TRIBUNAL JUDICIAIRE
de BOBIGNY
JUGEMENT CONTENTIEUX DU 10 AVRIL 2024
Chambre 21
AFFAIRE: N° RG 21/01282 - N° Portalis DB3S-W-B7F-U4P6
N° de MINUTE : 24/00188
Madame [Y] [Z]
née le [Date naissance 3] 1976 à [Localité 12] (ITALIE)
[Adresse 5]
[Adresse 5]
représentée par Me Sylvie VERNASSIERE de la SELARL VERNASSIERE HUDSON AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B1163
DEMANDERESSE
C/
S.A. AEROPORTS DE [Localité 13]
[Adresse 1]
[Localité 7]
représentée par Me Eva MARQUET de la SELARL CABOUCHE & MARQUET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0531
S.A.S. GROUPE EUROPE HANDLING venant aux droits de la Société GH TEAM CARGO SERVICES venant elle-même aux droits de la Société SERVISAIR FRANCE anciennement PENAUILLE SERVISAIR [Localité 14] devenue DERICHEBOURG PROPRETE.
[Adresse 6]
[Localité 7]
représentée par Me Isabelle GUENEZAN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0725
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DES [Localité 10]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Maher NEMER de la SELARL BOSSU & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R295
S.A. AIG EUROPE SA
[Adresse 16]
[Adresse 16]
[Adresse 16]
représentée par Me Christophe ADRIEN de la SELARL ADRIEN & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1145
DEFENDEURS
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE [Localité 15]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
Non représentée
INTERVENANTE VOLONTAIRE
_______________
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Monsieur Maximin SANSON, Vice-Président, statuant en qualité de juge unique, conformément aux dispositions de l’article 812 du code de procédure civile, assisté aux débats de Madame Maryse BOYER, greffière.
DÉBATS
Audience publique du 14 Février 2024.
JUGEMENT
Rendu publiquement, par mise au disposition au greffe, par jugement réputé contradictoire et en premier ressort, par Monsieur Maximin SANSON, Vice-Président, assisté de Madame Maryse BOYER, greffière.
****************
EXPOSE DU LITIGE
Le 18 octobre 2005, Madame [Y] [Z], salariée de la Société AIR FRANCE, a chuté sur le sol du terminal 2C de l’aéroport [9].
A la suite de cet accident, Madame [Y] [Z] a initié plusieurs liens d’instance, dont le détail ne présente pas d’intérêt pour le cas d’espèce, mais dont il importe néanmoins de présenter les grands jalons.
Tout d’abord, deux expertises ont été rendues, l’une, avant consolidation, a été confiée le 4 juillet 2007 au Docteur [S] par le tribunal de grande instance de Créteil, le rapport ayant été rendu le 5 novembre 2007, et l’autre, après consolidation, qui a été confiée le 22 octobre 2009 au Professeur [T], lequel a rendu son “rapport définitif” le 20 avril 2011, avant de rendre une version complétée de ce rapport le 22 juillet 2011.
Une deuxième procédure a été initiée devant le tribunal de grande instance de Paris en ouverture de rapport, à l’encontre de la Société Aéroport de [Localité 13] et de la Société PENAUILLE SERVISAIR [Localité 14]. Cette juridiction a jugé que la question de la responsabilité de la Société Aéroport de [Localité 13] ne relevait pas de la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire et, pour le surplus, a fini par prononcer la radiation de la procédure.
La Société Aéroport de [Localité 13] a alors été attraite devant le tribunal administratif de Cergy, lequel s’est déclaré incompétent territorialement au profit du tribunal administratif de Montreuil. Ce dernier, par une décision du 13 janvier 2022, s’est déclaré incompétent concernant les demandes dirigées à l’encontre de la Compagnie AIG EUROPE SA et a débouté Madame [Y] [Z] de ses demandes à l’encontre de la Société Aéroport de [Localité 13], le tribunal estimant que la preuve de la faute de cette personne morale n’était pas rapportée.
Une quatrième procédure a été initiée les 2 et 24 juin 2020 devant le tribunal judiciaire de Pontoise à l’encontre de la Société AEROPORTS DE [Localité 13], de la Société GROUPE EUROPE HANDLING, de la Société AIG EUROPE SA et de la CPAM des [Localité 10].
Par décision du 26 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Pontoise s’est déclaré territorialement incompétent au profit du tribunal judiciaire de Bobigny, et c’est dans ces conditions que le tribunal de céans a été saisi.
Par conclusions en date du 15 septembre 2021, la CPAM de [Localité 15] est intervenue volontairement dans cette procédure.
Dans le dernier état de ses demandes, Madame [Y] [Z] sollicite du tribunal de :
- débouter les sociétés AEROPORTS DE [Localité 13] et AIG EUROPE de leurs demandes ;
- ordonner la mise hors de cause de la SAS GROUPE EUROPE HANDLING venant aux droits de la SA GH TEAM CARGO SERVICES venant elle-même aux droits de la Société PENAUILLE SERVISAIR [Localité 14] ;
- dire que le sol, instrument du dommage, sur lequel a chuté Madame [Y] [Z] le 18 octobre 2005, présentait un caractère anormalement glissant du fait de la présence abondante de cire ;
- dire que la société ETABLISSEMENTS PENAUILLE devenue DERICHEBOURG PROPRETE détenait la garde exclusive du sol anormalement glissant et que sa responsabilité est engagée sur le fondement de l’article 1242 alinéa 1er du code civil ;
- dire que la société AIG EUROPE prise en sa qualité d’assureur de la société ETABLISSEMENTS PENAUILLE devenue DERICHEBOURG PROPRETE sera condamnée en application de l’article 124-3 alinéa 1er du code des assurances à indemniser Madame [Y] [Z] de l’ensemble de ses préjudices ;
- condamner la société AIG EUROPE à lui payer :
- 419,50 € : DPA ;
- 9.124,55 € : frais divers ;
- 17.930,80 € : frais de véhicule adapté ;
- 55.836 € : TPT ;
- 843.868,96 € : TPP ;
- 4.100,09 € PGPA ;
- 146.805,82 € : PGPF ;
- 320.513,76 € : IP ;
- 22.107,60 € : DFT ;
- 50.000 : SE ;
- 5.000 € : PET ;
- 144.000 € : DFP ;
- 25.000 € : PA ;
- 19.000 € : PEP ;
- 30.000 € : préjudice sexuel ;
- 30.000 € : préjudice d’établissement ;
- ordonner le sursis à statuer sur les dépenses de santé futures et les frais d’aménagement de logement adapté dans l’attente de la production de devis ;
- ordonner la capitalisation des intérêts au double du taux légal sur le fondement de l’article 1343-2 du code civil ;
- condamner la Société AIG EUROPE à lui payer la somme de 4.200 € au titre de l’article 700 du CPC, outre les dépens lesquels comprendront les frais d’expertise judiciaire ;
- déclarer la décision commune et opposable à la CPAM des [Localité 10].
