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12/06/2024 | FRANCE | N°22/02811

France | France, Tribunal judiciaire de Bobigny, Chambre 21, 12 juin 2024, 22/02811


TRIBUNAL JUDICIAIRE
de BOBIGNY



JUGEMENT CONTENTIEUX DU 12 JUIN 2024



Chambre 21
AFFAIRE: N° RG 22/02811 - N° Portalis DB3S-W-B7G-WCPN
N° de MINUTE : 24/00312



Monsieur [J] [T] [N]
né le [Date naissance 6] 1989 à [Localité 12]
[Adresse 7]
[Localité 8]
représenté par Me Yves HUDINA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1601

DEMANDEUR

C/

Société ALLIANZ IARD
[Adresse 1]
[Localité 9]
représentée par Me Stéphane BRIZON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D2066

Caisse ASSURA

NCE MALADIE DE LA SEINE SAINT DENIS
[Adresse 5]
[Localité 10]
défaillant

DEFENDEURS
_______________


COMPOSITION DU TRIBUNAL

Monsieur Maximin SANSON,...

TRIBUNAL JUDICIAIRE
de BOBIGNY

JUGEMENT CONTENTIEUX DU 12 JUIN 2024

Chambre 21
AFFAIRE: N° RG 22/02811 - N° Portalis DB3S-W-B7G-WCPN
N° de MINUTE : 24/00312

Monsieur [J] [T] [N]
né le [Date naissance 6] 1989 à [Localité 12]
[Adresse 7]
[Localité 8]
représenté par Me Yves HUDINA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1601

DEMANDEUR

C/

Société ALLIANZ IARD
[Adresse 1]
[Localité 9]
représentée par Me Stéphane BRIZON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D2066

Caisse ASSURANCE MALADIE DE LA SEINE SAINT DENIS
[Adresse 5]
[Localité 10]
défaillant

DEFENDEURS
_______________

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Monsieur Maximin SANSON, Vice-Président, statuant en qualité de juge unique, conformément aux dispositions de l’article 812 du code de procédure civile, assisté aux débats de Madalme Maryse BOYER, greffière.

DÉBATS

Audience publique du 10 Avril 2024.

JUGEMENT

Rendu publiquement, par mise au disposition au greffe, par jugement réputé contradictoire et en premier ressort, par Monsieur Maximin SANSON, Vice-Président, assisté de Monsieur Maxime-Aurelien JOURDE, greffier.

****************

EXPOSE DU LITIGE

Le 20 février 2019, un accident de la circulation s’est produit entre Monsieur [J] [N], Monsieur [Y] [X] et Monsieur [D] [U]. Un premier choc a eu lieu entre la moto HONDA immatriculée [Immatriculation 14], conduite par Monsieur [J] [N] et assurée par FMA ASSURANCES d’une part, et le véhicule PEUGEOT 307 immatriculé [Immatriculation 15], conduit par Monsieur [Y] [X] et assuré par la Société ALLIANZ IARD d’autre part. Puis la moto et Monsieur [J] [N] ont terminé leur course dans un véhicule FIAT DUCATO, immatriculé [Immatriculation 11], appartenant à Monsieur [D] [U] et assuré par AXA, ce dernier véhicule circulant en sens opposé sur la voie de circulation opposée.

A la suite de cet accident, Monsieur [J] [N] a été pris en charge par le SAMU et admis au Groupe Hospitalier Intercommunal [Localité 17]-[Localité 18] où il lui a été diagnostiqué une fracture fermée du 1/3 distal de la diaphyse fémorale gauche, transversale avec un 3ème fragment, sans complication vasculo-nerveuse, associée à une rupture de l'anneau pelvien avec disjonction de la symphyse pubienne et ouverture antérieure de l'articulation sacro iliaque gauche.

Une première intervention chirurgicale a été pratiquée, consistant en une réduction ostéosynthèse de sa fracture du fémur gauche par enclouage centromédullaire. Les suites opératoires sont marquées par une anémie à 8 grammes d'hémoglobine nécessitant une transfusion par 2 culots globulaires.

Le 25 février 2019, Monsieur [J] [N] a bénéficié d'une 2ème intervention chirurgicale d'ostéosynthèse par plaque d'une disjonction de la symphyse pubienne. Monsieur [J] [N] a séjoumé dans cet établissement jusqu'au 1er mars 2019.

