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29/04/2024 | FRANCE | N°22/10778

France | France, Tribunal judiciaire de Bobigny, Chambre 5/section 3, 29 avril 2024, 22/10778


TRIBUNAL JUDICIAIRE
de BOBIGNY



JUGEMENT CONTENTIEUX DU 29 AVRIL 2024


Chambre 5/Section 3
AFFAIRE: N° RG 22/10778 - N° Portalis DB3S-W-B7G-W6CR
N° de MINUTE : 24/00595

DEMANDEUR

La SCI RC [Localité 4] 2
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Maître Louis-david ABERGEL de la SELEURL GOUAUX ABERGEL ASSOCIE, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : C0423

C/

DEFENDEUR

S.A.R.L. MANHATTAN
[Adresse 5]
[Localité 4]
représentée par Maître Laurent MARRIÉ de la SELEURL LAURENT MARRIÉ, avocats au barre

au de PARIS, vestiaire :

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Aliénor CORON, statuant en qualité de juge unique, conformément aux dispositions ...

TRIBUNAL JUDICIAIRE
de BOBIGNY

JUGEMENT CONTENTIEUX DU 29 AVRIL 2024

Chambre 5/Section 3
AFFAIRE: N° RG 22/10778 - N° Portalis DB3S-W-B7G-W6CR
N° de MINUTE : 24/00595

DEMANDEUR

La SCI RC [Localité 4] 2
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Maître Louis-david ABERGEL de la SELEURL GOUAUX ABERGEL ASSOCIE, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : C0423

C/

DEFENDEUR

S.A.R.L. MANHATTAN
[Adresse 5]
[Localité 4]
représentée par Maître Laurent MARRIÉ de la SELEURL LAURENT MARRIÉ, avocats au barreau de PARIS, vestiaire :

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Aliénor CORON, statuant en qualité de juge unique, conformément aux dispositions de l article 812 du code de procédure civile, assistée aux débats de Madame Khedidja SEGHIR, greffier.

DÉBATS

Audience publique du 11 Mars 2024.

JUGEMENT

Rendu publiquement, par mise au disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort, par Madame Aliénor CORON, assistée de Madame Khedidja SEGHIR, greffier.

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 18 avril 2011, la SCI RC [Localité 4] 2 a donné à bail à Madame [H] [S] épouse [W] agissant pour le compte de la SARL MANHATTAN alors en cours de constitution, un local commercial dépendant du centre commercial O’PARINOR, situé au [Adresse 3] à [Localité 4] (93), pour une durée de dix années à compter du 1er juillet 2011, soit jusqu’au 30 juin 2021 et moyennant le paiement d’un loyer annuel de 183 300 euros hors taxes et hors charges, payable trimestriellement, outre un loyer variable égal à la différence entre 7% du chiffre d’affaires hors taxes et le loyer de base.

Un avenant au contrat de bail a été signé le 8 novembre 2013, consistant en une mensualisation du loyer sur une période allant jusqu’au 31 août 2015, et en un moratoire sur la dette de loyers existante.

Par acte extrajudiciaire du 12 août 2021, la SARL MANHATTAN a signifié à la SCI RC [Localité 4] 2 une demande de renouvellement du bail, qui a été acceptée par cette dernière par acte du 16 décembre 2021.

Le 26 juillet 2022, la SCI RC [Localité 4] 2 a fait signifier à la SARL MANHATTAN un commandement de payer visant la clause résolutoire et portant sur la somme de 233 341,76 euros due au titre de la période allant du 1er octobre 2021 au 20 juillet 2022. Le même jour, la SCI RC [Localité 4] 2 a fait signifier à la SARL MANHATTAN une sommation de payer la somme de 252 435,71 euros au titre de sommes antérieures et arrêtées au 30 septembre 2021, hors frais de sommation.

Par exploit d’huissier en date du 18 octobre 2022, la SCI RC [Localité 4] 2 a fait pratiquer une saisie conservatoire sur le compte bancaire de la SARL MANHATTAN en garantie du paiement de la somme de 325 700,96 euros, laquelle s’est révélée fructueuse à hauteur de 6 721,43 euros. La saisie a été dénoncée à la SARL MANHATTAN le 21 octobre 2022.

