Décision du 04 Juin 2024
Minute n°24/135
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BOBIGNY
JURIDICTION DE L’EXPROPRIATION
DE LA SEINE-SAINT-DENIS
JUGEMENT FIXANT INDEMNITÉS
du 04 Juin 2024
:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:
Rôle N° RG 23/00233 - N° Portalis DB3S-W-B7H-YHLZ
Le juge de l’expropriation du département de la SEINE-SAINT-DENIS
DEMANDEUR :
ÉTABLISSEMENT PUBLIC FONCIER D’ÎLE DE FRANCE
[Adresse 27]
[Localité 36]
représentée par Maître Frédéric LEVY de la SELAS DS AVOCATS, avocats au barreau de PARIS
DÉFENDEURS :
Monsieur [E] [D]
[Adresse 28]
[Localité 37]
représenté par Maître Laure SAGET de la SELEURL LAURE SAGET, avocats au barreau de PARIS
Madame [T] [D]
[Adresse 28]
[Localité 37]
représentée par Maître Laure SAGET de la SELEURL LAURE SAGET, avocats au barreau de PARIS
Monsieur [C] [D]
[Adresse 34]
[Localité 35]
représenté par Maître Laure SAGET de la SELEURL LAURE SAGET, avocats au barreau de PARIS
INTERVENANT :
DIRECTION DÉPARTEMENTALE DES FINANCES PUBLIQUES - PÔLE D’ÉVALUATION DOMANIALE
[Adresse 33]
[Localité 41]
représentée par Monsieur [R] [S], commissaire du Gouvernement
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Karima BRAHIMI, Vice-présidente, Juge de l’expropriation désignée par ordonnance de Monsieur le Premier Président de la cour d’appel de Paris
Maxime-Aurélien JOURDE, Greffier des services judiciaires présent lors de la mise à disposition
PROCÉDURE :
Date de la visite des lieux : 27 Février 2024
Date des débats : 23 Avril 2024
Date de la mise à disposition : 04 Juin 2024
EXPOSÉ DU LITIGE
Monsieur [E] [D], Madame [T] [D] et Monsieur [C] [D] étaient propriétaires d’un ensemble immobilier situé sur les parcelles cadastrées Section [Cadastre 42] sise [Adresse 48] d’une superficie de 734 m² et Section [Cadastre 43] sise 1 avenue du 8 mai 1965 d’une superficie de 902 m². Les deux parcelles sont situées sur la commune du Bourget et le terrain a une superficie totale de 1.636 m².
L’ensemble immobilier est composé d’un bâtiment en façade, d’un hangar, d’un garage ouvert et de box, où s’exerce une activité de location de véhicules. Pour une description plus précise des lieux, il conviendra de se reporter au procès-verbal du 27 février 2024, annexé à la présente décision.
Le bien est situé dans une zone mixte comprenant des immeubles d’habitation, des commerces et des bureaux et proche de l’aéroport du [44].
Une ordonnance d'expropriation emportant transfert de propriété, a été rendue le 18 janvier 2024 au profit de l'Etablissement Public Foncier d'Ile-de-France (ci-après dénommé l'EPFIF) par le juge de l'expropriation du tribunal judiciaire de Bobigny.
L'EPFIF a notifié son offre indemnitaire à Monsieur [C] [D] par lettre recommandée avec avis de réception en date du 27 avril 2023, à Monsieur [E] [D] et à Madame [T] [D] par lettres recommandées avec avis de réception en date du 27 mars 2023.
Par lettre de leur Conseil en date du 21 avril 2023, les consorts [D] ont refusé l’offre de l’EPFIF.
Aucun accord n'étant intervenu, l'EPFIF a saisi la juridiction de l'expropriation du tribunal judiciaire de Bobigny le 10 octobre 2023 aux fins de fixer l'indemnité à la somme de 1.008.776 euros en valeur occupée, soit :
- 916.160 euros au titre de l'indemnité principale,
- 92.616 euros au titre du remploi.