Puis il a été transféré dans le service de rééducation de la Clinique du Bourget jusqu'au 12 mars 2019.

Monsieur [J] [N] a alors regagné le domicile de ses parents.

Du 2 mai au 8 août 2019, Monsieur [J] [N] a été admis au Centre de Médecine Physique et de Réadaptation de [Localité 10], en hospitalisation de jour, trois demi-journées par semaine.

La kinésithérapie s’est poursuivie ensuite en ville mais l'évolution a été marquée par un retard de consolidation.

Le 1er octobre 2019, un scanner du fémur gauche a conclu à un aspect d'une pseudarthrose hypertrophique diaphysaire fémorale gauche.

Le travail a repris le 20 janvier 2020 avec une continuité des soins de kinésithérapie.

Au plan pénal, une enquête a été conduite par les services du Commissariat de [Localité 16] sous le chef de ‘blessures involontaires avec incapacité supérieure à trois mois par conducteur de véhicule terrestre à moteur’. Il n’y a cependant pas eu de suite pénale. Monsieur [Y] [X] a fait l’objet d’une convocation devant le délégué du procureur de la République de Bobigny.

Une expertise amiable a été réalisée par les Docteurs [S] et [O], dont les conclusions sont versées aux débats.

Enfin, la Société ALLIANZ IARD a versé à Monsieur [J] [N] une provision de 3.000 €. Elle a également fait une offre d’indemnisation globale, mais celle-ci n’a pas été acceptée par Monsieur [J] [N] au motif que la compagnie d’assurance intégrait dans cette offre une limitation de son droit à indemnisation tiré d’une faute de la victime.

Par exploit en date du 17 février 2022, Monsieur [J] [N] a fait assigner devant le tribunal de céans la Société ALLIANZ IARD et la CPAM de la Seine Saint-Denis aux fins d’être intégralement indemnisé de ses préjudices.

La Société ALLIANZ IARD a constitué avocat et a répliqué, tandis que la CPAM n’a pas constitué avocat.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 12 décembre 2023.

Dans le dernier état de ses demandes, Monsieur [J] [N] sollicite du tribunal de :

- juger que la Société ALLIANZ IARD doit réparer intégralement ses préjudices liés à l’accident de la circulation du 20 février 2019 ;
- condamner la Société ALLIANZ IARD à lui payer, avant déduction de la provision de 3.000 €, les sommes suivantes :
- FD : 1.596 € ;
- ATP : 9.162 € ;
- Frais logement : 2.637,50 € ;
- IP : 30.000 € ;
- DFT : 3.661 € ;
- PET : 2.000 € ;
- SE : 22.000 € ;
- DFP : 32.500 € ;
- PEP : 5.000 € ;
- PA : 10.000 € ;
- appliquer un droit au double des intérêts légaux entre le 1er décembre 2020 et le 16 mars 2023 ;
- appliquer l’intérêt légal avec capitalisation à compter de l’introduction de la demande ;
- juger que le jugement sera opposable à la CPAM de la Seine Saint-Denis ;
- condamner la Société ALLIANZ IARD à lui payer la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du CPC, outre les dépens dont distraction au profit de Maître HUDINA.

Au soutien de ses prétention, Monsieur [J] [N] s’oppose à toute reconnaissance d’une faute qui lui serait imputable. En effet, il fait valoir que l’accident s’est produit au moment où Monsieur [Y] [X] semblait vouloir prendre une place de stationnement sur sa droite, avant de tourner subitement à gauche, coupant la voie de circulation de Monsieur [J] [N] au moment où celui-ci le dépassait. Monsieur [J] [N] rappelle que Monsieur [Y] [X] a été convoqué par le délégué du procureur pour ces faits.

A titre subsidiaire, Monsieur [J] [N] expose que, si le tribunal devait retenir que les circonstances de l’accident demeurent non élucidées, aucune diminution de son droit à indemnisation ne peut intervenir puisque le régime probatoire est celui de la faute démontrée.

S’agissant de la discussion poste de préjudice par poste de préjudice, le tribunal renvoie au corps de sa décision, où les arguments des parties seront repris.

