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15/05/2024 | FRANCE | N°23/00117

France | France, Tribunal judiciaire de Bobigny, Expropriations 1, 15 mai 2024, 23/00117


Décision du 15 Mai 2024
Minute n° 24/113


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BOBIGNY

JURIDICTION DE L’EXPROPRIATION
DE LA SEINE-SAINT-DENIS

JUGEMENT FIXANT INDEMNITÉS

du 15 Mai 2024

:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:

Rôle n° RG 23/00117 - N° Portalis DB3S-W-B7H-XYSI

Le juge de l’expropriation du département de la SEINE-SAINT-DENIS


DEMANDEUR :


ETABLISSEMENT PUBLIC FONCIER D’ILE DE FRANCE
[Adresse 1]
représentée par Maître Michaël MOUSSAULT de la SELAS DS AVOCATS, avocats au barreau de PARIS



DÉFENDEUR :
SARL ARAM
[Adresse 3]
représentée par Maître Karim AZGHAY, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS
INTERVENANT :
DIRECTION DE...

Décision du 15 Mai 2024
Minute n° 24/113

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BOBIGNY

JURIDICTION DE L’EXPROPRIATION
DE LA SEINE-SAINT-DENIS

JUGEMENT FIXANT INDEMNITÉS

du 15 Mai 2024

:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:

Rôle n° RG 23/00117 - N° Portalis DB3S-W-B7H-XYSI

Le juge de l’expropriation du département de la SEINE-SAINT-DENIS

DEMANDEUR :

ETABLISSEMENT PUBLIC FONCIER D’ILE DE FRANCE
[Adresse 1]
représentée par Maître Michaël MOUSSAULT de la SELAS DS AVOCATS, avocats au barreau de PARIS

DÉFENDEUR :
SARL ARAM
[Adresse 3]
représentée par Maître Karim AZGHAY, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS
INTERVENANT :
DIRECTION DEPARTEMENTALE DES FINANCES PUBLIQUES - POLE D’EVALUATION DOMANIALE représentée par Messieurs [L] [M] et [R] [H], commissaires du Gouvernement
[Adresse 2]

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Charlotte THIBAUD, Vice-Présidente, désignée par ordonnance de Monsieur le Premier Président de la cour d’appel de Paris

Cécile PUECH, Greffière présente lors de la mise à disposition

PROCÉDURE :

Date de la visite des lieux : 10 janvier 2024
Date de la première évocation et des débats : 06 mars 2024
Date de mise à disposition : 15 mai 2024

EXPOSE DU LITIGE

La SARL ARAM est propriétaire d’un fonds de commerce de bar-brasserie traditionnelle et exploité dans des locaux commerciaux, lot n°1, situés dans le centre commercial du Chêne Pointu, [Adresse 3] (93) selon un bail commercial signé le 23 janvier 2014.

Le local commercial est situé dans le périmètre de l’opération de requalification de copropriétés dégradées du quartier dit du “[Localité 4]” (ORCOD), déclaré d’intérêt national par décret n°2015-99 du 28 janvier 2015, dont la mise en oeuvre a été confiée à l’Établissement Public Foncier d’Île de France (l’EPFIF)

Ce local est également situé dans le périmètre de la zone d’aménagement concerté (ZAC) dite du “[Localité 4]”, créée par arrêté préféctoral n°2018-1913 du 2 août 2018, qui est identique à celui de l’ORCOD-IN, et qui a fait l’objet d’une déclaration d’utilité publique (DUP), selon l’arrêté préfectoral n° 2019-2388 en date du 6 septembre 2019.

Par acte authentique en date du 29 décembre 2020, l’EPFIF a acquis le centre commercial du Chêne Pointu où se trouve le local commercial, lot n°1, où la SARL ARAM exploite son fonds de commerce.

L’EPFIF a notifié son Mémoire valant offres à la SARL ARAM par lettre recommandée avec accusé de réception daté du 04 février 2023.