L'EPFIF a notifié à Monsieur [E] [D], à Madame [T] [D] et à Monsieur [C] [D] la saisine de la juridiction de l'expropriation par lettres recommandées avec avis de réception en date du 11 octobre 2023.
Par une ordonnance rendue le 27 décembre 2023, le juge de l'expropriation a fixé le transport judiciaire sur les lieux et l'audition des parties au 27 février 2024.
L'EPFIF a notifié cette décision à Monsieur [E] [D] et à Madame [T] [D] par lettres recommandées avec avis de réception reçues le 17 janvier 2024, et à Monsieur [C] [D] par lettre recommandée avec avis de réception reçue le 18 janvier 2024.
Monsieur [E] [D], Madame [T] [D] ainsi que Monsieur [C] [D], assistés de Maître Laure SAGET, étaient présents lors du transport judiciaire sur les lieux du bien exproprié au cours duquel la date d'audience a été fixée au 23 avril 2024.
Par des conclusions rectificatives, reçues le 16 avril 2024, faisant suite à ses conclusions du 08 février 2024, le commissaire du Gouvernement a proposé une indemnité de dépossession de 1.533.000 euros, soit :
- 1.392.800 euros à titre d'indemnité principale,
- 140.280 euros au titre du remploi.
Par un mémoire rectificatif et récapitulatif en réplique reçu par le greffe le 22 avril 2024, l'exproprié a sollicité du juge de l'expropriation de fixer les indemnités dues aux expropriés comme suit :
- 1.832.320 euros au titre de l’indemnité principale,
- 184.232 euros au titre de l’indemnité de remploi,
- 137.424 euros au titre des frais de mutation,
- 73.292,80 euros au titre des frais d’agence immobilière,
- 2.700 euros au titre des frais d’expertise,
- 28.042 euros au titre de l’indemnité de perte de loyers à parfaire au jour du présent jugement,
et de condamner l’EPFIF à verser aux consorts [D] la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’au paiement des entiers dépens.
Par un mémoire récapitulatif et en réplique reçu par le greffe le 19 avril 2024, l’EPFIF a modifié ses demandes et a sollicité du juge de l’expropriation de fixer l’indemnité de dépossession due aux expropriés à la somme de 1.052.668 euros en valeur occupée, décomposée comme suit :
- 934.535 euros au titre de l’indemnité principale,
- 94.453 euros au titre du remploi,
- 23.680 euros pour la perte des revenus locatifs.
En vertu de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait référence aux écritures transmises pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions.
A l'audience du 23 avril 2024, les parties comparantes ont développé les éléments de leurs mémoires, en application des dispositions du 1er alinéa de l'article R.311-20 du Code de l'expropriation.
L'affaire a été mise en délibéré au 04 juin 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I / Les principes du droit de l’expropriation
Aux termes de l'article 17 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, la propriété est un droit inviolable et sacré, dont nul ne peut être privé si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité.
Conformément aux articles L.311-5 et L. 321-1 du code de l'expropriation, à défaut d'accord sur le montant des indemnités, celles-ci sont fixées par le juge de l'expropriation et couvrent l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation.
L'indemnité réparatrice allouée à l'exproprié doit lui permettre de se retrouver en même et semblable état et de se procurer un bien identique, similaire ou équivalent à celui dont il est dépossédé par l'opération d'expropriation, soit un bien présentant les mêmes caractéristiques (lieu, année de construction, composition, état d'entretien…) sous réserve, de fait, des biens disponibles sur le marché immobilier.
Plus précisément, le préjudice matériel subi du fait de l'opération d'expropriation est généralement équivalent à la valeur vénale du bien dont l'exproprié est privé.
La valeur vénale correspond au prix le plus probable auquel pourrait se vendre ou s'acheter, à l'amiable, un immeuble ou un droit immobilier donné, dans un lieu et à un moment déterminés, compte tenu des conditions du marché.
