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19/04/2024 | FRANCE | N°24/00200

France | France, Tribunal judiciaire de Bobigny, Chambre 22 / proxi référé, 19 avril 2024, 24/00200


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BOBIGNY
[Adresse 9]
[Adresse 9]
[Adresse 9]
[Localité 6]

Téléphone : [XXXXXXXX02]
Télécopie : [XXXXXXXX01]
@ : [Courriel 8]



N° RG 24/00200 - N° Portalis DB3S-W-B7I-YYA6

Minute : 24/00246





Société ICF LA SABLIERE, SA D’HLM
Représentant : Me Bahija EL YAAGOUBI, avocat au barreau du Val de Marne, vestiaire : PC 97


C/

Monsieur [P] [Z]
Madame [W] [M] épouse [Z]





ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ DU 19 Avril 2024




DEMANDEUR :

Société

ICF LA SABLIERE, SA D’HLM
[Adresse 3]
[Localité 5]

représentée par Maître Bahija EL YAAGOUBI, avocat au barreau du Val de Marne




DÉFENDEURS :

Monsieur [P] [Z]
[Adresse 4]
[Adresse ...

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BOBIGNY
[Adresse 9]
[Adresse 9]
[Adresse 9]
[Localité 6]

Téléphone : [XXXXXXXX02]
Télécopie : [XXXXXXXX01]
@ : [Courriel 8]

N° RG 24/00200 - N° Portalis DB3S-W-B7I-YYA6

Minute : 24/00246

Société ICF LA SABLIERE, SA D’HLM
Représentant : Me Bahija EL YAAGOUBI, avocat au barreau du Val de Marne, vestiaire : PC 97

C/

Monsieur [P] [Z]
Madame [W] [M] épouse [Z]

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ DU 19 Avril 2024

DEMANDEUR :

Société ICF LA SABLIERE, SA D’HLM
[Adresse 3]
[Localité 5]

représentée par Maître Bahija EL YAAGOUBI, avocat au barreau du Val de Marne

DÉFENDEURS :

Monsieur [P] [Z]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 7]

comparant en personne

Madame [W] [M] épouse [Z]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 7]

non comparante, ni représentée

DÉBATS :

Audience publique du 15 Mars 2024

DÉCISION:

