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04/04/2024 | FRANCE | N°22/00054

France | France, Tribunal judiciaire de Bobigny, Expropriations 3, 04 avril 2024, 22/00054


Décision du 04 Avril 2024
Minute n° 24/65


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BOBIGNY

JURIDICTION DE L’EXPROPRIATION
DE LA SEINE-SAINT-DENIS

JUGEMENT FIXANT INDEMNITÉS

du 04 Avril 2024

:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:

Rôle N° RG 22/00054 - N° Portalis DB3S-W-B7G-WG6C

Le juge de l’expropriation du département de la SEINE-SAINT-DENIS


DEMANDEUR :


ETABLISSEMENT PUBLIC FONCIER D’ILE DE FRANCE
[Adresse 6]
[Localité 10]
représentée par Maître Michaël MOUSSAULT de la SELAS DS AVOCATS, avocat

s au barreau de PARIS
DÉFENDEUR :
S.C.I. CQC
[Adresse 3]
[Localité 9]
représentée par Maître Stéphane DESFORGES de la SELARL LE SOURD DESFORGES...

Décision du 04 Avril 2024
Minute n° 24/65

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BOBIGNY

JURIDICTION DE L’EXPROPRIATION
DE LA SEINE-SAINT-DENIS

JUGEMENT FIXANT INDEMNITÉS

du 04 Avril 2024

:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:

Rôle N° RG 22/00054 - N° Portalis DB3S-W-B7G-WG6C

Le juge de l’expropriation du département de la SEINE-SAINT-DENIS

DEMANDEUR :

ETABLISSEMENT PUBLIC FONCIER D’ILE DE FRANCE
[Adresse 6]
[Localité 10]
représentée par Maître Michaël MOUSSAULT de la SELAS DS AVOCATS, avocats au barreau de PARIS
DÉFENDEUR :
S.C.I. CQC
[Adresse 3]
[Localité 9]
représentée par Maître Stéphane DESFORGES de la SELARL LE SOURD DESFORGES, avocats au barreau de PARIS
INTERVENANT :
DIRECTION DEPARTEMENTALE DES FINANCES PUBLIQUES - POLE D’EVALUATION DOMANIALE
[Adresse 7]
[Localité 11]
représentée par Monsieur [R] [B], commissaire du Gouvernement

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Rémy BLONDEL, Juge, désigné par ordonnance de Monsieur le Premier Président de la cour d’appel de Paris

Maxime-Aurélien JOURDE, Greffier des services judiciaires, présent lors de la mise à disposition

PROCÉDURE :

Date de la visite des lieux : 14 Février 2023
Date des débats : 06 Avril 2023, 14 Octobre 2023, 30 Novembre 2023, 08 Février 2024
Date de mise à disposition : 04 Avril 2024
FAITS ET PROCEDURE

La SCI CQC était propriétaire d'un bien immobilier situé [Adresse 2] à [Localité 14], sur la parcelle cadastrée section AM n°[Cadastre 8], d'une superficie de 632 m².

La parcelle est occupée par un bâtiment qui correspond à un vaste espace de stockage. Pour une description plus précise des lieux, il conviendra de se reporter au procès-verbal du 14 février 2023, annexé à la présente décision.

Le bien est situé dans une zone résidentielle en face du stade [12] et à proximité immédiate de [Adresse 13], accueillant la voie de tramway ainsi que les commerces et autres commodités.

Une ordonnance d'expropriation emportant transfert de propriété, a été rendue le 09 septembre 2021 au profit de l'Etablissement Public Foncier d'Ile-de-France (ci-après dénommé l'EPFIF) par le juge de l'expropriation du tribunal judiciaire de Bobigny.

L'EPFIF a notifié son offre indemnitaire à la SCI CQC par lettre recommandée avec avis de réception en date du 17 septembre 2021, le pli étant revenu avec la mention « destinataire inconnu à cette adresse ».

L'EPFIF a de nouveau notifié son offre indemnitaire à la SCI CQC par acte d'huissier délivré le 12 octobre 2021 à étude.