La valeur vénale n'est pas nécessairement égale au coût de remplacement du bien, et ce principalement lorsqu'il n'y a pas de bien similaire à celui dont l'exproprié est dépossédé sur le marché immobilier local, susceptible d'être acquis par un particulier.
II / Sur les éléments préalables à la détermination des indemnités
1/ Sur les dates à retenir
Le juge de l'expropriation doit déterminer les dates suivantes et les prendre en considération lors de l'évaluation de la valeur vénale du bien exproprié :
- Date pour apprécier la consistance des biens : selon les dispositions de l'article L.322-1 du code de l'expropriation, le juge fixe le montant des indemnités d'après la consistance des biens à la date de l'ordonnance portant transfert de propriété. Lorsque l'ordonnance d'expropriation n'est pas intervenue au jour du jugement de première instance, la consistance des biens s'apprécie à la date du dit jugement. La consistance d'un bien correspond principalement aux éléments qui le composent et à ses caractéristiques (état d'entretien, de très mauvais à très bon ; situation d'occupation ; ...).
- Date de référence pour déterminer les règles d'urbanisme et l'usage effectif des biens : conformément aux dispositions des articles L.213-6 alinéa 1 et L.213-4 du code de l'urbanisme, elle se situe à la date à laquelle est devenue opposable aux tiers le plus récent des actes rendant public, approuvant, révisant ou modifiant le plan d'occupation des sols, ou approuvant, révisant ou modifiant le plan local d'urbanisme et délimitant la zone dans laquelle est situé le bien.
- Date pour apprécier la valeur des biens : selon le 1er alinéa de l'article L.322-2 du code de l'expropriation, les biens sont estimés à la date de la décision de première instance, soit à la date du jugement en fixation des indemnités.
En l'espèce, le bien de la partie expropriée doit être évalué selon :
- leur consistance au 18 janvier 2024, date de l'ordonnance d'expropriation ;
- les valeurs des biens à la date du présent jugement.
S'agissant de la date de référence, il n'est pas contesté que la parcelle doit être évaluée à la date du 12 décembre 2022, date de modification du PLU.
A cette date, le bien est situé en zone UA.
2/ Sur la consistance de l'ensemble immobilier
La consistance d'un bien correspond principalement :
- aux éléments qui le composent
- et à ses caractéristiques, notamment son état d'entretien et sa situation d'occupation.
Pour la consistance du bien, il convient de se référer au procès-verbal du transport judiciaire sur les lieux en date du 27 février 2024, annexé à la présente décision, étant précisé que le bien est occupé dans le cadre de baux commerciaux.
3/ Sur la méthode d'évaluation
L’EPFIF fait valoir que la méthode d’évaluation retenue par les consorts [D] revient à évaluer le seul terrain et s’apparente à la méthode dite de la récupération foncière.
Ce moyen sera rejeté, dès lors qu’il ne ressort pas des écritures des expropriés que ces derniers sollicitent l’application de la méthode dite de la récupération foncière.
Aux termes de leurs mémoires respectifs, les parties s’accordent sur l’utilisation de la méthode d’évaluation par comparaison.
Dans ces conditions, cette méthode consistant à comparer les biens à évaluer à des cessions de biens équivalents qui ont eu lieu dans la période récente sur le marché immobilier local sera retenue par le tribunal dès lors qu’elle permet la prise en compte de la valoriation du bâti et de la valorisation du surplus de terrain.
4/ Sur la surface
En l'espèce, il convient de retenir la surface de l'emprise à hauteur de 1.636 m², comprenant la parcelle [Cadastre 42] (734 m²) et la parcelle [Cadastre 43] (902 m²).
La surface utile bâtie est de 525 m² et le surplus de terrain est d’une superficie de 1.111 m².
Aucune des parties ne conteste ces superficies, de sorte que ces surfaces seront retenues pour l’évaluation du bien.
