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24/04/2024 | FRANCE | N°23/00110

France | France, Tribunal judiciaire de Bobigny, Expropriations 1, 24 avril 2024, 23/00110


Décision du 24 Avril 2024
Minute n° 24/78

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BOBIGNY

JURIDICTION DE L’EXPROPRIATION
DE LA SEINE-SAINT-DENIS

JUGEMENT FIXANT INDEMNITÉS

du 24 Avril 2024

:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:


Rôle n° N° RG 23/00110 - N° Portalis DB3S-W-B7H-XWGE

Le juge de l’expropriation du département de la SEINE-SAINT-DENIS


DEMANDEUR :


SELARL ASTEREN, prise en la personne de Maître [E] [L], en sa qualité de liquidateur Judiciaire de la SAS BEST HAIR STYLES.
[Adresse 1]
[Localité

4]
représentée par Maître Valerie DUTREUILH, avocat au barreau de PARIS
DÉFENDEUR :
Etablissement public ÉTABLISSEMENT PUBLIC FONCIER D’...

Décision du 24 Avril 2024
Minute n° 24/78

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BOBIGNY

JURIDICTION DE L’EXPROPRIATION
DE LA SEINE-SAINT-DENIS

JUGEMENT FIXANT INDEMNITÉS

du 24 Avril 2024

:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:

Rôle n° N° RG 23/00110 - N° Portalis DB3S-W-B7H-XWGE

Le juge de l’expropriation du département de la SEINE-SAINT-DENIS

DEMANDEUR :

SELARL ASTEREN, prise en la personne de Maître [E] [L], en sa qualité de liquidateur Judiciaire de la SAS BEST HAIR STYLES.
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Maître Valerie DUTREUILH, avocat au barreau de PARIS
DÉFENDEUR :
Etablissement public ÉTABLISSEMENT PUBLIC FONCIER D’ÎLE-DE-FRANCE (EPFIF)
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Maître Michaël MOUSSAULT de la SELAS DS AVOCATS, avocats au barreau de PARIS
INTERVENANT :
DIRECTION DÉPARTEMENTALE DES FINANCES PUBLIQUES - PÔLE D’ÉVALUATION DOMANIALE
[Adresse 3]
[Localité 6]
représentée par Monsieur [F] [D], commissaire du Gouvernement
COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Charlotte THIBAUD, Vice-Présidente, désignée par ordonnance de Monsieur le Premier Président de la cour d’appel de Paris

Maxime-Aurélien JOURDE, Greffier des services judiciaires, présent lors de la mise à disposition

PROCÉDURE :

Date de la visite des lieux : 10 janvier 2024
Date de la première évocation et des débats : 06 mars 2024
Date de mise à disposition : 24 avril 2024
EXPOSÉ DU LITIGE

La SAS BEST HAIR STYLES est propriétaire d’un fonds de commerce de salon de “coiffure généraliste afro-européen-maghrébin pose d’ongles” exploité dans des locaux commerciaux, lot n°14, situés dans le centre commercial du [12], [Adresse 8] à [Localité 11] (93), selon acte sous seing privé en date du 14 mai 2016.

Le local commercial est situé dans le périmètre de l’opération de requalification de copropriétés dégradées du quartier dit du “Bas [Localité 10]” (ORCOD), déclaré d’intérêt national par décret n°2015-99 du 28 janvier 2015, dont la mise en oeuvre a été confiée à l’Établissement Public Foncier d’Île de France (l’EPFIF)

Ce local est également situé dans le périmètre de la zone d’aménagement concerté (ZAC) dite du “Bas [Localité 10]”, créée par arrêté préféctoral n°2018-1913 du 02 août 2018, qui est identique à celui de l’ORCOD-IN, et qui a fait l’objet d’une déclaration d’utilité publique (DUP), selon l’arrêté préfectoral n° 2019-2388 en date du 06 septembre 2019.

Par acte authentique en date du 29 décembre 2020, l’EPFIF a acquis le centre commercial du [12] où se trouve le local commercial, lot n°14, loué par la SAS BEST HAIR STYLES.