Réputée contradictoire, premier ressort, prononcée publiquement par mise à disposition au greffe le 19 Avril 2024, par Madame Armelle GIRARD, déléguée par ordonnance du 29 décembre 2023 en qualité de Juge des contentieux de la protection près le Tribunal judiciaire de Bobigny, assistée de Madame Anne-Marie ANTUNES, faisant fonction de Greffier.
EXPOSÉ DU LITIGE
Suivant contrat signé le 8 septembre 2014, la SA ICF La Sablière, a donné en location à Monsieur [P] [Z] et Madame [W] [M] épouse [Z] un immeuble à usage d'habitation sis [Adresse 4] et un emplacement de stationnement accessoire, moyennant un loyer mensuel révisable de 441,33 € outre provision sur charges.
Le 11 octobre 2023, la SA ICF La Sablière a fait délivrer à Monsieur [P] [Z] et Madame [W] [M] épouse [Z] un commandement de payer les loyers échus visant la clause résolutoire insérée au bail, pour un montant en principal de 2 388,07 € selon décompte arrêté au 29 septembre 2023 et un commandement de payer les loyers de l’emplacement de stationnement.
Par courrier du 28 septembre 2023, la SA ICF La Sablière a saisi la Commission de Coordination des Actions de Prévention des Expulsions Locatives (CCAPEX) de l'existence d'impayés de loyers, en application du décret n° 2015-1384 du 30 octobre 2015.
Par assignation délivrée à étude le 5 janvier 2024, la SA ICF La Sablière a attrait Monsieur [P] [Z] et Madame [W] [M] épouse [Z] devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Bobigny statuant en référés, le commandement de payer n'ayant pas été suivi d'effet dans le délai imparti.
La SA ICF La Sablière a demandé à la juridiction, au bénéfice de l'exécution provisoire :
De constater le jeu de la clause résolutoire prévue au bail d'habitation ou subsidiairement prononcer la résiliation judiciaire du bail pour défaut de paiement des loyers ;D'ordonner l'expulsion de Monsieur [P] [Z] et Madame [W] [M] épouse [Z] ainsi que de tous occupants de leur chef, avec au besoin l'assistance de la force publique et d'un serrurier, et ce sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir ;D'ordonner le transport et la séquestration des meubles en tel lieu qu'il plaira à la SA ICF La Sablière, aux frais et aux risques et périls de Monsieur [P] [Z] et Madame [W] [M] épouse [Z] ;De condamner solidairement Monsieur [P] [Z] et Madame [W] [M] épouse [Z] au paiement des sommes suivantes :3 930,97 € au titre de l'arriéré locatif arrêté au 3 janvier 2024, somme à parfaire, outre intérêts au taux légal à compter du commandement de payer ;une indemnité mensuelle d'occupation équivalente au double du montant du loyer indexé et des charges dus à compter de la résiliation du bail jusqu'au départ effectif des lieux ;1 000 € à titre de dommages et intérêts ;1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance, en ce compris le coût du commandement de payer.Le 12 janvier 2024, la SA ICF La Sablière a notifié son acte introductif d'instance au représentant de l'État dans le département.
L'audience s'est tenue le 15 mars 2024 et en application de l'article 24 V de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, la présidente a invité les parties à lui produire tous éléments relatifs à l'existence d'une procédure de traitement du surendettement au sens du livre VII du code de la consommation.
Lors de l'audience, la SA ICF La Sablière représentée par son conseil maintient ses demandes, sauf à préciser qu'en vertu d'un décompte arrêté au 8 mars 2024 (échéance du mois de février 2024 incluse), l'arriéré s'élève désormais à la somme de 5 615,44 €. Elle s'oppose à des délais au regard de l'insuffisance des ressources de Monsieur [P] [Z], de l'absence de démarches et d'efforts de sa part.
Monsieur [P] [Z], comparant en personne, ne conteste ni le principe ni le montant de la dette et demande au tribunal de lui accorder des délais de paiement à hauteur de 155 € par mois en plus du loyer courant. Il soutient avoir payé le loyer du mois de février le 12 mars 2024. Il précise que Madame [W] [M] épouse [Z] a quitté les lieux sans délivrer congé et qu'ils sont en instance de divorce depuis septembre 2023. Il expose que la dette est née lorsqu'il était en déplacement à l'étranger et qu'il ignorait que sa conjointe n'avait pas déposé les chèques laissés pour payer le loyer. Il déclare avoir eu d'autres difficultés financières du fait de frais d'avocat dans le cadre de la procédure de divorce et d'une procédure concernant son fils, ainsi que de frais médicaux. Monsieur [P] [Z] indique être fonctionnaire et être rémunéré environ 2 200 € par mois, et vivre dans les lieux avec les quatre enfants du couple.
Madame [W] [M] épouse [Z] n'a pas comparu et ne s'est pas fait représenter malgré sa convocation régulière.
L'enquête sociale n'est pas parvenue au greffe de la juridiction avant l'audience.
L'affaire a été mise en délibéré au 19 avril 2024.
La présidente a sollicité la transmission en cours de délibéré d'un décompte actualisé avant le 2 avril 2024 au plus tard, lequel n'a pas été communiqué dans le délai imparti.
MOTIFS DE LA DECISION :