Par lettre de son Conseil en date du 29 octobre 2021, la SCI CQC a refusé l'offre de l'EPFIF et a sollicité, sur le fondement de l'article L242-1 du Code de l'expropriation, une réquisition d'emprise totale comprenant outre la parcelle expropriée :
-La parcelle cadastrée section AO n°[Cadastre 5], située [Adresse 1] à [Localité 14] ;
-La parcelle cadastrée section AO n°[Cadastre 4], située [Adresse 2] à [Localité 14] ;

Aucun accord n'étant intervenu, l'EPFIF a saisi la juridiction de l'expropriation du tribunal judiciaire de Bobigny par un mémoire introductif d'instance daté du 18 mars 2022 et reçu le 21 mars 2022 par le greffe aux fins de fixer l'indemnité à la somme de 683.000 euros, soit :
-620.000 euros au titre de l'indemnité principale ;
-63.000 euros au titre du remploi.

L'EPFIF a signifié à la SCI CQC la saisine de la juridiction de l'expropriation par acte d'huissier délivré le 22 mars 2022 à étude.

Par une ordonnance rendue le 14 décembre 2022, le juge de l'expropriation a fixé le transport judiciaire sur les lieux et l'audition des parties au 14 février 2023.

L'EPFIF a notifié cette décision à la SCI CQC par lettre recommandée avec avis de réception reçue le 19 décembre 2022.

Monsieur [J] [S], gérant de la SCI CQC, assisté de Maître [N] [V], était présent lors du transport judiciaire sur les lieux du bien exproprié au cours duquel la date d'audience a été fixée au 06 juin 2023.

Messieurs [F] [G] et [Y] [O] de la SCI CQC étaient également présents.

Par des conclusions, reçues le 26 janvier 2023, le commissaire du Gouvernement proposait une indemnité de dépossession de 947.000 euros, soit :
-860.000 euros à titre d'indemnité principale ;
-87.000 euros au titre du remploi.

Par un mémoire en réplique du 10 octobre 2023, reçu par le greffe le 12 octobre 2023, l'exproprié a sollicité du juge de l'expropriation de juger recevable et bien fondée la demande d'emprise totale et de prononcer, par voie de conséquence le transfert de propriété au profit de l'EPFIF des parcelles AO [Cadastre 4] et AO [Cadastre 5]. L'exproprié a également sollicité la fixation de l'indemnité de dépossession à la somme de 2.318.500 euros et l'indemnité de remploi à la somme de 232.850 euros.

Par mémoire du 08 novembre 2023 reçu par le greffe le 13 novembre 2023, l'EPFIF a modifié sa demande et a demandé au juge de l'expropriation de :
-Dire la société CQC irrecevable et mal fondée sa demande de réquisition d'emprise totale ;
-La dire mal fondée en sa demande de fixation d'indemnité
- Fixer l'indemnité à la somme de 489.683,29 euros, soit :
-410.800 euros à titre d'indemnité principale ;
-42.080 euros à titre d'indemnité de remploi ;
-36.803,29 euros à titre d'indemnité de rescindement.

Par un mémoire reçu par le greffe le 17 janvier 2024, l'exproprié a renouvelé sa demande.

Par mémoire du 18 janvier 2024 reçu par le greffe le 23 janvier 2024, l'EPFIF a renouvelé sa demande.