Par acte de commissaire de justice en date du 28 octobre 2022, la SCI RC [Localité 4] 2 a assigné la SARL MANHATTAN devant le tribunal judiciaire de Bobigny en acquisition de la clause résolutoire.

Par acte de commissaire de justice du 24 février 2023, la SCI RC [Localité 4] 2 a fait procéder à une saisie-conservatoire sur les biens mobiliers appartenant à la SARL MANHATTAN, pour garantie d’une somme de 728 854,29 euros correspondant à l’arriéré locatif au 17 février 2023.

Au terme de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 11 janvier 2024, la SCI RC [Localité 4] 2 sollicite du tribunal de :
-DEBOUTER la SARL MANHATTAN de l’ensemble de ses demandes,
-CONSTATER l’acquisition de la clause résolutoire contenue au bail et visée dans le commandement de payer du 26 juillet 2022,
A titre subsidiaire,
-PRONONCER la résiliation judiciaire du bail aux torts exclusifs de la société MANHATTAN,
A titre très subsidiaire,
-VOIR DESIGNER tel Expert qu’il plaira à la Juridiction de Céans, aux frais de la société MANHATTAN, avec mission de donner son avis sur la valeur locative des locaux au 1er octobre 2021, telle qu’elle résulte, à la date considérée, des éléments visés, d’un commun accord des parties, à l’article 4.1.4 « Renouvellement » des conditions générales du bail, et qui devront être recherchés :
-Exclusivement dans le Centre Commercial Régional O’PARINOR sis à [Localité 4], celui-ci constituant une unité autonome de marché de convention expresse entre les parties,
-Conformément aux modalités contractuelles convenues entre les parties, en référence aux loyers de base additionnés d’un dixième des prix de cession de droit au bail et/ou des indemnités d’entrées versés par les locataires, au titre des locaux de comparaison présentant des caractéristiques comparables aux locaux loués,
Lesdits loyers de base additionnés du dixième des prix de cession de droit au bail et/ou des indemnités d’entrées pris à titre de référence pour la définition du loyer de base de renouvellement seront ceux concernés contractuellement au titre des trois dernières années précédant la date de renouvellement du bail.
Etant encore précisé ici qu’il a été expressément convenu entre les parties que les prix unitaires des locaux seront retenus pour leur surface contractuelle, sans qu’aucune pondération ne soit effectuée, à l’exception toutefois des réserves et des mezzanines.
-FIXER le loyer provisionnel, pour la durée de l’instance, au montant du loyer en cours indexé, outre le règlement des charges et accessoires exigibles en exécution du bail,
En tout état de cause,
-ORDONNER l’expulsion de la société MANHATTAN ainsi que de tous occupants de son chef, au besoin avec le concours de la Force Publique et l’aide d’un serrurier, du local à usage commercial portant le n° B 102 qu’elle occupe au Centre Commercial O’PARINOR sis à [Localité 4] ([Adresse 3], sous l’enseigne « BLOOSHOP »,
-ASSORTIR l’obligation de quitter les lieux d’une astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir et ce jusqu’à parfaite libération des lieux par tous occupants et remise des clés,
-JUGER que la société RC [Localité 4] 2 S.C.I pourra procéder à l’enlèvement et au déménagement des objets mobiliers garnissant les lieux, soit dans le Centre, soit chez un garde meubles, au choix de la demanderesse, aux frais, risques et périls de la société MANHATTAN,
-CONDAMNER la société MANHATTAN à régler à la société RC [Localité 4] 2 S.C.I une somme de 968 081,31 euros TTC au titre de son arriéré de loyers et/ou indemnités d’occupation, charges et accessoires arrêté au 9 janvier 2024, outre les intérêts de retard contractuels calculés au taux moyen mensuel du marché monétaire majoré de 5 % dans les conditions de l’article 23 « INTERETS DE RETARD » du bail,
-DEBOUTER la société MANHATTAN de sa demande de délais de paiement,
-CONDAMNER, en cas de résiliation du bail, la société MANHATTAN à payer à la société RC [Localité 4] 2 S.C.I une indemnité d’occupation calculée forfaitairement sur la base du double du dernier loyer exigible, indexée dans les mêmes conditions que le loyer contractuel, à laquelle s’ajouteront la TVA ainsi que les charges, impôts, taxes et accessoires, et ce jusqu’à la reprise des lieux par le bailleur,
-CONDAMNER la société MANHATTAN à régler à la société RC [Localité 4] 2 S.C.I une indemnité fixée forfaitairement à 6 mois du dernier loyer annuel exigible, soit la somme de 118.632,84 euros,
-JUGER qu’en cas de résiliation dudit bail, le dépôt de garantie d’un montant de 53.191,73 euros restera définitivement acquis à la société RC [Localité 4] 2 S.C.I,
-CONDAMNER la société MANHATTAN à payer à la société RC [Localité 4] 2 S.C.I la somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
-CONDAMNER la société MANHATTAN en tous les dépens, en ce compris les frais d’huissier tenant (i) à la signification de la présente assignation, (ii) à la signification du commandement de payer du 26 juillet 2022, (iii) à la signification de la sommation de payer du 26 juillet 2022, (iv) ainsi qu’aux frais de levée de l’état des nantissements et privilèges et de notification aux créanciers inscrits nécessaires, dont distraction au profit de Maître Louis-David ABERGEL, Avocat au Barreau de PARIS, en application des dispositions de l’article 699 du Code de Procédure Civile,
-ORDONNER l’exécution provisoire de la décision à intervenir.