Dans le dernier état de ses demandes, la Société ALLIANZ IARD sollicite du tribunal de :

- juger que les fautes de conduite commises par Monsieur [J] [N] sont de nature à limiter son droit à indemnisation à hauteur d’un pourcentage qui ne saurait être inférieur à 50 % ;
- fixer ainsi les postes de préjudice, avant imputation de la créance des organismes sociaux et application de la limitation du droit à indemnisation :
- frais médicaux à charge : mémoire ;
- frais assistance à expertise : 1.596 € ;
- ATP : 7.653 € ;
- PGPA : mémoire ;
- Frais de logement : rejet ;
- DFTP : 3.269,75 € ;
- SE : 12.000 € ;
- PET : 100 € ;
- DFP : 19.500 € ;
- PEP : 2.700 € ;
- PA : 3.000 € ;
- débouter Monsieur [J] [N] du surplus de ses demandes ;
- juger que les condamnations porteront en deniers ou quittances ;
- réduire l’article 700.

Au soutien de ses prétentions, la Société ALLIANZ IARD fait valoir que Monsieur [J] [N] a commis une faute en doublant son assuré par la gauche alors que ce dernier avait indiqué son intention de tourner à gauche à une intersection en actionnant son clignotant et en ralentissant à l’approche de l’intersection. La défenderesse indique également qu’il résulte d’un témoignage que Monsieur [J] [N] circulait à plus de 50 km/h, soit une vitesse excessive. Enfin, la Société ALLIANZ IARD fait observer qu’aucune sanction pénale n’a été prononcée à l’encontre de son assuré. La faute de Monsieur [J] [N] doit ainsi déboucher, selon la Société ALLIANZ IARD, sur une réduction de son droit à indemnisation d’au moins 50 %.

S’agissant de la discussion poste à poste, il est là encore renvoyé au corps de la décision.

La CPAM de la Seine Saint-Denis n’a pas constitué avocat.

L’affaire a été plaidée le 10 avril 2024. Monsieur [J] [N] et la Société ALLIANZ IARD étaient représentés et ont plaidé. La CPAM n’était pas représentée.

A l’issue des débats, la décision a été mise en délibéré au 12 juin 2024.

MOTIFS

Sur la question de la responsabilité

l’article 1 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 énonce que les dispositions du présent chapitre s'appliquent, même lorsqu'elles sont transportées en vertu d'un contrat, aux victimes d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l'exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres.

L’article 2 de cette loi énonce que les victimes, y compris les conducteurs, ne peuvent se voir opposer la force majeure ou le fait d'un tiers par le conducteur ou le gardien d'un véhicule mentionné à l'article 1er.

L’article 3 de cette loi énonce que les victimes, hormis les conducteurs de véhicules terrestres à moteur, sont indemnisées des dommages résultant des atteintes à leur personne qu'elles ont subis, sans que puisse leur être opposée leur propre faute à l'exception de leur faute inexcusable si elle a été la cause exclusive de l'accident.

Les victimes désignées à l'alinéa précédent, lorsqu'elles sont âgées de moins de seize ans ou de plus de soixante-dix ans, ou lorsque, quel que soit leur âge, elles sont titulaires, au moment de l'accident, d'un titre leur reconnaissant un taux d'incapacité permanente ou d'invalidité au moins égal à 80 p. 100, sont, dans tous les cas, indemnisées des dommages résultant des atteintes à leur personne qu'elles ont subis.

Toutefois, dans les cas visés aux deux alinéas précédents, la victime n'est pas indemnisée par l'auteur de l'accident des dommages résultant des atteintes à sa personne lorsqu'elle a volontairement recherché le dommage qu'elle a subi.

L’article 4 de cette loi énonce que la faute commise par le conducteur du véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d'exclure l'indemnisation des dommages qu'il a subis.

Ainsi qu’il a été dit, une enquête de police a été réalisée, à l’initiative de Monsieur [J] [N], lequel a porté plainte contre Monsieur [Y] [X] le 19 septembre 2019, pour des faits du 20 février 2019.