Par des conclusions récapitulatives, reçues le 02 février 2024, le commissaire du Gouvernement propose une indemnité de dépossession :

- en cas d’emprise totale, de 1.541.700,00 euros, soit :
-1.468.000 euros à titre d'indemnité principale ;
-73.700 euros au titre du remploi.
- en l’absence d’emprise totale, de 843.750 euros, soit :
- 727.000 euros à titre d’indemnité principale ;
- 73.700 euros à titre du remploi ;
- 43.050 euros à titre d’indemnité de rescindement ;

Par un mémoire déposé le 08 février 2024 au greffe, l'exproprié a modifié ses demandes et a sollicité du juge de l'expropriation de juger recevable et bien fondée la demande d'emprise totale et de prononcer, par voie de conséquence le transfert de propriété au profit de l'EPFIF des parcelles AO [Cadastre 4] et AO [Cadastre 5]. L'exproprié a également sollicité la fixation de l'indemnité de dépossession à la somme de 1.792.700 euros, soit 1.713.000 euros au titre de l'indemnité principale et 79.700 euros au titre de l'indemnité de remploi. Il sollicite également la condamnation de l'EPFIF aux entiers dépens, outre la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'expropriant fait valoir que :
-Le délai a commencé à courir à la date de la lettre recommandée du 17 septembre 2021 et par conséquent la réquisition d'emprise totale est tardive et donc irrecevable ;
-L'exproprié n'a pas respecté la procédure prévue à l'article R311-5 du code de l'expropriation puisque la réquisition d'emprise totale doit être adressée au juge de l'expropriation et non à l'entité expropriante dans le délai d'un mois. Or la demande n'a été envoyée qu'à l'autorité expropriante ;
-La demande de réquisition d'emprise totale est mal fondée car les bâtiments construits sur les emprises non expropriées ne font pas corps avec la parcelle AM n°[Cadastre 8] ;
-Les parcelles faisant l'objet d'une réquisition d'emprise totale sont situées en dehors de l'emprise de la déclaration d'utilité publique ;
-Les bâtiments situés sur les parcelles non expropriées restent utilisables dans des conditions normales ;
-Les demandes indemnitaires de la SCI CQC méconnaissent l'article L242-2 du Code de l'expropriation et renvoient au rapport établi par un expert privé qui est critiquable ;
-La société expropriée demande à être indemnisée deux fois du même préjudice, l'indemnité demandée au titre du rescindement a déjà été versée au titre de l'expropriation dès lors qu'il s'agit d'un coût de reconstitution de nouveaux bureaux ;
-Au titre de la valorisation du bâtiment exproprié, il doit être pris en compte la durée du bail, l'exiguïté linéaire de façade, l'absence d'emplacements de stationnement et l'état moyen du bâtiment ;
-Concernant les termes retenus par le commissaire du Gouvernement, seuls les termes de comparaison concernant des immeubles occupés doivent être pris en compte car il existe une différence de valeur ;
-Sur la superficie, la pondération de la mezzanine à 0,5 est excessive et il convient de retenir une pondération de 0,2 ;

L'exproprié fait valoir que :
-La réquisition d'emprise totale n'est pas tardive dès lors que délai a commencé à courir à la date de la signification par huissier du 12 octobre 2021 et que la réquisition a été faite le 29 octobre 2021 ;
-Les dispositions des articles L242-1 et R242-1 du Code de l'expropriation ne sont pas prévues à peine d'irrecevabilité ;
-La juridiction de l'expropriation n'était pas saisie et l'irrecevabilité porterait atteinte aux exigences du procès équitable protégées par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme ;
-L'expropriant a proposé une offre pour une superficie supérieure à celle de la parcelle expropriée reconnaissant ainsi que les parcelles forment une unité foncière, il s'agit d'un aveu judiciaire ;
-L'article L321-1 du Code de l'expropriation dispose que l'indemnité fixe l'intégralité du préjudice causé par l'expropriation et c'est pourquoi la SCI CQC est bien fondée à demander l'indemnisation pour la perte de sa propriété sur l'ensemble foncier ;
-L'indemnité de remploi ne doit s'appliquer qu'aux superficies bâties sur la parcelle AM[Cadastre 8] ;
-Le bureau de 77m² se trouve à la fois sur la parcelle AM[Cadastre 8] et sur la parcelle AO26 ;
-Il existe une unicité d'exploitation des locaux et le fait qu'il y ait des accès indépendants est sans incidence ;
-La disjonction des locaux de bureaux constitue un démantèlement des activités rendant inexploitable les locaux édifiés sur la parcelle AM[Cadastre 8] ;
-Les entrepôts et bureaux ne sont pas indépendants dès lors que le scindement aurait pour conséquence de maintenir des bureaux sans les locaux d'activité pour lesquels ils ont été créés ;
-Les références hypothécaires des données proposées par la société expropriée ne sont pas exigeables dans la mesure où les données de la base DVF sont d'une authenticité et d'une fiabilité incontestables ;
-Les termes de référence proposés par l'EPFIF sont trop anciens et en inadéquation avec le marché actuel ;
-La continuité d'exploitation impose de reconstituer des locaux de bureaux ;
-La terrasse de 129,87 m² doit être prise en compte dans l'évaluation de la surface ;