III/ Sur la détermination des indemnités
L'article R.311-22 du code de l'expropriation dispose que :
Le juge statue dans la limite des prétentions des parties, telles qu'elles résultent de leurs mémoires et des conclusions du commissaire du Gouvernement si celui-ci propose une évaluation inférieure à celle de l'expropriant.
Si le défendeur n'a pas notifié son mémoire en réponse au demandeur dans le délai de six semaines prévu à l'article R.311-11, il est réputé s'en tenir à ses offres, s'il s'agit de l'expropriant, et à sa réponse aux offres, s'il s'agit de l'exproprié.
Si l'exproprié s'est abstenu de répondre aux offres de l'administration et de produire un mémoire en réponse, le juge fixe l'indemnité d'après les éléments dont il dispose.
1/ Sur l'indemnité principale
En l'espèce, le juge fixera l'indemnité en valeur libre en considération des termes de comparaison produits par la partie expropriante, par le commissaire du Gouvernement et par la partie expropriée, et à un montant compris entre :
-934.535,00 euros, indemnités accessoires non comprises, selon l'offre de l'EPFIF ;
Et
-1.832.320,00 euros, indemnités accessoires non comprises, montant proposé par les consorts [D] ;
Etant précisé que le commissaire du Gouvernement évalue le bien exproprié à la somme de 1.392.800,00 euros, hors indemnités accessoires.
a/ Sur les termes de comparaison de l'EPFIF
Deux termes de comparaison sont proposés par l’EPFIF pour l’évaluation du bâti :
Termes
Date de mutation
Référence de publication
Adresse
Prix de vente
€
Surface
m²
Prix unitaire
€/m²
DEM n°1
18/07/2020
2020P4109
[Adresse 11]
[Localité 47]
520.000
688
756
DEM n°2
23/07/2022
2022P21781
[Adresse 6]
[Localité 47]
400.000
562
712
L'EPFIF retient une valeur moyenne de 850 euros/m² en valeur occupée avec un abattement de 30% compte tenu de l’occupation commerciale.
Les consorts [D] n’émettent pas d’observations relatives aux termes de comparaison proposés par l’EPFIF.
Ces termes sont repris par le commissaire du Gouvernement. Ils correspondent à des ventes de biens similaires au bien exproprié et sont situés sur la commune du Bourget. Ils seront donc retenus.
Quatre termes de comparaison sont proposés par l’EPFIF pour l’évaluation du surplus de terrain.
Termes
Date de mutation
Référence acte de cession
Adresse
Prix de vente
€
Surface
m²
Prix unitaire
€/m²
DEM n°3
27/07/2018
33805201
[Adresse 40]
[Localité 47]
7.757
430
600
DEM n°4
17/10/2018
33999501
[Adresse 32]
[Localité 47]
20.246
972
600
DEM n°5
17/10/2018
33762501
[Adresse 29]
[Localité 47]
34.770
1.329
600
DEM n°6
23/10/2018
33897501
[Adresse 19]
[Localité 47]
62.261
2.124
600
L’EPFIF retient une valeur moyenne de 800 euros/m² en valeur occupée avec un abattement de 30% compte tenu de l’occupation commerciale.
Les consorts [D] critiquent ces termes et font valoir qu’il s’agit uniquement de ventes de volume en tréfond.
Le commissaire du Gouvernement écarte ces termes au motif qu’il s’agit de volumes en tréfond. Il émet également les critiques suivantes :
- la seule vente de locaux d’activité ne suffit pas à dégager une vraie tendance de marche,
- l’abattement de 30% pour occupation commerciale est trop important et doit être réduit,
- la méthode analytique valorisant à la fois le bâti et le surplus de terrain est pertinente.
En l’espèce, les biens expropriés ne peuvent pertinemment pas être évalués sur la base de volumes en tréfond, ces termes seront donc écartés.
b/ Sur les termes de comparaison des consorts [D]
Vingt-deux termes de comparaison sont proposés par les consorts [D].