Au soutien de ses prétentions, la demanderesse fait valoir qu’il importe peu qu’elle ait fait assigner la société GROUPE EUROPE HANDLING et non la société ETABLISSEMENTS PENAUILLE puisque la société AIG EUROPE est l’assureur de ces deux sociétés et qu’elle dispose à l’encontre de cet assureur d’une action directe.
S’agissant de la mise hors de cause de la société GROUPE EUROPE HANDLING, elles est justifiée par la démonstration par la société AEROPORTS DE [Localité 13] du fait que la prestation de nettoyage des terminaux aéroportuaires avait été confiée à la société ETABLISSEMENT PENAUILLE et non à la société GROUPE EUROPE HANDLING.
S’agissant de la demande présentée in limine litis d’annulation de l’expertise post-consolidation du Professeur [T], formulée tant par la société AEROPORTS DE [Localité 13] que par la société AIG EUROPE, la demanderesse reproche aux concluantes d’avoir formulé cette demande en dehors de toute défense au fond. A titre subsidiaire, la demanderesse fait valoir que le fait pour l’expert d’avoir répondu aux dires de certaines parties après la remise de son rapport ne cause pas de grief aux parties puisque cela a permis de respecter le contradictoire. S’agissant à présent de l’impartialité de l’expert, la demanderesse reproche aux concluantes de ne pas démontrer une véritable cause de partialité et fait observer qu’elles n’ont pas demandé la récusation de cet expert devant le juge chargé du contrôle des expertises.
En ce qui concerne la question de la responsabilité, Madame [Y] [Z] expose qu’elle a produit plusieurs éléments probants, à savoir un rapport d’accident du travail établi par sa hiérarchie, outre des attestations produites par plusieurs de ses collègues, l’origine de ces attestations s’expliquant par la localisation de l’accident, survenu sur le lieu de travail. La demanderesse fait également valoir que le fait que certaines des attestations produites ne respectent pas le formalisme de l’article 202 du CPC n’empêche pas de les assimiler à des courriers versés aux débats, rien ne permettant par ailleurs de douter de leur crédibilité. La demanderesse ajoute que le fait qu’une attestation ait mentionné la présence d’eau alors que l’autre a mentionné la présence d’huile s’explique par l’heure tardive de l’accident et la ressemblance entre ces deux éléments. Enfin, Madame [Y] [Z] expose que la matérialité de l’accident a été admise par la CPAM, qui a reconnu l’existence d’un accident du travail.
En ce qui concerne l’anormalité de la chose, Madame [Y] [Z] rappelle que la présence d’un produit glissant doit conduire la personne à l’origine de cette contamination à en signaler la présence. Or, à la date à laquelle est survenu l’accident, la Société AEROPORTS DE [Localité 13] avait mandaté la Société ETABLISSEMENT PENAUILLE aux fins de procéder au nettoyage de la zone dans laquelle la victime a chuté, ce qui a eu pour effet de transférer à cette dernière société la garde du sol.
Enfin, Madame [Y] [Z] conteste toute faute de sa part : un lieu rendu anormalement glissant, qui plus est éclairé seulement par une lumière artificielle, nécessite une signalisation adéquate, le fait pour la victime de travailler habituellement sur le lieu de l’accident n’ayant aucun caractère exonératoire de responsabilité, tout comme la notion “d’usager normalement attentif” évoquée par le TA de Montreuil est une pure notion de droit administratif, inopérante dans le cas d’espèce.
S’agissant des éléments relatifs aux postes de préjudice pris un à un, le tribunal renvoie à sa motivation, si toutefois il doit retenir la responsabilité d’une défenderesse.
Dans le dernier état de ses demandes, la Société AIG EUROPE SA sollicite du tribunal de :
- avant toute défense au fond, juger que le rapport d’expertise judiciaire du Docteur [T] est entaché de nullité et, en conséquence, rejeter toutes demandes dirigées contre elle qui serait fondée sur ce rapport et la mettre ainsi hors de cause ;
- à titre préalable :
- juger que la société PENAUILLE SERVISAIR [Localité 14], dans les droits de laquelle est venue la société G TEAM CARGO, et dans les droits de laquelle viendrait désormais, selon Madame [Y] [Z], la société GROUPE EUROPE HANDLING, n’est pas le cocontractant de AEROPORTS DE [Localité 13] au titre du marché de prestations de nettoyage ;
- juger que la société distincte ETABLISSEMENTS PENAUILLE, titulaire du marché de prestations de nettoyage, n’a jamais été attraite au fond ;
- juger que la société GROUPE EUROPE HANDLING soutient en outre ne pas venir dans les droits de la société G TEAM CARGO ;
- juger que la Compagnie AIG EUROPE SA a été attraite devant la présente juridiction en qualité d’assureur de la société GROUPE EUROPE HANDLING “venant dans les droits de G TEAM CARGO” non concernée par cette affaire ;
- juger que c’est plus de dix ans après sa consolidation que Madame [Y] [Z] a exercé son action contre la Compagnie AIG EUROPE en sa qualité d’assureur de la société ETABLISSEMENT PENAUILLE ;
- à titre principal :
- juger que Madame [Y] [Z] ne rapporte pas la preuve qui lui incombe du caractère anormal du sol sur lequel elle prétend avoir chuté ;
- en conséquence, débouter Madame [Y] [Z] et la CPAM de [Localité 15] de leurs demandes contre elle ;
- débouter la société AEROPORTS DE [Localité 13] de son recours en garantie en ce qu’il est dirigé contre la Compagnie AIG EUROPE SA, Madame [Y] [Z] ne formulant plus de demande à l’encontre de la Société AEROPORTS DE [Localité 13] ;
- mettre hors de cause la Compagnie AIG EUROPE SA ;
- à titre subsidiaire :
- juger que Madame [Y] [Z] a commis une faute d’imprudence exclusive avec sa chute ou, à toute le moins, ayant concouru à son préjudice ;
- juger que les conclusions du Dr [T] sont contestables car manquant de fiabilité et d’objectivité ;
- juger que Madame [Y] [Z] se fonde exclusivement sur le rapport du Dr [T] ;
- juger que Madame [Y] [Z] ne rapporte pas la preuve des PGPA, PGPF, de l’IP ;
- juger que le poste du DFTT ne peut dépasser la somme de 1.131 €, que celui du DFTP ne peut excéder la somme de 3.021,20 €, que celui des frais d’aménagement de véhicule ne peut excéder la somme de 4.231,60 €, que la preuve de la TPT n’est pas rapportée ou, à toute le moins, que son montant ne peut dépasser la somme de 10.081,50 €, que la preuve de la TPP n’est pas rapportée ou, à tout le moins, que son montant ne peut dépasser la somme de 137.128,70 €, que l’évaluation du DFP faite par le Dr [T] à hauteur de 40 % est contestable et doit être ramenée à 10 %, conformément à l’évaluation de la CPAM, et que le DFP doit donc être évalué à la somme de 20.350 €, qu’elle ne rapporte pas la preuve d’un préjudice d’agrément à hauteur de 25.000 €, son montant ne pouvant pas dépasser la somme de 2.000 €, qu’elle ne rapporte pas la preuve d’un préjudice esthétique permanent, ni d’un préjudice d’établissement, ni d’un préjudice sexuel à hauteur de 30.000 €, ce dernier ne pouvant excéder la somme de 5.000 € ;