En vertu de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait référence aux écritures transmises pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions.

A l'audience du 08 février 2024, les parties comparantes ont développé les éléments de leurs mémoires, en application des dispositions du 1er alinéa de l'article R.311-20 du Code de l'expropriation.

L'affaire a été mise en délibéré au 04 avril 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la réquisition d'emprise totale

Sur la recevabilité de la réquisition

Aux termes de l'article 122 du Code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Le Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique prévoit en son article L242-1 que l'emprise totale peut être demandée au juge par l'exproprié lorsque l'expropriation ne porte que sur une portion d'immeuble bâti et si la partie restante n'est plus utilisable dans des conditions normales.

L'article R242-1 précise que cette demande doit être faite dans un délai d'un mois à compter de la notification des offres par l'expropriant.

Ce délai de saisine d'un mois est, au surplus, confortée par les dispositions de l'article R.311-5 du même code qui précisent que toute demande d'emprise totale est adressée au juge dans le même délai.

Il s'en déduit de ces textes que la réquisition d'emprise totale n'est recevable que dès lors qu'elle est adressée au juge de l'expropriation dans le délai d'un mois susvisé.

Par ailleurs, l'article R311-30 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique dispose que les notifications autres que celles des jugements et arrêts sont faites par lettre recommandée avec avis de réception ou par voie de signification.

Ce même article précise dans son alinéa 3 que lorsque la notification du mémoire du demandeur a été faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception et n'a pas touché son destinataire dans les conditions prévues à l'article 670 du Code de procédure civile, il y est procédé à nouveau par voie de signification.

En l'espèce, il ressort, en premier lieu, des pièces produites que l'EPFIF a notifié son offre à l'exproprié par lettre recommandée avec demande d'avis de réception le 17 septembre 2021 qui lui a été retournée avec la mention « Destinataire inconnu à l'adresse » ; dès lors, l'exproprié n'ayant pas été régulièrement touché par cette notification, l'expropriant était en droit de procéder à nouveau par acte extrajudiciaire, ce qu'il fit par acte du 12 octobre 2021, laissant ainsi courir le délai légal à compter de cette date.

Cependant, la demande n'a pas été adressée au juge de l'expropriation dans le délai impératif d'un mois, puisque celui-ci n'a été saisi que le 21 mars 2022.

La SCI CQC ne peut se prévaloir des exigences de la Convention Européenne des Droits de l'Homme concernant le droit à un procès équitable dont découle le droit d'accès à un tribunal, les dispositions du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique tenant compte du contexte particulier dans lequel se situe la procédure en fixation d'indemnité d'expropriation et de la nécessité d'éviter toute paralysie de la procédure. L'exigence du délai d'un mois assure en effet un rapport raisonnable entre le but visé et les moyens employés et ne porte pas d'atteinte excessive au droit d'accès au juge.

Il n'existe donc en l'espèce aucune violation des exigences procédurales de la Convention Européenne des Droits de l'Homme.

En conséquence, il y a lieu de déclarer la réquisition d'emprise totale irrecevable.

Sur la fixation des indemnités de la parcelle AM n°[Cadastre 8]

Aux termes de l'article 17 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, la propriété est un droit inviolable et sacré, dont nul ne peut être privé si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité.