Cette dernière a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de Commerce de Bobigny en date du 18 mars 2021 et la SELAFA MJA prise en la personne de Maître [E] [L] a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire.

Par courriers en date des 06 juilet 2021, 02 novembre 2022 et 25 avril 2023, la SELAF MAJ en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SAS BEST HAIR STYLES a mis en demeure l’EPFIF d’avoir à lui faire une offre d’indemnité d’éviction et a réclamé à ce titre la somme de 19.540 €.
Par mémoire en date du 11 mai 2023 reçu au greffe le 15 mai 2023, la SELAFA MJA, prise en la personne de Maître [E] [L], en qualité de liquidateur judiciaire de la SAS BEST HAIR STYLES a saisi la juridiction de l’expropriation du tribunal judiciaire de Bobigny aux fins de fixation de l’indemnité d’expropriation.

La SELAFA MJA, liquidateur judiciaire de la SAS BEST HAIR STYLES a notifié simultanément à l’EPFIF ainsi qu’au commissaire du Gouvernement la saisine de la juridiction de l’expropriation par lettres recommandées avec accusé de reception en date du 10 mai 2023.

Selon ordonnance du Président du Tribunal de Commerce de Bobigny en date du 12 juin 2023, la SELARL ASTEREN prise en la personne de Maître [E] [L] a été nommée en qualité de Madataire liquidateur de la SAS BEST HAIR STYLES en remplacement de la SELAFA MJA.

Par une ordonnance rendue le 10 novembre 2023, le juge de l’expropriation a fixé le transport sur les lieux et l’audition des parties au 10 janvier 2024, ainsi que l’audience au 06 mars 2024.

L’EPFIF était présent et assisté par Maître Cédric Bortolussi lors du transport sur les lieux du 10 janvier 2024.

Le liquidateur judiciaire de la SAS BEST HAIR STYLES a produit deux mémoires :
- un mémoire en date du 11 mai 2023, reçu le 15 mai 2023 ;
- un mémoire en réplique reçu le 05 mars 2024.

Dans ses dernières écritures, la SELARL ASTEREN en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SAS BEST HAIR STYLES demande au juge de l’expropriation de :
“- RECEVOIR la SELARL ASTEREN, en la personne de Maître [E] [L], ès qualité de liquidateur judiciaire de la société BEST HAIR STYLES, désignée en remplacement de la SELAFA MJA, en son intervention volontaire,

- METTRE hors de cause la SELAFA MJA,

- PRONONCER l’irrecevabilité des conclusions du Commissaire du Gouvernement,

- FIXER le montant de l’indemnité d’expropriation de la société BEST HAIR STYLES à 19.540€, et CONDAMNER l’EPFIF au paiement de ladite indemnité à la liquidation judiciaire de la société dans les plus brefs délai,

- CONDAMNER l’EPFIF à payer à la SELAFA MJA, ès qualité de liquidateur judiciaire de la société BEST HAIR STYLES, la somme de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.”

Dans ses dernières écritures, datées du 27 février 2024, produites après le transport sur les lieux, le commissaire du Gouvernement évalue la valeur du fonds de commerce de la SAS BEST HAIR STYLES à zéro euros.

Aux termes de son unique mémoire en réponse reçu le 06 mars 2024, l’EPFIF demande au juge de l’expropriation de :
“REJETER l’ensemble des demandes, fins et prétentions de la défenderesse,

Par suite,

FIXER à 0 (zéro) euros l’indemnité devant revenir à la société BEST HAIR STYLES résultant de son éviction du lot n°14 du centre commercial du [12]”

En vertu de l’article 455 du code de procédure civile, il est fait référence aux écritures transmises pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions.

À l’audience du 06 mars 2024, les parties comparantes ont développé les éléments de leurs mémoires, en application des dispositions de l’article R.311-20, 1er alinéa, du code de l’expropriation.

L'affaire a été mise en délibéré au 24 avril 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

À titre liminaire

En application de l’article 66 du code de procédure civile, constitue une intervention la demande dont l’objet est de rendre un tiers partie au procès engagé entre les parties originaires.