Au terme de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 23 janvier 2024, la SARL MANHATTAN sollicite du tribunal de :
A titre principal et reconventionnel,
- FIXER le loyer de renouvellement au 1er octobre 2021 à la somme de 83 000 euros hors taxes et hors charges par an
-PRONONCER la nullité du commandement de payer signifié à la SARL MANHATTAN le 26 juillet 2022
-ACCORDER à la SARL MANHATTAN des délais de paiement d’une durée de deux ans pour s’acquitter du paiement de sa dette locative
A titre subsidiaire et à défaut de fixer d’ores et déjà définitivement le loyer de renouvellement,
-FIXER à titre provisionnel le loyer de renouvellement au 1er octobre 2021 à la somme de 83 000,00 euros hors taxes et hors charges par an ;
-ORDONNER AVANT DIRE DROIT une mesure d’expertise et désigner tout expert qu’il lui plaira avec pour mission, après avoir pris connaissance du dossier, s’être fait communiquer tous documents utiles, notamment l’intégralité des baux conclus par la SCI RC [Localité 4] 2 portant sur les locaux du centre commercial O’PARINOR, avoir entendu les parties ainsi que tout sachant, et s’être rendu sur les lieux, dont une description sera effectuée, de :
- apprécier les éléments déterminant la valeur locative des lieux loués suivant les usages observés dans la branche d’activité du commerce de vente de prêt-à-porter femme et enfant et à titre accessoire de vente de chaussures, petite maroquinerie et accessoires et suivant les critères ci-dessous en tant qu’ils paraîtront pertinents
- les caractéristiques propres du local et notamment la surface pondérée dont le calcul sera détaillé ; -l’état d’entretien, de vétusté ou de salubrité voire, en tant que de besoin, la nature et l’état des équipements et des moyens d’exploitation mis à la disposition du locataire ;
-la destination et/ou les modalités de jouissance des lieux prévus au bail ;
-les obligations respectives des parties s’agissant notamment des obligations et restrictions imposées au bailleur et/ou au preneur, les améliorations apportées dont l’auteur, l’époque et le coût seront précisés
-les facteurs locaux de commercialité et notamment :
- l’importance de la ville, du quartier, de la rue ;
- l’intérêt de l’emplacement du point de vue de l’exercice des activités commerciales et de l’activité considérée en particulier ;
-l’attrait et les sujétions particuliers que peut présenter l’emplacement ;
-l’évolution du secteur ; préciser les prix couramment pratiqués dans le voisinage ;
-donner son avis motivé sur le montant du loyer applicable à compter du renouvellement du bail en cause selon les critères énoncés aux articles L. 145-33 et R 145-2 à R 145-11 du code de commerce, notamment l’article R 145-10 du code de commerce ;
-fournir au juge tous éléments utiles à la solution du litige. A titre subsidiaire à défaut d’annuler le commandement de payer,
-ORDONNER la suspension des effets de la clause résolutoire stipulée au sein du contrat de bail commercial conclu entre la SCI RC [Localité 4] 2 et la SARL MANHATTAN le 18 avril 2011 ;
En toute hypothèse,
-DEBOUTER la SCI RC [Localité 4] 2 de ses plus amples demandes ;
-ORDONNER la mainlevée des saisies conservatoires pratiquées par la SCI RC [Localité 4] 2 à l’encontre de la SARL MANHATTAN les 18 octobre 2022 et 24 février 2023 ;
-CONDAMNER la SCI RC [Localité 4] 2 à payer à la SARL MANHATTAN la somme de 20 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens
-ECARTER l’exécution provisoire de droit quant aux chefs de demande de la SCI RC [Localité 4] 2.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il sera référé aux conclusions des parties pour un complet exposé des moyens.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 24 janvier 2024.