Par une requête datée du 31 mai 2023 et reçue le 05 juin 2023 par le greffe, accompagnée d’une copie de son Mémoire valant offres, l’EPFIF a saisi la juridiction de l’expropriation du tribunal judiciaire de Bobigny aux fins de fixation de la valeur du fonds de commerce/d’activité de de la SARL ARMA.

En l’absence d’accord entre les parties, et conformément aux dispositions de l’article R.311-9 du code de l’expropriation, la réception de la requête par la juridiction est postérieure d’au moins un mois à la date de réception par la partie expropriée des offres de l’expropriant.

L’EPFIF a notifié à la SARL ARAM la saisine de la juridiction de l’expropriation par lettre recommandée avec accusé de réception non datée.

Par une ordonnance rendue le 10 novembre 2023, le juge de l’expropriation a fixé le transport sur les lieux et l’audition des parties au 10 janvier 2024, ainsi que l’audience au 06 mars 2024.

L’EPFIF a notifié cette décision à la SARL ARAM par lettre recommandée avec accusé de réception daté du 06 décembre 2023.

La date de réception par la partie expropriée lui a laissé :
- un délai de six semaines au moins entre la date de réception du mémoire de l’EPFIF et celle du transport, conformément aux dispositions de l’article R.311-14 du code de l’expropriation ;

- et un délai au moins égal à quinze jours entre la date de la notification de l’ordonnance de transport sur les lieux et la date de la visite elle-même, conformément aux dispositions de l’article R.311-15, 4ème alinéa, du code de l’expropriation.

Monsieur [A] [S] gérant de la SARL ARAM était présent et assisté par Maître Mehdi BENHAMOUDA lors du transport sur les lieux du 10 janvier 2024.

Dans son dernier mémoire “récapitulatif et en réplique” daté du 5 mars 2024 et reçu au greffe de l’expropriation le 05 mars 2024, l’EPFIF demande au juge de l’expropriation de :

“- REJETER l’ensemble des demandes, fins et prétentions de la société ARAM,

Par suite,

- FIXER comme suit l’indemnité devant revenir à la société ARAM résultant de son éviction du lot n°1 du centre commercial du Chêne Pointu :

- A. Indemnité Principale (valeur du fonds de commerce)

94.493 € x 80 % = 75.594,40 €

- B. Indemnités accessoires

Frais de remploi :

5% x 23.000 € = 1.150 €
10% x 52.594,40 € = 5.259,44 €

Total remploi 6.409,44 €

Trouble commercial :

75.594,40 € x (15/300) = 3.729,72 €

Indemnité pour dépréciation du stock : Néant

Indemnité pour frais de déménagement : Néant

Indemnité pour perte partielle de clientèle : Néant

TOTAL INDEMNITE D’EVICTION COMMERCIALE : 85.733,56 €”

Aux termes de son dernier mémoire en réponse reçu le 19 février 2024, la SARL ARAM demande au juge de l’expropriation de :
“A titre principal :

- FIXER le montant de l’indemnité d’expropriation principale à la somme de 128147 euros, à payer à la société ARAM par la société EPFIF
- FIXER le montant des frais de réemploi à la somme de 5000 euros,
- FIXER le montant de l’indemnité pour trouble commercial à la somme de 32036 euros
- FIXER le montant de l’indemnité pour frais de déménagement à la somme de 16000 euros,
- FIXER le montant de l’indemnité pour dépréciation des stocks à la somme de 10000 euros,
- FIXER le montant de l’indemnité pour perte partielle de clientèle à al somme de 50000 euros;

A titre subsidiaire :

- Il est demandé à votre tribunal la désignation d’un expert afin d’évaluer les indemnités d’évictions principales et accessoires.”

