TRIBUNAL JUDICIAIRE
de BOBIGNY
JUGEMENT CONTENTIEUX DU 14 MAI 2024
Chambre 7/Section 3
AFFAIRE: N° RG 24/01998 - N° Portalis DB3S-W-B7I-Y3XJ
N° de MINUTE : 24/00272
LA CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE PARIS ET D’ILE DE FRANCE
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Alain CIEOL, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, vestiaire : PB 03
DEMANDEUR
C/
Monsieur [B] [N]
[Adresse 3]
[Localité 4]
défaillant
DEFENDEUR
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Marjolaine GUIBERT, Vice-Présidente, statuant en qualité de juge unique, conformément aux dispositions de l article 812 du code de procédure civile, assistée aux débats de Madame Corinne BARBIEUX, faisant fonction de greffier.
DÉBATS
Audience publique du 02 Avril 2024.
JUGEMENT
Rendu publiquement, par mise au disposition au greffe, par jugement Réputé contradictoire et en premier ressort, par Madame Marjolaine GUIBERT, Vice-Présidente, assistée de Madame Corinne BARBIEUX, faisant fonction de greffier.
EXPOSE DU LITIGE
Par acte du 21 février 2024, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d’Ile de France a fait assigner M. [B] [N] devant le tribunal judiciaire de Bobigny afin d'obtenir à titre principal sa condamnation à lui payer, avec capitalisation des intérêts à compter de l’assignation :
- La somme de 89 107,51 euros, montant de sa créance arrêtée au 19 février 2024, outre les intérêts au taux contractuel jusqu’à parfait paiement au titre du prêt n° 00000768675 ;
- La somme de 64 200 euros, montant de sa créance arrêtée au 19 février 2024, outre les intérêts au taux contractuel jusqu’à parfait paiement au titre du prêt n° 00000768676 ;
Subsidiairement, elle demande au tribunal de prononcer la résolution du contrat aux torts de l’emprunteur et de le condamner à lui payer :
- La somme de 89 456,72 euros, montant de sa créance arrêtée au 19 janvier 2024, outre les intérêts au taux contractuel jusqu'à parfait paiement au titre du prêt n° 00000768675 ;
- La somme de 64 200 euros, montant de sa créance arrêtée au 19 janvier 2024, outre les intérêts au taux contractuel jusqu’à parfait paiement au titre du prêt n° 00000768676 ;
En tout état de cause, elle sollicite la condamnation du défendeur à lui payer les sommes de :
- 1 500 euros à titre de dommages et intérêts ;
- 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens, avec application de l’article 699 du code de procédure civile et sous le bénéfice de l’exécution provisoire de droit.
M. [B] [N], valablement assigné, n’a pas constitué avocat.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions de la demanderesse, il est expressément renvoyé à ses dernières conclusions, dans les conditions de l’article 455 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 21 mars 2024. A l’issue de l’audience de plaidoiries du 2 avril 2024, la décision a été mise en délibéré au 14 mai 2024.
MOTIVATION
Sur l’irrégularité de la déchéance du terme
Selon l’article L 212-1 du code de la consommation, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
Aux termes de l’article L. 241-1 du code de la consommation les clauses abusives sont réputées non écrites. Le contrat reste applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s’il peut subsister sans ces clauses.
La Cour de justice des Communautés européennes considère que le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu'il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l'applique pas, sauf si le consommateur s'y oppose (CJCE, arrêt du 4 juin 2009, Pannon, C-243/08).
Par un arrêt du 26 janvier 2017 (CJUE, arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus, C-421/14), la Cour de justice de l'Union européenne a précisé que l'article 3, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 devait être interprété en ce sens que s'agissant de l'appréciation par une juridiction nationale de l'éventuel caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée, il incombait à cette juridiction d'examiner si la faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt dépendait de l'inexécution par le consommateur d'une obligation qui présentait un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause, si cette faculté était prévue pour les cas dans lesquels une telle inexécution revêtait un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt, si ladite faculté dérogeait aux règles de droit commun applicables en la matière en l'absence de dispositions contractuelles spécifiques et si le droit national prévoyait des moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur soumis à l'application d'une telle clause de remédier aux effets de ladite exigibilité du prêt.
Par un arrêt du 8 décembre 2022 (CJUE, arrêt du 8 décembre 2022, Caisse régionale de Crédit mutuel de Loire-Atlantique et du Centre-Ouest, C-600/21), elle a ajouté que l'arrêt précité devait être interprété en ce sens que les critères qu'il dégageait pour l'appréciation du caractère abusif d'une clause contractuelle, notamment du déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat que cette clause créait au détriment du consommateur, ne pouvaient être compris ni comme étant cumulatifs ni comme étant alternatifs, mais devaient être compris comme faisant partie de l'ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat concerné, que le juge national devait examiner afin d'apprécier le caractère abusif d'une clause contractuelle.
En l’espèce, il apparaît que la clause du contrat de prêt du 19 mars 2016 intitulée « Déchéance du terme exigibilité du présent prêt » stipule notamment qu’en cas de non-paiement à bonne date des sommes dues en vertu du contrat de prêt, le prêteur pourra se prévaloir de l’exigibilité immédiate du présent prêt, en capital, intérêts et accessoires, sans qu’il soit besoin d’aucune formalité judiciaire et après mise en demeure restée infructueuse pendant 15 jours (page 10 de l’offre de prêt).
En application de ce texte, la banque a, par courrier recommandé du 6 octobre 2023, mis en demeure M. [B] [N] de régulariser des impayés dans le délai de 15 jours, à peine de déchéance du terme du contrat de prêt, puis a, par courrier recommandé avec accusé de réception du 24 novembre 2023, prononcé la déchéance du terme et mis en demeure M. [B] [N] de lui payer sous 31 jours la somme totale de 154 188,83 euros, à peine de poursuites judiciaires.