L’affaire a été fixée à l’audience du 11 mars 2024 et mise en délibéré au 29 avril 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il ne sera répondu que dans les présents motifs aux demandes de constat et de "dire et juger" qui ne sont pas des prétentions au sens des articles 4, 5 et 768 du code de procédure civile, mais des moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions.

Sur la demande reconventionnelle en fixation du loyer

La SARL MANHATTAN sollicite à titre reconventionnel que le prix du bail renouvelé soit fixé à la somme de 83 000 euros hors taxes et hors charges par an. Elle fonde la recevabilité de sa demande sur les articles 64 du code de procédure civile et R. 145-23 du code de commerce. Répondant au moyen soulevé par la SCI RC [Localité 4] 2, elle fait valoir que l’accord sur le montant du loyer de renouvellement ne peut se déduire des seuls termes de sa demande de renouvellement, la mention « aux charges et conditions initiales, sauf à majorer le montant du loyer dans les conditions prévues par la Loi (augmentation selon l’indice INSEE) » étant une simple formule d’usage, insuffisante à caractériser un engagement ferme et précis de sa part quant au montant du loyer. Elle se prévaut de l’historique des échanges des parties pour soutenir qu’aucun accord n’est intervenu entre elles sur le loyer. S’agissant du montant de la valeur locative, elle produit un rapport d’expertise amiable. Elle sollicite à titre subsidiaire que soit ordonnée une mesure d’expertise judiciaire.

La SCI RC [Localité 4] 2 s’oppose à cette demande. Se fondant sur les articles 1103 et 1163 du code civil, elle fait valoir que le preneur a sollicité le renouvellement de son bail au prix du loyer en cours au 30 septembre 2021, soit le loyer de base initial augmenté de l’effet de l’indexation, et que ce renouvellement a par la suite été accepté par le bailleur, formant ainsi l’accord des parties sur le montant du loyer. Selon elle, la formulation employée par le preneur contient, contrairement à ses dires, tous les éléments de nature à déterminer de façon non-équivoque le montant du loyer du bail renouvelé, sollicité par ses soins dans un acte unilatéral de volonté. Elle produit un projet de bail et son annexe, dont elle déduit l’accord des parties sur le montant du loyer renouvelé. Elle conteste à titre subsidiaire la valeur probatoire du rapport d’expertise amiable et sollicite que soit ordonnée une mesure d’expertise judiciaire.

En application de l’article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ; ils doivent être exécutés de bonne foi, conformément à l’article 1104 du même code.