Dans ses dernières écritures, datées du 18 décembre 2023, produites avant transport sur les lieux, le commissaire du Gouvernement évalue l’indemnité d’éviction due à la SARL ARAM à un montant de 129 635 € en cas de cessation définitive de l’activité ou à un montant de 107 470 € en cas de poursuite de l’activité, de la manière suivante :

En cas de cessation définitive de l’activité
Indemnité principale (valeur du fonds) : 114 600 €, CA moyen TTC (94 500 €) x 120 %
Indmenité de remploi : 10 310 €
Indemnité de trouble commercial : 4 725 €, 15 jours du CA moyen TTC
Indemnité de licenciement : sur justificatifs

En cas de réinstallation de l’activité
Indemnité principale (valeur droit au bail) : 94 450 €, différentiel loyer (18 890 €) x 5
Indemnité de remploi : 8 295 €
Indemnité de trouble commercial : 4 725 €, 15 jours du CA moyen TTC
Frais de déménagement/installation : sur devis et/ou factures

En vertu de l’article 455 du code de procédure civile, il est fait référence aux écritures transmises pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions.

À l’audience du 06 mars 2024, les parties comparantes ont développé les éléments de leurs mémoires, en application des dispositions de l’article R.311-20, 1er alinéa, du code de l’expropriation.

L'affaire a été mise en délibéré au 15 mai 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de fixation de l’indemnité d’éviction

Aux termes de l'article L 321-1 du code de l' expropriation, les indemnités allouées couvrent l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l' expropriation .

Sur les éléments préalables à la détermination des indemnités

Sur les dates à retenir

Le juge de l’expropriation doit déterminer les dates suivantes et les prendre en considération lors de l’évaluation de la valeur vénale du bien exproprié :

* Date pour apprécier la consistance des biens : selon les dispositions de l’article L.322-1 du code de l’expropriation, le juge fixe le montant des indemnités d’après la consistance des biens à la date de l’ordonnance portant transfert de propriété.

Conformément à l’article L 222-2 du code de l’expropriation, la cession amiable consentie après la déclaration d’utilité publique produit les mêmes effets que l’ordonnance d’expropriation, c’est à dire qu’elle emporte transfert de propriété et extinction des droits réels et personnels existants sur le bien cédé (C. Cass. 3ème civ. 29 octobre 2003 n° pourvoi 02-15.321).

* Date de référence pour déterminer les règles d’urbanisme et l’usage effectif des biens : elle se situe, en principe, un an avant l'ouverture de l'enquête publique préalable à la déclaration d’utilité publique, conformément à l’article L.322-2 du code de l’expropriation ; toutefois, aux termes des articles L.213-6 et L.213-4 du code de l’urbanisme, lorsqu'un bien est soumis au droit de préemption urbain et n’est pas situé dans une Zone d’aménagement différée (ZAD), cette date de référence se situe à la date à laquelle est devenue opposable aux tiers le plus récent des actes rendant public, approuvant, modifiant ou révisant le plan local d’urbanisme, et délimitant la zone dans laquelle est situé le bien ;

En application des articles L 213-6 et L 213-4 du code de l’urbanisme, l’acte qui se borne à modifier le périmètre d’une zone d’un PLU sans affecter ses caractéristiques ne peut être pris comme date de référence au sens des dispositions de l’article L 213-4 du code de l’urbanisme (3ème civ. 13 juin 2019 pourvoi n°18-18.445).

* Date pour apprécier la valeur des biens : selon le 1er alinéa de l’article L.322-2 du code de l’expropriation, les biens sont estimés à la date de la décision de première instance, soit à la date du jugement en fixation des indemnités.

En l’espèce, le lot n°1 doit être évalué selon :

- sa consistance au 29 décembre 2020, date de la cession amiable postérieure à la déclaration d’utilité publique du 6 septembre 2019 emporant transfert de propriété et extinction des droits réels et personnels existants sur le bien cédé ;

- les possibilités offertes par les règles d’urbanisme définies par le plan local d’urbanisme (PLU) approuvé le 10 juillet 2012 et modifié le 08 avril 2016.

Bien qu’une autre modification du PLU soit intervenue le 13 novembre 2018, celle-ci n’a pas modifié les caractéristiques de la zone où se situe l’ensemble immobilier, de sorte qu’elle ne peut être retenue comme date de référence.