Alors même que la déchéance du terme est intervenue par courrier recommandé avec accusé de réception du 24 novembre 2023, soit plus d’un mois après la mise en demeure, il n’en demeure pas moins que la clause du contrat de prêt intitulée « Déchéance du terme exigibilité du présent prêt », sur le fondement de laquelle est intervenue la déchéance du terme, stipule un délai de 15 jours entre la mise en demeure et la déchéance du terme. Ce délai a été expressément repris dans le courrier de mise en demeure, au terme duquel l’emprunteur était légitimement en droit de penser qu’une régularisation de sa situation serait sans effet.
Il ressort de ces éléments que la clause précitée du contrat de prêt, sur laquelle a reposé la déchéance du terme, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur qui est exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement.
Dès lors, il y a lieu de déclarer abusive et par conséquent non écrite la clause du contrat de prêt intitulée « Déchéance du terme exigibilité du présent prêt ».
Subsidiairement, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d’Ile de France sollicite que le tribunal prononce la résolution judiciaire du contrat de prêt conclu avec M. [B] [N] en raison du manquement grave commis par l’emprunteur à ses obligations.
Sur la résolution du contrat de prêt aux torts de l’emprunteur
L’article 1134 du code civil dans sa version antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 (applicable au présent litige dès lors que les contrats litigieux ont été conclus avant le 1er octobre 2016) dispose que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
En application de l’article 1184 du même code, la partie envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté a le choix ou de forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsqu’elle est possible, ou d’en demander la résolution avec dommages et intérêts. La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances.
La société Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d’Ile de France justifie avoir mis en demeure M. [B] [N] par courrier recommandé du 6 octobre 2023 de lui régler la somme de 2 278,88 euros dans les 15 jours au titre d’échéances impayées, à peine de résolution du contrat pour défaut d’exécution de ses obligations.
M. [B] [N] ne démontre pas avoir remboursé cet arriéré dans ce délai.
Or, le défaut récurrent de régularisation des arriérés à tout le moins depuis le mois d’octobre 2023 par l’emprunteur malgré la mise en demeure justifiée par la banque constitue une inexécution suffisamment grave de ses obligations et justifie que la résolution soit judiciairement prononcée à ses torts exclusifs à compter du présent jugement.
Le décompte transmis pour chacun des deux prêts fait état d’une dette de 89 107,51 euros, dont 83 169,01 euros en principal au titre du prêt n° 00000768675 et d’une dette de 64 200 euros, dont 60 000 euros en principal au titre du prêt n° 00000768676 au 19 février 2024.
Dans ces conditions et au regard des pièces produites, M. [B] [N] est condamné à payer à la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d’Ile de France les sommes de :
- 89 107,51 euros, assortie des intérêts au taux contractuel de 2,3500 % sur la somme de 83 169,01 euros à compter du présent jugement et jusqu’à complet paiement au titre du prêt n° 00000768675 ;
- 64 200 euros, assortie des intérêts au taux légal sur la somme de 60 000 euros à compter du présent jugement et jusqu’à complet paiement au titre du prêt n° 00000768676 ;
Sur la demande de dommages et intérêts
Si la banque sollicite à titre complémentaire la condamnation de l’emprunteur à lui payer la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts, elle ne justifie pas du préjudice causé par M. [B] [N], de sorte qu’elle ne peut qu’être déboutée de cette demande.
Sur les frais du procès et l’exécution provisoire
Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
M. [B] [N], partie perdante, est condamné aux entiers dépens, avec recouvrement dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou la partie perdante à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à condamnation.
Il est équitable de condamner M. [B] [N] à payer à la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d’Ile de France la somme de 1 000 euros au titre de ses frais irrépétibles.
Les articles 514 et 514-1 du Code de procédure civile disposent que les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire, à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement. Le juge peut écarter l’exécution provisoire de droit, en tout ou partie, s’il estime qu’elle est incompatible avec la nature de l’affaire.
Aucun motif ne justifie en l’espèce d’écarter l’exécution provisoire de droit du présent jugement.
Les demandes plus amples, non justifiées, sont rejetées.
PAR CES MOTIFS,
Le Tribunal, statuant publiquement, par jugement réputé contradictoire rendu en premier ressort par mise à disposition par le greffe,
Déclare abusive et par conséquent non-écrite la clause du contrat de prêt conclu le 19 mars 2016 intitulée « Déchéance du terme exigibilité du présent prêt » ;
Prononce la résolution judiciaire du contrat de prêt conclu le 19 mars 2016 à compter du 14 mai 2024, date du présent jugement, aux torts de M. [B] [N] ;
Condamne M. [B] [N] à payer à la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d’Ile de France les sommes de :
- 89 107,51 euros, assortie des intérêts au taux contractuel de 2,3500 % sur la somme de 83 169,01 euros à compter du présent jugement et jusqu’à complet paiement au titre du prêt n° 00000768675 ;
64 200 euros, assortie des intérêts au taux légal sur la somme de 60 000 euros à compter du présent jugement et jusqu’à complet paiement au titre du prêt n° 00000768676 ;
Déboute la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d’Ile de France de sa demande de dommages et intérêts ;
Condamne M. [B] [N] à payer les dépens de l’instance, avec recouvrement dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile ;
Condamne M. [B] [N] à verser à la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d’Ile de France la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Rappelle que le présent jugement est exécutoire de droit à titre provisoire ;
Rejette comme non justifiées les demandes plus amples.
Le présent jugement ayant été signé par le président et le greffier
Le GreffierLe Président
Corinne BARBIEUXMarjolaine GUIBERT