Dans sa plainte, Monsieur [J] [N] indique être chauffeur routier de profession, et être titulaire des permis A, B et C depuis 2007. Il expose que, sur la commune du [Localité 13], à hauteur du [Adresse 4], une Peugeot 307 lui a semblé prendre un stationnement, avant de changer brusquement de direction au moment où il la dépassait, le choc avec la voiture s’étant produit au niveau du cale-pied droit, ce qui a entraîné une accélération involontaire de la moto, suivie d’une perte de contrôle qui lui a fait achever sa course dans un Fiat DUCATO dont il dit qu’il était stationné. Monsieur [J] [N] ajoute qu’il n’a pas pu se relever et que le conducteur de la 307 est resté sur place en attendant les secours. En termes de vitesse de circulation, Monsieur [J] [N] indique qu’il ne circulait pas vite puisqu’il était à l’approche de son domicile, et qu’il avait vu le feu passer au rouge. Il était donc en train de ralentir. S’agissant du véhicule Peugeot 307, Monsieur [J] [N] précise qu’il était presque à l’arrêt, et que c’est la manoeuvre inattendue de cette voiture qui a provoqué l’accident.

Interrogé le 9 janvier 2020, Monsieur [Y] [X] a exposé qu’il se trouvait lui aussi à proximité de son domicile, de retour du travail, et qu’il cherchait une place de stationnement. Souhaitant s’engager dans la [Adresse 19], dans laquelle il était habitué à trouver de la place, il indique avoir mis son clignotant pour tourner à gauche, s’être arrêté pour laisser passer une voiture venant en sens opposé, avoir à nouveau fait ses contrôles puis avoir redémarré et avoir été percuté par une moto ayant “surgi de derrière moi”. Il ajoute que son véhicule n’a pas subi de dégâts, sauf une légère éraflure sur le pare-choc.

Monsieur [D] [U], qui circulait à bord du Fiat DUCATO, a également été interrogé et il ressort de son témoignage que, à la hauteur du [Adresse 2], une moto a effectué un dépassement et est ensuite venue le percuter, sans qu’il puisse l’éviter. Il ajoute qu’il roulait aux alentours de 30 km/h et que le motard “roulait sûrement à plus de 50 km/h”.

Sur ce, le tribunal observe qu’aucune constatation n’a été faite sur les lieux de l’accident, ce qui s’explique probablement par le fait que la police n’a pas été appelée immédiatement - et ce alors que telle est la procédure en cas d’accident corporel sur la voie publique - et que la plainte n’a été déposée que plusieurs mois après l’accident.

Le tribunal observe également qu’il existe certaines incohérences dans les témoignages des deux principaux protagonistes puisque Monsieur [J] [N] a déclaré dans sa plainte qu’il avait fini sa course dans un Fiat DUCATO en stationnement, alors qu’il ressort des déclarations du conducteur de ce dernier véhicule qu’il n’était non seulement pas stationné mais qu’il était en mouvement, en direction de l’autoroute A3. Quant à Monsieur [Y] [X], il a déclaré qu’il avait redémarré après avoir constaté que la voie de circulation qu’il allait couper était vide, alors que le choc avec la moto a été immédiat et que le motard a été renvoyé sur le Fiat DUCATO qui arrivait en face en roulant à seulement 30 km/h, ce qui signifie que, en réalité, Monsieur [Y] [X] a redémarré alors que Monsieur [J] [N] arrivait à son niveau et que, sur la voie opposée, le Fiat arrivait lui aussi : Monsieur [Y] [X] n’explique ainsi pas comment il a pu ne pas voir les deux véhicules arrivant simultanément de part et d’autre alors qu’il affirme avoir fait des contrôles visuels.

Au-delà des incohérences des témoignages des deux personnes impliquées, le tribunal observe que la police localise le lieu de l’accident au [Adresse 3] à [Localité 16] (PV n° 19/00008/2), ce qui correspond à la localisation indiquée par Monsieur [J] [N] (il a déclaré que l’accident avait eu lieu au niveau du [Adresse 4], ce qui se situe exactement au niveau du 130, mais du côté impair). Or, cette localisation n’est pas compatible avec les explications de Monsieur [Y] [X] qui a indiqué qu’il voulait tourner à gauche pour tenter de se garer dans la [Adresse 19], une impasse dans laquelle il se gare habituellement : en effet, l’intersection avec la [Adresse 19] était déjà passée si la Peugeot 307 était au niveau du [Adresse 3].