En conséquence, la date de référence est celle de la dernière modification du PLU délimitant la zone dans laquelle est situé l'ensemble immobilier dont s'agit, à savoir la modification numéro un du 8 avril 2016.

Les parcelles sont situées en zone UR1 du PLU, correspondant au renouvellement urbain du centre-ville ;

un usage de fonds de commerce de bar-brasserie traditionnelle n’est pas contesté par les parties;

- les valeurs d’échange à la date du présent jugement.

Sur la consistance de l’ensemble immobilier et des biens de la partie défenderesse

Pour une description précise, il conviendra de se reporter au procès-verbal de transport sur les lieux, composé d’une présentation générale et d’un descriptif des biens à évaluer, annexé au présent jugement.

- Sur les copropriétés du Chêne pointu et de l’Etoile du Chêne pointu

La commune de [Localité 6] est constituée de plusieurs quartiers de grands ensembles édifiés dans les années 1960, selon un plan qui prévoyait une desserte par l’autoroute A 87. Cette voie express n’ayant pas été réalisée, la commune était enclavée n’étant desservie ni par les voies routières majeures de la région parisienne ni par les lignes de RER et de métro. Les bus étaient les seuls transports en commun.

Depuis décembre 2019, une nouvelle branche de la ligne T4 du tramway est en service. Elle relie [Localité 8] à [Localité 9] et dessert [Localité 6]. Elle offre une correspondance avec le RER E à [Localité 5]. La création d’une gare de la future ligne 16, métro express, par la SGP et le GPA est en cours de réalisation.

Les copropriétés du Chêne pointu et de l’Etoile du Chêne pointu sont géographiquement imbriquées, aucune clôture ne sépare la première de la seconde, la numérotation des bâtiments englobe les deux copropriétés et n’est pas propre à chacune d’elle. La copropriété du Chêne pointu est composée de 10 bâtiments, comprenant 873 logements, et celle de l’Etoile du Chêne pointu de 8 bâtiments, comprenant 556 logements, étant précisé que l’un des bâtiments (B 18) a d’ores et déjà fait l’objet d’une démolition.

Les conclusions d’une étude réalisée par la commune de [Localité 6] en 2014, concernant les copropriétés contiguës du Chêne pointu et de l’Etoile du Chêne pointu, mettent en évidence un contexte social difficile en termes de niveau de vie (60 % des ménages ayant un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté), de taux de chômage (29 %), d’occupation des logements (près de 20 % l’étant par plus d’un ménage et par plus de 4 personnes), de rotation importante tant en ce qui concerne les propriétaires que les locataires.

Il résulte tant du décret déclarant d’intérêt national l’opération de requalification des copropriétés dégradées que de la déclaration d’utilité publique du 6 septembre 2019 que les copropriétés du Chêne pointu et de l’Etoile du Chêne pointu sont parmi les copropriétés clichoises les plus en difficultés au plan social et qu’elles ont fait l’objet :

- d’un plan de sauvegarde signé le 19 janvier 2010 entre l’Etat, le Département 93 et la commune de [Localité 6] ; il avait pour objectif de résorber les impayés de charges, de réaliser des travaux urgents et des mises aux normes, de lutter contre les marchands de sommeil, d’individualiser les réseaux de fluides des différents bâtiments, de réaliser des travaux de rénovation énergétique ; il a pris fin en 2015 ;

- d’une opération de requalification des copropriétés dégradées du quartier dit du [Localité 4], selon un décret n° 2015-99 en date du 28 janvier 2015 déclarant ladite opération d’intérêt national (ORCOD IN) ; la mise en oeuvre de l’opération a été confiée à l’EPFIF ;

- d’un nouveau plan de sauvegarde pour une durée de cinq ans, institué par l’arrêté préfectoral n° 2017-2399 du 11 septembre 2017.

- Sur le centre commercial du Chêne pointu

Le bien à évaluer est situé dans le centre commercial du Chêne Pointu, au coeur des copropriétés en difficultés que sont le Chêne Pointu et l’Étoile du Chêne Pointu.

