUNAL
DÉBATS
Audience publique du 19 Juin 2024.
M. Cédric BRIEND, Président, assisté de Monsieur Philippe LEGRAND et Madame Sonia BOUKHOLDA, assesseurs, et de Monsieur Denis TCHISSAMBOU, Greffier.
Lors du délibéré :
Président : Cédric BRIEND,
Assesseur : Philippe LEGRAND, Assesseur non salarié
Assesseur : Sonia BOUKHOLDA, Assesseur salarié
JUGEMENT
Prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort, par Cédric BRIEND, Juge, assisté de Denis TCHISSAMBOU, Greffier.
Transmis par RPVA à : Me Hugo ESTEVENY
FAITS ET PROCÉDURE
Par requête déposée le 23 janvier 2024 au greffe, Monsieur [C] [N] a saisi le service du contentieux social du tribunal judiciaire de Bobigny aux fins de contester la décision du 31 octobre 2023 de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) lui refusant le bénéfice de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), son taux d’incapacité étant compris entre 50% et 80% et la commission estimant qu’il ne présente pas de restriction substantielle et durable pour l’accès à l’emploi.
Par ordonnance avant dire droit du 15 mai 2024, la présidente du service du contentieux social du tribunal judiciaire de Bobigny a ordonné une mesure de consultation médicale et commis en qualité de médecin consultant le docteur [Y] [G] avec pour mission notamment, en se plaçant à la date de la demande, soit le 13 février 2023, de :
décrire les pathologies dont souffre Monsieur [C] [N],examiner Monsieur [C] [N],fixer le taux d’incapacité permanente par référence au guide-barème pour l’évaluation des déficiences et incapacités des personnes handicapées ;si le taux est au moins égal à 80% :- donner un avis sur la durée d’attribution de l’Allocation Adulte Handicapé, en fonction de l’évolution prévisible de son état de santé ; si le taux est compris entre 50 et 79% :- se prononcer sur l’existence, d’une restriction substantielle et durable pour l’accès à l’emploi, compte tenu de son handicap ;
- dans cette hypothèse, donner son avis sur la durée d’attribution de l’Allocation Adulte Handicapé, en fonction de l’évolution prévisible de son état de santé ;
faire toutes observations utiles à la résolution du litige.
L’affaire a été appelée et retenue à l’audience du 19 juin 2024, date à laquelle les parties, présentes ou représentées, ont été entendues en leurs observations.
Le docteur [G] a procédé à la consultation de Monsieur [C] [N] et a exposé son rapport oralement à l’audience.
Par observations oralement développées à l’audience, Monsieur [C] [N], comparant en personne et assisté de son conseil, maintient sa demande d’AAH.
Il fait valoir qu’il s’agit d’un renouvellement d’AAH, qu’il n’est plus en capacité d’exercer sa profession dès lors qu’il a été déclaré inapte par la médecine du travail. Il soutient qu’il lui est impossible de se reconvertir professionnellement en ce qu’il ne possède aucun diplôme, qu’il ne sait pas lire le français et parle difficilement la langue française.
Par conclusions complétées oralement à l’audience, la MDPH, régulièrement représentée, demande au tribunal de débouter Monsieur [N] de ses demandes.
Elle fait valoir que Monsieur [N] présente une déficience ostéoarticulaire du rachis entraînant des difficultés modérées à notables dans la mobilité, notamment dans ses déplacements et la station debout prolongée, de sorte qu’il a donc un taux d’incapacité compris entre 50 et 80%. Compte tenu de sa situation en matière d’insertion professionnelle, elle indique qu’il n’est pas reconnu inapte à occuper un emploi sédentaire à temps plein, n’a pas de projet professionnel au moment de sa demande, qu’il ne présente donc pas de restriction substantielle et durable pour l’accès à l’emploi et qu’en conséquence, l’allocation aux adultes handicapés ne peut lui être accordée.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, le tribunal, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions de celle-ci.