Or, en l’occurence la demande la SELARL ASTEREN n’a pas pour but de la rendre partie au procès engagé entre les parties originaires, puisqu’elle ne formule aucune demande en son nom propre, mais intervient en qualité de liquidateur de la SAS BEST HAIR STYLES, partie ayant introduit la présente instance, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’examiner sa demande tendant à la recevoir en son intervention volontaire.

Par ailleurs, la « mise hors de cause » ne correspond en soi juridiquement ni à une prétention ni à un moyen de défense. Dépourvue de portée juridique en elle-même, elle ne peut être que la conséquence d'un rejet des demandes au fond ou de leur irrecevabilité, de sorte qu’il n’y a pas lieu non plus d’examiner spécifiquement la demande tendant à voir mettre hors de cause la SELAFA MJA, qui n’est pas intervenue à la cause en tant que partie, mais en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SAS BEST HAIR STYLES au nom de laquelle les prétentions sont formulées.

Sur l’irrecevabilité des conclusions du commissaire du Gouvernement

En application de l’article R. 311-16 alinéa 1er du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, à peine d’irrecevabilité, le commissaire du Gouvernement notifie ses conclusions aux parties à l’instance par lettre recommandée avec accusé de réception, au moins huit jours avant la visite des lieux.

En l’espèce, les seules conclusions du commissaire du Gouvernement versées aux débats sont datées du 27 février 2024, soit postérieurement au transport sur les lieux qui a eu lieu le 10 janvier 2024.

Le commissaire du Gouvernement n’allègue, ni ne justifie de ce que d’autres conclusions ont été notifiées aux parties au moins huit jours avant la visite des lieux.

Dès lors, il est suffisamment étalbi que le commissaire du Gouvernement n’a pas notifié ses conclusions au moins huit jours avant la visite des lieux.

En conséquence, les conclusions du commissaire du Gouvernement datées du 27 février 2024 sont déclarées irrecevables.

Sur la demande de fixation de l’indemnité d’éviction

En application de l’article L. 314-6 du code de l’urbanisme, l'indemnisation des commerçants et artisans afférente à l'activité qu'ils exercent dans un immeuble devant être acquis ou exproprié en vue de sa démolition dans le cadre d'une opération d'aménagement doit, sur leur demande, intervenir avant l'acte portant transfert de propriété et, par dérogation aux dispositions de l'article L. 322-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, être fondée sur la situation existant avant le commencement de l'opération. Cette indemnité obéit pour le surplus au régime des indemnités d'expropriation.

En l’espèce, le liquidateur judiciaire de la SAS BEST HAIR STYLES a saisi la présente juridicition aux fins de fixation de l’indemnité d’éviction par mémoire en date du 11 mai 2023, reçu le 15 mai 2023.

Or, le transfert de propriété du lot n°14, correspondant au local loué par la SAS BEST HAIR STYLES et où elle exerçait son activité, a eu lieu selon acte authentique de vente en date du 29 décembre 2020 postérieurement à la déclaration d’utilité publique intervenue le 06 septembre 2019.

Dès lors, le liquidateur de la SAS BEST HAIR STYLES a saisi la présente juridiction d’une demande d’indemnisation postérieurement à l’acte portant transfert de propriété.

Par voie de conséquence, les dispositions de l’article L. 314-6 du code de l’urbanisme précité ne sont pas applicables en l’espèce.

Sur les éléments préalables à la détermination des indemnités

Sur les dates à retenir

Le juge de l’expropriation doit déterminer les dates suivantes et les prendre en considération lors de l’évaluation de la valeur vénale du bien exproprié :

* Date pour apprécier la consistance des biens : selon les dispositions de l’article L.322-1 du code de l’expropriation, le juge fixe le montant des indemnités d’après la consistance des biens à la date de l’ordonnance portant transfert de propriété.