Il s’agit d’un ensemble immobilier complexe édifié à l’angle des [Adresse 3] et [Adresse 7] à [Localité 6], tenant :
- au nord par une ligne droite à [Adresse 3] ;
- à l’ouest par une ligne droite à [Adresse 7], pan coupé à l’ange des deux voies,
- au sud et à l’est par une linge brisée, au syndicat des copropriétaies de l’ensemble dénommée “Le Chêne Pointu II”.

Cet ensemble immobilier complexe comprend :
- une tour dite “Tour Victor Hugo” de R +15 sur deux sous-sol ;
- un centre commercial dit “Centre commercial du Chêne Pointu”, édifié en rez-de-chaussée sur un sous-sol ;
- un parc de stationnement de plain-pied, extérieur non couvert ;
- un parc de stationnement de deux niveaux.

Le Centre commercial comprend une galerie marchande et deux parcs de stationnement, en état d’entretien moyen voire mauvais.

- Sur les biens expropriés

Il s’agit du lot n°1 correspondant à un local commercial au sein de la galerie marchande située au rez-de-chaussée de l’ensemble immobilier complexe et d’une superficie non contestée de 161m².

Il est dans un état d’entretien qualifié de :
. vétuste par l’EPFIF, entité expropriante ;
. moyen par le commissaire du Gouvernement avant transport ;

L’exproprié ne qualifie pas expressément l’état général d’entretien du bien qu’il occupe, se contentant d’indiquer que le gérant a beaucoup investi dans son commerce dont il a refait à neuf la décoration et l’ameublement, mais sans produire de justificatif à l’appui de cette affirmation.

Pour une plus ample description, il convient de se référer au procès verbal de transport.

Au regard des constatations effectuées lors du transport du 10 janvier 2024, la juridiction de l’expropriation qualifie l’état du bien de bon à l’exception du sous-sol qui est inexploitable en raison d’importantes inondations récurentes.

Les caractéristiques du local permettent de dégager les facteurs suivants :

- de moins-value :
. un quartier en grande difficulté social et économique ;
. un important turn over des commerces au sein de la galerie marchande ;
. un mauvais état général de la galerie marchande ;
. l’état dégradé du sous-sol, inexploitable en raison d’importantes et fréquentes inondations ;

- de plus-value :
. une surface adaptée à l’activité de bar-restaurant ;
. une configuration conforme à l’activité exercée ;
. un équipement de qualité ;
. un aménagement ad hoc à l’activité ;
. la présence d’un grand parking desservant la galerie marchande ;

Sur la méthode d'évaluation

En matière d’évaluation d’un fonds de commerce/d’activité, deux méthodes sont généralement utilisées :

- soit l’exploitant d’un commerce ou d’une activité peut soit se réinstaller à proximité ou de manière plus éloignée tout en conservant sa clientèle, l’éviction entraîne alors pour celui-ci la perte de son droit au bail mais pas de sa clientèle dans sa globalité.

Le préjudice correspond dans cette hypothèse à la perte du droit au bail, à éventuellement une perte partielle de sa clientèle et aux dépenses nécessaires à sa réinstallation. L’indemnisation devra être égale à la valeur du droit au bail, généralement calculée selon la méthode du différentiel de loyer, et à la somme des autres postes de préjudice selon les montants justifiés par le commerçant ou l’exploitant.

- soit, l’exploitant d’un commerce ne peut se réinstaller à proximité des locaux objets de l’expropriation, l’éviction commerciale entraîne alors pour celui-ci la perte de son droit au bail et la perte de sa clientèle dans sa globalité, éléments essentiels du fonds de commerce.

Le préjudice dans cette hypothèse doit être réparé par l’allocation d’une indemnité égale à la valeur de l’entier fonds de commerce, valeur qui ne peut être inférieure à celle du droit au bail et se calcule en multipliant le chiffre d’affaires moyen, toutes taxes comprises, des trois derniers exercices comptables clos, par un ratio prix de vente / chiffre d’affaires.