- en conséquence :
- débouter Madame [Y] [Z] et la CPAM de [Localité 15] de leurs demandes en raison de la faute d’imprudence de la demanderesse ;
- à titre subsidiaire, débouter Madame [Y] [Z] et la CPAM de [Localité 15] de leur part contributive résultant de la faute d’imprudence de la demanderesse ;
- tenir compte des demandes de rejet des postes de préjudice non prouvés et des demandes de limitation de postes énumérées plus haut, certains postes étant cependant différemment évalués dans cette partie des conclusions, à savoir : le DFTP qui ne saurait excéder 1.890,20 € (et non plus 3.021,20 €), et le poste des souffrances endurées étant abordé pour la première fois, la concluante demandant à ce qu’il soit limité à la somme de 2.126 € ;
- déduire des postes de préjudice les sommes perçues par Madame [Y] [Z] au titre de la rente accident du travail et des arrérages échus à hauteur de 52.580,75 € telle qu’arrêtée au 23 août 2021 par la CPAM dans sa créance définitive ;
- débouter la société AEROPORTS DE [Localité 13] de son recours en garantie à son encontre ;
- en toute hypothèse :
- rejeter toute demande au titre de l’article 700 du CPC ;
- condamner Madame [Y] [Z] à lui payer la somme de 10.000 € en application de l’article 700 du CPC, ainsi qu’aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, la concluante fait savoir qu’elle s’associe à l’argumentation développée par la société AEROPORTS DE [Localité 13] concernant la nullité du rapport d’expertise, argumentation largement fondée sur un non-respect du principe du contradictoire par l’expert. La concluante fait également valoir que la demande de nullité a été formée dans le cadre de sa défense au fond et in limine litis, de sorte qu’elle est recevable.
La compagnie AIG EUROPE reproche également à la demanderesse de l’avoir assignée en qualité d’assureur d’une partie qui n’était pourtant pas en charge des prestations de nettoyage sur le site d’AEROPORTS DE [Localité 13], la demanderesse l’ayant assignée en qualité d’assureur de la société GROUPE EUROPE HANDLING venant aux droits de la société G TEAM CARGO venant aux droits de la société PENAUILLE SERVISAIR [Localité 14], alors que Madame [Y] [Z] n’ignorait plus depuis la décision rendue dans une autre instance l’opposant déjà aux mêmes parties que la titulaire du marché de nettoyage était la société ETABLISSEMENTS PENAUILLE. Cette erreur est jugée d’autant mois compréhensible par la concluante que cette erreur de la demanderesse consistant à attraire dans la cause la société PENAUILLE SERVISAIR [Localité 14] a été reproduite tant devant le TGI de Paris, que devant le TA de Montreuil puis devant le TJ de Pontoise ; et ce n’est que par conclusions du 25 octobre 2022, soit plus de 10 ans après la consolidation de son dommage, que Madame [Y] [Z] a formé des demandes à l’encontre de la compagnie AIG EUROPE en sa qualité d’assureur de la société ETABLISSEMENTS PENAUILLE.
A titre principal, la compagnie AIG EUROPE reproche à Madame [Y] [Z] de ne pas rapporter la preuve du caractère anormal de la chose inerte, puisqu’elle fonde sa demande exclusivement sur deux attestations de ses collègues et sur un rapport d’accident du travail qui reprennent purement et simplement ses propres déclarations. S’agissant de la troisième attestation rédigée par Monsieur [W], la concluante fait observer que ce dernier n’a pas vu la chute. De plus, la concluante fait valoir que les attestations sont irrecevables en la forme et qu’elles manquent de fiabilité, de sorte qu’elles sont impropres à déterminer les circonstances exactes de la chute litigieuse puisque le débat reste totalement ouvert en ce qui concerne la provenance et la nature de la flaque sur laquelle la demanderesse aurait glissé, cette faiblesse probatoire ayant d’ailleurs déjà été pointée par le tribunal administratif de Montreuil.
A titre subsidiaire, la compagnie AIG EUROPE reproche à Madame [Y] [Z] d’avoir commis une faute puisqu’elle avait une parfaite connaissance du lieu sur lequel elle exerçait son métier depuis plus de deux années et que, de surcroît, la flaque a été décrite comme “non-négligeable”, ce qui la rendait visible aux yeux d’un observateur normalement attentif.
S’agissant des discussions portant sur les dommages revendiqués par Madame [Y] [Z], le tribunal les abordera dans le corps de sa décision, s’il identifie une faute imputable à une ou plusieurs défenderesses.
Dans le dernier état de ses demandes, la société GROUPE EUROPE HANDLING sollicite du tribunal de juger qu’elle ne vient pas aux droits de la société G TEAM CARGO SERVICES et de prononcer sa mise hors de cause. Elle sollicite également la condamnation solidaire de Madame [Y] [Z] et de la Société AIG EUROPE SA à lui payer la somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du CPC.
Au soutien de ses prétentions, la concluante fait valoir qu’elle n’a pas pour activité le nettoyage de zones aéroportuaires, son activité se limitant à l’assistance technique au sol des compagnies aériennes. En effet, cette activité résulte de la reprise partielle des actifs de la société G TEAM CARGO SERVICES au moment du redressement judiciaire de cette dernière le 5 décembre 2017, la concluante n’ayant repris que cette activité d’assistance au sol, comme l’indique le jugement du tribunal de commerce de Bobigny, de sorte qu’il est inexact de prétendre qu’elle vient aux droits de la société G TEAM CARGO SERVICES puisque cette reprise ne porte que sur l’activité cédée.
La Société AEROPORTS DE [Localité 13] sollicite du tribunal de :
- déclarer nul et/ou écarter des débats le rapport d’expertise judiciaire déposé par le Docteur [T] ;
- débouter Madame [Y] [Z] de ses demandes ;
- subsidiairement, en cas de condamnations :
- ramener les demandes de Madame [Y] [Z] à de plus justes proportions ;
- condamner le cas échéant la compagnie AIG EUROPE à la garantir et la relever indemne de toute condamnation qui serait prononcée à son encontre au bénéfice de Madame [Y] [Z] et de la CPAM ;
- en toute hypothèse, condamner Madame [Y] [Z] et/ou toutes autres parties succombantes à lui payer une somme de 10.000 € en application de l’article 700 du CPC, outre les dépens.