Conformément à l’article L. 222-2 du code de l’expropriation, la cession amiable consentie après la déclaration d’utilité publique produit les mêmes effets que l’ordonnance d’expropriation, c’est à dire qu’elle emporte transfert de propriété et extinction des droits réels et personnels existants sur le bien cédé (C. Cass. 3ème civ. 29 octobre 2003 n° pourvoi 02-15.321).

* Date de référence pour déterminer les règles d’urbanisme et l’usage effectif des biens : elle se situe, en principe, un an avant l'ouverture de l'enquête publique préalable à la déclaration d’utilité publique, conformément à l’article L.322-2 du code de l’expropriation ; toutefois, aux termes des articles L.213-6 et L.213-4 du code de l’urbanisme, lorsqu'un bien est soumis au droit de préemption urbain et n’est pas situé dans une Zone d’aménagement différée (ZAD), cette date de référence se situe à la date à laquelle est devenue opposable aux tiers le plus récent des actes rendant public, approuvant, modifiant ou révisant le plan local d’urbanisme, et délimitant la zone dans laquelle est situé le bien ;

En application des articles L. 213-6 et L. 213-4 du code de l’urbanisme, l’acte qui se borne à modifier le périmètre d’une zone d’un PLU sans affecter ses caractéristiques ne peut être pris comme date de référence au sens des dispositions de l’article L. 213-4 du code de l’urbanisme (3ème civ. 13 juin 2019 pourvoi n°18-18.445).

* Date pour apprécier la valeur des biens : selon le 1er alinéa de l’article L.322-2 du code de l’expropriation, les biens sont estimés à la date de la décision de première instance, soit à la date du jugement en fixation des indemnités.

En l’espèce, le lot n°14 doit être évalué selon :

- sa consistance au 29 décembre 2020, date de la cession amiable postérieure à la déclaration d’utilité publique du 06 septembre 2019 emporant transfert de propriété et extinction des droits réels et personnels existants sur le bien cédé ;

- les possibilités offertes par les règles d’urbanisme définies par le plan local d’urbanisme (PLU) approuvé le 10 juillet 2012 et modifié le 08 avril 2016.

Bien qu’une autre modification du PLU soit intervenue le 13 novembre 2018, celle-ci n’a pas modifié les caractéristiques de la zone où se situe l’ensemble immobilier, de sorte qu’elle ne peut être retenue comme date de référence.

En conséquence, la date de référence est celle de la dernière modification du PLU délimitant la zone dans laquelle est situé l'ensemble immobilier dont s'agit, à savoir la modification numéro un du 08 avril 2016.

Les parcelles sont situées en zone UR1 du PLU, correspondant au renouvellement urbain du centre-ville ;

un usage de fonds de commerce de salon de coiffure et de pose d’ongles n’est pas contesté par les parties ;

- les valeurs d’échange à la date du présent jugement.

Sur la consistance de l’ensemble immobilier et des biens de la partie défenderesse

Pour une description précise, il conviendra de se reporter au procès-verbal de transport sur les lieux, composé d’une présentation générale et d’un descriptif des biens à évaluer, annexé au présent jugement.

- Sur les copropriétés du [12] et de l’Etoile du [12]

La commune de [Localité 11] est constituée de plusieurs quartiers de grands ensembles édifiés dans les années 1960, selon un plan qui prévoyait une desserte par l’autoroute A 87. Cette voie express n’ayant pas été réalisée, la commune était enclavée n’étant desservie ni par les voies routières majeures de la région parisienne ni par les lignes de RER et de métro. Les bus étaient les seuls transports en commun.

Depuis décembre 2019, une nouvelle branche de la ligne T4 du tramway est en service. Elle relie [Localité 13] à [Localité 14] et dessert [Localité 11]. Elle offre une correspondance avec le RER E à [Localité 9]. La création d’une gare de la future ligne 16, métro express, par la SGP et le GPA est en cours de réalisation.