Quant au témoignage de la seule personne qui n’a pas d’intérêt dans cette affaire, à savoir celui de Monsieur [D] [U], il manque cruellement de précision puisque ce dernier n’a vu que la fin de l’accident, c’est à dire le choc de la moto de Monsieur [J] [N] avec son propre véhicule, sans en voir le début. Il n’a donc pas pu témoigner de la localisation précise de l’accident, des actions des deux véhicules ou encore de la mise en oeuvre ou non du clignotant de Monsieur [Y] [X]. Quant à son appréciation sur la vitesse estimée de Monsieur [J] [N], le tribunal ne retient généralement pas ces estimations, surtout dans le cas de véhicules circulant en sens opposé, car le sentiment de vitesse du véhicule en rapprochement est souvent majoré, de même que l’existence d’un choc violent rejaillit également souvent sur l’impression de vitesse.

Au total, le tribunal partage avec Monsieur [J] [N] le constat selon lequel les circonstances de l’accident n’ont pas pu être établies avec certitude. Certaines fautes ont donc pu être commises, que ce soit par Monsieur [J] [N] (éventuelle vitesse excessive, éventuel dépassement d’un véhicule s’apprêtant à tourner) et/ou par Monsieur [Y] [X] (changer d’avis au dernier moment pour passer d’un stationnement à droite en direction d’une intersection vers la gauche, absence de clignotant, mauvais contrôles visuels ne permettant pas à des véhicules venant de directions opposées de passer), mais il n’est pas possible d’en décider, faute pour le tribunal de disposer d’assez d’éléments objectifs ou d’indices suffisamment probants pour trancher entre les récits incompatibles des parties.

Il résulte de cette incertitude que la Société ALLIANZ IARD ne parvient pas à démontrer que Monsieur [J] [N] a commis une faute venant limiter son droit à indemnisation.

Il y a donc lieu de déclarer la Société ALLIANZ IARD intégralement responsable des dommages subis par Monsieur [J] [N].

Sur les postes de préjudice de Monsieur [J] [N]

Sur la question des dépenses de santé actuelles

Monsieur [J] [N] ne demande rien à ce titre.

Sur la question des frais d’assistance à expertise

Monsieur [J] [N] sollicite à ce titre la somme de 1.596 € correspondant aux honoraires du Docteur [O].

La Société ALLIANZ IARD ne s’oppose pas à cette demande.

Il y a donc lieu de condamner la Société ALLIANZ IARD à lui payer la somme de 1.596 € au titre des frais divers.

Sur la perte des gains professionnels actuels

Sur ce poste encore, Monsieur [J] [N] ne formule pas de demande.

Sur la question de l’assistance par tierce personne

Monsieur [J] [N] sollicite à ce titre la somme de 9.162 € en se fondant sur un taux horaire de 18 € et un besoin de 509 heures.

La Société ALLIANZ IARD propose pour sa part une somme de 7.635 € fondée sur un taux horaire de 15 € et un même besoin de 509 heures.

Sur ce, puisque le besoin en heures d’assistance n’est pas contesté et que le tribunal accorde régulièrement des sommes comparables ou supérieures au taux horaire de 18 € - de manière à ne pas contraindre la victime à être elle-même l’employeur de l’assistant - il convient de faire droit à la demande et de condamner la Société ALLIANZ IARD à payer à Monsieur [J] [N] la somme de 9.162 €.

Sur la question des frais de logement adapté

Monsieur [J] [N] sollicite la somme de 2.637,50 € pour la pose d’un carrelage qu’il comptait réaliser lui-même avant l’accident.

La Société ALLIANZ IARD sollicite le rejet de cette demande, l’expert n’ayant pas retenu ce poste.

Sur ce, il est exact que les experts n’ont pas retenu ce poste, en partie parce que la doléance n’a pas été exprimée par Monsieur [J] [N] et qu’ils n’ont donc pas eu à aborder spécifiquement ce sujet. Les experts ont bien retenu une douleur “dans le membre inférieur gauche à la montée et descente du camion” mais il paraît hasardeux pour le tribunal d’en déduire de lui-même une incapacité à poser un carrelage au sol, puisque la douleur apparaît lors de mouvements dynamiques et non à l’occasion d’une posture statique. Il appartenait à Monsieur [J] [N], s’il se sentait dans l’incapacité de procéder à cette pose, de l’évoquer devant les experts pour qu’ils apprécient si cette posture accroupie était, ou non, gênée ou rendue impossible par les séquelles de l’accident.

Monsieur [J] [N] sera donc débouté de sa demande de frais pour logement adapté.