Au soutien de ses prétentions, la société AEROPORTS DE [Localité 13] fait valoir que le rapport d’expertise souffre de plusieurs irrégularités, à savoir une violation du principe de la contradiction que l’expert a tenté de régulariser alors qu’il n’était plus saisi, puisque son rapport définitif avait déjà été rendu. De plus et sur le fond de l’expertise, la concluante reproche à l’expert un positionnement médical non consensuel relatif à l’existence d’un syndrome génétique d’Ehlers-Danlos qui se serait révélé du fait de la chute litigieuse, cette conclusion médicale ayant déjà été retenue par l’expert dans un autre instance, ce positionnement non consensuel ayant conduit la Cour d’appel de CAEN à annuler l’expertise en raison des débats scientifiques entourant une telle conclusion.
Si une condamnation venait à être prononcée à son encontre et en lien avec un défaut de signalisation d’une zone de nettoyage, alors la société AEROPORTS DE [Localité 13] sollicite la condamnation de la société AIG EUROPE à l’en relever, puisqu’il est démontré que cette compagnie d’assurance est bien l’assureur de la société ETABLISSEMENT PENAUILLE nouvellement dénommée DERICHEBOURG PROPRETE et que c’est bien cette dernière société qui était titulaire du marché de nettoyage en cause.
Dans le dernier état de ses conclusions, la CPAM de [Localité 15] sollicite du tribunal de :
- condamner solidairement la SA G TEAM CARGO SERVICES et son assureur AIG EUROPE à lui payer la somme de 52.580,75 € avec intérêts au taux légal à compter de la demande ;
- condamner solidairement les mêmes à lui payer la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du CPC, outre les dépens dont distraction au profit de la SELARL BOSSU & ASSOCIES ;
- ordonner l’exécution provisoire.
Au soutien de ses prétentions, la CPAM de [Localité 15] expose qu’elle est la CPAM de Madame [Y] [Z], et elle produit aux débats une attestation détaillant les sommes ainsi dépensées pour Madame [Y] [Z].
La CPAM des [Localité 10] n’a pas constitué avocat et n’a pas conclu.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 10 octobre 2023 et les plaidoiries ont été fixées à l’audience du 14 février 2024, date à laquelle les parties ont comparu et ont plaidé, à l’exception de la CPAM des [Localité 10].
Lors de l’audience de plaidoiries, le tribunal a interrogé les parties pour savoir si, dans l’hypothèse d’une annulation de l’expertise post-consolidation, elles souhaitaient bénéficier d’une nouvelle mesure d’expertise : Madame [Y] [Z] a indiqué qu’elle ne le souhaitait pas, faisant l’hypothèse d’une validité de l’expertise critiquée ; la Société AIG EUROPE SA a également indiqué ne pas souhaiter de nouvelle expertise, au motif qu’elle n’était pas en demande.
Le tribunal a également demandé à la Société AIG EUROPE SA si sa prétention consistant à faire juger que c’est plus de dix ans après sa consolidation que Madame [Y] [Z] a exercé son action contre la Compagnie AIG EUROPE en sa qualité d’assureur de la société ETABLISSEMENT PENAUILLE constituait une demande au sens du code de procédure civile et la Société AIG EUROPE SA a répondu qu’il ne s’agissait en effet pas d’une demande au sens procédural du terme.
A l’issue des débats, la décision a été mise en délibéré au 10 avril 2024, les parties étant avisées de la mise à disposition au greffe de la décision.
MOTIFS
In limine litis, sur la question de la nullité de l’expertise post-consolidation
L’article 276 du code de procédure civile énonce que l'expert doit prendre en considération les observations ou réclamations des parties, et, lorsqu'elles sont écrites, les joindre à son avis si les parties le demandent.
Toutefois, lorsque l'expert a fixé aux parties un délai pour formuler leurs observations ou réclamations, il n'est pas tenu de prendre en compte celles qui auraient été faites après l'expiration de ce délai, à moins qu'il n'existe une cause grave et dûment justifiée, auquel cas il en fait rapport au juge.
Lorsqu'elles sont écrites, les dernières observations ou réclamations des parties doivent rappeler sommairement le contenu de celles qu'elles ont présentées antérieurement. A défaut, elles sont réputées abandonnées par les parties.
L'expert doit faire mention, dans son avis, de la suite qu'il aura donnée aux observations ou réclamations présentées.
L’article 114 du même code énonce qu’aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public.
La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public.
L’article 276 précité s’interprète en ce sens que l'inobservation de l’une de ses formalités, lesquelles ont un caractère substantiel, n'entraîne la nullité de l'expertise qu'à charge pour la partie qui l'invoque de prouver le grief que lui cause cette irrégularité.
S’agissant de l’irrecevabilité de la demande de nullité de l’expertise mise en avant par la demanderesse, c’est à bon droit que la Société AIG EUROPE SA la conteste puisque, contrairement à ce que soutient Madame [Y] [Z], la Société AIG EUROPE SA formule bien cette demande de nullité dans le cadre d’une défense au fond et in limine litis.
Quant au fait que la Société AEROPORTS DE [Localité 13] a comme demande principale la nullité de cette même expertise, cela est dû à l’absence de demande à son encontre par la demanderesse elle-même, absence de demande qui se justifie par le fait que la responsabilité de la Société AEROPORTS DE [Localité 13] relève des juridictions administratives et que cette question de sa responsabilité a d’ailleurs déjà été définitivement jugée, à l’initiative de la demanderesse, par le tribunal administratif de Montreuil. Madame [Y] [Z], qui n’aurait donc pas dû réassigner la Société AEROPORTS DE [Localité 13] devant une juridiction judiciaire a donc manifestement tenu compte de la particularité publique de cette société en renonçant à former à son encontre des demandes. Dès lors, elle ne peut pas lui reprocher de ne pas avoir de défense au fond puisque cette situation est le fait même de la demanderesse.
Au total, il n’existe donc pas de cause d’irrecevabilité affectant l’exception de nullité soutenue par la Société AEROPORTS DE [Localité 13] et par la Société AIG EUROPE SA.