Les copropriétés du [12] et de l’[12] sont géographiquement imbriquées, aucune clôture ne sépare la première de la seconde, la numérotation des bâtiments englobe les deux copropriétés et n’est pas propre à chacune d’elle. La copropriété du [12] est composée de 10 bâtiments, comprenant 873 logements, et celle de l’[12] de 8 bâtiments, comprenant 556 logements, étant précisé que l’un des bâtiments (B 18) a d’ores et déjà fait l’objet d’une démolition.

Les conclusions d’une étude réalisée par la commune de [Localité 11] en 2014, concernant les copropriétés contiguës du [12] et de l’[12], mettent en évidence un contexte social difficile en termes de niveau de vie (60 % des ménages ayant un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté), de taux de chômage (29 %), d’occupation des logements (près de 20 % l’étant par plus d’un ménage et par plus de 4 personnes), de rotation importante tant en ce qui concerne les propriétaires que les locataires.

Il résulte tant du décret déclarant d’intérêt national l’opération de requalification des copropriétés dégradées que de la déclaration d’utilité publique du 06 septembre 2019 que les copropriétés du [12] et de l’[12] sont parmi les copropriétés clichoises les plus en difficultés au plan social et qu’elles ont fait l’objet :

- d’un plan de sauvegarde signé le 19 janvier 2010 entre l’Etat, le Département 93 et la commune de [Localité 11] ; il avait pour objectif de résorber les impayés de charges, de réaliser des travaux urgents et des mises aux normes, de lutter contre les marchands de sommeil, d’individualiser les réseaux de fluides des différents bâtiments, de réaliser des travaux de rénovation énergétique ; il a pris fin en 2015 ;

- d’une opération de requalification des copropriétés dégradées du quartier dit du Bas [Localité 10], selon un décret n° 2015-99 en date du 28 janvier 2015 déclarant ladite opération d’intérêt national (ORCOD IN) ; la mise en oeuvre de l’opération a été confiée à l’EPFIF ;

- d’un nouveau plan de sauvegarde pour une durée de cinq ans, institué par l’arrêté préfectoral n° 2017-2399 du 11 septembre 2017.

- Sur le centre commercial du [12]

Le bien à évaluer est situé dans le centre commercial du [12], au coeur des copropriétés en difficultés que sont le [12] et l’[12].

Il s’agit d’un ensemble immobilier complexe édifié à l’angle des [Adresse 8] à [Localité 11], tenant :
- au nord par une ligne droite à l’[Adresse 8] ;
- à l’ouest par une ligne droite à l’[Adresse 7], pan coupé à l’ange des deux voies,
- au sud et à l’est par une linge brisée, au syndicat des copropriétaies de l’ensemble dénommée “[12] II”.

Cet ensemble immobilier complexe comprend :
- une tour dite “[Adresse 15]” de R +15 sur deux sous-sol ;
- un centre commercial dit “Centre commercial du [12]”, édifié en rez-de-chaussée sur un sous-sol ;
- un parc de stationnement de plain-pied, extérieur non couvert ;
- un parc de stationnement de deux niveaux.

Le centre commercial comprend une galerie marchande et deux parcs de stationnement, le tout en mauvais état d’entretien.

Aux termes de l’acte authentique de vente du 29 décembre 2020, il est rappelé que :
“La vétusté du centre commercial a déjà conduit les pouvoirs publics à intervenir dans le cadre d’un plan de sauvegarde signé par l’État, le Département et la Ville de [Localité 11].
(...)
Inauguré en 1970, le centre commercial du [12] serait tombé en désuétude vers la fin des année 1980, en raison d’une concurrence accure, des carences de gestion de ses propriétaires et des défaillances des moyennes surfaces.

En 1995, les premières études de requalification sont engagées dans le cadre de la préfiguration du grand projet urbain (GPU) et la faisabilité du projet est renforcée en 1997 par la création d’une zone franche urbaine (ZFU) et par le soutien des fonds européens du PIC URBAN.

En juillet 1997, la ville de [Localité 11] missionne la SEM-[Localité 10]-[Localité 14] dans le cadre d’une concession de restructuration urbaine ayant pour objet l’achat du centre, se restructuration, la recommercialisation des surfaces commerciales disponibles et la revente à un investisseur final.