Aux termes de l'article 472 du code de procédure civile, lorsque le défendeur ne comparait pas, il est néanmoins statué sur le fond, le juge ne faisant droit à la demande que s'il l'estime recevable, régulière et bien fondée.
SUR LA LOI APPLICABLE AU PRÉSENT LITIGE
À titre préliminaire, il y a lieu de préciser que la loi n°2023-668 du 27 juillet 2023, portant notamment réforme de l'article 24 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 et des articles L.412-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution, applicables au présent litige, est entrée en vigueur le 29 juillet 2023, lendemain de sa publication au Journal officiel de la République.
En application de l'article 2 du code civil, il sera rappelé que la loi ne dispose que pour l'avenir et n'a pas d'effet rétroactif.
En l'espèce, le commandement de payer à l'origine de la présente procédure ayant été délivré le 11 octobre 2023, il y a lieu d'appliquer les dispositions précitées telles qu'issues de cette réforme.
Cependant, les principes de sécurité juridique et prévisibilité du droit sont cardinaux dans l'ordonnancement juridique français. La liberté contractuelle est de même garantie par le régime général du droit des obligations, comme l'énoncent les dispositions luminaires du chapitre dédié aux contrats dans le code civil (articles 1101 à 1104).
Ainsi, il résulte de ces principes et de l'article 2 du code civil précité que les effets des contrats conclus antérieurement à la loi nouvelle, même s'ils continuent de se réaliser postérieurement à cette loi, demeurent régis par les dispositions sous l'empire desquelles ils ont été passé afin de garantir la stabilité des situations établies. La loi ne peut, sauf rétroactivité expressément stipulée par le législateur, remettre en cause la validité d'une clause contractuelle régie par les dispositions en vigueur à la date où le contrat a été conclu. La jurisprudence est constante sur ce point, et le législateur a également réitéré ces principes aux termes de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (article 9 : les contrats conclus avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance, le 1er octobre 2016, demeurent soumis à la loi ancienne, y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d'ordre public).
Seule la reconnaissance de dispositions d'ordre public particulièrement impérieuses peut justifier l'application immédiate aux contrats en cours.
En l'espèce, le bail conclu entre les parties contient une clause (article 9) aux termes de laquelle le contrat se trouvera de plein droit résilié, en cas de défaut de paiement des loyers et accessoires, deux mois après un commandement de payer resté infructueux, conformément à l'article 24 de la loi n° 89462 du 6 juillet 1989 tel qu'il était en vigueur jusqu'au 29 juillet 2023.
En premier lieu, il sera constaté que la loi n°2023-668 du 27 juillet 2023 ne contient aucune disposition transitoire prescrivant l'application immédiate aux contrats en cours.
En second lieu, il y a lieu de souligner qu'au regard des principes de liberté contractuelle, sécurité juridique et prévisibilité du droit rappelés ci-dessus, il convient de favoriser le respect de la volonté des parties.
Or, la clause résolutoire insérée au présent bail emporte contractualisation du délai laissé au locataire afin d'apurer les causes du commandement de payer. En effet, l'article 24 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tel qu'il était en vigueur jusqu'au 29 juillet 2023 n'imposait pas l'insertion d'une telle clause dans le bail, et le cas échéant, se contentait de fixer un délai minimum avant l'acquisition de la clause (qui pouvait par conséquent être supérieur à deux mois, comme consacré par la pratique de multiples bailleurs notamment sociaux). Ainsi, la loi laissant à l'appréciation des parties à la fois de l'opportunité d'une clause résolutoire et du délai pour solder les causes du commandement, il ne saurait être soutenu que la mise en œuvre de la clause résolutoire est un effet légal du contrat et non l'application d'une disposition contractuelle.
La SA ICF La Sablière, aux termes de ses demandes, retient également le délai de deux mois découlant de la clause.
Par ailleurs, aucune disposition d'ordre public « particulièrement impérieuse » ne justifie l'application immédiate sur ce point de l'article 24 tel qu'issu de la loi n°2023-668 du 27 juillet 2023. Au contraire, la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 institue un ordre public de protection des locataires, en conformité avec le droit à la protection du logement (droit à valeur conventionnelle et objectif à valeur constitutionnelle). Or, un délai de deux mois pour acquitter les causes d'un commandement de payer est nécessairement plus favorable au locataire qu'un délai de six semaines, en ce qu'il lui accorde deux semaines de plus apurer sa dette et par conséquent conserver son droit au bail. In fine, cela n'est d'ailleurs pas en opposition avec les intérêts du bailleur qui cherche à recouvrer sa dette, les locataires étant davantage mobilisés en ce sens tant que leur droit au bail est effectif. Réduire ce délai mène ainsi à judiciariser des situations d'impayés qui auraient pu se résoudre à l'amiable. De plus, la date de fin du bail qui dépend de la date d'acquisition de la clause résolutoire a des conséquences juridiques importantes puisqu'elle marque le terme des obligations respectives du locataire et du bailleur. Le régime juridique applicable aux situations d'occupation sans droit ni titre est complexe et moins protecteur à la fois des occupants et des propriétaires, et cause des difficultés pratiques en termes notamment de sécurité publique et de prise en charge en cas de sinistre par les assurances.