En ce qui concerne à présent la cause de nullité liée à l’absence éventuelle de respect du contradictoire par le Professeur [T], le tribunal constate que cet expert a été désigné pour réaliser l’expertise post-consolidation de Madame [Y] [Z] par ordonnance du 22 octobre 2009. Le 15 janvier 2010, le Professeur [T] a fait participer les parties à une réunion tenue à l’[11] à [Localité 13], réunion qui a rassemblé les Docteurs [A], [C] et Maître [B]. Un rapport provisoire a ensuite été envoyé aux parties le 25 janvier 2011. Des dires ont alors été établis par les Docteurs [A] et [R] et par Maîtres [B] et [N]. Le reproche qui est adressé à l’expert est d’avoir déposé son rapport définitif le 20 avril 2011, sans avoir répondu aux dires de la Société DERICHEBOURG PROPRETE et de la Société AEROPORTS DE [Localité 13]. Enfin, le 22 juillet 2011, le Professeur [T] a déposé un nouveau rapport qu’il décrit comme “largement complété” (rapport d’expertise du 22 juillet 2011, page 2), ce rapport ayant répondu aux deux dires auxquels il n’avait pas été répondu, mais ce complément ayant été apporté sans avoir sollicité préalablement le juge chargé du contrôle des expertises d’une demande d’autorisation. La violation du principe du contradictoire au moment du dépôt du rapport “définitif” a été ainsi justifiée par l’expert dans ce rapport complémentaire du 22 juillet 2011 : “nous avons fait de notre mieux pour répondre, même tardivement (les dires ne m’étaient pas parvenus du fait d’une mauvaise transmission dont je suis responsable” (rapport du 22 juillet 2011, page 2). Sur le fond, l’expert a ajouté : “je maintiens mes conclusions diagnostiques et accidentologiques initiales. Je suis conscient de la nouveauté et de la complexité du dossier ? Aussi, je me propose d’être présent à l’audience pour répondre en direct aux questions des magistrats et des avocats”.
Le premier reproche adressé à l’expert par la Société AEROPORTS DE [Localité 13] et par la Société AIG EUROPE SA consiste donc à ne pas avoir respecté le contradictoire à l’occasion du dépôt de son rapport définitif. Ce constat est exact et la juridiction rejoint les défenderesses dans leur appréciation : l’absence de réponse à un dire est un manquement grave de l’expert à ses devoirs, le principe de la contradiction étant une vertu cardinale, tant pour l’expertise que pour une décision de justice.
S’agissant à présent du complément d’expertise apporté d’autorité par l’expert le 22 juillet 2011, les défenderesses lui dénient toute valeur juridique puisque le dépôt de son rapport définitif avait dessaisi le Professeur [T] et qu’il ne pouvait donc pas s’octroyer le droit de compléter son rapport. Là encore, ce constat est exact et il est clair que le seul cheminement procédural incontestable aurait consisté à saisir le juge chargé du contrôle des expertises pour l’informer de l’absence de réponse à deux dires et solliciter auprès de lui la possibilité de compléter son rapport initial. A ce stade du raisonnement, le tribunal note que, si le Professeur [T] avait ainsi sollicité ce complément d’expertise, et si le juge l’avait désigné pour procéder à ce complément, il ne fait pas de doute que l’expertise n’aurait plus encouru de nullité en lien avec une violation du principe de la contradiction.
La question qui se pose consiste donc à savoir si le fait, pour le Professeur [T], d’avoir agi d’autorité prive de toute portée son complément d’expertise du 22 juillet 2011.
Sur ce, le tribunal observe que les défenderesses ne reprochent pas à l’expert d’avoir procédé de manière autoritaire et isolée à de nouvelles opérations d’expertise, mais d’avoir complété son rapport initial en répondant à leurs dires. Si l’expert avait procédé à de nouvelles opérations d’expertise, cela n’aurait été possible qu’à la condition de les conduire de manière contradictoire et de rédiger un nouveau pré-rapport, de manière à permettre aux parties de rédiger de nouveaux dires. Mais, en limitant son complément à une réponse aux dires précis qui lui avaient été adressés, le Professeur [T] n’a fait que régulariser son erreur initiale et il n’est pas possible de considérer que, ce faisant, il aurait causé un grief à la Société AEROPORTS DE [Localité 13] ou à la Société AIG EUROPE SA puisqu’il a au contraire mis un terme à l’atteinte qu’il avait portée à leurs droits en ne leur répondant pas.
La Société AEROPORTS DE [Localité 13] reproche également au complément apporté par le Professeur [T] à son expertise d’avoir été réalisé “hors débat contradictoire et sans garantie d’impartialité et de neutralité”. Ce reproche ne peut cependant pas prospérer puisque l’expert n’a pas à procéder à un débat contradictoire pour répondre à un dire : en effet, à la condition expresse de limiter son complément à la réponse aux dires précédemment oubliés (et les défenderesses ne lui reprochent pas autre chose), le Professeur [T] pouvait agir dans le secret de son cabinet sans violer le principe de la contradiction, ce principe ne s’appliquant pas à l’ensemble des opérations d’expertise. S’agissant par ailleurs du respect par l’expert de son devoir d’impartialité et de neutralité, le fait d’avoir complété d’autorité son rapport ne le délie pas du serment qu’il a prêté en sa qualité d’expert près la Cour d’appel de Paris, agréé par la Cour de cassation. L’étendue de ses devoirs en la matière n’avait donc pas varié, avant et après le dépôt de son rapport dit “définitif”, et rien ne permet de soupçonner qu’il aurait violé son serment.
Le tribunal considère donc que le Professeur [T], en cantonnant ses ajouts faits d’autorité aux seules réponses apportées aux dires des parties, a régularisé l’atteinte qu’il avait portée au principe de la contradiction et que le fait d’avoir agi en dehors d’une autorisation judiciaire ne cause pas de grief aux parties, lesquelles avaient au contraire jusque là souffert de l’absence de réponse à leur dire.
Cette première cause de nullité de l’expertise est par conséquent écartée par le tribunal.
La Société AEROPORTS DE [Localité 13] adresse au Professeur [T] un second grief, dont le tribunal n’est pas totalement parvenu à saisir si la défenderesse en faisait une cause de nullité ou un simple argumentaire destiné à inciter le tribunal à ne pas retenir sur le fond les conclusions expertales, les conclusions de la défenderesse étant ambiguës à cet égard. Dans l’incertitude, et pour ne pas préjudicier aux droits de la concluante, le tribunal va d’abord aborder ce grief sous l’angle d’une possible cause de nullité, étant précisé qu’il l’abordera à nouveau au fond s’il y a lieu, c’est à dire dans l’hypothèse où une responsabilité serait retenue et où le tribunal aurait alors à évaluer les dommages subis par Madame [Y] [Z].
S’il est en effet loisible à une partie de solliciter l’annulation d’une expertise en raison de défauts importants affectant l’analyse conduite par l’expert, le tribunal observe que l’expertise rendue par le Professeur [T] ne présente aucun défaut de logique. Cette expertise recèle cependant une particularité puisqu’elle émane d’une part d’un praticien qui se décrit comme l’un des rares spécialistes d’un syndrome mal connu des médecins et qu’il a d’autre part conclu au fait que Madame [Y] [Z] était précisément victime de ce syndrome. Mais, sauf à démontrer l’inexistence de ce syndrome dans le répertoire de la médecine, preuve qui n’est pas rapportée, il n’est pas interdit à un expert de connaître une affection que les médecins conseil des parties ayant participé à l’expertise ne connaissent pas ; c’est même précisément le rôle attendu de l’expert médical, qui plus est agréé par la Cour de cassation, que de pouvoir dépasser le cadre d’analyse de ses pairs. C’est d’ailleurs le sens des développements médicaux très riches qui sont contenus dans l’expertise, le Professeur [T] déclarant que sa tâche était rendue difficile par le fait que le corps médical connaît mal le syndrome litigieux et que les médecins non spécialistes ont tendance à affecter à des causes psychologiques les ressentis douloureux de leurs patients lorsqu’ils n’en comprennent pas l’origine.