En l’espèce, la SARL ARAM affirme vouloir se réinstaller à proximité puisqu’elle indique d’une part, avoir sollicité un local auprès de l’EPFIF qui lui aurait opposé un refus et d’autre part, être “actuellement à la recherche d’un local afin de réinstaller son activité sur le secteur de [Localité 6]”. Elle souligne que sa clientèle est localisée dans le quartier du Chêne Pointu et que la procédure d’expropriation dont fait l’objet les copropriétés du Chêne Pointu et de l’Étoile du Chêne Pointu a déjà eu pour conséquence de lui faire perdre une grande partie de sa clientèle de nombreux habitants ayant été relogés dans de nouveaux quartiers.

Nonobstant ses déclarations selon lesquelles elle souhaite se réinstaller à proximité, la SARL ARAM évalue son indemnité principale selon la méthode du chiffre d’affaire donc sur la valeur de l’entier fonds de commerce après perte totale de son droit au bail et de sa clientèle.

Par ailleurs, il ressort des termes de comparaison proposés par le Commissaire du Gouvernement, qui est la seule partie à avoir envisagé l’utilisation de la méthode du différentiel de loyer et à avoir versé aux débats des éléments pour ce faire, qu’à ce jour il n’y a aucune offre commerciale sur le territoire de [Localité 6].

Au regard de l’ensemble de ces éléments, il est suffisamment démontré que la SARL ARAM ne peut se réinstaller à proximité des locaux objets de la présente procédure d’expropriation, de sorte qu’il y a lieu de recourir à la méthode d’évaluation de l’entier fonds de commerce.

Sur l’indemnité principale

Aux termes de l'article L 321-1 du code de l’expropriation, les indemnités allouées couvrent l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l' expropriation .

En application de l’article L 222-2 sus-mentionné, la cession amiable intervenue après déclaration d’utilité publique emporte transfert de propriété et extinction des droits réels et personnels existants sur le bien cédé, ce qui ouvre droit à indeminsation au profit des titulaires de ces droits y compris s’agissant de l’allocation d’une indemnité d’éviction (C. Cass. 3ème civ. 16 juin 2016 n° pourvoi 15-18.143)

Selon l'article L 321-3 du code de l' expropriation le jugement distingue, dans la somme allouée à chaque intéressé, l'indemnité principale et, le cas échéant, les indemnités accessoires en précisant les bases sur lesquelles ces diverses indemnités sont allouées

Sur le chiffre d’affaires moyen des trois derniers exercices comptables clos de la SARL ARAM

L’EPFIF retient les chiffres d’affaires suivants :
- 114.920 € TTC, en 2018 ;
- 112.772 € TTC, en 2019 ;
- 55 787 € TTC, en 2022.

Il détermine une valeur moyenne de 94 493 €.

Le commissaire du Gouvernement présente les données comptables suivantes :
- 114.920 € TTC, en 2018 ;
- 112.772 € TTC, en 2019 ;
- 55 787 € TTC, en 2022.

Le commissaire du Gouvernement retient un chiffre d’affaires moyen pour les années 2018, 2019 et 2022 de 94 500 € en excluant les années 2020 et 2021 en raison de la crise du COVID 19 et des mesures de fermeture et de restriction qui ont été imposées aux commerces de bouche comme celui exploité par la SARL ARAM.

La SARL ARAM expose les chiffres d’affaires suivants :

- 84 251 € HT, en 2017 ;
- 103 496 € HT, en 2018 ;
- 124 196 € TTC, en 2019 ;

Elle détermine une valeur moyenne de 106 789 €.

En l’espèce, il y a lieu de retenir le chiffre d’affaires moyen des trois derniers exercices clos, des années 2018, 2019 et 2022, selon une valeur de 94 493 € ((114 920 € + 112 772 € + 55787 €)/3). Les années 2020 et 2021 ne sont pas retenues, le chiffre d’affaire de ces années ne pouvant être représentatif d’une activité normale au regard de l’impact de la crise sanitaire liée au COVID 19 et en particulier aux mesures de fermeture et restriction administratives imposées aux commerces tels que celui exploité par la SARL ARAM.

