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06/05/2024 | FRANCE | N°22/07516

France | France, Tribunal judiciaire de Bobigny, Chambre 5/section 3, 06 mai 2024, 22/07516


TRIBUNAL JUDICIAIRE
de BOBIGNY



JUGEMENT CONTENTIEUX DU 06 MAI 2024


Chambre 5/Section 3
AFFAIRE: N° RG 22/07516 - N° Portalis DB3S-W-B7G-WSAZ
N° de MINUTE : 24/00712

DEMANDEUR

LA SOCIÉTÉ SAS SOLYES
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me François ELBERG, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C 1312

C/

DEFENDEUR

LA S.C.I. POUCHARD [Localité 5]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Maître David GILBERT-DESVALLONS de la SELARL GILBERT-DESVALLONS SOCIETE D’AVOCATS, avocats au barreau d

e PARIS, vestiaire : L0012

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Aliénor CORON, statuant en qualité de juge unique, conformément aux dispositions ...

TRIBUNAL JUDICIAIRE
de BOBIGNY

JUGEMENT CONTENTIEUX DU 06 MAI 2024

Chambre 5/Section 3
AFFAIRE: N° RG 22/07516 - N° Portalis DB3S-W-B7G-WSAZ
N° de MINUTE : 24/00712

DEMANDEUR

LA SOCIÉTÉ SAS SOLYES
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me François ELBERG, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C 1312

C/

DEFENDEUR

LA S.C.I. POUCHARD [Localité 5]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Maître David GILBERT-DESVALLONS de la SELARL GILBERT-DESVALLONS SOCIETE D’AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : L0012

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Aliénor CORON, statuant en qualité de juge unique, conformément aux dispositions de l article 812 du code de procédure civile, assistée aux débats de Madame Khedidja SEGHIR, greffier.

DÉBATS

Audience publique du 18 Mars 2024.

JUGEMENT

Rendu publiquement, par mise au disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort, par Madame Aliénor CORON, assistée de Madame Khedidja SEGHIR, greffier.

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte authentique en date du 6 févier 2018, la société TERRA NOBILIS, aux droits de laquelle est venue la SCI POUCHARD [Localité 5], a donné à bail commercial à la société ANGE, aux droits de laquelle est venue la SAS SOLYES, divers locaux situés [Adresse 1] à [Localité 3] (93), pour une durée de dix années et pour une activité de « Boulangerie, Viennoiserie, fabrication et vente sur place et à emporter de produits alimentaires et annexes y compris Pizzas, restauration assise et à emporter ».

Par lettre recommandée avec avis de réception du 1er mars 2022, la SAS SOLYES a mis en demeure la SCI POUCHARD [Localité 5] de cesser la violation de la clause d’exclusivité prévue au contrat de bail, et de lui régler la somme de 150 163,83 euros à titre de dommages et intérêts.

Par acte de commissaire de justice du 21 juillet 2022, la SAS SOLYES a assigné la SCI POUCHARD [Localité 5] devant le tribunal judiciaire de Bobigny afin qu’il lui soit enjoint sous astreinte d’avoir à cesser la violation de la clause d’exclusivité et de la voir condamner à lui payer la somme de 135 163,83 euros en réparation de son préjudice.

Au terme de ses dernières conclusions signifiées par RPVA le 27 février 2024, la SAS SOLYES sollicite du tribunal de :
-ENJOINDRE à la SCI POUCHARD [Localité 5] de cesser la violation de la clause d’exclusivité insérée dans le bail commercial du 6 février 2018, avec astreinte de 4 000 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir,
-SE RESERVER la liquidation de l’astreinte,
-REJETER l’ensemble des demandes, fins et prétentions de la société SCI POUCHARD [Localité 5],
-CONDAMNER la SCI POUCHARD [Localité 5], à lui payer la somme de 135163,83 euros en réparation du préjudice causé au titre de la violation, à compter du mois d’août 2021 de la clause d’exclusivité, avec intérêt au taux légal à compter du 1er mars 2022, date de notification de la mise en demeure du 28 février 2022, ce montant étant à parfaire au jour du prononcé du jugement à intervenir ;
-CONDAMNER la SCI POUCHARD [Localité 5] à lui payer la somme de 20 000 euros, au titre du préjudice moral subi du fait de la violation par la défenderesse de la clause d’exclusivité ;
-CONDAMNER la SCI POUCHARD [Localité 5] à payer à la SAS SOLYES la somme de 5 000 euros, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Au terme de ses dernières conclusions signifiées par RPVA le 3 octobre 2023, la SCI POUCHARD [Localité 5] sollicite du tribunal de :
-DEBOUTER la société SOLYES de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions
-CONDAMNER la société SOLYES à verser à la SCI POUCHARD [Localité 5] la somme de 7 500 euros du chef des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il sera référé aux conclusions des parties pour un complet exposé des moyens.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 28 février 2024.