Sur la question de l’incidence professionnelle

Monsieur [J] [N] sollicite à ce titre la somme de 30.000 €, faisant valoir sa gêne professionnelle liée à des douleurs du membre inférieur gauche à la descente et à la montée du camion-grue qu’il conduit. Monsieur [J] [N] atteste ne pas toucher de rente Accident du Travail, ce que confirme la lecture de la créance définitive de la CPAM (pièce en défense n° 2).

La Société ALLIANZ IARD sollicite de réserver ce poste dans l’attente de la communication de la créance de la Caisse, mais, à toutes fins utiles, propose une somme de 5.000 €.

Sur ce, la créance de la Caisse ayant été communiquée et Monsieur [J] [N] n’ayant touché aucune somme qui pourrait venir s’imputer sur ce poste de préjudice, le tribunal rappelle que la pénibilité accrue dans les conditions de travail ainsi qu’une moindre valorisation du travailleur, forment des postes de préjudice indemnisables au titre de l’incidence professionnelle. Pour un homme travaillant en qualité de camionneur, une limitation des mouvements du membre inférieur gauche en lien avec des douleurs persistantes constitue donc un indéniable préjudice, tant en raison des douleurs causées que du risque de moindre valorisation sur le marché du travail, un futur employeur pouvant choisir un collaborateur dénué de handicap plutôt qu’un collaborateur souffrant de douleurs.

Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en octroyant à Monsieur [J] [N] la somme de 20.000 €.

Sur la question du déficit fonctionnel temporaire (DFT)

Monsieur [J] [N] sollicite à ce titre la somme quotidienne de 28 € et retient 21 jours de DFT total, 125 jours de DFT à 50 % et 189 jours de DFT à 25 % pour un montant total de 3.661 €.

La Société ALLIANZ IARD propose la somme de 3.269,75 € en retenant les mêmes périodes de DFT, mais un montant quotidien de 25 €.

Sur ce, le tribunal fait observer que cette somme de 25 € est assez sensiblement inférieure à celle que retient la Cour d’appel de Paris dans ses dernières décisions, et il sera fait droit à la demande de 28 €, elle-même d’ailleurs inférieure à ce qu’octroie régulièrement la même Cour.

Ainsi, les périodes de DFT étant consensuelles entre les parties, il y a lieu de faire droit à la demande et de condamner la Société ALLIANZ IARD à payer à Monsieur [J] [N] la somme de 3.661 €.

Sur la question du préjudice esthétique temporaire

Monsieur [J] [N] sollicite la somme de 2.000 € pour ce poste évalué à 3/7 par les experts.

La Société ALLIANZ IARD propose la somme de 100 €.

Sur ce, pour ce poste “décrit par le Docteur [S]” et évalué à “3/7 par le Docteur [O]”, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par Monsieur [J] [N] en l’évaluant à la somme de 1.500 €.

Sur la question des souffrances endurées

Monsieur [J] [N] sollicite à ce titre la somme de 22.000 € pour ce poste évalué à 4,5/7.

La Société ALLIANZ IARD propose la somme de 12.000 €.

Sur ce, le référentiel dit ‘Mornet’, que le tribunal applique sauf dans les cas où il met en échec le principe de la réparation intégrale, recommande une fourchette comprise entre 8.000 € et 20.000 € lorsque le poste est évalué à 4/7. Compte tenu de cette valorisation à 4,5/7, le tribunal fera une exacte appréciation des souffrances subies par Monsieur [J] [N] en lui allouant une somme de 20.000 €, que la Société ALLIANZ IARD sera condamnée à lui payer.

Sur la question du déficit fonctionnel permanent (DFP)

Monsieur [J] [N] sollicite à ce titre la somme de 32.500 € pour ce poste évalué à 13 %.

La Société ALLIANZ IARD propose la somme de 19.500 €, reprochant à Monsieur [J] [N] une surévaluation de la valeur du point.

Sur ce, le tribunal observe que le référentiel d’indemnisation des Cours d’appel retient un point de 2.300 € pour un homme atteint d’un DFP de 13 % et âgé de 37 ans au jour de la consolidation, laquelle est intervenue le 20 janvier 2020.

Il en résulte qu’il convient de condamner la Société ALLIANZ IARD à payer à Monsieur [J] [N] la somme de 29.900 €.

Sur la question du préjudice esthétique permanent

Monsieur [J] [N] sollicite à ce titre la somme de 5.000 € pour ce poste évalué à 2/7.

La Société ALLIANZ IARD propose la somme de 2.700 € et ne conteste pas l’évaluation expertale.

