TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BOBIGNY
CHAMBRE DU CONSEIL
JUGEMENT RENDU LE 08 JUILLET 2024
Chambre 1/Section 3
N° RG 23/09971 - N° Portalis DB3S-W-B7H-YJGY
N° de minute : 24/00619
DEMANDEUR
Madame [L] [X] veuve [E]
[Adresse 6]
Présente
Représentée par Me Thomas POIRIER-ROSSI, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS
DÉFENDEUR
Madame [W] [R] épouse [F],
demeurant [Adresse 8]
Présente
Représentée par Me Catherine HERRERO, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Lors des débats et du délibéré :
Président : Monsieur Thomas RONDEAU, Premier Vice-Président Adjoint
Assesseur : Madame Elsa MAZIERES, Vice-Présidente, magistrat rédacteur
Assesseur : Madame Sandra ZGRABLIC, Vice-Présidente
GREFFIER
Madame Carole BONHEUR
MINISTÈRE PUBLIC
Représenté aux débats par Monsieur Mathieu NORMAND, Vice-Procureur.
DÉBATS
A l’audience du 29 Avril 2024,l’affaire a été débattue hors la présence du public, puis mis en délibéré au 17 juin 2024 et prorogé au 08 juillet 2024
EXPOSE DU LITIGE
Par requête avec avocat reçue le 13 octobre 2017, Monsieur [K] [E], né le [Date naissance 1] 1942 à [Localité 11], [Localité 13] (Algérie), de nationalité française, marié, sans enfant, a sollicité l’adoption simple de Mme [W] [R], née le [Date naissance 5] 1978 à [Localité 12] (Algérie), de nationalité française, fille de sa sœur.
Au soutien de sa demande, il indiquait :
- qu’il s’était vu confier la garde de [W] alors âgée de 9 mois par décision de kafala algérienne, avec le consentement des parents biologiques de l’enfant,
- qu’il avait été désigné tuteur de l’enfant par décision du conseil de famille réuni au tribunal d’instance de Montreuil sous Bois le 9 mai 1989,
- qu’il l’avait élevée depuis, la considérant comme sa fille et celle-ci comme son père,
- que les parents biologiques de [W] étaient depuis lors décédés, sa mère le [Date décès 2] 1988 et son père le [Date décès 7] 1992 en Algérie,
- que Mme [W] [R], mariée et mère de deux enfants, avait donné son consentement à adoption devant notaire le 29 septembre 2015, en sa présence.
[K] [E] est décédé le [Date décès 4] 2020 à [Localité 12] (Algérie).
A l’audience en chambre du conseil le 23 novembre 2020, ont comparu le conseil de Monsieur [K] [E] ainsi que Mme [W] [R].
Par jugement 17/11664 du 18 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Bobigny a :
- prononcé l’adoption simple de Madame [W] [R] par [K] [E],
- dit que l’adoption prendra effet le 19 octobre 2017, date du dépôt de la requête au greffe,
- dit que l’adoptée conservera son nom.
Il ressortait des motifs de la décision que “le décès du requérant survenu postérieurement à la requête ne dessaisit pas le tribunal qui doit statuer sur l'adoption , laquelle produit effet au jour du dépôt de la requête. Par ailleurs , les conditions légales sont réunies et l’adoption sollicitée n’est pas de nature à compromettre la vie familiale. En conséquence, il y a lieu de faire droit à la requête”.
Mention de cette adoption a été apposée le 12 mars 2021 en marge de l’acte de naissance de Madame [W] [R] au service central d’état civil de [Localité 10].
Par acte du 17 octobre 2023 délivré à l’étude d’huissier, Mme [L] [X] veuve [E] a assigné Mme [W] [R] épouse [F] devant le présent tribunal aux fins de :
- déclarer recevable sa tierce opposition au jugement d’adoption prononcé le 18 janvier 2021,
- constater la fraude à l’adoption,
- en conséquence, rétracter le jugement d’adoption,
- subsidiairement, ordonner une mesure d’expertise graphologique à l’effet de fournir au tribunal tous éléments d’appréciation concernant la validité du consentement à adoption simple donné par M.[K] [E],
- condamner Mme [W] [R] épouse [F] à lui verser la somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles, outre les dépens de l’instance,
- ordonner la mention du dispositif du jugement sur les registres du service central d’état civil de [Localité 10],
- ordonner l’exécution provisoire.
L’affaire a été renvoyée à plusieurs reprises, n’étant pas en l’état.
Suivant ses conclusions notifiées par voie électronique le 29 mars 2024, Mme [L] [X] demande au tribunal de :
« - juger recevable la tierce opposition formée par Madame [L] [X] veuve [E]
- juger que le jugement de divorce rendu le 15 juillet 2020 par le tribunal de Relizane (Algérie) est inopposable en France et de nul effet,
- Constater la fraude à l’adoption
En conséquence :
- Rétracter le jugement rendu par la Chambre du Conseil du Tribunal Judiciaire de Bobigny le 18 janvier 2021 prononçant l’adoption simple par Monsieur [K] [E] de Madame [W] [R] née le [Date naissance 5] 1978 à [Localité 12] (Algérie)
Subsidiairement, avant dire droit :
- Ordonner une mesure d’expertise graphologique et comparée d’écritures à l’effet de fournir au Tribunal tous éléments d’appréciation concernant la validité du consentement à l’adoption simple donné par Monsieur [K] [E]
En tout état de cause :
- Condamner Madame [W] [R] épouse [F] à payer à Madame [L] [X] veuve [E] la somme de 4 000 euros au titre des disposition de l’article 700 du Code de procédure civile, outre aux entiers dépens de l’instance
- Ordonner la mention du dispositif du jugement à intervenir dans les formes et délai de la loi, et notamment de l’article 362 du code civil, sur les registres du service central d’état civil de [Localité 10] à la diligence du procureur de la République
- Ordonner l’exécution provisoire ».