Enfin, il ne peut qu'être constaté qu'un commandement de payer visant le délai de six semaines issu de la loi n°2023-668 du 27 juillet 2023, tout en reproduisant une clause résolutoire indiquant une délai de deux mois pour solder l'arriéré, est de nature à induire le locataire en erreur sur le délai effectif qui lui est laissé, lui causant incontestablement grief.
Il découle de tout ce qui précède qu'il y a lieu d'appliquer la clause résolutoire telle que prévue au contrat de bail dans le cadre du présent litige.
SUR LA RECEVABILITÉ DE LA DEMANDE
Une copie de l'assignation a été notifiée au représentant de l'État dans le département le 12 janvier 2024, soit plus de six semaines avant l'audience, conformément aux dispositions de l'article 24 III de la loi n°89-462 du 06 juillet 1989 dans sa version applicable au présent litige.
L'action est donc recevable.
SUR LA DEMANDE EN PAIEMENT DE L'ARRIÉRÉ LOCATIF
Il résulte de l'article 7 de la loi n°89-462 du 06 juillet 1989 ainsi que des stipulations du bail que le locataire est tenu de payer le loyer et les charges récupérables au terme convenu.
Conformément à la clause de solidarité stipulée audit bail (article 10) et en l'absence de congé délivré par Madame [W] [M] épouse [Z], les locataires sont également tenus solidairement d'exécuter l'ensemble des obligations en résultant.
En l'espèce, la SA ICF La Sablière verse aux débats un décompte arrêté au 8 mars 2024 (échéance du mois de février 2024 incluse) établissant l'arriéré locatif à la somme de 5 615,44 €.
Monsieur [P] [Z] ne conteste pas l'absence de paiement du loyer ou le montant des sommes réclamées.
Madame [W] [M] épouse [Z], absente lors de l'audience, ne produit en tout état de cause aucun élément de nature à contester l'absence de paiement du loyer ou le montant des sommes réclamées.
Il convient par conséquent de condamner solidairement Monsieur [P] [Z] et Madame
[W] [M] épouse [Z] en application des stipulations du bail à verser à la SA ICF La
Sablière la somme de 5 615,44 € actualisée au 8 mars 2024 au titre de l'arriéré locatif, outre intérêts au taux légal sur la somme de 2 388,07 € à compter du 11 octobre 2023, date du commandement de payer, et à compter de la présente décision pour le surplus.
SUR LA RÉSILIATION ET L'EXPULSION
L'article 834 du code de procédure civile permet au juge des contentieux de la protection, dans tous les cas d'urgence et dans les limites de sa compétence, d'ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
L'article 24 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, dans sa version applicable au présent litige, dispose que tout contrat de bail d'habitation contient une clause prévoyant la résiliation de plein droit du contrat de location pour défaut de paiement du loyer ou des charges aux termes convenus ou pour non versement du dépôt de garantie. Cette clause ne produit effet que six semaines après un commandement de payer demeuré infructueux.
En l'espèce, le bail conclu entre les parties contient une clause (article 9) aux termes de laquelle le contrat se trouvera de plein droit résilié, en cas de défaut de paiement des loyers et accessoires, deux mois après un commandement de payer resté infructueux. Comme précédemment indiqué, il conviendra de retenir ce délai contractuel en l'espèce.
À l'examen de l'ensemble des pièces versées aux débats, il apparaît qu'un commandement de payer visant la clause résolutoire et les dispositions de l'article 24 de la loi précitée a été régulièrement signifié à Monsieur [P] [Z] et Madame [W] [M] épouse [Z] le 11 octobre 2023, pour un montant principal de 2 388,07 €. Il est en outre établi que ce commandement est demeuré au moins partiellement infructueux dans le délai imparti.
Dès lors, il y a lieu de constater que les conditions d'acquisition de la clause résolutoire sont réunies à la date du 12 janvier 2024, soit deux mois après la délivrance dudit commandement, et que la résiliation du bail est intervenue de plein droit à cette date.
Cependant l'article 24-V de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 dans sa version applicable au présent litige prévoit que le juge peut accorder, à la demande du locataire, du bailleur ou même d'office, des délais de paiement dans la limite de trois années, chaque fois que le locataire est en situation de régler sa dette locative et qu'il a repris le versement intégral du loyer courant avant la date de l'audience.