Après le rachat du centre en juin 1998, la revente immédiate à des investisseurs privés est toutefois écartée au profit d’un montage partenariat public/privé associant l’EPARECA, la Caisse des Dépôts et consignations et des investisseurs privés, réunis dans une société patrimoniale ad hoc, afin de s’assurer de la pérennité du centre et d’apporter une garantie de gesion future.
(...)
Après plusieurs études, un projet de reconfiguration du site, visant essentiellement son redimensionnement et dont le coût avoisinait 10 millions d’euros est presenté en mars 2007 par l’EPARECA. Ce projet ne reçoit pas les financements nécessaires de la parte de la ville de [Localité 11] qui renonce au projet mais aussi de l’ANRU qui refuse de prendre en compte le projet dans la convention de rénovation urbaine.

Dans le même temps, le centre commercial, toujours déficitaire depuis 2002, a été contraint de procéder à des aménagements de sécurité en urgence.

Ayant sollicité l’expertise de plusieurs cabinets d’avocats sur les risques encourus par lui-mêmeet par l’EPARECA du fait de cette situation, le directeur général de l’EPARECA finit par saisir le tribunal de commerce de Lille pour faire nommer un administrateur provisoire, lui-même démissionnant de sa présidence.

À compter du 18 décembre 2008, la Caisse des dépôts et consignations assure la présidence de la société portant le centre commercial. Parallèlement, elle reprend les parts de l’EPARECA pour un euro qui abandonné sa créance en compte courant avec l’accord de sa tutelle.

Face à une situation objectivement sans issue, c’est une solution palliative qui a été apportée par la disposition votée en loi de finance rectificative pour 2008.

Elle a permis, à l’occasion de la dissolution du FRU de prélever un “pécule” qui, selon la Caisse des dépôts et consignations, devait être utilisé “pour financer une partie des travaux à intervenir pendant cette période , mais aussi la restructuration ou la reconstruction, en complément des fonds propres que la Caisse des dépôts et consignations devra également nécessairement investir pour mener à bien ce projet. (...)”.

- Sur les biens expropriés

Il s’agit du lot n°14 correspondant à un local commercial en bon état, au sein de la galerie marchande située au rez-de-chaussée de l’ensemble immobilier complexe et d’une superficie non contestée de 83m².

Pour une plus ample description, il convient de se référer au procès verbal de transport.

Les caractéristiques du local permettent de dégager les facteurs suivants :

- de moins-value :

. un quartier en grande difficulté social et économique ;
. un important turn over des commerces au sein d’une galerie marchande vétuste ;

- de plus-value :

. une surface adaptée à l’activité de salon de coiffure ;
. une configuration conforme à l’activité exercée ;
. un équipement de qualité ;
. un aménagement ad hoc à l’activité, de bonne qualité et esthétique ;
. la présence d’un grand parking desservant la galerie marchande ;


Sur la méthode d'évaluation

La SELARL ASTEREN demande l’indemnisation de la perte de son droit au bail, tout en indiquant avoir totalement perdu son fonds de commerce, en se basant sur la moyenne du prix d’acquisition du fonds de commerce et du chiffre d’affaire annuel moyen TTC des années 2017-2018-2019 multiplié par 80% issu des barèmes professionnels.

L’EPFIF ne se prononce pas sur cette question.

Soit l’exploitant d’un commerce ou d’une activité peut soit se réinstaller à proximité ou de manière plus éloignée tout en conservant sa clientèle, l’éviction entraîne alors pour celui-ci la perte de son droit au bail mais pas de sa clientèle dans sa globalité.

Le préjudice correspond dans cette hypothèse à la perte du droit au bail, à éventuellement une perte partielle de sa clientèle et aux dépenses nécessaires à sa réinstallation. L’indemnisation devra être égale à la valeur du droit au bail, généralement calculée selon la méthode du différentiel de loyer, et à la somme des autres postes de préjudice selon les montants justifiés par le commerçant ou l’exploitant.