Termes
Date de mutation
Référence de publication
Adresse
Prix de vente
€
Surface
m²
Prix unitaire
€/m²
DEF n°1
28/12/2018
92 avenue du 8 mai 1945
[Localité 46]
1.350.000
464
2.909
DEF n°2
28/12/2018
94 avenue du 8 mai 1945
[Localité 46]
930.000
376
2.473
DEF n°3
28/12/2018
96 avenue du 8 mai 1945
[Localité 46]
906.000
360
2.516
DEF n°4
28/12/2018
98 avenue du 8 mai 1945
[Localité 46]
650.000
402
1.617
DEF n°5
21/12/2018
[Adresse 7]
[Localité 46]
3.844.800
3.014
1.276
DEF n°6
18/12/2020
[Adresse 16]
[Localité 46]
1.240.000
837
1.481
DEF n°7
18/12/2020
[Adresse 24]
[Localité 46]
450.000
355
1.268
DEF n°8
01/02/2021
[Adresse 31]
[Localité 46]
800.000
375
2.133
DEF n°9
18/12/2020
[Adresse 38]
[Localité 46]
550.000
403
1.365
DEF n°10
25/05/2019
[Adresse 9]
[Localité 46]
410.000
374
1.096
DEF n°11
23/05/2019
[Adresse 13]
[Localité 46]
605.000
285
1.327
DEF n°12
23/05/2019
[Adresse 15]
[Localité 46]
550.000
456
1.206
DEF n°13
23/05/2019
[Adresse 8]
[Localité 46]
760.000
497
1.529
DEF n°14
23/05/2019
[Adresse 5]
[Localité 46]
493.000
276
1.786
DEF n°15
10/11/2021
[Adresse 17]
[Localité 45]
480.000
238
2.016
DEF n°16
10/11/2021
[Adresse 18]
[Localité 45]
506.896
240
2.112
DEF n°17
10/11/2021
[Adresse 20]
[Localité 45]
480.000
245
1.959
DEF n°18
10/11/2021
[Adresse 21]
[Localité 45]
480.000
242
1.983
DEF n°19
10/11/2021
[Adresse 22]
[Localité 45]
580.000
255
2.275
DEF n°20
20/12/2019
9304P02
2020P00225
[Adresse 39]
[Localité 47]
1.357.900
721
1.883
DEF n°21
20/12/2019
9304P02
2020P00271
[Adresse 4]
[Localité 47]
1.357.900
734
1.850
DEF n°22
20/09/2019
[Adresse 25]
[Localité 47]
1.000.000
773
1.294
Les consorts [D] retiennent une valeur moyenne de 1.400 euros/m² ainsi qu’un abattement de 20% pour l’occupation commerciale.
L’EPFIF critique ces termes en faisant valoir que les références cadastrales, la situation d’urbanisme et les références de publication, qui ne correspondent pas à des références de publication au fichier immobilier, ne sont pas précisées. Les termes DEF n°20 et 21 portent sur des ventes intégrant les constructions ce qui fausse le rapport entre le prix de cession et la surface cadastrale de leur terrain d’assiette. L’EPFIF fait également valoir que plusieurs ventes citées ont été faites au bénéfice de promoteurs en vue de la réalisation de programmes immobiliers, or les cessions qui portent sur des droits à construire ne peuvent constituer des termes de comparaison pertinents et recevables.
Le commissaire du Gouvernement émet les critiques suivantes :
- Les propriétaires ont procédé uniquement à la valorisation du foncier d’assiette, soit une surface cadastrale de 1.606 m² ;
- Les références produites correspondent toutes à des ventes de parcelles bâties ;
- Les références propres à la commune du Bourget sont au nombre de 3.