L'article 24 VII de la même loi, dans sa version applicable au présent litige, précise que lorsque le juge est saisi en ce sens par le bailleur ou par le locataire, les effets de la clause de résiliation de plein droit peuvent être suspendus pendant le cours des délais accordés par le juge dans les conditions prévues aux V et VI du présent article. Cette suspension prend fin dès le premier impayé ou dès lors que le locataire ne se libère pas de sa dette locative dans le délai et selon les modalités fixés par le juge.
L'article 24 III prévoit quant à lui que le locataire est informé par le représentant de l’État dans le département de son droit de demander au juge de lui accorder des délais de paiement, prévu au V du présent article.
Par ailleurs, le droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales dont le juge national est garant, implique le droit au respect et à la protection du domicile. Ce droit est fondamental pour garantir à l'individu la jouissance effective des autres droits qui lui sont reconnus.
En vertu de la Convention internationale des droits de l'enfant, dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. Nul enfant ne doit faire l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes illégales à son honneur et à sa réputation. L'enfant a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes. Le droit de tout enfant à un niveau de vie suffisant pour permettre son développement physique, mental, spirituel, moral et social est également consacré.
L'article 1er de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 indique que garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l'ensemble de la nation. L'article 1er de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 dispose de même que le droit au logement est un droit fondamental.
Dans le cadre d'une procédure d'expulsion, le juge doit ainsi effectuer un examen de la proportionnalité de l'ingérence dans le droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile des occupants. Cette procédure entre de fait sans conteste dans le champ d'application de l'article précité de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et de la Convention des droits de l'enfant. La mesure d'expulsion, en ce qu'elle prive ses destinataires de domicile au moins provisoirement et rompt leurs attaches personnelles et professionnelles, est de nature à affecter le droit au respect de la vie privée et familiale.
En l'espèce, il est ainsi demandé l'octroi de délais de paiement à hauteur de 155 € par mois, en plus du loyer courant.
En premier lieu, il y a lieu de relever que si le montant de la dette est élevé, la proposition de délais de paiement est de nature à apurer la dette dans le délai maximum prévu par la loi (36 mois).
En second lieu, il ressort des débats que Monsieur [P] [Z] a connu des difficultés financières suite à un changement dans sa situation personnelle (séparation conjugale), des difficultés de santé et un déplacement à l'étranger. Or, il a désormais retrouvé une situation plus stable et dispose d'un emploi qui lui procure des ressources suffisantes pour s'acquitter du loyer courant et des délais de paiement sollicités.
En troisième lieu, il apparaît sur le décompte en date du 8 mars 2024 que le dernier paiement effectué date du 26 décembre 2023. Cependant, Monsieur [P] [Z] a indiqué avoir payé le loyer du mois de février, et la présidente a sollicité un décompte actualisé qui ne lui a pas été transmis, ne lui permettant pas de vérifier ces propos et d'assurer son office. En outre, il n'est pas justifié que le représentant de l’État dans le département ait informé Monsieur [P] [Z] et Madame [W] [M] épouse [Z] de son droit de demander au juge de lui accorder des délais de paiement et des conditions d'octroi de ces délais avant l'audience, tel que cela est prescrit à l'article 24 III de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989. Ainsi, il n'a pas été mis en capacité de préparer utilement l'audience et notamment de verser un loyer courant afin que sa demande de délais de paiement soit recevable.
En quatrième lieu, quatre enfants mineurs résident dans les lieux, dont il convient de protéger la stabilité du domicile, de la scolarité et du développement psycho-affectif qu'une expulsion « sèche » serait de nature à mettre en danger.
Enfin, il y a lieu de constater que le demandeur est en l'espèce un bailleur social qui n'est pas soumis aux mêmes contraintes économiques que des bailleurs particuliers qu'ils soient personnes morales ou physiques. En outre, il résulte de la charte de prévention des expulsions locatives de Seine-Saint-Denis 2022-2028 que les signataires se sont notamment accordés sur les objectifs communs suivants
:
Augmenter le taux de décisions conditionnelles à l'audience (avec octroi de délais),Diminuer le rapport entre expulsions accordées et assignations, Diminuer le nombre d'expulsions réalisées en particulier les expulsions sèches, sans solution.Les signataires et partenaires de cette charte comprennent le préfet de Seine-Saint-Denis, le président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis, le tribunal judiciaire, l'Union sociale pour l'habitat d'Ile-de-France et les bailleurs partenaires, telle la SA ICF La Sablière.