Le tribunal convient cependant que la rareté du syndrome décrit par le Professeur [T] aurait pu conduire le tribunal à s’écarter de sa pratique ordinaire : eu égard aux enjeux financiers importants du cas d’espèce (avec des demandes proches de 1,6 million d’euros), et même en l’absence d’erreurs de logique internes au rapport d’expertise ou d’erreur sur le fond, le tribunal aurait ainsi pu envisager de faire droit à une demande de contre-expertise confiée à un collège d’experts, dont le Professeur [T], de manière à confronter une nouvelle fois ses conclusions à celles d’autres experts en la matière. Mais le tribunal observe que, non seulement la demande ne lui a pas été faite, mais encore que, à la question ouvertement soulevée à l’audience par le tribunal, les parties qui ont choisi de s’exprimer ont fait savoir qu’elles ne souhaitaient pas une nouvelle mesure d’expertise.
En conséquence, alors que le tribunal ne voit rien qui, dans l’expertise, permettrait de douter de la compétence du Professeur [T] et alors qu’aucune demande de contre-expertise n’a été formulée par les parties, il n’existe pas de motif valable de mettre en échec l’expertise conduite par ce praticien.
Au total, le tribunal déboute donc la Société AEROPORTS DE [Localité 13] et la Société AIG EUROPE SA de leur demande de nullité de l’expertise réalisée par le Professeur [T].
La Société AIG EUROPE SA doit être également déboutée de sa demande de débouté de Madame [Y] [Z] et de la CPAM de [Localité 15] et de sa demande de mise hors de cause en tant que conséquences de sa demande de nullité de l’expertise.
Sur la question de l’observation faite par la Société AIG EUROPE SA relative au fait qu’elle a été assignée en qualité d’assureur d’une partie qui n’était pas en charge des prestations de nettoyage sur le site d’AEROPORTS DE [Localité 13] et qu’elle n’a été assignée en qualité d’assureur de l’entreprise effectivement chargée du nettoyage que plus de dix années après la consolidation de la demanderesse
Ainsi que cela a été rappelé dans l’exposé du litige, la Société AIG EUROPE SA a reconnu lors de l’audience de plaidoiries que cette prétention, qui figure tant dans la motivation que dans le dispositif de ses conclusions, ne constituait pas une demande au sens du code de procédure civile, de sorte que le tribunal n’a pas à se prononcer sur cette observation.
Sur la demande de mise hors de cause de la société GROUPE EUROPE HANDLING
C’est à tort que la société GROUPE EUROPE HANDLING a été attraite dans la cause par Madame [Y] [Z], puisqu’il n’est contesté par aucune partie que cette société n’était pas titulaire du marché de nettoyage et que la demanderesse attribue à cette prestation de nettoyage la contamination du sol par une substance glissante et sa chute.
Au demeurant, Madame [Y] [Z] sollicite désormais elle-même cette mise hors de cause de la Société GROUPE EUROPE HANDLING.
En revanche, il est encore une partie qui demande la condamnation de la Société GROUPE EUROPE HANDLING, et c’est la CPAM de [Localité 15].
Néanmoins, le tribunal observe que la CPAM de [Localité 15] n’argumente en aucune façon pour exposer en quoi la Société GROUPE EUROPE HANDLING devrait avoir à répondre d’un défaut éventuel de signalisation d’un sol anormalement glissant, et ce alors qu’il a été démontré qu’elle n’était pas en charge du marché du nettoyage du sol des aérogares de [Localité 14].
Il y a donc lieu de mettre hors de cause la Société GROUPE EUROPE HANDLING.
Sur la question de la responsabilité du fait des choses en lien avec un sol anormalement glissant
L’article 1242 du code civil énonce notamment que l’on est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde.
Dans le cas d’espèce, Madame [Y] [Z] produit à l’appui de sa demande plusieurs pièces probantes :
- un document intitulé “rapport d’accident de travail” portant le sigle de l’employeur de Madame [Y] [Z], la société AIR FRANCE (pièce en demande n° 1) ;
- une attestation établie par Melle [V] (pièce en demande n° 2) ;
- une attestation établie par Melle [U] (pièce en demande n° 3) ;
- et une attestation établie par M [W] (pièce en demande n° 4).
Le “rapport d’accident de travail” est malheureusement difficilement lisible, tant l’encre utilisée est pâle. Il est néanmoins possible d’y lire que “Madame [Y] [Z]” est la personne accidentée, que l’accident a eu lieu le 18 octobre 2005 à 00h10, à la “porte EMB E91" dans le terminal 2C et que les circonstances sont les suivantes : “l’agent partait de la porte d’EMB après avoir terminé son vol AF256 lorsqu’elle a glissé sur une plaque de cire”. Le siège de la lésion est indiqué comme étant double : “colonne vertébrale” et “dorso-lombaire”. Il est encore indiqué que l’accident a été “constaté” “le 18 oct à 00h10", qu’il n’a pas fait d’autres victimes, qu’il n’a pas été causé par un tiers, et enfin que l’identité de la personne ayant constaté l’accident est “[X] [V]”.
Un courrier manuscrit rédigé par Madame [X] [V] forme la pièce n° 2. Si la pièce d’identité de la personne est jointe, ce courrier n’est pas daté et la mention de la peine encourue en cas de faux témoignage n’est pas non plus inscrite, Madame [V] ayant seulement indiqué que ce document était établi “pour faire valoir ce que de droit”. Il y est indiqué que la rédactrice a été un témoin direct des faits suivants : “nous revenions de la porte d’embarquement C91 afin de rejoindre notre salle de repli. Melle [Z] a alors glissé sur une flaque de cire non signalée (pas de panneau sol glissant ou autre). Le personnel de nettoyage sur la machine se trouvant assez loin, il n’a pas pu nous prévenir du danger”.