Soit, l’exploitant d’un commerce ne peut se réinstaller à proximité des locaux objets de l’expropriation, l’éviction commerciale entraîne alors pour celui-ci la perte de son droit au bail et la perte de sa clientèle dans sa globalité, éléments essentiels du fonds de commerce.

Le préjudice dans cette hypothèse doit être réparé par l’allocation d’une indemnité égale à la valeur de l’entier fonds de commerce, valeur qui ne peut être inférieure à celle du droit au bail.

En l’espèce, il résulte tant des propres énonciations du liquidateur judiciaire de la SAS BEST HAIR STYLES que du jugement rendu le 18 mars 2021 par le Tribunal de Commerce de Bobigny plaçant cette société en liquidation judiciaire qu’elle ne pourra pas se réinstaller pour poursuivre son activité, ce qui induit le recours à l’évaluaiton de la valeur du fonds de commerce.

Sur l’indemnité principale

Aux termes de l'article L. 321-1 du code de l’expropriation, les indemnités allouées couvrent l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l' expropriation .

En application de l’article L. 222-2 sus-mentionné, la cession amiable intervenue après déclaration d’utilité publique emporte transfert de propriété et extinction des droits réels et personnels existants sur le bien cédé, ce qui ouvre droit à indeminsation au profit des titulaires de ces droits y compris s’agissant de l’allocation d’une indemnité d’éviction (C. Cass. 3ème civ. 16 juin 2016 n° pourvoi 15-18.143)

Selon l'article L. 321-3 du code de l' expropriation le jugement distingue, dans la somme allouée à chaque intéressé, l'indemnité principale et, le cas échéant, les indemnités accessoires en précisant les bases sur lesquelles ces diverses indemnités sont allouées

L’EPFIF soutient que la SAS BEST HAIR STYLES ne peut prétendre à l’octroi d’une indemnité d’éviction dans la mesure où elle ne subit aucun préjudice causé directement par l’opération d’expropriation faute d’exploiter son fonds de commerce et alors qu’elle a perdu son droit au renouvellement de son bail commercial faute d’exploitation de son fonds de commerce.

Or, à la date d’appréciation de la consistance du bien soit le 29 décembre 2020, date de l’acte authentique de vente intervenu postérieurement à la déclaration d’utilité publique du 6 septembre 2019, la SAS BEST HAIR STYLES exerçait encore son activité au sein de ce local ainsi qu’en attestent d’une part, les documents comptables versés pour les années 2019 et 2020 et d’autre part, le jugement rendu le 18 mars 2021 par le Tribunal de Commerce de Bobigny plaçant la SAS BEST HAIR STYLES en liquidation judiciaire et retenant une date de cessation des paiements au 22 février 2021, soit postérieurement au 29 décembre 2020.

S’il résulte des pièces versées aux débats qu’à la date du 29 décembre 2020, la SAS BEST HAIR STYLES est inscrite au RCS et est locataire régulière du lot n°14, en revanche, elle ne dispose plus à cette date d’un droit au renouvellement de son bail tel que prévu par les articles L. 145-1 et suivants du code de commerce.

En effet, aux termes de l'article L. 145-9 du code de commerce modifié par la loi du 06 août 2015, s'agissant du bail commercial, à défaut de congé ou de demande de renouvellement, le bail par écrit se prolonge tacitement au delà du terme fixé par le contrat. Au cours de la tacite reconduction, le congé doit être donné au moins six mois à l'avance et pour le dernier jour du trimestre civil.

Il ressort du bail commercial renouvelé et signé le 28 septembre 2010 pour une période de 9 ans prenant effet à compter du 1er décembre 2010, que celui-ci devait s’achever le 30 novembre 2019.

Aucune des parties n’indique, ni ne justifie de ce le bailleur aurait notifié un congé ou une offre de renouvellement, ni de ce que le locataire aurait donné son congé ou formulé une demande de renouvellement, de sorte que le bail commercial a été tacitement prolongé.