Le tribunal observe que les termes de référence n°1 à 19 et 22 sont cités dans un rapport d’expertise établi non contradictoirement. Surtout, ces termes ne sont pas accompagnés des références de publication ne permettant pas ni au tribunal, ni aux parties, d’accéder aux actes de ventes en question et par suite d’apprécier les caractéristiques desdites mutations. Enfin, l’absence de référence de publication n’est pas palliée par la production des actes de ventes
Par conséquent, ces termes seront écartés.
Les consorts [D] ont versé aux débats la fiche PATRIM des termes de référence DEF n°20 et 21 contenant les références de publication permettant d’établir les caractéristiques de la mutation.
Il ressort des fiches PATRIM des deux cessions qu’il s’agit de ventes de maisons, dont la consistance ne correspond en aucun cas à celle des biens expropriés. Ces termes seront donc écartés.
c/ Sur les termes de comparaison du commissaire du Gouvernement
Six termes de comparaison sont proposés par le commissaire du Gouvernement pour l’évaluation du bâti :
Termes
Date de mutation
Référence de publication
Adresse
Prix de vente
€
Surface
m²
Prix unitaire
€/m²
CG n°1
18/10/2021
2021P19436
[Adresse 26]
[Localité 47]
4.500.000
2450
1.837
CG n°2
25/11/2022
2022P34310
[Adresse 14]
[Localité 47]
600.000
500
1.200
CG n°3
23/07/2022
2022P21781
[Adresse 6]
[Localité 47]
400.000
562
712
CG n°4
23/09/2022
2022P29339
[Adresse 10]
[Localité 47]
5.500.000
5.605
981
CG n°5
23/07/2021
2021P11086
[Adresse 30]
[Localité 47]
395.000
356
1.110
CG n°6
08/07/2020
2020P04109
[Adresse 12]
[Localité 47]
520.000
688
756
La valeur moyenne de ces termes est de 1.099 euros/m²; la valeur la plus basse est de 712 euros/m² et la valeur la plus haute est de 1.837 euros/m².
Le commissaire du Gouvernement retient une valeur actualisée de 1.200 euros/m² compte tenu de l’état actuel des biens et de la très bonne situation géographique et un abattement de 20% compte tenu de l’occupation commerciale du bien.
L’EPFIF écarte les termes CG n°1 et 5 au motif qu’il s’agit de ventes portant sur des immeubles de superficie non comparable.
Les consorts [D] considèrent les valeurs proposées sont plus cohérentes au regard des caractéristiques des biens mais sont bien inférieures à celles retenues dans le rapport d’expertise qu’ils produisent.
En l’espèce, les termes cités par le commissaire du Gouvernement font référence à des ventes de locaux à usage d’atelier et de stockage, il s’agit donc de biens dont la consistance est très semblable à celle du bien exproprié.
En outre, ces ventes sont situées sur la commune du Bourget.
Etant donné la rareté des termes de comparaison sur cette commune, comme le souligne le commissiare du Gouvernement, les références ne seront pas écartées en raison de leur superficie. Ces termes de référence seront donc retenus.
Trois termes de comparaison sont proposés par le commissaire du Gouvernement pour l’évaluation du surplus de terrain :
Termes
Date de mutation
Référence de publication
Adresse
Prix de vente
€
Surface
m²
Prix unitaire
€/m²
CG n°7
18/06/2020
2020P03584
[Adresse 2]
[Localité 47]
150.000
300
500
CG n°8
04/03/2021
2021P01491
[Adresse 3]
[Localité 47]
2.100.000
2.184
962
CG n°9
21/09/2018
2018P06497
[Adresse 23]
[Localité 47]
178.000
224
795
La valeur moyenne de ces termes est de 752 euros/m²; la valeur la plus basse est de 500 euros/m² et la valeur la plus haute est de 962 euros/m².
Le commissaire du Gouvernement retient une valeur actualisée de 1.000 euros/m² compte tenu de la bonne configuration du surplus de terrain, de son potentiel de construction et de sa très bonne situation géographique.