Un courrier manuscrit et daté du 25 avril 2006 a été rédigé par Madame [U] [I], qui forme la pièce n° 3. Là encore, si une pièce d’identité est jointe au courrier, la mention relative à la peine encourue en cas de faux témoignage n’est pas non plus rappelée. La rédactrice, qui se décrit également comme un témoin direct, écrit la chose suivante : “je (...) atteste avoir constaté la chute de ma consoeur à [9] le 18.10.05 dans la salle d’embarquement du terminal 2C de [9]. En effet, nous venions d’achever notre tâche d’embarquement d’un des vols du soir et nous dirigions vers la salle de repli, notre fin de vacation approchant. Des travaux de nettoyage étaient en cours, ce qui avait occasionné une flaque d’eau non négligeable au sol. C’est en glissant sur ce dépôt liquide que Melle a heurté le sol carrelé avec la hanche”.
Enfin, un courrier daté du mardi 20 mars (année illisible) a été rédigé par Monsieur [D] [W]. Là encore, la pièce d’identité est jointe mais le mention relative au faux témoignage est absente. Le rédacteur décrit la chose suivante : “je confirme le fait d’avoir conduit personnellement Melle [Z] à l’hôpital (clinique) de [Localité 8] dans la nuit du 17 au 18 octobre 2005, au vue qu’elle puisse y faire des radios, et ce avec sa voiture personnelle. Je l’ai ensuite reconduit chez elle et apporter à l’aide d’autres collègues les médicaments et nourriture qu’elle avait besoin, ne pouvant elle même se déplacer, au vue de son handicap survenu”.
En premier lieu, c’est à bon droit que les défenderesses reprochent aux trois attestations leur manque de formalisme au regard des exigences de l’article 202 du code de procédure civile, puisque ces documents ne mentionnent pas les éventuels liens unissant éventuellement leur rédacteur à Madame [Y] [Z], de même qu’ils ne mentionnent pas la peine encourue en cas de faux témoignage. Cependant, les dispositions de l’article 202 du code de procédure civile ne sont pas prescrites à peine de nullité et, en tout état de cause, quand bien même ces documents ne vaudraient pas à titre d’attestation, ils vaudraient à titre de lettre missive.
Il n’y a donc pas lieu d’écarter des débats ces attestations.
S’agissant à présent du contenu des quatre documents produits, le tribunal rejoint les défenderesses lorsqu’elles considèrent que le “rapport d’accident du travail” portant le logo d’AIR FRANCE n’apporte aucun élément supplémentaire par rapport aux attestations de Mesdames [V] et [U] puisque ce rapport n’est pas le fruit d’une enquête réalisée par la société AIR FRANCE mais la simple reprise du témoignage de Madame [V], sans aucun apport de la part de cette société. C’est de manière purement gratuite que Madame [Y] [Z] affirme, dans ses conclusions, que “l’employeur de Madame [Y] [Z] s’est nécessairement déplacé sur place pour vérifier les dires de la victime ; et ce d’autant plus qu’il est prévu une case dans le rapport d’accident du travail “enquête de service de prévention en cas d’accident du travail”“. L’intérêt probatoire de cette pièce n°1 par rapport au témoignage de Madame [V] - dont il est en réalité le pur reflet - est donc nul.
L’attestation de Monsieur [W] ne présente pas plus d’intérêt puisqu’il n’a pas assisté à l’accident lui-même.
Seules comptent donc les attestations établies par Mesdames [V] et [U], lesquelles se présentent toutes deux comme étant des témoins directs de l’accident de leur collègue, Madame [Y] [Z].
La Société AIG EUROPE SA reproche tout d’abord à l’attestation de Madame [V] de n’être pas datée, ce qui ne permet pas de vérifier l’époque à laquelle elle a été rédigée. Ce constat est exact et ce défaut ne peut pas être considéré comme négligeable, alors que le tribunal juge ce cas 18 ans après les faits et que le fait de pouvoir apprécier la fraîcheur d’un témoignage direct présente une importance certaine. Dans l’appréciation globale qui sera portée sur la crédibilité des faits rapportés, le tribunal retient donc ce défaut affectant la pièce en demande n° 2.
La Société AIG EUROPE SA reproche ensuite au témoignage de Madame [U] d’avoir été établi plus de 6 mois après les faits, pour avoir été rédigé le 25 avril 2006. Là encore, ce constat est exact même si cette ancienneté doit être relativisée. La précision de ce témoignage n’est pas telle que le passage d’un délai de six mois pourrait faire peser un doute sérieux sur la sincérité des faits qui y sont relatés. Le tribunal ne retient donc pas ce constat comme affectant réellement la portée de la pièce en demande n° 3.
La Société AIG EUROPE SA reproche également à ces deux témoignages d’émaner de collègues de Madame [Y] [Z], ce qui rendrait l’impartialité de leurs auteures sujette à caution. Le tribunal accorderait à l’évidence un poids plus important à des témoins qui seraient de parfaits étrangers pour Madame [Y] [Z], mais il convient en sens inverse de ne pas alourdir démesurément le fardeau de la preuve : si un salarié chute dans un cadre professionnel et donc aux côtés de ses collègues, le principe ne peut pas être d’exclure le témoignage de ces collègues. Tout en conservant en tête la distance critique qui doit accompagner le témoignage d’une personne connaissant la personne en faveur de qui le témoignage est porté, le tribunal garde donc la teneur des pièces en demande n° 2 et 3.
La société AIG EUROPE SA reproche encore aux témoignages de Mesdames [V] et [U] de se contredire quant à la date à laquelle l’accident est survenu, le premier retenant la date du 17 octobre 2005 alors que le second retient la date du 18 octobre 2005. Sur ce point, le tribunal ne peut pas suivre la défenderesse dans sa critique puisque cette discordance s’explique aisément eu égard à l’heure à laquelle l’accident est arrivé, à savoir entre 23h50 le 17 octobre 2005 et 00h10 le 18 octobre 2005.
La société AIG EUROPE SA observe encore que les deux témoins ne s’accordent pas sur la nature de la substance qui a contaminé le sol, Madame [V] faisant référence à une flaque de cire alors que Madame [U] fait référence à une flaque d’eau. Ce constat d’une différence est exact, et peut être apprécié différemment : d’un côté, il affaiblit la valeur des témoignages puisque le lecteur ne sait pas si le liquide présent au sol est de l’eau ou de la cire mais, d’un autre côté, il atteste du fait que les témoins n’ont pas recopié servilement une version unique des faits.
Le tribunal ajoute qu’il existe une autre différence entre ces deux témoignages puisque Madame [V] mentionne une “flaque de cire” sans précision quant à sa taille et le fait que “le personnel de nettoyage sur la machine se trouvant assez loin, il n’a pas pu nous prévenir du danger”, alors que Madame [U] précise que la “flaque d’eau” est de taille “non négligeable” et que “des travaux de nettoyage étaient en cours, ce qui avait occasionné une flaque d’eau non-négligeable au sol”. Ainsi, le témoignage de Madame [V] ne donne pas d’indication quant à la taille de la flaque et n’attribue pas nécessairement la présence de cette flaque à l’entreprise de nettoyage alors que le témoignage de Madame [U] qualifie cette flaque de “non-négligeable” et en attribue formellement la responsabilité à l’entreprise de nettoyage. A l’opposé, les deux témoignages concordent quant au fait qu’il n’y avait pas de signe avertisseur de la présence d’un liquide au sol.