Aux termes de l’article L 145-10 du code de commerce, à défaut de congé, le locataire qui veut obtenir le renouvellement de son bail doit en faire la demande soit dans les six mois qui précèdent l’expiration du bail, soit, à tout moment au cours de sa reconduction.
Dans les trois mois de la signification de la demande en renouvellement, le bailleur doit dans les mêmes formes, faire connaître au demandeur s’il refuse le renouvellement en précisant les motifs de ce refus. A défaut d’avoir fait connaître ses intentions dans ce délai, le bailleur est réputé avoir accepté le principe du renouvellement du bail précédent.

Il est de jurisprudence constante que l’interprétation de la volonté des parties relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.

En l’espèce, la recevabilité de la demande n’étant pas contestée, il n’y a pas lieu de statuer sur celle-ci.

La demande de renouvellement du 12 août 2021 est ainsi rédigée :
« Le preneur, désirant se maintenir dans les lieux, vous notifie par le présent acte la demande de renouvellement de bail comme prévue à l’article L. 145-10 du Code de Commerce. Vous déclarant que le preneur vous demande de renouveler son bail aux charges et conditions initiales, sauf à majorer le montant du loyer dans les conditions prévues par la Loi (augmentation suivant l’indice INSEE). »

Contrairement à ce qu’indique la SARL MANHATTAN, la mention « aux charges et conditions initiales » inclut nécessairement le prix du loyer, dans la mesure où la mention « sauf à majorer le montant du loyer dans les conditions prévues par la Loi (augmentation suivant l’indice INSEE) », n’aurait pas de raison d’exister si les charges n’incluaient pas le prix du loyer.

Le fait que le bail soit soumis aux dispositions d’ordre public de la loi Pinel du 18 juin 2014, imposant la mise en conformité de diverses clauses du bail avec les stipulations de l’article L. 145-15 du code de commerce, n’est pas de nature à remettre en cause l’accord intervenu sur le prix, dont il n’est pas démontré qu’il serait impacté par ces nouvelles dispositions législatives.

Le fait que des discussions aient pu intervenir entre les parties en 2019 notamment au sujet du loyer n’est pas davantage de nature à remettre en cause les termes de l’offre de renouvellement du 12 août 2021.

Il est constant que la bailleresse a accepté le renouvellement du bail dans les conditions proposées par la locataire.

Dès lors, l’accord entre les parties est parfait et le bail s’est trouvé renouvelé aux clauses et conditions du bail expiré, en ce compris le loyer, et les demandes de la SARL MANHATTAN en fixation du loyer à la somme de 83 000 euros hors taxes et hors charges par an et d’expertise seront rejetées.

Sur la demande en acquisition de la clause résolutoire

La SCI RC [Localité 4] 2 sollicite à titre principal que soit constatée l'acquisition de la clause résolutoire contenue au bail et visée dans le commandement de payer du 26 juillet 2022. Répondant aux moyens développés par la SARL MANHATTAN, elle fait valoir l’importance de l’arriéré locatif accumulé par cette dernière sur une durée de trois ans, et ce malgré les multiples concessions financières qu’elle lui a accordées.

La SARL MANHATTAN s’oppose à cette demande et sollicite l’annulation du commandement de payer du 26 juillet 2022, et à titre subsidiaire la suspension des effets de la clause résolutoire par l’octroi de délais de paiement. Se fondant sur l’article 1134 du code civil, elle fait valoir que la mauvaise foi de la bailleresse est caractérisée au regard du délai qu’elle a laissé s’écouler à compter du renouvellement du 1er octobre 2021, laissant ainsi volontairement le montant de la dette s’aggraver. Elle ajoute à ce titre que la SCI RC [Localité 4] 2 n’a pas davantage agi entre 2018 et 2021, malgré l’aggravation de l’arriéré locatif. Elle fait également valoir que la bailleresse a laissé le bail se renouveler alors que le montant du loyer était manifestement excessif au regard de la valeur locative des locaux, et a refusé toute renégociation du montant du loyer du bail renouvelé. Elle soutient que la délivrance du commandement de payer est intervenue afin d’exercer une pression sur la locataire pour accepter la fixation du loyer de renouvellement aux clauses antérieures.