L’EPFIF critique les termes suivants :
- Le terme CG n°7 : la parcelle est d’une superficie très inférieure à celle de l’espèce et est située en zone UG et non UA,
- Le terme CG n°8 : la parcelle est d’une surface très largement supérieure à celle de l’espèce et est située en zone UG et non UA,
- Le terme CG n°9 : la parcekke est d’une surface très largement inférieure à celle de l’espèce et est située en zone UG et non UA.
Les consorts [D] considèrent que les valeurs proposées sont plus cohérentes au regard des caractéristiques des biens, elles sont bien inférieures à celles retenues dans le rapport d’expertise qu’ils produisent.
En l’espèce, il n’y a pas lieu d’écarter les termes de référence du commissaire du Gouvernement en raison de leur superficie ou de leur zone de situation dans la mesure où, les cessions de terrain équivalentes sur la commune du Bourget sont très rares.
Les termes de comparaison du commissaire du Gouvernement seront donc retenus.
Il s'ensuit qu'après examen des termes de comparaison soumis par les parties, les références du commissaire du Gouvernement sont jugées pertinentes et sont retenues.
Suite au transport sur les lieux, il convient de prendre en compte l’occupation commerciale ainsi que la très bonne situation géographique du bien exproprié.
En conséquence, il y a lieu de retenir une valeur au mètre carré à hauteur de 1.200 € /m².
Ainsi l’indemnité de dépossession est fixée à la somme de 1.392.800 euros et est calculée comme suit :
- 525 m² x 1.200 €/m² x 0,80 = 504.000 euros pour la valeur du bâti ;
- 1.111 m² x 1.000 €/m² x 0,80 = 888.800 euros pour la valeur du surplus de terrain.
2/ Sur les indemnités accessoires
a / L'indemnité de remploi
Aux termes de l'article R.322-5 du code de l'expropriation, l'indemnité de remploi est calculée compte tenu des frais de tous ordres normalement exposés pour l'acquisition d'un bien de même nature moyennant un prix égal au montant de l'indemnité principale.
En l'espèce, elle a pour base le montant de l'indemnité principale, à savoir 1.392.800 €.
Elle est liquidée comme suit :
20 % jusqu'à 5 000 € = 1 000 €
15 % de 5.000 € à 15 000 € = 1 500 €
10 % sur 692.840 € = 137.780 €
Soit un total de 140.280 euros
b/ L'indemnité de frais de mutation
L’article R322-5 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique dispose :
“ L'indemnité de remploi est calculée compte tenu des frais de tous ordres normalement exposés pour l'acquisition de biens de même nature moyennant un prix égal au montant de l'indemnité principale. Sont également pris en compte dans le calcul du montant de l'indemnité les avantages fiscaux dont les expropriés sont appelés à bénéficier lors de l'acquisition de biens de remplacement.
Toutefois, il ne peut être prévu de remploi si les biens étaient notoirement destinés à la vente, ou mis en vente par le propriétaire exproprié au cours de la période de six mois ayant précédé la déclaration d'utilité publique.”
L'indemnité de remploi correspond aux frais que l’exproprié devra supporter pour reconstituer son patrimoine et est destinée à couvrir les frais que l'exproprié aurait à supporter pour l'achat d'un bien équivalent destiné à remplacer celui dont il a été exproprié. Sont compris dans cette indemnité les frais de recherche d'un nouveau bien et tous les frais d'acte tels que les honoraires du notaire et les droits de mutation ou honoraires de négociation.
Les frais de mutation étant compris dans l’indemnité de remploi, il n’y a pas lieu de faire droit à une indemnistation distincte. Cette demande sera rejetée.
c) L’indemnité de frais d’agence immobilière
L’indemnité de frais d’agence correspondant aux frais de recherche d’un nouveau bien et étant par conséquent comprise dans l’indemnité de remploi, il n’y a pas lieu de faire droit à une indemnisation distincte.
Au surplus, aucun élément n’est produit à l’appui de cette demande permettant de justifier le montant sollicité au titre de frais d’agence immobilière.