L’affaire a été mise en délibéré au 4 septembre 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande d’attribution de l’allocation adulte handicapé
Par application des articles L. 821-1, L. 821-2, D .821-1 et R. 821-5 du code de la sécurité sociale, l’Allocation aux Adultes Handicapés (AAH) est accordée aux personnes qui présentent un taux d’incapacité permanente au moins égal à 80%.
L’Allocation aux Adultes Handicapés est également versée à toute personne dont le taux d’incapacité permanente est inférieur à 80% et supérieur ou égal à 50% et qui, compte tenu de son handicap, est atteinte d’une restriction substantielle et durable pour l’accès à l’emploi.
Aux termes de l’article D. 821-1-2 du code de la sécurité sociale, “ [...] la restriction substantielle et durable pour l'accès à l'emploi subie par une personne handicapée qui demande à bénéficier de l'allocation aux adultes handicapés est appréciée ainsi qu'il suit :
1° La restriction est substantielle lorsque le demandeur rencontre, du fait de son handicap même, des difficultés importantes d'accès à l'emploi. A cet effet, sont à prendre en considération :
a) Les déficiences à l'origine du handicap ;
b) Les limitations d'activités résultant directement de ces mêmes déficiences ;
c) Les contraintes liées aux traitements et prises en charge thérapeutiques induits par le handicap ;
d) Les troubles qui peuvent aggraver ces déficiences et ces limitations d'activités.
Pour apprécier si les difficultés importantes d'accès à l'emploi sont liées au handicap, elles sont comparées à la situation d'une personne sans handicap qui présente par ailleurs les mêmes caractéristiques en matière d'accès à l'emploi.
2° La restriction pour l'accès à l'emploi est dépourvue d'un caractère substantiel lorsqu'elle peut être surmontée par le demandeur au regard :
a) Soit des réponses apportées aux besoins de compensation mentionnés à l'article L. 114-1-1 du code de l'action sociale et des familles qui permettent de faciliter l'accès à l'emploi sans constituer des charges disproportionnées pour la personne handicapée ;
b) Soit des réponses susceptibles d'être apportées aux besoins d'aménagement du poste de travail de la personne handicapée par tout employeur au titre des obligations d'emploi des handicapés sans constituer pour lui des charges disproportionnées ;
c) Soit des potentialités d'adaptation dans le cadre d'une situation de travail.
3° La restriction est durable dès lors qu'elle est d'une durée prévisible d'au moins un an à compter du dépôt de la demande d'allocation aux adultes handicapés, même si la situation médicale du demandeur n'est pas stabilisée. La restriction substantielle et durable pour l'accès à l'emploi est reconnue pour une durée de un à cinq ans.
4° Pour l'application du présent article, l'emploi auquel la personne handicapée pourrait accéder s'entend d'une activité professionnelle lui conférant les avantages reconnus aux travailleurs par la législation du travail et de la sécurité sociale.
5° Sont compatibles avec la reconnaissance d'une restriction substantielle et durable pour l'accès à l'emploi :
a) L'activité à caractère professionnel exercée en milieu protégé par un demandeur admis au bénéfice de la rémunération garantie mentionnée à l'article L. 243-4 du code de l'action sociale et des familles ;
b) L'activité professionnelle en milieu ordinaire de travail pour une durée de travail inférieure à un mi-temps, dès lors que cette limitation du temps de travail résulte exclusivement des effets du handicap du demandeur ;
c) Le suivi d'une formation professionnelle spécifique ou de droit commun, y compris rémunérée, résultant ou non d'une décision d'orientation prise par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées mentionnée à l'article L. 241-5 du code de l'action sociale et des familles.”