Sur ce, le référentiel dit ‘Mornet’ retient une fourchette comprise entre 2.000 € et 4.000 € pour une évaluation de 2/7. Il sera dès lors fait une juste appréciation de ce poste de préjudice en condamnant la Société ALLIANZ IARD à payer à Monsieur [J] [N] la somme de 3.000 €.

Sur la question du préjudice d’agrément

Monsieur [J] [N] sollicite à ce titre la somme de 10.000 € correspondant à l’arrêt de la moto, du vélo et de certains jeux de ballon.

La Société ALLIANZ IARD propose la somme de 3.000 € au motif que l’expertise n’a pas retenu d’impossibilité de pratiquer les activités considérées.

Contrairement à ce que soutient la défenderesse, les experts ont bien retenu un préjudice d’agrément et ont cité l’arrêt de la moto et du vélo et l’abandon de certains jeux de ballon. Ces éléments sont confirmés par les attestations produites en pièces n° 9 et 10.

Il sera ainsi fait une juste appréciation du préjudice d’agrément de Monsieur [J] [N] en condamnant la Société ALLIANZ IARD à lui payer la somme de 10.000 €.

Au total, et à ce stade de la procédure, les préjudices de Monsieur [I] [E] s’établissent comme suit :

Postes de préjudice
Monsieur [J] [N]
dépenses de santé actuelles
Pas de demande
frais d’assistance à expertise
1.596 €
Tierce personne
9.162 €
Frais de logement adapté
Rejet
Incidence professionnelle
20.000 €
DFT
3.661 €
Préjudice esthétique temporaire
1.500 €
Souffrances endurées
20.000 €
DFP
29.900 €
préjudice esthétique permanent
3.000 €
préjudice d’agrément
10.000 €
total net :
98.819 €

Le montant total de la créance indemnitaire de Monsieur [J] [N] sur la Société ALLIANZ IARD s’élève par conséquent à la somme de 98.819 €.

De cette somme, il convient d’ôter la provision de 3.000 € qui a été versée, soit une créance finale de 95.819 €, que la Société ALLIANZ IARD sera condamnée à payer à Monsieur [J] [N].

Sur la question du doublement du droit aux intérêts

Monsieur [J] [N] sollicite le doublement du droit aux intérêts entre le 1er décembre 2020 - soit cinq mois après la signification à l’assureur de la date de consolidation de la victime - et le 16 mars 2023, date laquelle une offre a été faite par la Société ALLIANZ IARD.

La Société ALLIANZ IARD s’oppose à cette demande au motif qu’une offre avait été faite le 3 novembre 2020 et, à titre subsidiaire, sollicite la réduction de cette pénalité sur le fondement de l’article L 211-13 du code des assurances.

Sur ce, le tribunal rappelle que l’article L 211-9 du code des assurances est ainsi rédigé :
“Quelle que soit la nature du dommage, dans le cas où la responsabilité n'est pas contestée et où le dommage a été entièrement quantifié, l'assureur qui garantit la responsabilité civile du fait d'un véhicule terrestre à moteur est tenu de présenter à la victime une offre d'indemnité motivée dans le délai de trois mois à compter de la demande d'indemnisation qui lui est présentée. Lorsque la responsabilité est rejetée ou n'est pas clairement établie, ou lorsque le dommage n'a pas été entièrement quantifié, l'assureur doit, dans le même délai, donner une réponse motivée aux éléments invoqués dans la demande.
Une offre d'indemnité doit être faite à la victime qui a subi une atteinte à sa personne dans le délai maximum de huit mois à compter de l'accident. En cas de décès de la victime, l'offre est faite à ses héritiers et, s'il y a lieu, à son conjoint. L'offre comprend alors tous les éléments indemnisables du préjudice, y compris les éléments relatifs aux dommages aux biens lorsqu'ils n'ont pas fait l'objet d'un règlement préalable.
Cette offre peut avoir un caractère provisionnel lorsque l'assureur n'a pas, dans les trois mois de l'accident, été informé de la consolidation de l'état de la victime. L'offre définitive d'indemnisation doit alors être faite dans un délai de cinq mois suivant la date à laquelle l'assureur a été informé de cette consolidation.
En tout état de cause, le délai le plus favorable à la victime s'applique.