Conformément aux articles L.311-5 et L. 321-1 du code de l'expropriation, à défaut d'accord sur le montant des indemnités, celles-ci sont fixées par le juge de l'expropriation et couvrent l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation.

L'indemnité réparatrice allouée à l'exproprié doit lui permettre de se retrouver en même et semblable état et de se procurer un bien identique, similaire ou équivalent à celui dont il est dépossédé par l'opération d'expropriation, soit un bien présentant les mêmes caractéristiques (lieu, année de construction, composition, état d'entretien…) sous réserve, de fait, des biens disponibles sur le marché immobilier.

Plus précisément, le préjudice matériel subi du fait de l'opération d'expropriation est généralement équivalent à la valeur vénale du bien dont l'exproprié est privé.

La valeur vénale correspond au prix le plus probable auquel pourrait se vendre ou s'acheter, à l'amiable, un immeuble ou un droit immobilier donné, dans un lieu et à un moment déterminés, compte tenu des conditions du marché.

La valeur vénale n'est pas nécessairement égale au coût de remplacement du bien, et ce principalement lorsqu'il n'y a pas de bien similaire à celui dont l'exproprié est dépossédé sur le marché immobilier local, susceptible d'être acquis par un particulier.

Sur les éléments préalables à la détermination des indemnités

- Sur les dates à retenir

Le juge de l'expropriation doit déterminer les dates suivantes et les prendre en considération lors de l'évaluation de la valeur vénale du bien exproprié :

* Date pour apprécier la consistance des biens : selon les dispositions de l'article L.322-1 du code de l'expropriation, le juge fixe le montant des indemnités d'après la consistance des biens à la date de l'ordonnance portant transfert de propriété. Lorsque l'ordonnance d'expropriation n'est pas intervenue au jour du jugement de première instance, la consistance des biens s'apprécie à la date du dit jugement. La consistance d'un bien correspond principalement aux éléments qui le composent et à ses caractéristiques (état d'entretien, de très mauvais à très bon ; situation d'occupation ; ...) ;

* Date de référence pour déterminer les règles d'urbanisme et l'usage effectif des biens : conformément aux dispositions des articles L.213-6 alinéa 1 et L.213-4 du code de l'urbanisme, elle se situe à la date à laquelle est devenue opposable aux tiers le plus récent des actes rendant public, approuvant, révisant ou modifiant le plan d'occupation des sols, ou approuvant, révisant ou modifiant le plan local d'urbanisme et délimitant la zone dans laquelle est situé le bien. ;

* Date pour apprécier la valeur des biens : selon le 1er alinéa de l'article L.322-2 du code de l'expropriation, les biens sont estimés à la date de la décision de première instance, soit à la date du jugement en fixation des indemnités.

En l'espèce, le bien de la partie expropriée doit être évalué selon :

- leur consistance au 09 septembre 2021, date de l'ordonnance d'expropriation ;

- les valeurs des biens à la date du présent jugement.

S'agissant de la date de référence, il n'est pas contesté que la parcelle doit être évaluée à la date du 25 février 2020, date d'approbation du PLU.

A cette date, le bien est situé en zone UMD.

- Sur la consistance de l'ensemble immobilier

La consistance d'un bien correspond principalement :

- aux éléments qui le composent ;
- et à ses caractéristiques, notamment son état d'entretien et sa situation d'occupation.

Pour la consistance du bien, il convient de se référer au procès-verbal du transport judiciaire sur les lieux en date du 14 février 2023, annexé à la présente décision, étant précisé que le bien est occupé dans le cadre de baux commerciaux.

- Sur la méthode d'évaluation

Aux termes de leurs mémoires, les parties emploient, de manière concordante, la méthode de la comparaison.

Selon cette méthode, il s'agit de comparer le bien à évaluer à des cessions de biens équivalents qui ont eu lieu dans une période récente sur le marché immobilier local.

En l'espèce, conformément à l'accord des parties, cette méthode sera donc adoptée.