L’affaire a été fixée à l’audience du 18 mars 2024 et mise en délibéré au 6 mai 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il ne sera répondu que dans les présents motifs aux demandes de "juger que" qui ne sont pas des prétentions au sens des articles 4, 5 et 768 du code de procédure civile, mais des moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions, qui ne doivent à ce titre pas apparaître au dispositif des conclusions des parties.

Sur l’interprétation de la clause d’exclusivité

Se fondant sur les articles 1103, 1191 et 1719 du code civil et sur la clause d’exclusivité prévue au bail, la SAS SOLYES fait valoir que la vente par l’hypermarché MARCHE FRAIS GEANT, exploité par la SCI POUCHARD [Localité 5], de produits boulangers constitue une violation de ladite clause. Elle soutient que l’interprétation que fait la SCI POUCHARD [Localité 5] de la clause reviendrait à la priver de tout effet. Elle ajoute que les parties n’ont pas choisi d’opérer de distinction entre activité principale ou secondaire lors de la rédaction de l’acte. Elle fait valoir que l’hypermarché ne fait pas partie d’un centre commercial et que l’exclusion prévue à la clause ne trouve donc pas à s’appliquer.

Se fondant sur les articles 1188 et 1189 du code civil, la SCI POUCHARD [Localité 5] fait valoir que la clause d’exclusivité doit s’interpréter comme portant sur les activités principales et non accessoires, le terme « commerce » s’appliquant à l’activité et non aux produits vendus. Elle ajoute que les parties ont choisi d’exclure du périmètre de la clause l’hypermarché, constituant le centre commercial, se prévalant d’un courrier du notaire instrumentaire du bail. Se fondant sur l’article 1190 du code civil, elle fait valoir que la clause d’exclusivité bénéficie à la SAS SOLYES et doit donc s’interpréter contre elle. Elle soutient que l’interprétation de la clause proposée par la SAS SOLYES reviendrait à priver de tout effet les restrictions et tempéraments à l’exclusivité.

En application de l’article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ; ils doivent être exécutés de bonne foi, conformément à l’article 1104 du même code.

L’article 1188 du code civil dispose que le contrat s'interprète d'après la commune intention des parties plutôt qu'en s'arrêtant au sens littéral de ses termes.
Lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s'interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation.

L’article 1189 du code civil prévoit que toutes les clauses d'un contrat s'interprètent les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l'acte tout entier.

L’article 1190 du code civil dispose que dans le doute, le contrat de gré à gré s'interprète contre le créancier et en faveur du débiteur, et le contrat d'adhésion contre celui qui l'a proposé.

L’article 1191 du code civil prévoit enfin que lorsqu'une clause est susceptible de deux sens, celui qui lui confère un effet l'emporte sur celui qui ne lui en fait produire aucun.

En application de l’article 1192 du code civil, on ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine de dénaturation.

En l’espèce, la clause litigieuse est ainsi rédigée :
« Le bailleur s’interdit d’exploiter, directement ou indirectement un commerce similaire à celui du preneur. Il s’interdit également de louer ou mettre à disposition au profit de qui que ce soit tout ou partie d’un immeuble pour l’exploitation d’un tel commerce dans les conditions ci-après stipulées.
Cette interdiction s’exerce à compter du jour de l’entrée en jouissance dans un rayon de 1 KM du lieu d’exploitation du local loué et ce pendant la durée du bail et son renouvellement.
En cas de non-respect de cet engagement, le PRENEUR pourra lui demander des dommages-intérêts, sans préjudice du droit qu’il pourrait avoir de faire fermer l’établissement concurrent.
Cette clause ne s’appliquera que pour l’exploitation de commerces de boulangerie, pâtisserie, viennoiserie.
Cette clause ne sera pas applicable aux commerces exploités ou à exploiter dans un centre commercial quelle que soit l’activité développée et sous réserve de ce qui suit.
Il est convenu entre les parties qu’aucun commerce de pâtisserie, boulangerie, viennoiserie ne pourra être exploité dans la zone habituellement appelée « Galerie Marchande - » ».