En l’espèce, aux termes de ses constatations cliniques et sur pièces, le docteur [Y] [G], médecin consultant désigné par le tribunal, a exposé oralement son rapport, dans les termes suivants :
“Le patient présente les affections médicales suivantes :
– Des lomboradiculalgies chroniques bilatérales prédominantes à gauche, de territoires L5 et S1. Cependant un électromyogramme réalisé en 2019 retrouvait une atteinte radiculaire L4 gauche isolée. Une IRM du rachis lombaire ne retrouvait aucun conflit discoradiculaire en particulier de la racine L4 et permettait de mettre en évidence des signes inflammatoires des coins antéro-supérieurs des corps vertébraux T12, L2 et L3. Un diagnostic de spondylarthropathie était évoqué sur ces données radiologiques, non confirmé par la suite.
– La survenue de malaises en 2016 avec flou visuel, acouphènes dans un contexte d'hypotension artérielle orthostatique objectivée. Le bilan cardiovasculaire et neurologique restait cependant sans particularité et ne retrouvait en particulier aucun élément pour une épilepsie.
– Une entorse du genou droit en décembre 2018 avec réalisation d'une IRM en février 2019 qui retrouvait une chondropathie congestive interne
– Une hépatite B chronique sans cirrhose ni insuffisance hépatocellulaire, sans hypertension portale objectivées avec bilan biologique hépatique (portant en particulier sur les transaminases) normal, à faible charge virale et non traitée
Les critères d'autonomie tels qu'ils figurent sur le certificat médical daté du 06/02/2023 sont majoritairement de type A et B.
On retient au titre des éléments cliniques une boiterie du membre inférieur gauche (esquive) avec verrouillage du genou gauche en recurvatum, hyperlaxité du genou gauche, positivité du signe de Lachman, présence d'un tiroir antérieur et postérieur, déficit du muscle quadricipital gauche coté 3/5 avec abolition du réflexe ostéotendineux rotulien gauche.
Je retiens de l'examen clinique pratiqué le 19 juin 2024 :
– Traitement par amitriptyline, antalgiques de classe I et II, IPP.
– Déshabillage/habillage réalisés seul et sans aide, de façon lente et empruntée.
– Marche marquée par une boiterie gauche avec appui sur le pied gauche prudent. À la marche, le genou gauche apparaît libre en flexion. Patient porteur d'un lombostat et d'une canne.
– Rachis lombaire : Schober et distance doigt-sol non réalisables ; hyperlordose lombaire avec segment rachidien lombaire peu mobile ; station sur les talons et les pointes possible et tenue. Lombalgies en barre avec cellulalgie et radiculalgie L5 – S1 bilatérale jusqu'au mollet.
– Neuromusculaire : amyotrophie marquée du membre inférieur gauche avec un périmètre de cuisse à 53,5 cm à gauche versus 64 cm à droite et un périmètre de mollet à 36 cm à gauche versus 42 cm à droite.
L'ensemble des réflexes ostéotendineux sont absents aux membres inférieurs comme aux membres supérieurs. Les réflexes cutanés plantaires sont indifférents.
Présence d'un déficit quadricipital au membre inférieur gauche coté 3+/5 avec un déficit du fléchisseur et de l'extenseur du pied gauche coté 3+/5.
– Genou droit : examen sans particularité.
– Genou gauche : présence d'une déformation en recurvatum et en valgus avec tiroir antérieur et postérieur. Pas de laxité latérale. Pas d'épanchement intra-articulaire.
Conclusion :
Au regard de l'ensemble des éléments, à la date du 13 février 2023, le taux d'incapacité permanente est compris entre 50 et 79 % sans restriction substantielle et durable de l'accès à un emploi au titre médical.”