- Sur la surface

En l'espèce, il convient de retenir la surface de l'emprise à hauteur de 632 m², arrondi, comprenant la surface des locaux à usage de stockage (517,25 m²) et celle de bureaux à l'étage (114,23m²).

Au regard des pièces fournies et du transport sur les lieux, il n'y a pas lieu de valoriser, de manière supplémentaire, la mezzanine, construite sur une structure métallique démontable et qui n'offre pas de superficie supplémentaire.

Par ailleurs, la SCI CQC allègue l'existence de bureaux supplémentaires au rez-de-chaussée, pour une surface de 11m² ; pour autant, cette surface supplémentaire n'est aucunement justifiée par les pièces produites.

- Sur la détermination des indemnités

L'article R.311-22 du code de l'expropriation dispose que :

Le juge statue dans la limite des prétentions des parties, telles qu'elles résultent de leurs mémoires et des conclusions du commissaire du Gouvernement si celui-ci propose une évaluation inférieure à celle de l'expropriant.

Si le défendeur n'a pas notifié son mémoire en réponse au demandeur dans le délai de six semaines prévu à l'article R.311-11, il est réputé s'en tenir à ses offres, s'il s'agit de l'expropriant, et à sa réponse aux offres, s'il s'agit de l'exproprié.

Si l'exproprié s'est abstenu de répondre aux offres de l'administration et de produire un mémoire en réponse, le juge fixe l'indemnité d'après les éléments dont il dispose.

1.Sur l'indemnité principale

En l'espèce, le juge fixera l'indemnité en valeur libre en considération des termes de comparaison produits par la partie expropriante, par le commissaire du Gouvernement et par la partie expropriée, et à un montant compris entre :

-410.800,00 euros, indemnités accessoires non comprises, selon l'offre de l'EPFIF ;

Et

-787.000,00 euros, indemnité de remploi non comprise, montant proposé par la SCI CQC,

Etant précisé que le commissaire du Gouvernement évalue le bien exproprié en cas d'absence d'emprise totale à la somme de 727.000,00 euros, hors indemnités accessoires.

a)Sur les termes de comparaison de l'EPFIF

Quatre termes de comparaison sont proposés par l'EPFIF.

Termes
Date de mutation
Référence de publication
Références
cadastrales
Prix de vente

Surface


Prix unitaire
€/m²
DEM
n° 1
CA Paris 20/04/2017
RG n°01/7615
P3
3 739 524 €
5420 m²
690 €/m²
DEM
n° 2
17/07/2014

S 101-130
1 900 000 €
3116 m²
610 €/m²
DEM
n° 3
03/09/2015
2015P04855
AT 191
1 000 000 €
1582 m²
632 €/m²
DEM
n° 4
13/02/2014
2014P1249
O 368
1 300 000 €
1686 m²
771 €/m²

La valeur moyenne de ces termes est de 675,75 euros/m² ; la valeur la plus basse est de 610 euros/m² et la valeur la plus haute est de 771 euros/m².

L'EPFIF retient une valeur de 650,00 euros/m² en valeur occupée.

La SCI CQC critique ces termes, faisant valoir qu'il s'agit de termes de comparaison anciens.

Le commissaire du Gouvernement fait remarquer que les termes cités sont trop anciens et écarte les termes retenus par l'EPFIF.

En l'espèce, compte tenu d'une ancienneté de plus de cinq années, ces termes ne seront pas retenus.

b)Sur les termes de comparaison de la SCI CQC

L'exproprié produit une expertise faisant état de termes de référence sans indication des références de publication empêchant ainsi le juge de l'expropriation de vérifier que ces termes correspondent à des cessions réalisées définitivement.

Par ailleurs les éléments de l'expertise ne sont pas corroborés par la production des actes de cession visés dans celle-ci.

Dès lors, l'expertise, au surplus établie non contradictoirement, ne sera pas retenue.

c)Sur les termes de comparaison du commissaire du Gouvernement

Dix termes de comparaison sont proposés par le commissaire du Gouvernement.

