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07/03/2024 | FRANCE | N°23/00929

France | France, Tribunal judiciaire de Bobigny, Serv. contentieux social, 07 mars 2024, 23/00929


TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BOBIGNY



JUGEMENT CONTENTIEUX DU 07 MARS 2024


Serv. contentieux social
Affaire : N° RG 23/00929 - N° Portalis DB3S-W-B7H-XYOI
N° de MINUTE : 24/00492

DEMANDEURS

Madame [T] [R]
née le 18 Mai 1993 à [Localité 9]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Monsieur [B] [R] et Mme [U] [R] en qualité de co-tuteurs

Monsieur [B] [R]
né le 19 Juin 1958 à [Localité 8] (MAROC)
[Adresse 1]
[Localité 4]

Madame [L] [R]
née le 24 Décembre 1961 à [Localité 6] (MAROC)
[Adresse 1]>[Localité 4]

représentés par Me Nathalie BAILLOD, avocat au barreau de PARIS, vestiaire :

DEFENDEUR

MDPH DE LA SEINE SAINT DENIS
[Adresse 2]
[Loc...

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BOBIGNY

JUGEMENT CONTENTIEUX DU 07 MARS 2024

Serv. contentieux social
Affaire : N° RG 23/00929 - N° Portalis DB3S-W-B7H-XYOI
N° de MINUTE : 24/00492

DEMANDEURS

Madame [T] [R]
née le 18 Mai 1993 à [Localité 9]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Monsieur [B] [R] et Mme [U] [R] en qualité de co-tuteurs

Monsieur [B] [R]
né le 19 Juin 1958 à [Localité 8] (MAROC)
[Adresse 1]
[Localité 4]

Madame [L] [R]
née le 24 Décembre 1961 à [Localité 6] (MAROC)
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentés par Me Nathalie BAILLOD, avocat au barreau de PARIS, vestiaire :

DEFENDEUR

MDPH DE LA SEINE SAINT DENIS
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Madame [M] [A]

COMPOSITION DU TRIBUNAL

DÉBATS

Audience publique du 25 Janvier 2024.

M. Cédric BRIEND, Président, assisté de Madame Laurence BONNOT et Monsieur Dominique BIANCO, assesseurs, et de Monsieur Denis TCHISSAMBOU, Greffier.

Lors du délibéré :

Président : Cédric BRIEND,
Assesseur : Laurence BONNOT, Assesseur salarié
Assesseur : Dominique BIANCO, Assesseur employeur

JUGEMENT

Prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort, par Cédric BRIEND,Juge, assisté de Denis TCHISSAMBOU, Greffier.

Tribunal judiciaire de Bobigny
Service du contentieux social
Affaire : N° RG 23/00929 - N° Portalis DB3S-W-B7H-XYOI
Jugement du 07 MARS 2024

FAITS ET PROCÉDURE

Madame [T] [R] est atteinte de polyhandicap résultant d’une encéphalopathie épileptique. Compte tenu de cette pathologie, elle bénéficie d’une mesure de tutelle depuis sa majorité. Mme [U] [R], sa soeur et M. [B] [R], son père, ont été désignés co-tuteurs.

Par décision du 29 mai 2012, la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (ci-après “la CDAPH”) de la Maison Départementale des Personnes Handicapées de Seine-Saint-Denis (ci-après “la MDPH”) a orienté Mme [T] [R] vers une maison d’accueil spécialisé (MAS), décision valable pour la période du 1er février 2012 au 31 janvier 2017.

Mme [T] [R] a été prise en charge depuis le 17 septembre 2012 en accueil de jour du lundi au vendredi au sein de la MAS “[10]” ([Localité 5]), (ci-après “la MAS [12]”).

Par décision du 27 juin 2017, la CDAPH a accordé à Mme [T] [R] le bénéfice de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) et le complément de ressources lié à l’AAH et a renouvelé son admission à la MAS [12] pour la période du 1er février 2017 au 31 janvier 2022.

Par décision du 12 juin 2018, la CDAPH a décidé un arrêt de prise en charge au sein de l’établissement MAS [12], fixant une date de sortie envisagée au 12 janvier 2016.

Par courrier du 6 juillet 2018, la MAS [12] a informé Mme [U] [R] de la fin de prise en charge de sa soeur [T] au 13 juillet 2018, conformément à la décision de la CDAPH précitée.