En cas de pluralité de véhicules, et s'il y a plusieurs assureurs, l'offre est faite par l'assureur mandaté par les autres”.

L’article L211-13 du même code est ainsi rédigé : “Lorsque l'offre n'a pas été faite dans les délais impartis à l'article L. 211-9, le montant de l'indemnité offerte par l'assureur ou allouée par le juge à la victime produit intérêt de plein droit au double du taux de l'intérêt légal à compter de l'expiration du délai et jusqu'au jour de l'offre ou du jugement devenu définitif. Cette pénalité peut être réduite par le juge en raison de circonstances non imputables à l'assureur”.

Le tribunal observe que la Société ALLIANZ IARD a bien fait une offre d’indemnisation le 3 novembre 2020, mais cette offre était assortie d’une mention relative à la réduction du droit à indemnisation du tiers du total des préjudices et le point de déficit fonctionnel permanent était évalué à 1.500 € alors que la simple consultation du référentiel des Cours d’appel, document public et parfaitement connu des assureurs de responsabilité civile, indique un point à 2.300 €. Dès lors, cette offre ne pouvait qu’être manifestement insuffisante.

La Société ALLIANZ IARD demande à titre subsidiaire une réduction de cette pénalité et la fonde sur l’article L 211-13 précité, mais sans expliciter en quoi elle répondrait aux conditions fixées par ce qui n’est qu’une exception, à savoir l’existence de “circonstances non imputables à l’assureur”. En l’absence d’explications et en l’absence de telles circonstances qui apparaitraient de manière évidente, il convient de débouter la Société ALLIANZ IARD de sa demande de réduction de la pénalité.

En conséquence, il convient d’ordonner que les intérêts de retard portant sur la somme de 95.819 € seront du double de l’intérêt légal, et ce à compter du 1er décembre 2020 et jusqu’au 16 mars 2023, comme demandé par Monsieur [J] [N].

Sur les demandes accessoires

Le présent jugement sera déclaré commun à la CPAM de la Seine Saint-Denis.

Il convient de condamner la Société ALLIANZ IARD aux entiers dépens de la présente procédure, dont distraction au profit de Maître HUDINA.

Il convient également de condamner la Société ALLIANZ IARD à payer à Monsieur [J] [N] la somme de 3.000 € au titre de ses frais irrépétibles non compris dans les dépens.

Enfin, le tribunal rappelle que l'exécution provisoire est de droit depuis les assignations délivrées à compter du 1er janvier 2020, et qu'il n'y a pas lieu d'en écarter l'application, eu égard aux délais déjà écoulés, de même qu’il n’est pas opportun d’en limiter les effets ou d’ordonner la consignation des fonds, Monsieur [J] [N] étant en attente d’indemnisation depuis de trop nombreuses années.

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal, statuant publiquement, par jugement réputé contradictoire, rendu en premier ressort, par mise à disposition au greffe,

JUGE que le droit à indemnisation de Monsieur [J] [N] est total et qu’il appartient à la Société ALLIANZ IARD de réparer ses préjudices ;

DEBOUTE en conséquence la Société ALLIANZ IARD de sa demande de limitation du droit à indemnisation de Monsieur [J] [N] ;

CONDAMNE la Société ALLIANZ IARD à payer à Monsieur [J] [N] la somme de 95.819 € en réparation de ses préjudices, provision déduite ;

DIT que cette somme de 95.819 € portera intérêts au double du taux légal entre le 1er décembre 2020 et le 16 mars 2023, puis au taux légal à compter du présent jugement ;

DÉCLARE le présent jugement commun à la CPAM de la Seine Saint-Denis ;

CONDAMNE la Société ALLIANZ IARD aux entiers dépens de la présente procédure, dont distraction au profit de Maître Yves HUDINA ;

CONDAMNE la Société ALLIANZ IARD à payer à Monsieur [J] [N] la somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que l'exécution provisoire est de droit depuis les assignations délivrées à compter du 1er janvier 2020, et DIT qu'il n'y a pas lieu d'en écarter l'application, d’en limiter la portée ou d’ordonner la consignation des sommes.

La minute a été signée par Monsieur Maximin SANSON, Vice-président assisté de Monsieur Maxime-Aurélien JOURDE, greffier.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bobigny
Formation : Chambre 21
Numéro d'arrêt : 22/02811
Date de la décision : 12/06/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs en accordant des délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-12;22.02811 ?
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