A l’appui, elle expose que :
- elle s’est mariée avec [K] [E] le [Date mariage 3] 2000,
- la relation du couple s’est dégradée en 2015 lorsque [K] [E] a décidé d’acquérir un logement situé à [Localité 9] (95) dans lequel Mme [R] s’est installée avec son époux,
- [K] [E] a déposé une requête en divorce le 7 décembre 2015 auprès de ce tribunal,
- une ONC a été rendue le 14 novembre 2016,
- par jugement du 8 janvier 2020, le juge a débouté [K] [E] de sa demande de divorce pour faute et elle-même de sa demande reconventionnelle de divorce pour acceptation du principe de la rupture du mariage,
- le 15 juillet 2020, le tribunal de Relizane en Algérie a prononcé le divorce entre les époux par la volonté unilatérale de [K] [E],
- ce jugement ne lui a pas été signifié, n’a pas été transcrit et n’a fait l’objet d’aucune procédure d’exequatur,
- elle a pris connaissance du jugement d’adoption lors du règlement de la succession de son époux.
Mme [L] [X] soutient que sa tierce opposition est recevable aux motifs que :
- elle justifie de son intérêt à agir en qualité de veuve de l’adoptant, la demande de divorce en France n’ayant pas abouti et le divorce prononcé en Algérie étant inopposable en France,
- [K] [E] a manifestement fraudé ses droits, en particulier celui de consentir à l’adoption, mais également ses droits successoraux, de la manière suivante :
* en mentionnant volontairement une mauvaise adresse la concernant sur la requête en adoption, de telle sorte qu’elle ne puisse être convoquée,
* en mentionnant qu’elle est de nationalité algérienne alors qu’elle est française,
* en indiquant au tribunal le 30 aout 2020, par l’intermédiaire de son conseil, que les époux avaient décidé d’engager une procédure de divorce en Algérie alors que seul [K] [E] a pris cette décision.
S’agissant du bien fondé de son action, à savoir sa demande de rétractation du jugement d’adoption, elle indique que cette adoption a été prononcée alors que les époux n’étaient pas valablement divorcés de manière définitive et qu’en conséquence son propre consentement à cette adoption était requis par l’ancien article 343-1 du code civil.
Elle rajoute au surplus qu’[K] [E] n’est pas l’auteur de la signature portée sur la requête en adoption simple, ainsi qu’en atteste un expert graphologue sollicité par ses soins, qu’il n’aurait pas consenti à cette adoption, étant fervent pratiquant et la loi algérienne interdisant l’adoption, qu’il avait pris soin d’établir un testament en faveur de sa nièce.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 18 février 2024, Mme [W] [R] épouse [F] demande au tribunal de :
« In limine litis, CONSTATER l’irrecevabilité faute de la démonstration par Madame [L] [X] de son intérêt à agir ;
Au fond,
REJETER comme mal-fondée l’opposition de Madame [L] [X] au jugement d’adoption prononcé le 18 janvier 2021 par le Tribunal judiciaire de Bobigny ;
DIRE qu’il n’y pas lieu à rétracter le jugement d’adoption prononcé le 18 janvier 2021 par le Tribunal judiciaire de Bobigny ;
CONDAMNER Madame [L] [X] aux dépens sur le fondement de l’article 699 du Code de procédure civile ;
CONDAMNER [L] [X] à verser à Madame [W] [R] la somme 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile » ;
A l’appui, Mme [W] [R] épouse [F] indique que :
- Mme [L] [X] ne démontre pas son intérêt à agir en rétractation du jugement d’adoption, contrairement à ce qu’exige l’article 583 du code de procédure civile,
- le consentement de Mme [L] [X] à l’adoption n’était pas requis dans la mesure où le divorce entre elle et [K] [E] avait été régulièrement prononcé le 15 juillet 2020,
- la preuve d’une fraude n’est pas rapportée tant en ce qui concerne la procédure de divorce en Algérie, que les mentions erronées sur la requête, ou l’authenticité de la signature par M.[E] de celle-ci.
[DÉBATS NON PUBLICS – Motivation de la décision occultée]
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,
Constate l’intérêt à agir en tierce opposition de Mme [L] [X],
Juge irrecevable ladite tierce opposition,
Déboute Mme [W] [R] de sa demande au titre des frais irrépétibles,
Laisse à chaque partie la charge des frais qu’elle a exposé et non compris dans les dépens,
Condamne Mme [L] [X] aux dépens de la présente instance.
AINSI PRONONCÉ AU PALAIS DE JUSTICE DE BOBIGNY, L’AN DEUX MIL VINGT-QUATRE ET LE HUIT JUILLET, PAR ELSA MAZIERES, VICE-PRESIDENTE SUBSTITUANT MONSIEUR THOMAS RONDEAU, PREMIER VICE-PRESIDENT ADJOINT, EMPECHÉ, ASSISTÉE DE MADAME CAROLE BONHEUR, GREFFIÈRE.
LA GREFFIÈRE P/LE PRÉSIDENT EMPÉCHÉ
Carole BONHEUR Elsa MAZIERES