Par courrier du 12 juillet 2018 adressé au directeur de la MDPH, Mme [U] [R] a contesté cette décision et a sollicité le maintien de sa soeur au sein de la MAS [12].

Par courrier du 23 juillet 2018, le directeur de la MDPH a indiqué à Mme [T] [R] que son recours était irrecevable au motif que la décision pour une orientation en MAS était toujours accordé jusqu’en 2022.

Par décision du 17 septembre 2019, la CDAPH a notifié à Mme [T] [R] l’attribution de la prestation de compensation du handicap (PCH) pour des aides humaines à domicile à raison de 425,84 heures par mois du 1er juillet 2018 au 31 décembre 2018 et du 1er janvier 2019 au 31 janvier 2025.

Par décision du 15 décembre 2020, la CDAPH a attribué une orientation de Mme [T] [R] vers une MAS pour la période du 1er septembre 2020 au 31 août 2021.

Par décision du 6 juillet 2021, la CDAPH a attribué une orientation vers une MAS pour la période du 1er septembre 2021 au 31 août 2026.

Le 27 juillet 2022, la MAS d’[Localité 7] a notifié à Mme [T] [R] sa non-admissibilité.

Par courrier recommandé du 6 janvier 2023 de leur conseil dont l’accusé de réception a été signé le 10 janvier 2023 par la MDPH, Mme [T] [R], M. [B] [R], Mme [L] [R] (ci-après “les consorts [R]”) ont sollicité une indemnisation du préjudice moral qu’ils estiment avoir subi à hauteur de 180.000 euros.

A défaut de réponse, par requête reçue le 24 mai 2023 au greffe, les consorts [R] ont saisi le service du contentieux social du tribunal judiciaire de Bobigny aux fins de voir déclarer la MDPH de Seine-Saint-Denis responsable de leurs préjudices matériel et moral et la condamner à leur verser la somme totale de 180.000 euros pour l’indemnisation des ces préjudices.

L’affaire a été appelée à l’audience du 19 octobre 2023, renvoyée et retenue à l’audience du 25 janvier 2024, date à laquelle les parties, présentes ou représentées, ont été entendues en leurs observations.

Tribunal judiciaire de Bobigny
Service du contentieux social
Affaire : N° RG 23/00929 - N° Portalis DB3S-W-B7H-XYOI
Jugement du 07 MARS 2024

Par conclusions récapitulatives n°2 développées oralement à l’audience, les consorts [R], assistés par leur conseil, demandent au tribunal de :
- les déclarer recevables et bien fondés en leurs demandes, fins et conclusions,
- déclarer la MDPH entièrement responsable des préjudices qu’ils ont subis au titre des manquements découlant de la notification irrégulière du 12 juin 2018 et de la gestion fautive de l’orientation de Mme [T] [R],
- condamner la MDPH à indemniser le préjudice matériel et moral de Mme [T] [R] à hauteur de 150.000 euros,
- condamner la MDPH à indemniser le préjudice matériel et moral de Mme [L] [R], sa mère à hauteur de 40.000 euros,
- condamner la MDPH à indemniser le préjudice matériel et moral de M. [B] [R], son père à hauteur de 40.000 euros,
- condamner la MDPH aux dépens et à leur verser la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
- ordonner l’exécution provisoire de la présente décision.

A l’appui de leurs demandes, ils font valoir que Mme [T] [R] est atteinte d’un polyhandicap résultant d’une encéphalopathie épileptique depuis sa naissance, qu’elle a été prise en charge dans une IME durant sa minorité et bénéficiait d’un accueil de jour en semaine depuis le 17 septembre 2012 au sein de la MAS [12]. Ils estiment qu’en prenant la décision du 12 juin 2018, la MDPH a commis une faute en mettant fin à la prise en charge de Mme [T] [R] au sein de la MAS [12]. Ils précisent que le directeur de la MDPH a reconnu sa faute et que le Défenseur des droits qualifie le refus de prise en charge en MAS de “sortie forcée”. Ils indiquent que les absences ont été justifiées à la MAS par des certificats médicaux. Ils ajoutent que la MDPH a commis des manquements dans les suites du refus de prise en charge en MAS notamment compte tenu de la mise en oeuvre tardive d’un plan d’accompagnement global, du retard dans la revalorisation des heures d’aide humaine et de la négligence dans la désignation des établissements susceptibles d’accueillir Mme [T] [R]. S’agissant des préjudices, ils estiment que Mme [T] [R] a été privée d’une prise en charge pluridisciplinaire adaptée pendant 4 ans et demi, occasionnant une perte de ses acquis. Les parents font valoir qu’ils ont été contraints d’être en permanence auprès de leur fille, et que compte tenu de leur âge ils ont subi un trouble dans leurs conditions d’existence. Ils ajoutent qu’ils ont été témoins de la régression et de l’ennui de leur fille à l’origine d’un préjudice moral. Le père de Mme [T] [R] précise qu’il a consacré du temps en sa qualité de tuteur à la gestion de l’accueil de sa fille.