L’article L. 145-41 du code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.

Les juges saisis d’une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l’article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets de la clause. L'automaticité du mécanisme de la clause résolutoire prive d'effet un commandement délivré par un bailleur qui fait usage de mauvaise foi de ses prérogatives contractuelles.

Il appartient à celui qui se prévaut de la mauvaise foi de la démontrer.

En l’espèce, le bail stipule qu’à défaut de paiement d’un terme du loyer à son échéance, le contrat est résilié de plein droit un mois après la délivrance d’un commandement de payer demeuré infructueux.

Par acte du 26 juillet 2022, la SCI RC [Localité 4] 2 a fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire et portant sur la somme de 233 341,76 euros correspondant aux sommes dues à compter du 1er octobre 2021 et jusqu’au 20 juillet 2022, sur la base du loyer antérieur.

La mauvaise foi de la bailleresse ne saurait se déduire du fait qu’elle ait attendu dix mois pour délivrer le commandement de payer, étant rappelé qu’il appartenait en tout état de cause à la SARL MANHATTAN de s’acquitter des sommes dues et que la SCI RC [Localité 4] 2 ne saurait être tenue pour responsable du montant de l’arriéré locatif, étant observé que la SARL MANHATTAN n’a versé aucune somme au titre des loyers entre octobre 2021 et juillet 2022.

Le fait que la SCI RC [Localité 4] 2 ait accepté le renouvellement aux clauses et conditions du bail expiré ne saurait davantage caractériser sa mauvaise foi dans la mesure où il appartenait à la SARL MANHATTAN de ne pas proposer ce renouvellement si elle n’était pas en mesure de s’acquitter de ses loyers.

Enfin, la SARL MANHATTAN ne démontre pas que le commandement de payer ait été délivré afin de faire « pression » sur elle dans le cadre de négociations sur le prix du loyer.

Il apparaît à la lecture du décompte que la SARL MANHATTAN n’a versé aucune somme dans le mois ayant suivi le commandement de payer.

S’agissant de la demande de délais de paiement en vue de la suspension de l'acquisition de la clause résolutoire, il ressort du décompte que la SARL MANHATTAN n’a procédé à aucun paiement entre octobre 2021 et septembre 2023. Elle ne démontre pas qu’elle soit en mesure de s’acquitter de l’arriéré locatif dans un délai de deux ans, en sus des loyers courants et des sommes dues au titre du bail expiré.

Elle sera par conséquent déboutée de sa demande en suspension de l'acquisition de la clause résolutoire par l’octroi de délais de paiement, ainsi que, a fortiori, de sa seconde demande en délais de paiement qui portait sur l’ensemble des sommes dues.

La SARL MANHATTAN étant occupante sans droit ni titre des locaux loués depuis le 27 août 2022, son expulsion sera par conséquent ordonnée dans les termes du dispositif. L’astreinte sollicitée n’apparaît pas nécessaire et ne sera par conséquent pas ordonnée. Le maintien dans les lieux de la SARL MANHATTAN causant un préjudice à la SCI RC [Localité 4] 2, la défenderesse est par ailleurs débitrice d’une indemnité d’occupation.

Le bail prévoit en son article 22.2.2. que « De la prise d’effet de la résiliation du bail jusqu’à la reprise des lieux par le Bailleur, le Preneur sera redevable de plein droit d’une indemnité d’occupation calculée forfaitairement sur la base du double du dernier loyer, outre les charges et accessoires. Cette indemnité est due même en cas de résiliation non fautive ou de congé donné par le Preneur en fin de Bail, si celui-ci ne libère par les lieux à la date d’effet du congé. ».

Au regard des faits de l’espèce, cette clause apparaît manifestement excessive et le montant de l’indemnité d’occupation sera fixé au montant du loyer qui aurait été dû en l’absence d’acquisition de la clause résolutoire.

