TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BOBIGNY
JUGE DE L'EXÉCUTION
JUGEMENT CONTENTIEUX DU
04 Avril 2024
MINUTE : 2024/287
N° RG 24/01321 - N° Portalis DB3S-W-B7I-YZWV
Chambre 8/Section 3
Rendu par Madame COSNARD Julie, Juge chargé de l'exécution, statuant à Juge Unique.
Assistée de Madame HALIFA Zaia, Greffière,
DEMANDEURS :
Madame [G] [N]
[Adresse 2]
[Localité 6]
représentée par Me Michael HADDAD, avocat au barreau de PARIS
Monsieur [M] [N]
[Adresse 2]
[Localité 6]
représenté par Me Michael HADDAD, avocat au barreau de PARIS
ET
DÉFENDEUR:
Direction interrégionale des douanes et droits indirects IDF
[Adresse 4]
[Localité 5]
Comparant Madame [V] [F] [U]
COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DÉBATS :
Madame COSNARD, juge de l’exécution,
Assistée de Madame HALIFA, Greffière.
L'affaire a été plaidée le 07 Mars 2024, et mise en délibéré au 04 Avril 2024.
JUGEMENT :
Prononcé le 04 Avril 2024 par mise à disposition au greffe, par décision Contradictoire et en premier ressort.
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 8 août 2023, la direction interrégionale des douanes et droits indirects a procédé à une saisie administrative à tiers détenteur sur les comptes détenus par Madame [G] [N] à la Caixa Geral de Depositos.
Cette saisie a été diligentée sur le fondement d'un jugement rendu par le tribunal de grande instance de Bobigny le 5 janvier 2012.
Madame [G] [N] et Monsieur [M] [N], son époux, ont contesté gracieusement cette saisie par courrier du 6 septembre 2023. Par courrier du 18 septembre 2023, la direction générale des douanes et droits indirects a rejeté leur contestation.
C'est dans ce contexte que, par actes d'huissier en date des 9 novembre 2023 et 30 janvier 2024, Madame [G] [N] et Monsieur [M] [N] ont assigné la direction interrégionale des douanes et droits indirects d'Île-de-France à l'audience du 7 mars 2024 devant le juge de l'exécution de la juridiction de céans aux fins de nullité de la saisie.
À cette audience, Madame [G] [N] et Monsieur [M] [N], représentés par leur conseil, reprennent oralement leurs conclusions visées par le greffe le jour-même et demandent au juge de l'exécution de :
- annuler la saisie administrative à tiers détenteur du 8 août 2023,
- subsidiairement, accorder à Madame [N] les plus larges délais pour s'acquitter de sa dette.
Ils soutiennent que Madame [N] bénéficiait d'un échéancier de paiement, qu'elle a respecté à l'exception d'une mensualité en 2018, et qu'elle n'a pas été touchée par les demandes visant à voir renégocier cet échéancier. Ils ajoutent que l'un des comptes sur lesquels la saisie a été pratiquée est un compte joint et qu'il incombe dès lors à la défenderesse de démontrer que les fonds appartiennent exclusivement à Madame [N], dès lors qu'ils sont mariés sous le régime légal indien de séparation de biens.
La direction interrégionale des douanes et droits indirects d'Île-de-France reprend oralement ses conclusions visées par le greffe le jour-même et demande au juge de l'exécution de rejeter les demandes de Madame [G] [N] et Monsieur [M] [N].
Elle soutient que cet échéancier ne la privait pas de la possibilité de mettre en œuvre des voies d'exécution forcée, dès lors qu'elle disposait d'un titre exécutoire et qu'au surplus l'échéancier n'a pas été respecté et qu'elle a tenté de prendre contact avec Madame [N] pour que celle-ci actualise sa situation financière. Elle indique qu'en l'absence de preuve d'une résidence commune en Inde, les demandeurs ne démontrent pas pouvoir bénéficier du régime légal indien de séparation de biens, et qu'il faut leur appliquer le régime matrimonial légal français de communauté. Enfin, elle soutient que le juge judiciaire ne peut accorder de délais de paiement en matière pénale ou fiscale.
À l'issue des débats, l'affaire a été mise en délibéré au 4 avril 2024.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures visées ci-dessus conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I. Sur la demande de nullité de la saisie
A. Sur l'échéancier de paiement
Selon l'article L262 du livre des procédures fiscales, les créances dont les comptables publics sont chargés du recouvrement peuvent faire l'objet d'une saisie administrative à tiers détenteur notifiée aux dépositaires, détenteurs ou débiteurs de sommes appartenant ou devant revenir aux redevables. La saisie administrative à tiers détenteur emporte l'effet d'attribution immédiate prévu à l'article L. 211-2 du code des procédures civiles d'exécution. La saisie administrative à tiers détenteur a pour effet d'affecter, dès sa réception, les fonds dont le versement est ainsi demandé au paiement des sommes dues par le redevable, quelle que soit la date à laquelle les créances même conditionnelles ou à terme que le redevable possède à l'encontre du tiers saisi deviennent effectivement exigibles.
Il est constant que toute exécution forcée implique que le créancier soit muni d'un titre exécutoire à l'égard de la personne qui doit exécuter.
En l'espèce, il est constant que, suite à la condamnation du 5 janvier 2012, Madame [N] a conclu avec l'administration douanière un accord d'échelonnement du paiement de l'amende fiscale à sa charge, consistant en des paiements mensuels d'un montant de 20 euros.
Si Madame [G] [N] et Monsieur [M] [N] soutiennent que le respect de cet échéancier empêchait tout voie d'exécution forcée, il convient de rappeler que la renonciation à un droit suppose une manifestation de volonté claire et sans équivoque d'abandonner de ce droit.