Par observations oralement soutenues à l’audience, le Défenseur des droits, régulièrement représenté, soutient que la MDPH a commis une faute dans l’arrêt de prise en charge de Mme [T] [R].

Par des conclusions en défense, la MDPH de Seine-Saint-Denis, régulièrement représentée, demande au tribunal de :
- juger qu’elle ne peut pas être tenue responsable de la décision de la CDAPH du 12 juin 2018,
- juger qu’elle n’a commis aucune négligence dans la prise en charge de Mme [T] [R] à la suite de la décision de la CDAPH du 12 juin 2018,
- juger que les consorts [R] ne rapportent pas la preuve d’un préjudice matériel et moral,
- juger qu’il serait inéquitable de lui laisser la charge des frais irrépétibles exposés par les consorts [R],
- en tout état de cause, débouter les consorts [R] de l’intégralité de leurs demandes, fins et prétentions et les condamner aux dépens.

A l’appui de ses demandes, elle fait valoir que la décision de la CDAPH du 12 juin 2018 notifiant l’arrêt de prise en charge de Mme [T] [R] au sein de la MAS [12] est justifié par un absentéisme caractérisé et injustifié de sa part. Elle ajoute qu’elle a tenté en vain d’avoir un dialogue régulier avec les consorts [R] qui n’ont jamais accepté de signer un avenant au contrat de séjour prévoyant de réduire la présence de Mme [T] [R]. Elle indique que les consorts [R] étaient prévenus de la fin de prise en charge au sein de la MAS [12]. Elle ajoute que l’orientation en MAS de Mme [T] [R] n’a jamais été remise en cause. Sur les négligences qui lui sont reprochées, la MDPH indique qu’un plan d’accompagnement global a été élaboré après un délai lui permettant de constater que Mme [T] [R] était toujours dans l’attente d’une orientation en MAS, qu’elle a revalorisé la PCH aides humaines de manière rétroactive à la date de sa sortie de la MAS [12] et qu’elle a également versé l’AAH, le complément de ressources et la PCH aides techniques . Elle souligne qu’elle a toujours désigné des établissements pour accueillir Mme [T] [R] et que la famille a décliné ses propositions ou ne s’est pas positionnée suffisament rapidement. Concernant les préjudices allégués, elle soutient que les consorts [R] ne justifie pas d’un préjudice matériel et qu’ils ont eux-mêmes fait obstacle à la mise en oeuvre des actions proposées par la MDPH.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, le tribunal, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux écritures de celles-ci.

L’affaire a été mise en délibéré au 7 mars 2024.

Les consorts [R] ont adressé trois notes en délibéré par courriels du 30 janvier 2024, 13 février 2024 et 16 février 2024.

La MDPH a adressé deux notes en délibéré par courriels du 8 et 14 février 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les demandes indemnitaires des consorts [R]

L’article 1240 du code civil prévoit, “tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.”

Sur les manquements de la MDPH relatifs à la fin de prise en charge de Mme [T] [R] au sein de la MAS [12]

L’article L. 246-1 du code de l’action sociale et des familles prévoit que: “toute personne atteinte du handicap résultant du syndrome autistique et des troubles qui lui sont apparentés bénéficie, quel que soit son âge, d'une prise en charge pluridisciplinaire qui tient compte de ses besoins et difficultés spécifiques.

Adaptée à l'état et à l'âge de la personne, cette prise en charge peut être d'ordre éducatif, pédagogique, thérapeutique et social.

Il en est de même des personnes atteintes de polyhandicap”.