Le terme « commerce » selon le Larousse peut à la fois désigner l’activité consistant dans l'achat, la vente, l'échange de marchandises, de denrées, de valeurs, dans la vente de services d’une part, et comme un « établissement commercial » d’autre part, soit un établissement procédant à une activité de commerce.

Le choix de la locution « exploiter (…) un commerce similaire à celui du preneur » associée à l’expression « l’exploitation de commerces de boulangerie, pâtisserie, viennoiserie », et à l’expression « aux commerces exploités ou à exploiter (…) quelle que soit l’activité développée » implique que les parties ont utilisé le mot « commerce » dans le second sens développé par le Larousse, soit désignant un établissement commercial, et non l’activité développée par cet établissement comme le démontre la distinction entre « commerce exploité » et « activité développée ».

Dès lors, la clause ne concerne pas la vente de produits boulangers ou pâtissiers, mais l’exploitation d’un commerce de boulangerie, pâtisserie, viennoiserie, soit un commerce dédié à ces activités, comme vient le confirmer le courrier du notaire instrumentaire produit par la SCI POUCHARD [Localité 5], et ce que vient préciser la mention : « Cette clause ne s’appliquera que pour l’exploitation de commerces de boulangerie, pâtisserie, viennoiserie. », dont l’ajout aurait été dépourvu d’efficacité si la clause avait concerné la vente de produits de boulangerie, pâtisserie, viennoiserie par tous types de commerces.

Contrairement à ce que fait valoir la SAS SOLYES, la distinction entre activité principale et secondaire n’avait pas à être davantage explicitée puisqu’elle ressortait du choix même des termes employés.

Les développements relatifs à l’application de l’article 1191 précité ne sont pas davantage opérants, l’effet de la clause résidant dans l’interdiction faite à la bailleresse de permettre l’implantation d’un commerce de boulangerie, pâtisserie ou viennoiserie dans un rayon d’1 km du local donné à bail, hors centre commercial mais incluant l’ensemble de la zone appelée « Galerie marchande » : il ne peut donc être valablement soutenu que la clause serait dépourvue d’effet.

Il est constant que l’hypermarché MARCHE FRAIS GEANT ne peut être qualifié de commerce de boulangerie, pâtisserie, viennoiserie dans la mesure où il s’agit d’un commerce général vendant effectivement mais non exclusivement des produits boulangers et pâtissiers. La vente par cet hypermarché de ces produits ne constitue dès lors pas une infraction à la clause d’exclusivité au bail, sans qu’il y ait lieu de rechercher si l’hypermarché serait ou non inclus dans un centre commercial.

Par conséquent, faute de démontrer une infraction au bail par la SCI POUCHARD [Localité 5], la SAS SOLYES sera déboutée de ses demandes indemnitaires et de sa demande d’injonction d’avoir à faire cesser la violation de la clause d’exclusivité.

Sur les mesures de fin de jugement

En application de l’article 696 du code de procédure civile, la SAS SOLYES, partie perdante, sera condamnée aux dépens.

Il serait en outre inéquitable de laisser à la charge de la SCI POUCHARD [Localité 5] l’intégralité de ses frais de procédure non compris dans les dépens. La SAS SOLYES sera donc condamnée à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Conformément à l’article 514 du code de procédure civile, le présent jugement est assorti de l’exécution provisoire de droit.

PAR CES MOTIFS,

Le tribunal, statuant après débats en audience publique, par décision contradictoire, en premier ressort, par mise à disposition au greffe,

-Déboute la SAS SOLYES de ses demandes indemnitaires,

-Déboute la SAS SOLYES de sa demande d’injonction de faire sous astreinte,

-Condamne la SAS SOLYES à payer à la SCI POUCHARD [Localité 5] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

-Condamne la SAS SOLYES aux dépens.

La minute de la présente décision a été signée par Madame CORON, Juge, assistée de Madame Khedidja SEGHIR, Greffier présente lors de son prononcé.

LE GREFFIERLE JUGE

MADAME SEGHIRMADAME CORON


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bobigny
Formation : Chambre 5/section 3
Numéro d'arrêt : 22/07516
Date de la décision : 06/05/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 12/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-06;22.07516 ?
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