Par conséquent, au regard de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de constater que le refus d'octroi de délais de paiement, auxquels seule l'absence de reprise du loyer courant à l'audience fait obstacle en l'état et laquelle n'est pas avérée en l'absence de décompte actualisé, et donc l'expulsion, porterait une atteinte disproportionnée aux droits à la protection du domicile et à la vie privée et familiale de Monsieur [P] [Z] et Madame [W] [M] épouse [Z].
Il sera au surplus rappelé que de tels délais de paiement suspensifs sont de nature à entraîner une mobilisation du locataire pour apurer sa dette, qui serait moindre en cas d'expulsion immédiate. En cas de non-paiement, au bout d'une seule échéance impayée, la procédure d'expulsion reprendra son cours. Par suite, les droits du bailleur seront respectés, que la dette soit apurée ou que l'expulsion ait lieu et ne soit que repoussée d'un mois.
Compte tenu de ces éléments, il convient par conséquent d'accorder à Monsieur [P] [Z] et Madame [W] [M] épouse [Z] des délais de paiement pour s'acquitter de la dette locative à hauteur de 155,00 € par mois et selon les modalités précisées au dispositif de la présente décision.
Pendant le cours des délais ainsi accordés, les effets de la clause résolutoire seront ainsi suspendus.
Si l'intégralité de la dette est apurée dans ce délai et selon les modalités de paiement prévus, la clause de résiliation de plein droit sera réputée ne pas avoir joué et les relations entre les parties reprendront selon les stipulations du bail.
Dans le cas contraire, soit en cas de non-paiement d'une seule mensualité à son exacte échéance, qu'elle soit due au titre du loyer et des charges courants ou de l'arriéré :
Monsieur [P] [Z] et Madame [W] [M] épouse [Z] seront déchus du bénéfice des délais de paiement accordés par la présente décision ;La clause de résiliation reprendra son plein effet ;La totalité de la dette locative restée impayée deviendra immédiatement exigible par la SA ICF La Sablière, la résiliation du bail étant acquise à la date du 12 janvier 2024 ;Monsieur [P] [Z] et Madame [W] [M] épouse [Z] deviendraient occupants sans droit ni titre du fait de la résiliation du bail ;Faute pour Monsieur [P] [Z] et Madame [W] [M] épouse [Z] d'avoir volontairement libéré les lieux, il sera procédé à leur expulsion et à celle de tous occupants de leur chef avec l'assistance d'un serrurier et de la force publique si besoin est, conformément aux dispositions des articles L. 412-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ;La SA ICF La Sablière pourra procéder à l'enlèvement de tous les biens mobiliers garnissant les lieux loués et les faire entreposer dans tel local de son choix aux frais et périls de Monsieur [P] [Z] et Madame [W] [M] épouse [Z], conformément aux dispositions des articles L. 433-1 et L. 433-2 du code des procédures civiles d'exécution ;En cas de maintien dans les lieux, la SA ICF La Sablière sera en droit d'exiger de Monsieur [P] [Z] et Madame [W] [M] épouse [Z] le paiement in solidum d'une indemnité d'occupation mensuelle fixée par référence au montant du loyer et des charges qui aurait été du en cas de non-résiliation du bail, à compter de la résiliation du bail et jusqu'à complète libération des lieux. En effet, l'indemnité d'occupation entre dans le champ d'application de l'article 1231-5 du code civil, qui permet au juge, même d'office, de modérer une clause pénale manifestement excessive. De plus, en tout état de cause, il y a lieu d'observer que le bail litigieux ne contient aucune clause prévoyant la majoration sollicitée des indemnités d'occupation dues en cas de résiliation du bail, de sorte que la SA ICF La Sablière ne saurait prétendre à la majoration sollicitée et sera déboutée de cette demande.
Enfin, il n'apparaît pas nécessaire d'assortir d'une astreinte l'obligation pour Monsieur [P] [Z] et Madame [W] [M] épouse [Z] de quitter les lieux en cas d'expulsion. En effet, la demande de condamnation au paiement d'une indemnité mensuelle d'occupation, de nature à réparer le préjudice subi par le bailleur, satisfait déjà à l'objectif assigné à l'astreinte en cette matière. Il convient ainsi de débouter la SA ICF La Sablière de cette demande.
SUR LA DEMANDE DE DOMMAGES ET INTÉRÊTS
En application de 1231-6 du code civil, le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires de la créance.
Aux termes de l'article 1240 du code civil, la résistance de mauvaise foi du contractant qui refuse d'exécuter des engagements non équivoques caractérise la faute et justifie une condamnation prononcée pour résistance abusive.
Il est constant que la résistance abusive du défendeur se définit par la contrainte pour le demandeur d'intenter une action en justice pour parvenir à ses fins, et ne se traduit pas par une simple résistance.