L’article L. 241-6 dernier alinéa du code de l’action sociale et des familles applicable au jour de la décision de fin de prise de la CDAPH prévoit que: “Lorsque l'évolution de son état ou de sa situation le justifie, l'adulte handicapé ou son représentant légal, les parents ou le représentant légal de l'enfant ou de l'adolescent handicapé ou l'établissement ou le service peuvent demander la révision de la décision d'orientation prise par la commission. L'établissement ou le service ne peut mettre fin, de sa propre initiative, à l'accompagnement sans décision préalable de la commission”.

L’article R. 146-25 du même code applicable au jour de la décision litigieuse dispose que: “Lorsque, conformément aux dispositions mentionnées au dernier alinéa de l'article L. 241-6, l'établissement ou le service qui accueille une personne handicapée formule, auprès de la maison départementale des personnes handicapées, une demande de révision d'une décision d'orientation, la personne handicapée, ainsi que, le cas échéant, son représentant légal, sont immédiatement informés de cette demande par l'établissement ou le service”.

L’article L. 241-7 du même code dans sa version applicable au litige dispose que: “La personne adulte handicapée, le cas échéant son représentant légal, les parents ou le représentant légal de l'enfant ou de l'adolescent handicapé sont consultés par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées ou, le cas échéant, par la section locale ou la section spécialisée. Ils peuvent être assistés par une personne de leur choix ou se faire représenter.”.

Les articles L. 241-6 et R. 241-31 du même code dans leur version applicable au litige prévoient que “les décisions de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées sont motivées”.

En l’espèce, il ressort des éléments versés au débat que par une décision décision du 12 juin 2018 la MDPH a décidé d’un arrêt de prise en charge de Mme [T] [R] à la MAS [12]. Il est précisé dans la décision que: “le motif de sortie est: autres cas” et que “la date de sortie envisagée est: 12/01/2016".

Préalablement à cette décision du 12 décembre 2018, sont versés au débat les éléments suivants:
- la convocation de M. [V] [R] à la CDAPH du 12 avril 2016,
- le compte rendu de la CDAPH du 12 avril 2016 qui décide d’un ajournement de la situation pour demande de compléments des éléments suivants: les motifs réels des absences, un relevé des présences, la fréquence des absences, un bilan de l’établissement concernant la prise en charge, les avenants signés, les copies des courriers de la famille, les dates de rencontres avec la famille”. Il est précisé en fin de compte rendu que: “après échanges: fin janvier 2016, l’établissement demandait une sortie d’établissement, ce qui semble avoir évolué”,
- un courrier de la MAS [12] destiné aux tuteurs de Mme [T] [R] du 17 février 2016 portant l’objet suivant: “réduction de prise en charge”dans lequel il est fait état d’absences de [T] en 2014 et 2015 et de courriers de la MAS [12] datés de 2015. Il est conclu en ces termes: “aujourd’hui, malgré tout ces échanges avec vous, et les propositions de solutions envisageables, les absences de [T] [R] perdurent (depuis le début de ce mois, [T] n’a été présente que 2 jours au sein de l’établissement), et aucun avenant de séjour n’a été signé. Je me vois donc dans l’obligation de saisir la CDAPH pour leur demander une réduction du temps de prise en charge de [T] à 3 jours par semaine,
- une convocation des tuteurs de [T] à la CDAPH du 20 juin 2017,
- une décision de la CDAPH du 27 juin 2017 qui renouvelle l’accueil de Mme [T] [R] au sein de la MAS [12] du 01/02/2017 au 31/01/2022.

Il ressort de ces éléments que si des échanges ont eu lieu entre la MAS [12] et la famille de [T] [R] en 2015 et 2016 sur l’éventualité d’une réduction du nombre de jours de prise en charge, l’éventualité d’un arrêt de cette prise en charge n’a jamais été formellement évoquée avec la famille. En tout état de cause, le tribunal relève que la décision du 27 juin 2017 de renouvellement de l’orientation de [T] [R] en semaine au sein de la la MAS [12] valable jusqu’en 2022 a pu légitimement faire penser aux consorts [R] que les absences de [T] en 2014 et 2015 ne constituaient plus un obstacle à sa prise en charge en accueil de jour au sein de cet établissement.