Sur la demande de paiement

La SCI RC [Localité 4] 2 sollicite que la SARL MANHATTAN soit condamnée à lui payer les sommes de :
-968 081,31 euros TTC au titre de l’arriéré de loyers et d’indemnités d’occupation au 9 janvier 2024, avec intérêts au taux mensuel du marché majoré de 5 points (et non de 5 % comme il est indiqué au dispositif de ses conclusions, cette mention résultant d’une erreur matérielle puisque le dispositif fait expressément référence à l’article 23 du bail),
-118 632,84 euros à titre d’indemnité forfaitaire correspondant à six mois de loyer
-53 191,73 euros au titre du dépôt de garantie.

En application de l’article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ; ils doivent être exécutés de bonne foi, conformément à l’article 1104 du même code.

Selon l'article 1134 devenu 1103 du code civil, le contrat fait la loi entre les parties. En vertu de l'article 1152 du code civil, devenu 1231-5, le juge peut réduire d'office une clause pénale si elle est manifestement excessive.

En l’espèce, la SARL MANHATTAN ne conteste pas le montant de son arriéré locatif, faisant seulement valoir que le loyer ne correspondait pas à la valeur locative des locaux loués.

Elle sera par conséquent condamnée à payer à la SCI RC [Localité 4] 2 la somme de 968 081,31 euros TTC au titre des loyers, charges et indemnités d’occupation dus selon décompte arrêté au 9 janvier 2024.

S’agissant des clauses pénales, l’article 22.2.3 du bail prévoit qu’« en cas de résiliation par la faute du Preneur par application de la clause résolutoire ou par décision judiciaire, le Preneur devra une indemnité pendant le temps nécessaire à la relocation fixée forfaitairement d’un commun accord à 6 mois du dernier loyer ».

Au regard des faits de l’espèce, cette clause apparaît manifestement excessive et l’indemnité forfaitaire sera ramenée à deux mois de loyer, soit 39 544,28 euros.

L’article 23 du bail prévoit qu’« A défaut de paiement d’une somme exigible (loyers, charges, honoraires…) à sa date d’échéance, celle-ci fera l’objet d’un calcul d’intérêt au taux moyen mensuel du marché monétaire majoré de cinq points, étant précisé que ce taux moyen sera celui du mois précédant la date d’exigibilité, et ce, sans qu’une quelconque mise en demeure préalable soit nécessaire, le Preneur étant mis en demeure par le seul effet de la signature du Bail. »

Cette clause apparaît manifestement excessive, étant cumulée avec l’application notamment d’une indemnité forfaitaire. L’arriéré locatif portera intérêts au taux légal à compter du 26 juillet 2022, date du commandement de payer et de la sommation de payer sur la somme de 485 905,03 euros, à compter du 28 octobre 2022, date de l’assignation sur la somme de 604 263,67 euros, et à compter de la présente décision sur le surplus.

L’article 5.5 du bail prévoit qu’en cas de résiliation du bail par suite d’inexécution par le preneur de ses engagements ou pour une cause quelconque imputable au preneur, le dépôt de garantie, qui s’élève à la somme de 53 191,73 euros, restera acquis au bailleur à titre de premiers dommages et intérêts.

Cette clause n’apparaît pas manifestement excessive au regard du montant de l’arriéré locatif. Il sera par conséquent dit que le dépôt de garantie restera acquis à la bailleresse en réparation de son préjudice.

Sur la demande de main-levée de la saisie-conservatoire

La SARL MANHATTAN sollicite la main-levée des saisies conservatoires pratiquées par la SCI RC [Localité 4] 2 les 18 octobre 2022 et 24 février 2023.

Elle ne produit cependant aucun moyen de fait ou de droit au soutien de sa demande, qui sera dès lors rejetée.