En l'espèce, le caractère abusif de la résistance au paiement, qui ne peut résulter du seul défaut de paiement, n'est pas démontré. De plus, la demanderesse n'établit pas avoir subi un préjudice distinct du retard apporté au paiement.
En conséquence, il convient de débouter la SA ICF La Sablière de sa demande en paiement de dommages-intérêts.
SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES
En application de l'article 696 du code de procédure civile, il convient de condamner in solidum Monsieur [P] [Z] et Madame [W] [M] épouse [Z] au paiement des entiers dépens de l'instance qui comprendront notamment le coût du commandement de payer du 11 octobre 2023 ainsi que de l'assignation et de sa dénonciation à la préfecture.
Conformément aux dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée et il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation.
En l'espèce, l'équité et les délais de paiement accordés justifient de rejeter la demande de la SA ICF La Sablière sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
En application de l'article 514 du code de procédure civile, la présente décision est de droit exécutoire.
PAR CES MOTIFS :
Nous, juge des contentieux de la protection, statuant en référés après débats tenus en audience publique, par décision réputée contradictoire et publique, par mise à disposition par le greffe et en premier ressort,
CONSTATONS la recevabilité de l'action intentée par la SA ICF La Sablière ;
CONSTATONS que le contrat signé le 8 septembre 2014 entre la SA ICF La Sablière et Monsieur [P] [Z] et Madame [W] [M] épouse [Z] concernant les locaux situés [Adresse 4] s'est trouvé de plein droit résilié le 12 janvier 2024 par application de la clause résolutoire contractuelle ;
SUSPENDONS les effets de la clause résolutoire ;
CONDAMNONS solidairement Monsieur [P] [Z] et Madame [W] [M] épouse
[Z] à verser à la SA ICF La Sablière la somme de 5 615,44 € actualisée au 8 mars 2024 au titre de l'arriéré locatif comprenant les loyers, charges et indemnités d'occupation jusqu'à l'échéance du mois de février 2024 incluse, outre intérêts au taux légal sur la somme de 2 388,07 € à compter du 11 octobre 2023, date du commandement de payer, et à compter de la présente décision pour le surplus ;
AUTORISONS Monsieur [P] [Z] et Madame [W] [M] épouse [Z] à s'acquitter de cette somme en 36 mensualités, les 35 premières d'un montant de 155,00 € et la dernière égale au solde de la dette, le tout en sus du loyer courant ;
DISONS que chaque paiement desdites mensualités devra intervenir au plus tard avant le 5ème jour de chaque mois et pour la première fois le mois suivant la signification de la présente décision ;
DISONS qu'en cas de paiement selon les modalités et dans les délais ci-dessus fixés, la résiliation sera réputée privée d'effet et les relations entre les parties reprendront selon les stipulations du bail ;
DISONS qu'à défaut de paiement d'une seule mensualité à son exacte échéance, qu'elle soit due au titre du loyer et des charges courants ou de l'arriéré :
Monsieur [P] [Z] et Madame [W] [M] épouse [Z] seront déchus du bénéfice des délais de paiement accordés par la présente décision ;La clause de résiliation reprendra son plein effet ;La totalité de la dette locative restée impayée deviendra immédiatement exigible par la SA ICF La Sablière, la résiliation du bail étant acquise à la date du 12 janvier 2024 ;Monsieur [P] [Z] et Madame [W] [M] épouse [Z] deviendraient occupants sans droit ni titre du fait de la résiliation du bail ;Faute pour Monsieur [P] [Z] et Madame [W] [M] épouse [Z] d'avoir volontairement libéré les lieux, il sera procédé à leur expulsion et à celle tous occupants de leur chef avec l'assistance d'un serrurier et de la force publique si besoin est, conformément aux dispositions des articles L. 412-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ;La SA ICF La Sablière pourra procéder à l'enlèvement de tous les biens mobiliers garnissant les lieux loués et les faire entreposer dans tel local de son choix aux frais et périls de Monsieur [P] [Z] et Madame [W] [M] épouse [Z], conformément aux dispositions des articles L. 433-1 et L. 433-2 du code des procédures civiles d'exécution ;En cas de maintien dans les lieux, la SA ICF La Sablière sera en droit d'exiger de Monsieur [P] [Z] et Madame [W] [M] épouse [Z] le paiement in solidum d'une indemnité d'occupation.REJETTONS en ce cas la demande d'indemnité d'occupation majorée et FIXONS l'indemnité d'occupation sans droit ni titre due par Monsieur [P] [Z] et Madame [W] [M] épouse [Z] au montant mensuel du loyer indexé et des charges qui auraient été dus en cas de non-résiliation du bail, à compter de la résiliation du bail, au besoin CONDAMNONS in solidum Monsieur [P] [Z] et Madame [W] [M] épouse [Z] à verser à la SA ICF La Sablière ladite indemnité mensuelle à compter du mois de mars 2024 et jusqu'à complète libération des lieux caractérisée par la remise des clés au bailleur ou à son mandataire, un procès-verbal d'expulsion ou de reprise, avec intérêts au taux légal à compter de l'exigibilité de chacune des échéances ;