Cessions de locaux d'activité dans un secteur proche :

Termes
Date de mutation
Référence de publication
Références cadastrales
Prix de vente

Surface


Prix unitaire
€/m²
CG
n° 1
30/01/2020
2020P01523
1//AM/54//
225 000 €
314 m²
812,10 €/m²
CG
n° 2
18/06/2021
2021P05556
8/E14/0,I64/,I67/,12,13,14
1 422 000 €
1968 m²
722 €/m²
CG
n° 3
15/07/2020
2020P03655
27//U/133
500 000 €
600 m²
833 €/m²
CG
n° 4
02/05/2018
2018P03455
1//A/114//
300 000 €
330 m²
909,09€/m²

Recherche étendue à un périmètre de 3km, pour des locaux d'activité d'une superficie comprise entre 300 et 1500 m² :

Termes
Date de mutation
Référence de publication
Références cadastrales
Prix de vente

Surface


Prix unitaire
€/m²
CG
n° 5
14/06/2022
2022P16645
55//P/53//38-260-273
450 000 €
353,25 m²
1274 €/m²
CG
n° 6
25/11/2022
2022P34310
13//M/262 et 257
600 000 €
500 m²
1200 €/m²
CG
n° 7
26/01/2023
2023P02800
27//AV/2//
1 700 000 €
1366 m²
1245 €/m²
CG
n° 8
23/07/2021
2021P11086
13//N/41//
395 000 €
385 m²
1025 €/m²
CG
n° 9
28/07/2022
2022P24190
29//AZ/130//
440 000 €
400 m²
1100 €/m²
CG
n° 10
03/12/2021
2021P24291
29//BF/137//
347 000 €
368 m²
943 €/m²

La valeur moyenne de ces termes est de 1.006,32 euros/m²; la valeur la plus basse est de 722 euros/m² et la valeur la plus haute est de 1.274,00 euros/m².

Le commissaire du Gouvernement retient une valeur de 1.150,00 euros/m².

L'EPFIF critique ces termes car il s'agit de biens de meilleure facture que ceux de la société expropriée, il précise qu'il faut tenir compte des différences suivantes :
-Terme CG1 : l'immeuble en question comprend à la fois des locaux à usage d'atelier, ce qui justifie une valeur supérieure à celle de locaux principalement à usage d'entrepôts ;
-Terme CG2 : il s'agit ici d'un vaste atelier bénéficiant d'une double entrée et de locaux à usage de bureaux ;
-Terme CG3 : il s'agit de locaux à usage mixte ateliers/bureaux récemment rénovés ;
-Terme CG4 : il s'agit de locaux à usage mixte ateliers/bureaux récemment rénovés ;
-Terme CG5 : il s'agit de locaux à usage mixte ateliers/bureaux bénéficiant en outre d'un vaste terrain permettant le stationnement des véhicules.

La SCI CQC n'émet pas d'observations relatives aux termes de comparaison proposés par le commissaire du Gouvernement.

Le terme CG4 est ancien de plus de cinq années, il convient donc de l'écarter.

Il n'y a pas lieu de retenir les références en valeur libre, en raison de l'existence de baux commerciaux. Les termes CG1, CG4, CG5, CG8, CG9 et CG10 sont donc écartés.

Les termes CG2 et CG7 ne seront pas retenus, leurs surfaces étant largement supérieures à celle du bien querellé.

Il s'ensuit qu'après examen des termes de comparaison soumis par les parties, deux références ont été jugées pertinentes et sont retenues :
-Terme CG3 : 833 €/m² ;
-Terme CG6 : 1200 €/m² ;

La moyenne de ces termes est de 1016,5 €/m².

Suite au transport sur les lieux, il convient de prendre en compte l'aménagement partiel du bien en bureaux pour 20% de sa superficie, le prix revient donc à 1016,5 x 1,1 = 1118,15, arrondi à 1120 €/m².