Sur le pourcentage retenu

En l’espèce, aucune des parties n’a produit le moindre terme de comparaison.

L’EPFIF cite les barèmes publiés dans les revues spécialisées pour les activités de café-restaurant:
- Côté Callon édition 2022 : 70 à 120% du chiffre d’affaires annuel TTC ;
- Barème Lexisnexis : 70 à 80 % du chiffre d’affaires TTC ;
- Memento transmission d’entreprises 2022-2023 : 40 à 120 % du chiffre d’affaires HT

Il retient un coefficient de 80 %, au regard de la baisse important du chiffre d’affaire du fonds de commerce entre 2018 et 2022 ainsi qu’à sa localisation dans un secteur déqualifié.

Le Commissaire du Gouvernement s’appuie sur les barèmes pratiqués pour les activités de café-bar :
- barème de l’administration fiscale : 90% à 100 % du CA annuel moyen TTC ;
- barème memento fiscal [W] [X] : 80 % à 140 % du CA annuel moyen TTC ;
- barème site inernet gerantdesarl.com : 80 % à 120 % du CA annuel moyen TTC ;
- barème site inernet www.france-commerce.net : 80 % à 160 % du CA annuel moyen TTC ;
- barème de la chambre régionale du commerce : 80 % à 160 % du CA annuel moyen TTC ;
- barème site cession-commerce.com : 50 % à 120 % du CA annuel moyen TTC ;
- barème site www.evaluation-fonds-de-commerce.fr : 60 % à 120 % du CA annuel moyen TTC.

Il retient un coefficient de 120 % compte tenu de la bonne situation géographique du fonds.

La SARL ARAM propose de retenir 120 % sans citer aucun barème, aucun document à l’appui de cette proposition et sans expliquer pourquoi elle retient ce pourcentage.

En l’espèce, eu égard au chiffre d’affaires moyen TTC sur les trois années 2018, 2019 et 2022, aux éléments de plus-value et de moins value précédement listés ainsi que de la présence d’une terrasse extérieure aménagée, il y a lieu de retenir un coefficient de 100 %.

Sur la valeur de l’entier fonds de commerce

Elle est égale à 94.493 €, soit 94.493 € chiffre d’affaires moyen des années 2018, 2019 et 2022 x 100 %, ratio prix de vente-chiffre d’affaires retenu pour l’évaluation du présent fonds de commerce/d’activité.

Sur les indemnités accessoires

Sur l’indemnité de remploi

Elle a pour base le montant de l’indemnité principale d’éviction, en l’espèce 94.493 €.

Elle est égale à :
. 5 % jusqu’à 23 000 € = 1 150,00 €
. 10 % sur le surplus, soit 71 493 € = 7.149,30 €

soit un total de 8.299,30 €.

Sur l’indemnité pour dépréciation du stock

En l’espèce, en dépit de la demande expresse du juge de l’expropriation lors du transport sur les lieux le 10 janvier 2024, la SARL ARAM n’a produit aucun justificatif de l’état et de la consistance des éléments constituant éventuellement son stock, de sorte qu’elle ne démontre pas l’existence du préjudice dont elle réclame réparation.

En conséquence, elle sera déboutée de sa demande à ce titre.

Sur l’indemnité pour déménagement

En l’espcèe, en dépit de la demande expresse du juge de l’expropriation lors du transport sur les lieux le 10 janvier 2024, la SARL ARAM n’a produit aucun devis ou justificatif relatif à la nécessité et aux équipements à déménager, de sorte qu’elle ne démontre pas l’existence du préjudice dont elle réclame réparation.

En conséquence, elle sera déboutée de sa demande à ce titre.

Sur l’indemnité pour trouble commercial

La SARL ARAM sollicite une indemnité de 32 036 €, correspondant à trois mois de chiffre d'affaires moyen en prenant comme base le chiffre d’affaires de l’année 2017.

L’EPFIF offre une indemnité de 3.729,72 € correspondant à 15 jours du chiffre d’affaires moyen sur les trois dernières années.