A l’audience, Monsieur [N] maintient sa demande d’AAH et soutient qu’il présente une restriction substantielle et durable d’accès à l’emploi. Il verse aux débats l’avis d’inaptitude délivré par le médecin du travail le 11 septembre 2019 lequel indique que “tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé et que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi”, la notification de licenciement pour inaptitude et dispense de recherche de reclassement délivrée le 2 octobre 2019 par l’employeur, une attestation de droits à la pension d’invalidité délivrée par la caisse primaire d’assurance maladie le 11 février 2023 et un compte rendu de consultation du 23 mai 2019 délivré par le service de neurologie de l’hôpital [5] indiquant que “(...) l’interrogatoire est difficile chez ce patient mais il semble qu’en 2015, suite à un malaise occasionné par inhalation de produits toxiques il ait fait une chute dans les escaliers ayant entraîné depuis des lombalgies avec un déficit du membre inférieur gauche. (...)”
Il résulte de ces éléments, que Monsieur [N] a été licencié pour inaptitude professionnelle et n’a pas pu être reclassé à un autre poste. De plus, Monsieur [N] allègue avoir des difficultés pour lire et s’exprimer en langue française qui sont corroborées par le compte rendu de consultation du 23 mai 2019 dans lequel le praticien neurologue relève un interrogatoire difficile du patient.
Dès lors, un emploi dans le secteur tertiaire apparaît incompatible avec l’état de santé de Monsieur [N] qui ne maitrise pas la langue française actuellement de sorte qu’il convient de dire qu’en l’état, il présente une restriction substantielle et durable d’accès à l’emploi.
Il convient donc de faire droit à sa demande d’attribution d’AAH pour une durée de deux ans, sous respect du respect des conditions administratives.
Sur les frais de consultation
Aux termes du premier alinéa de l’article L. 142-11 du code de la sécurité sociale, “les frais résultant des consultations et expertises ordonnées par les juridictions compétentes dans le cadre des contentieux mentionnés aux 1°et 4°, 5°, 6°, 8° et 9° de l'article L. 142-1 sont pris en charge par l'organisme mentionné à l'article L. 221-1”.
Il convient en conséquence de rappeler que les frais de consultation seront pris en charge par la Caisse Nationale d’assurance maladie.
Sur les mesures accessoires
En application de l’article 696 du code de procédure civile, la MDPH qui succombe supportera les dépens.
L’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique prévoit que “(...) Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou qui perd son procès, et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, à payer à l'avocat pouvant être rétribué, totalement ou partiellement, au titre de l'aide juridictionnelle, une somme qu'il détermine et qui ne saurait être inférieure à la part contributive de l'Etat majorée de 50 %, au titre des honoraires et frais non compris dans les dépens que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. (...)”
La MDPH, partie perdante, sera condamnée à verser à Monsieur [N] la somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article susvisé.
L’exécution provisoire sera ordonnée en application de l'article R. 142-10-6 du code de la sécurité sociale.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant par jugement contradictoire, rendu en premier ressort, par mise à disposition au greffe,
Dit que Monsieur [C] [N] présente un taux d’incapacité permanente par référence au guide-barème pour l’évaluation des déficiences et incapacités des personnes handicapées compris entre 50 et 79% ;
Dit que Monsieur [C] [N] présente une restriction substantielle et durable d’accès à l’emploi ;
Dit que Monsieur [C] [N] peut bénéficier, sous réserve du respect des conditions administratives, de l’allocation aux adultes handicapés à compter du 13 février 2023 et ce pour une durée de deux ans ;
Rappelle que les frais résultant de la consultation sont pris en charge par la Caisse nationale d’assurance maladie en application de l’article L. 142-11 du code de la sécurité sociale ;
Met les dépens à la charge de la maison départementale des personnes handicapées de la Seine-Saint-Denis ;
Condamne la maison départementale des personnes handicapées de la Seine-Saint-Denis à verser à Monsieur [C] [N] la somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
Ordonne l’exécution provisoire ;
Rappelle que tout appel contre le présent jugement doit, à peine de forclusion, être interjeté dans le délai d’un mois à compter de la notification du présent jugement.
Fait et mis à disposition au greffe, la Minute étant signée par :
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
Denis TCHISSAMBOU Cédric BRIEND