Dès lors, dans le cas d’une prolongation tacite du bail commercial, il n’y a pas de formation d’un nouveau contrat de bail commercial et par suite, le locataire la SAS BEST HAIR STYLES n’était plus à la date du 29 décembre 2020 titulaire d’un droit au renouvellement du bail.

En outre, la liquidation judiciaire de la SAS BEST HAIR STYLES est intervenue moins de trois mois et la cessation des paiements moins de deux mois après la cession amiable emportant extinction du contrat de bail, ce qui établit que les difficultés économiques de cette société préexistaient à la procédure d’expropriation.

La SELARL ASTEREN en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SAS BEST HAIR STYLES affirme que les exercices 2017, 2018 et 2019 ont été impactés par l’opération d’aménagement du quartier, mais elle ne produit aucun document qui permettrait de l’établir.

En revanche, l’existence d’importantes difficultés économiques antérieurement à la procédure d’expropriation est établie d’une part, aux termes de l’avenant n°1 au renouvellement de bail commercial du 28 septembre 2010, signé le 09 octobre 2013 avec le précédent exploitant du local, qui prévoit une baisse du loyer “dans le cadre d’une conjoncture difficile”, d’autre part, par les énonciations de l’acte authentique de vente du 29 décembre 2020 qui retrace, en page 11 et 12, les difficultés rencontrées par le centre commercial depuis la fin des années 1980, soit très antérieurement à la procédure d’expropriation.

Il est en particulier mentionné qu’après le rachat du centre commercial en juin 1998, la revente immédiate à des investisseurs privés a été écartée au profit d’un partenariat public/privé associant l’EPARECA, la Caisse des dépôts et Consignation et des investisseurs privés, réunis dans une société patrimoniale ad hoc ; que des travaux de restructuration ont été conduit entre 2000 et 2001 ; que la commercialisation des emplacements s’est toutefois avérée être un échec ; que la société portant le centre commercial a très rapidemment connu de graves difficultés liées à la qualité médiocre de la réhabilitation, à des charges d’exploitation très lourdes pour les locataires qui réalisent un chiffre d’affaire insuffisant et à des problèmes de sécurité publique.

Ainsi, il n’est pas démontré que la perte du fonds de commerce de la SAS BEST HAIR STYLES soit la conséquence directe de la procédure d’expropriation.

En conséquence, l’indemnité d’éviction due à la SELARL ASTEREN en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SAS BEST HAIR STYLES sera fixée à la somme de zéro euros.

Sur les demandes accessoires

Sur les dépens

Conformément aux dispositions de l’article L. 312-1 du code de l’expropriation, l’EPFIF sera condamnée aux dépens.

Sur les frais irrépétibles

Aux termes de l’article 700 1° du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations. Néanmoins, s'il alloue une somme au titre du 2° du présent article, celle-ci ne peut être inférieure à la part contributive de l'Etat.

En l'espèce, eu égard à l’issue du litige, il n’y a pas lieu de faire droit aux demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le juge de l’expropriation, statuant publiquement par jugement contradictoire, rendu en premier ressort et par mise à disposition au greffe,

ANNEXE à la présente décision le procès-verbal de transport du 10 janvier 2024 ;

DÉCLARE irrecevable les conclusions du commissaire du Gouvernement datées du 27 février 2024 ;

FIXE à 0 € (zéro euros), l’indemnité totale d’éviction due par l’Etablissement Public Foncier d’Île-de-France à la SELARL ASTEREN, pris en la personne de Maître [E] [L], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SAS BEST HAIR STYLES dans le cadre de l’opération d’expropriation des locaux commerciaux situés dans le centre commercial du [12], [Adresse 8] à [Localité 11] (93) ;

CONDAMNE l’Etablissement Public Foncier d’Île-de-France aux dépens ;

DÉBOUTE la SELARL ASTEREN, pris en la personne de Maître [E] [L], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SAS BEST HAIR STYLES de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Maxime-Aurélien JOURDE

Greffier
Charlotte THIBAUD

Vice-Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bobigny
Formation : Expropriations 1
Numéro d'arrêt : 23/00110
Date de la décision : 24/04/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 30/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-24;23.00110 ?
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