La MDPH ne justifie pas dans la présente instance d’un nouvel ajournement de la situation de Mme [T] [R] au cours d’une commission du 20 juin 2017 ni d’une convocation des tuteurs de la majeure protégée à la CDAPH du 12 juin 2018.

Les consorts [R] versent par ailleurs aux débats un courrier électronique du 7 février 2019 du directeur de la MDPH de Seine-Saint-Denis selon lequel “[[T] [R]] est actuellement au domicile familial à temps plein depuis sa sortie de la MAS de [Localité 11] sortie intervenue suite à une erreur commise par la MDPH dans la notification de la décision de la CDAPH du 12/06/2018.”

Est également versée au débat une décision de la défenseure des droits n°2023-177 du 6 octobre 2023 de laquelle il ressort que : “le 31 janvier 2019, le directeur de la Maison Départementale des Personnes Handicapées a fait savoir par courriel aux services du Défenseur des droits, que la notification de la décision de la CDAPH du 12 juin 2018 était le résultat d’une erreur matérielle de la MDPH. Il précisait: “j’ai repris dans le dossier le compte-rendu de la CDAPH du 05/06/2018 où la situation a été présentée en détails aux membres de la commission. La proposition faite par la MDPH était le maintien de la jeune [T] au sein de la MAS des Amis de l’atelier, et c’est cette proposition qui a été retenue par la commission. Il est incompréhensible que la décision inverse ait été notifiée, avec de plus une date d’effet fantaisiste (2016) et une motivation inadaptée (...)”.

Il résulte de l’ensemble des éléments qui précèdent, et sans qu’il soit besoin de rentrer dans le détail des absences justifiées ou injustifiées au cours des années 2014 et 2015, que la décision du 12 juin 2018 de la CDAPH a pas été prise sans préavis, sans motivation, avec une prise d’effet erronée et après une prise en charge de Mme [T] [R] au sein de la MAS [12] de plus de cinq ans et demi.

Il s’en suit que cette décision d’arrêt de prise en charge de Mme [T] [R] au sein de la MAS [12] constitue une faute de la MDPH qui a été reconnue par deux fois par son directeur.

Sur les manquements de la MDPH dans les suites de l’arrêt de prise en charge de Mme [T] [R] en MAS

L’article L.114-1-1 du code de l’action sociale et des familles applicable au jour de la fin de prise en charge prévoit notamment que “la personne handicapée a droit à la compensation des conséquences de son handicap quels que soient l'origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie.

Cette compensation consiste à répondre à ses besoins, qu'il s'agisse de l'accueil de la petite enfance, de la scolarité, de l'enseignement, de l'éducation, de l'insertion professionnelle, des aménagements du domicile ou du cadre de travail nécessaires au plein exercice de sa citoyenneté et de sa capacité d'autonomie, du développement ou de l'aménagement de l'offre de service, permettant notamment à l'entourage de la personne handicapée de bénéficier de temps de répit, du développement de groupes d'entraide mutuelle ou de places en établissements spécialisés, des aides de toute nature à la personne ou aux institutions pour vivre en milieu ordinaire ou adapté, ou encore en matière d'accès aux procédures et aux institutions spécifiques au handicap ou aux moyens et prestations accompagnant la mise en œuvre de la protection juridique régie par le titre XI du livre Ier du code civil. Ces réponses adaptées prennent en compte l'accueil et l'accompagnement nécessaires aux personnes handicapées qui ne peuvent exprimer seules leurs besoins.

Les besoins de compensation sont inscrits dans un plan personnalisé de compensation du handicap élaboré en considération des besoins et des aspirations de la personne handicapée tels qu'ils sont exprimés dans son projet de vie, formulé par la personne elle-même ou, à défaut, avec ou pour elle par son représentant légal lorsqu'elle ne peut exprimer son avis.

Le plan personnalisé de compensation du handicap comprend, d'une part, l'orientation définie selon les dispositions du troisième alinéa et, le cas échéant, d'autre part, un plan d'accompagnement global.

Un plan d'accompagnement global est élaboré sur proposition de l'équipe pluridisciplinaire avec l'accord préalable de la personne concernée ou de son représentant légal :

1° En cas d'indisponibilité ou d'inadaptation des réponses connues ;

2° En cas de complexité de la réponse à apporter, ou de risque ou de constat de rupture du parcours de la personne (...) .”