Le commissaire du Gouvernement n’a fait aucune proposition s’agissant des indemnités accessoires.

Trois méthodes peuvent être utilisées pour déterminer le montant de l’indemnité pour trouble commercial :
- 3 mois du résultat d’exploitation ;
- 15 jours du chiffre d’affaires ;
- 1,5 mois des salaires et charges.

L’EPFIF suggère de retenir la deuxième méthode, soit 15 jours du chiffre d’affaires moyen, en l’espèce 8 128,23 €, correspondant à 162 564,67 € chiffre d’affaires hors taxe moyen des années 2019, 2021 et 2022 / 300 jours d’activité théoriques x 15 jours.

En l’espèce, la méthode consistant à indemniser le préjudice pour trouble commercial selon l’équivalent de 15 jours de chiffre d’affaires moyen des années 2018, 2019 et 2022, est la plus à même de réparer l’entier préjudice et se calcul comme suit :

85902,66 € chiffre d’affaires hors taxe moyen des années 2018, 2019 et 2022 [(104 473 € + 102 520 € + 50 715€)/3] /300 jours d’activité théorique x 15 jours = 4.295,13 €.

Ainsi, une somme de 4295,13 € est allouée à la SARL ARAM.

Sur l’indemnité pour perte partielle de clientèle

Outre le fait que la perte totale de la clientèle est déjà indemnisée par l’indemnité principale qui a été calculée sur la base de la perte totale du fonds de commerce donc de la totalité de la clientèle, la SARL ARAM ne produit aucun document permettant d’établir la réalité du préjudice dont elle demande réparation.

En conséquence, elle sera déboutée de sa demande à ce titre.

Sur l’indemnité totale d’éviction

Elle est égale à 107 087,43 €, soit :

- 94.493 €, à titre d’indemnité principale ;
- 8.299,30 €, à titre d'indemnité de remploi ;
- 4.295,13 €, à titre d’indemnité pour trouble commercial ;

Sur les demandes accessoires

Sur les dépens

Conformément aux dispositions de l’article L 312-1 du code de l’expropriation, l’EPFIF sera condamnée aux dépens.

Sur les frais irrépétibles

Aux termes de l’article 700 1° du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations. Néanmoins, s'il alloue une somme au titre du 2° du présent article, celle-ci ne peut être inférieure à la part contributive de l'Etat.

En l'espèce, la SARL ARAM n’a formulé aucune prétention à ce titre, de sorte que le juge de l’expropriation ne se prononcera pas sur ce point.

PAR CES MOTIFS

Le juge de l’expropriation, statuant publiquement par jugement contradictoire, rendu en premier ressort et par mise à disposition au greffe,

ANNEXE à la présente décision le procès-verbal de transport du 10 janvier 2024 ;

FIXE à 107 087,43 € (cent sept mille quatre-vingt-sept euros et quarante-trois centimes), l’indemnité totale d’éviction due par l’Etablissement Public Foncier d’Île-de-France à la SARL ARAM à l’occasion de l’opération d’expropriation du lot n°1 (locaux commerciaux), situé dans le centre commercial du Chêne Pointu, [Adresse 3] (93), se décomposant comme suit :
- 94.493 € au titre de l’indemnité principale ;
- 8.299,30 €, au titre de l’indemnité de remploi ;
- 4.295,13 € au titre de l’indemnité pour trouble commercial ;

DÉBOUTE la SARL ARAM de sa demande d’indemnité au titre de la dépréciation du stock;

DÉBOUTE la SARL ARAM de sa demande d’indemnité au titre des frais de déménagement;

DÉBOUTE la SARL ARAM de sa demande d’indemnité au titre de la perte partielle de clientèle;

CONDAMNE l’Etablissement Public Foncier d’Île-de-France aux dépens ;

Cécile PUECH

Greffier
Charlotte THIBAUD

Vice-Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bobigny
Formation : Expropriations 1
Numéro d'arrêt : 23/00117
Date de la décision : 15/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 23/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-15;23.00117 ?
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