DISONS que l'indemnité d'occupation sera due au prorata temporis et payable à terme et au plus tard le dernier jour de chaque mois ;
Dans l'hypothèse où l'un des occupants quitte définitivement les lieux avant l'autre et justifie dûment de ce départ, CONDAMNONS seul celui qui resterait seul dans les lieux à payer l'intégralité de l'indemnité d'occupation telle que ci-dessus fixée, à compter du départ de l'autre occupant et jusqu'à son propre départ effectif des lieux ;
DEBOUTONS en ce cas la SA ICF La Sablière de sa demande d'astreinte pour quitter les lieux ;
DEBOUTONS la SA ICF La Sablière de sa demande de dommages-intérêts ;
CONDAMNONS in solidum Monsieur [P] [Z] et Madame [W] [M] épouse
[Z] au paiement des dépens qui comprendront le coût du commandement de payer du 11 octobre 2023, de l'assignation et de sa dénonciation à la préfecture ;
DEBOUTONS la SA ICF La Sablière de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
RAPPELONS que la présente décision est assortie de plein droit de l'exécution provisoire.
LA GREFFIÈRELA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bobigny
Formation : Chambre 22 / proxi référé
Numéro d'arrêt : 24/00200
Date de la décision : 19/04/2024
Sens de l'arrêt : Expulsion "conditionnelle" ordonnée en référé avec suspension des effets de la clause résolutoire

Origine de la décision
Date de l'import : 27/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-19;24.00200 ?
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