Or, aucune des parties ne produit de document par lequel l'administration des douanes se serait engagée à renoncer aux poursuites. Ainsi, il ne peut lui être reprochée d'avoir procédé à une saisie administrative à tiers détenteurs dès lors qu'elle disposait d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible et qu'il résulte des relevés bancaires produits que les capacités contributives de Madame [N] ont manifestement augmenté.
Ce moyen de nullité doit donc être écarté.
B. Sur la propriété des fonds saisis
Selon les dispositions de l'article 1400 du code civil, la communauté, qui s'établit à défaut de contrat ou par la simple déclaration qu'on se marie sous le régime de la communauté, est soumise aux règles expliquées dans les trois sections qui suivent.
Aux termes de l'article 1413 du code civil, le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs, à moins qu'il n'y ait eu fraude de l'époux débiteur et mauvaise foi du créancier, sauf la récompense due à la communauté s'il y a lieu.
En application de l'article 1401 de ce code, selon lequel la communauté se compose activement des acquêts faits par les époux ensemble ou séparément durant le mariage, et provenant tant de leur industrie personnelle que des économies faites sur les fruits et revenus de leurs biens propres, les gains et les salaires sont des biens communs.
Par ailleurs, l'article 1402 précise que tout bien, meuble ou immeuble, est réputé acquêt de communauté si l'on ne prouve qu'il est propre à l'un des époux par application d'une disposition de la loi.
Enfin, selon l'article 4 de la convention du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux, si les époux n'ont pas, avant le mariage, désigné la loi applicable à leur régime matrimonial, celui-ci est soumis à la loi interne de l'Etat sur le territoire duquel ils établissent leur première résidence habituelle après le mariage. Toutefois, lorsque les époux n'établissent pas sur le territoire du même Etat leur première résidence habituelle après le mariage, le régime matrimonial est soumis à la loi interne de l'Etat de la nationalité commune des époux.
En l'espèce, Madame [G] [N] et Monsieur [M] [N] exposent avoir établi leur première résidence habituelle en Inde et que la loi applicable à leur régime matrimonial est par conséquent la loi indienne.
Or, s'ils se sont effectivement mariés en Inde le 19 mars 2002, ils ne démontrent pas avoir établi leur première résidence habituelle commune en Inde. En effet, il ressort de l'acte de mariage que Madame [N] était alors domiciliée au [Adresse 1] à [Localité 7] en France, adresse qui était toujours la sienne dix ans plus tard, puisque c'est l'adresse indiquée comme étant la sienne par le jugement du 5 janvier 2012. En outre, l'aîné de leurs enfants est né le [Date naissance 3] 2003 en France. Les demandeurs ne produisent aucune pièce de nature à établir que leur première résidence habituelle commune était en Inde. Compte tenu des pièces versées aux débats, il y a lieu de retenir que leur première résidence commune a été établie en France, ce qui rend applicable la loi française.
Au surplus, il n'est pas contesté que Madame [G] [N] et Monsieur [M] [N] ont tous deux la nationalité française. Dans l'hypothèse d'une absence de première résidence habituelle commune, la loi applicable à leur régime matrimonial serait également la loi française.
En l'absence de contrat de mariage, Madame [G] [N] et Monsieur [M] [N] sont donc mariés sous le régime légal français de la communauté et les sommes déposées sur le compte joint sont donc réputés acquêts de la communauté, sans qu'il ne soit suffisamment démontré qu'il s'agit de biens propres de Monsieur [N].
Par conséquent, la demande de nullité de la saisie doit être rejetée.
II. Sur la demande de délais de paiement
Le troisième alinéa de l'article 510 alinéa du code de procédure civile dispose qu'après signification d'un commandement ou d'un acte de saisie selon le cas, le juge de l'exécution a compétence pour accorder un délai de grâce.
L'article 1343-5 du code civil prévoit que compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, le juge peut, dans la limite de deux années, reporter ou échelonner le paiement des sommes dues. Par décision spéciale et motivée, le juge peut prescrire que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit qui ne peut être inférieur au taux légal ou que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital.
En application des dispositions de l'article L262 du livre des procédures fiscales, la saisie administrative à tiers détenteur a pour effet d'affecter, dès sa réception, les fonds dont le versement est ainsi demandé au paiement des sommes dues par le redevable, quelle que soit la date à laquelle les créances même conditionnelles ou à terme que le redevable possède à l'encontre du tiers saisi deviennent effectivement exigibles.
Il est constant que l'effet attributif immédiat de la saisie interdit l'octroi de délais au débiteur. Les délais qui lui seront éventuellement accordés ne pourront l'être que sur la somme restant due après attribution des fonds objets de la saisie.
En l'espèce, il ressort de la déclaration du tiers saisi que la saisie a été intégralement fructueuse. Les sommes saisies sont donc immédiatement attribuées aux créanciers, ce qui interdit l'octroi de délais de paiement en l'absence de solde. La demande de ce chef sera par conséquent rejetée.
III. Sur les demandes accessoires
En application de l'article 696 du code de procédure civile, Madame [G] [N] et Monsieur [M] [N], qui succombent, seront condamnés aux dépens in solidum.
PAR CES MOTIFS
La juge de l'exécution, statuant après débats en audience publique, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,
DÉBOUTE Madame [G] [N] et Monsieur [M] [N] de l'ensemble de leurs demandes,
CONDAMNE in solidum Madame [G] [N] et Monsieur [M] [N] aux dépens,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Fait à Bobigny le 4 avril 2024
LA GREFFIÈRELA JUGE DE L'EXÉCUTION