Au total, le tribunal estime que Madame [Y] [Z] démontre avoir subi une chute dans le terminal 2C, dans la nuit du 17 au 18 octobre 2005, aux environs de minuit, alors qu’elle se rendait en salle de repli en compagnie de ses deux collègues, Mesdames [V] et [U]. Madame [Y] [Z] démontre également que sa chute a été causée par la présence au sol d’un liquide, de même qu’il est démontré qu’il n’existait pas de signe d’avertissement. Ces faits sont incontestablement constitutifs d’une faute en lien avec ses dommages.
Cependant, avant de pouvoir se prononcer sur la question des dommages subis par Madame [Y] [Z], le tribunal doit tout d’abord vérifier si la demanderesse rapporte la preuve que cette faute est imputable à l’une des personnes attraites dans la procédure et si elle n’a pas elle-même commis une faute qui exonèrerait partiellement ou totalement le responsable préalablement déterminé.
Or, s’agissant tout d’abord de l’imputabilité de la faute à l’une des personnes attraites dans la procédure, le tribunal constate que Madame [Y] [Z] ne démontre pas que l’entreprise de nettoyage vue sur zone par Mesdames [V] et [U] serait à l’origine de la présence au sol du liquide qui a causé sa chute, de même qu’elle ne démontre pas quelle était la nature du liquide répandu, ni la taille de la flaque ainsi formée.
En effet, le lien établi par Madame [U] entre l’entreprise de nettoyage et le liquide au sol ne se fonde sur rien d’autre que le ressenti de la témoin et la concomitance de la présence d’un employé de cette entreprise avec la chute de la demanderesse. Or, c’est un fait qu’il ne peut pas être exclu que la flatte a pu être composée d’eau, comme l’a d’ailleurs observé Madame [V], de même que la responsabilité d’un tiers qui ne serait pas l’entreprise de nettoyage ne peut pas non plus être exclue, en l’état des preuves rapportées par Madame [Y] [Z] : il est ainsi loisible d’imaginer qu’un voyageur en transit dans le terminal 2C a pu renverser de l’eau au sol.
Une fois encore, le tribunal doit veiller à ne pas imposer une charge de la preuve trop lourde à une partie. Mais, dans le cas d’espèce, les moyens de preuve ne manquaient pas, surtout pour une professionnelle connaissant bien les divers intervenants au sein d’une plate-forme aéroportuaire et pouvant de plus solliciter son employeur pour geler plusieurs pièces probantes potentielles. Plus concrètement, il était ainsi loisible à Madame [Y] [Z], entourée de deux collègues, de faire interpeler directement par l’une d’elles, la personne en charge du ménage pour lui faire constater son implication dans la chute. De même, dans la semaine suivant sa chute, la demanderesse pouvait, directement ou par l’intermédiaire de représentants du personnel, solliciter le gel de la vidéosurveillance couvrant la zone de sa chute, cette demande pouvant même transiter par son employeur, la société AIR FRANCE. Même sans songer au blocage de la vidéosurveillance, la demanderesse pouvait également demander à son employeur d’engager un dialogue avec la Société AEROPORTS DE [Localité 13] pour enquêter sur les causes de la présence au sol du liquide litigieux. De plus, et même à distance, il était loisible de solliciter AEROPORTS DE [Localité 13] pour vérifier si la zone litigieuse faisait bien l’objet d’un nettoyage au moment où elle a été empruntée par Madame [Y] [Z], connaître le matériel utilisé et les liquides utilisés. Enfin, surtout avec le concours de la société AIR FRANCE, il n’était pas compliqué de retrouver le salarié chargé du nettoyage de la zone le soir des faits, afin d’entendre son témoignage.
Ainsi, et bien qu’ayant pour souci de ne pas priver les victimes d’accident de leurs recours par une appréciation trop tatillonne de leur fardeau probatoire, le tribunal estime que Madame [Y] [Z] est loin d’avoir épuisé les possibilités probatoires qui étaient les siennes, ce que la juridiction administrative a d’ailleurs déjà souligné lorsqu’elle a débouté Madame [Y] [Z] de ses demandes formées à l’encontre de la Société AEROPORTS DE [Localité 13].
En conséquence, le tribunal juge que ni Madame [Y] [Z] ni la CPAM de [Localité 15] ne démontrent qui serait à l’origine de la contamination du sol sur lequel Madame [Y] [Z] a chuté, de sorte qu’elles doivent être déboutées de l’ensemble de leurs demandes formulées à l’encontre de la société AIG EUROPE SA prise en sa qualité d’assureur de la société ETABLISSEMENTS PENAUILLE devenue DERICHEBOURG PROPRETE.
Sur les demandes accessoires
Il convient de condamner in solidum Madame [Y] [Z] et la CPAM de [Localité 15], parties succombantes, aux entiers dépens de la présente procédure.
En revanche, eu égard à la disproportion des moyens économiques entre les parties, ainsi qu’au regard de la longueur du parcours procédural déjà emprunté par Madame [Y] [Z], l'équité commande de juger que chaque partie conservera la charge de ses frais irrépétibles non compris dans les dépens.
Le tribunal rappelle que l'exécution provisoire est de droit depuis les assignations délivrées à compter du 1er janvier 2020, et qu'il n'y a pas lieu d'en écarter l'application, eu égard aux délais déjà écoulés.
PAR CES MOTIFS,
Le Tribunal, statuant publiquement, par jugement réputé contradictoire, rendu en premier ressort, par mise à disposition au greffe,
DEBOUTE la Société AEROPORTS DE [Localité 13] et la Société AIG EUROPE SA de leur demande de nullité de l’expertise réalisée par le Professeur [T] ;
MET HORS DE CAUSE la Société GROUPE EUROPE HANDLING ;
JUGE que ni Madame [Y] [Z] ni la CPAM de [Localité 15] ne démontrent qui serait à l’origine de la contamination du sol sur lequel Madame [Y] [Z] a chuté, de sorte qu’elles doivent être déboutées de leurs demandes formulées à l’encontre de la société AIG EUROPE SA prise en sa qualité d’assureur de la société ETABLISSEMENTS PENAUILLE devenue DERICHEBOURG PROPRETE.
CONDAMNE in solidum Madame [Y] [Z] et la CPAM de [Localité 15] à supporter l'intégralité des dépens de la présente procédure ;
DIT que chaque partie conservera la charge de ses frais irrépétibles non compris dans les dépens en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE toute autre demande plus ample ou contraire ;
DIT n’y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire du présent jugement.
La minute a été signée par Monsieur Maximin SANSON, Vice-président et Madame Maryse BOYER, greffière.
LA GREFFIÈRE LE PRESIDENT