Sur les mesures de fin de jugement

La SARL MANHATTAN, partie perdante, sera condamnée aux dépens, en ce compris les frais de commandement de payer et de sommation de payer, ainsi que les frais de levée de l’état des nantissements et privilèges et de notification aux créanciers inscrits, dont distraction au profit de Maître Louis-David ABERGEL en application de l’article 699 du code de procédure civile.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la SCI RC [Localité 4] 2 l’intégralité de ses frais de procédure non compris dans les dépens. La SARL MANHATTAN sera donc condamnée à lui payer la somme de 6 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Au regard de l’ancienneté et de l’ampleur de l’arriéré locatif, il n’y a pas lieu d’écarter l’exécution provisoire de droit.

PAR CES MOTIFS,

Le tribunal, statuant après débats en audience publique, par décision contradictoire, en premier ressort, par mise à disposition au greffe,

-Déboute la SARL MANHATTAN de sa demande de fixation du loyer à la somme de 83 000 euros hors taxes et hors charges par an,

-Déboute la SARL MANHATTAN de sa demande d’expertise et de fixation à titre provisionnel du loyer de renouvellement à la somme de 83 000 euros hors taxes et hors charges par an,

-Déboute la SARL MANHATTAN de sa demande en délais de paiement,

-Déboute la SARL MANHATTAN de sa demande en suspension des effets de la clause résolutoire,

-Déboute la SARL MANHATTAN de sa demande en annulation du commandement de payer du 26 juillet 2022,

-Constate l’acquisition de la clause résolutoire stipulée au bail conclu entre les parties et portant sur le local n° B 102 dépendant du centre commercial O’PARINOR, situé à le [Adresse 3] à [Localité 4] (93), à la date du 27 août 2022,

-Ordonne, si besoin avec le concours de la force publique, l’expulsion de la SARL MANHATTAN et de tous occupants de son chef des locaux donnés à bail,

-Rappelle que les meubles et objets se trouvant dans les lieux suivront le sort prévu par l’article L.433-1 du code des procédures civiles d’exécution,

-Déboute la SCI RC [Localité 4] 2 de sa demande d’astreinte,

-Condamne la SARL MANHATTAN à payer à la SCI RC [Localité 4] 2 la somme de 968 081,31 euros TTC au titre des loyers, charges et indemnités d’occupation dus selon décompte arrêté au 9 janvier 2024, avec intérêts au taux légal à compter du 26 juillet 2022 sur la somme de 485 905,03 euros, à compter du 28 octobre 2022 sur la somme de 604 263,67 euros, et à compter de la présente décision sur le surplus,

-Condamne la SARL MANHATTAN à payer à la SCI RC [Localité 4] 2 la somme de 39 544,28 euros à titre d’indemnité forfaitaire,

-Condamne la SARL MANHATTAN à payer à la SCI RC [Localité 4] 2 une indemnité mensuelle d’occupation égale au dernier loyer exigible, indexé dans les mêmes conditions que le loyer contractuel, outre les taxes et charges, à compter du mois de septembre 2022 et ce, jusqu’à la libération effective des lieux,

-Dit que la SCI RC [Localité 4] 2 est fondée à conserver le dépôt de garantie versé par le preneur en réparation du préjudice causé par la résiliation du bail à faute du preneur,

-Déboute la SARL MANHATTAN de sa demande de main-levée des saisies-conservatoires pratiquées par la SCI RC [Localité 4] 2 les 18 octobre 2022 et 24 février 2023,

-Condamne la SARL MANHATTAN à payer à la SCI RC [Localité 4] 2 la somme de 6 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

-Condamne la SARL MANHATTAN aux dépens, en ce compris les frais d’assignation, de commandement de payer et de sommation de payer, ainsi que les frais de levée de l’état des nantissements et privilèges et de notification aux créanciers inscrits, dont distraction au profit de Maître Louis-David ABERGEL en application de l’article 699 du code de procédure civile,

-Dit n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de droit.

La minute de la présente décision a été signée par Madame CORON, Juge, assistée de Madame Khedidja SEGHIR, Greffier présente lors de son prononcé.

LE GREFFIERLE JUGE

MADAME SEGHIRMADAME CORON


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bobigny
Formation : Chambre 5/section 3
Numéro d'arrêt : 22/10778
Date de la décision : 29/04/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 05/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-29;22.10778 ?
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