En conséquence, il y a lieu de retenir une valeur au mètre carré à hauteur de 1120 € /m².

Ainsi, l'indemnité de dépossession, calculée comme suit 632 m² x 1120 €/m², est fixée à 707.840 euros, en valeur occupée.

11.Sur les indemnités accessoires

a)L'indemnité de remploi

Aux termes de l'article R.322-5 du code de l'expropriation, l'indemnité de remploi est calculée compte tenu des frais de tous ordres normalement exposés pour l'acquisition d'un bien de même nature moyennant un prix égal au montant de l'indemnité principale.

En l'espèce, ils ont pour base le montant de l'indemnité principale, à savoir 707.840 €.

Ils sont liquidés comme suit :

20 % jusqu'à 5 000 € = 1 000 €
15 % de 5.000 € à 15 000 € = 1 500 €
10 % sur 692.840 € = 69.284 €

soit un total de 71.784 euros

b) L'indemnité de rescindement

Les parties, qui sont en accord sur le principe même d'une indemnité de rescindement, ont versé au débat des devis de travaux de rescindement.

L'EPFIF propose une indemnité de rescindement de 36.803,29 € HT.

La SCI CQC produit un devis pour un montant de 187.898 € HT.

De ce devis, il convient de déduire seulement la somme de 138.600 € HT, correspondant au poste "réaménagement de 126 m² de bureaux "perdus"" ; or, ce poste est déjà indemnisé au titre de l'expropriation et la SCI CQC ne justifie pas d'un nouveau préjudice à ce titre. Les autres postes sont pleinement justifiés par les travaux de rescindement.

Ainsi, le devis présenté par la SCI CQC, déduction faite, est d'un montant de 49.298,00 € HT.
La moyenne des deux sommes est de 43.050,65 € HT, arrondie à 43.051 € HT.

En conséquence, sur l'indemnité totale de dépossession :

Elle est égale à 822.675 euros, soit :
-707.840 euros, indemnité principale ;
-71.784 euros, indemnité de remploi ;
-43.051 euros, indemnité de rescindement.

Sur les autres demandes

1) Sur les dépens

Aux termes de l'article L.312-1 du code de l'expropriation, l'expropriant supporte seul les dépens de première instance.
L'EPFIF, devra par conséquent supporter les dépens de la présente instance.

2) Sur les frais irrépétibles

Aux termes de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens à payer à l'autre partie, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, la somme qu'il détermine en tenant compte de l'équité. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à condamnation.
En l'espèce, l'équité commande de condamner l'EPFIF, partie tenue aux dépens, à verser à la SCI CQC la somme de 3.000 euros.

PAR CES MOTIFS

Le juge de l'expropriation, statuant par jugement contradictoire, en premier ressort et par
mise à disposition au greffe ;

DECLARE irrecevable la réquisition d'emprise totale de la SCI CQC ;

ANNEXE à la présente décision le procès-verbal du transport judiciaire sur les lieux expropriés du 14 février 2023 ;

FIXE à 822.675 € (huit cent vingt-deux mille six cent soixante-quinze euros), en valeur occupée l'indemnité totale de dépossession due par l'établissement public foncier d'Ile-de-France à la SCI CQC pour dépossession de la parcelle cadastrée AM n°[Cadastre 8] située [Adresse 2] à [Localité 14] ;

DIT que la somme de 822.675 € est ainsi composée :

- 707.840 euros, indemnité principale ;
- 71.784 euros, indemnité de remploi ;
- 43.051 euros, indemnité de rescindement.

CONDAMNE l'établissement public foncier d'Ile-de-France à payer à la SCI CQC une somme de 3.000 € le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE l'établissement public foncier d'Ile-de-France au paiement des dépens de la présente procédure.

Maxime-Aurélien JOURDERémy BLONDEL

GreffierJuge


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bobigny
Formation : Expropriations 3
Numéro d'arrêt : 22/00054
Date de la décision : 04/04/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 11/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-04;22.00054 ?
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