Cette demande sera rejetée.
d) L’indemnité de frais d’expertise
Les expropriés sollicitent une indemnité de frais d’expertise et produisent à l’appui de cette demande une facture d’un montant de 2.700 euros.
Cependant, l'expertise amiable ayant été sollicitée par la partie expropriée seule, cette dernière en est responsable et ne saurait en demander le remboursement.
Par conséquent, cette demande sera rejetée.
e) L’indemnité de perte de loyer
Les indemnités allouées au titre de la perte de loyers couvrent l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation.
L'indemnité pour perte de loyers couvre une période d'un an en conformité avec l'article 150 U, II, 4° du code général des impôts qui laisse un délai d'un an à l'exproprié pour réinvestir l'indemnité allouée. Cette période correspond donc au temps nécessaire pour procéder au rachat et trouver un locataire. La jurisprudence retient de façon constante une durée de douze mois, ce préjudice étant certain et non éventuel.
La quittance de loyer versée aux débats indique un loyer trimestriel de 5.920 euros, soit un loyer annuel de 23.680 euros.
Les consorts [D] se prévalent d’un déplafonnement et ont sollicité la réévaluation du loyer à la hausse au Juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Bobigny. Toutefois, le déplafonnement n’a pas été prononcé et le loyer n’a pas évolué depuis son renouvellement.
L’indemnité allouée pour la perte de loyers s’élève donc à la somme de 23.680 euros.
En conséquence, sur l'indemnité totale de dépossession :
Elle est égale à 1.556.760 euros, soit :
- 1.392.800 euros, indemnité principale ;
- 140.280 euros, indemnité de remploi ;
- 23.680 euros, indemnité de perte de loyers.
IV/ Sur les demandes accessoires
1/ Sur les dépens
Aux termes de l'article L.312-1 du code de l'expropriation, l'expropriant supporte seul les dépens de première instance.
L'EPFIF, devra par conséquent supporter les dépens de la présente instance.
2/ Sur les frais irrépétibles
Aux termes de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens à payer à l'autre partie, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, la somme qu'il détermine en tenant compte de l'équité. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à condamnation.
En l'espèce, l'équité commande de condamner l'EPFIF, partie tenue aux dépens, à verser aux consorts [D] la somme de 3.000 euros.
PAR CES MOTIFS
Karima BRAHIMI, Vice-présidente, juge de l’expropriation, statuant publiquement par jugement contradictoire mis à disposition au greffe, rendu en premier ressort et susceptible d’appel :
ANNEXE à la présente décision le procès-verbal du transport judiciaire sur les lieux expropriés du 27 février 2024,
FIXE à 1.556.760 € (un million cinq-cent cinquante-six mille sept-cent soixante euros), en valeur occupée l'indemnité totale de dépossession due par l'établissement public foncier d'Ile-de-France à Monsieur [E] [D], à Madame [T] [D] et à Monsieur [C] [D] pour dépossession des parcelles cadastrées Section [Cadastre 42] sise [Adresse 48] et Section [Cadastre 43] sise [Adresse 1],
DIT que la somme de 1.556.760 € est ainsi composée :
- 1.392.800 euros, indemnité principale,
- 140.280 euros, indemnité de remploi,
- 23.680 euros, indemnité de perte de loyers,
REJETTE la demande d’indemnité au titre des frais de mutation,
REJETTE la demande d’indemnité au titre des frais d’agence immobilière,
REJETTE la demande d’indemnité au titre des frais d’expertise,
CONDAMNE l'établissement public foncier d'Ile-de-France à payer à Monsieur [E] [D], à Madame [T] [D] et à Monsieur [C] [D] une somme de 3.000 € le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE l'établissement public foncier d'Ile-de-France au paiement des dépens de la présente procédure.
Maxime-Aurélien JOURDE
Greffier
Karima BRAHIMI
Vice présidente