L’article L. 146-8 du même code applicable au jour de la décision de fin de prise en charge dispose qu’: “Une équipe pluridisciplinaire évalue les besoins de compensation de la personne handicapée et son incapacité permanente sur la base de son projet de vie et de références définies par voie réglementaire et propose un plan personnalisé de compensation du handicap. Elle entend, soit sur sa propre initiative, soit lorsqu'ils en font la demande, la personne handicapée, ses parents lorsqu'elle est mineure, ou son représentant légal. Dès lors qu'il est capable de discernement, l'enfant handicapé lui-même est entendu par l'équipe pluridisciplinaire. L'équipe pluridisciplinaire se rend sur le lieu de vie de la personne soit sur sa propre initiative, soit à la demande de la personne handicapée. Lors de l'évaluation, la personne handicapée, ses parents ou son représentant légal peuvent être assistés par une personne de leur choix. La composition de l'équipe pluridisciplinaire peut varier en fonction de la nature du ou des handicaps de la personne handicapée dont elle évalue les besoins de compensation ou l'incapacité permanente.

L'équipe pluridisciplinaire sollicite, en tant que de besoin et lorsque les personnes concernées ou leurs représentants légaux en font la demande, le concours des établissements ou services visés au 11° du I de l'article L. 312-1 ou des centres désignés en qualité de centres de référence pour une maladie rare ou un groupe de maladies rares.

L'équipe pluridisciplinaire propose le plan personnalisé de compensation du handicap, comprenant le cas échéant un plan d'accompagnement global, à la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, afin de lui permettre de prendre les décisions mentionnées à l'article L. 241-6.

En vue d'élaborer ou de modifier un plan d'accompagnement global, l'équipe pluridisciplinaire, sur convocation du directeur de la maison départementale des personnes handicapées, peut réunir en groupe opérationnel de synthèse les professionnels et les institutions ou services susceptibles d'intervenir dans la mise en œuvre du plan.

La personne concernée, ou son représentant légal, fait partie du groupe opérationnel de synthèse et a la possibilité d'en demander la réunion. Ils peuvent être assistés par une personne de leur choix.

Si la mise en œuvre du plan d'accompagnement global le requiert, et notamment lorsque l'équipe pluridisciplinaire ne peut pas proposer une solution en mesure de répondre aux besoins de la personne, la maison départementale des personnes handicapées demande à l'agence régionale de santé, aux collectivités territoriales, aux autres autorités compétentes de l'Etat ou aux organismes de protection sociale membres de la commission exécutive mentionnée à l'article L. 146-4 d'y apporter leur concours sous toute forme relevant de leur compétence”.

En l’espèce, il ressort des piècesversées au débat que la prise en charge de Mme [T] [R] dans un établissement médico-social a pris fin le 13 juillet 2018.

Par courrier du 29 juillet 2020, la CDAPH a proposé une réunion dite Groupe Opérationnel de Synthèse (GOS) le 14 septembre 2020, la MDPH ne justifiant pas d’une convocation des consorts [R] à cette réunion.

Ce n’est que par une décision du 17 décembre 2020 valable du 1er septembre 2020 au 31 août 2021 et prise dans le cadre d’un plan d’accompagnement global, que la CDAPH a décidé d’une nouvelle orientation de Mme [T] [R] vers une MAS en désignant deux structures pour mise en place de cette orientation.

Ainsi, alors que la MDPH est à l’origine de la rupture de prise en charge de Mme [T] [R] dans un établissement médico-social, elle n’a mis en oeuvre un plan d’accompagnement global pour répondre aux besoins de la situation que deux années plus tard.

Le directeur de la MDPH avait relevé dès le mois de février 2019 qu’un maintien à domicile de Mme [T] [R] ne constituait pas une prise en charge adaptée de la majeure protégée de telle sorte que l’attribution rétroactive de la PCH pour Aides humaines à domicile par décision du 17 septembre 2019 ou l’attribution de la PCH aides techniques n’apparait pas comme une compensation suffisante pour répondre aux besoins du handicap de Mme [T] [R].

S’il est établi qu’à compter de la fin de l’année 2020, différentes propositions de prise en charge de la majeure protégée en établissements ont été faites et qu’un accompagnement de la famille [R] est intervenu dans le cadre d’un pôle de compétences et de prestations externalisées (PCPE), le retard dans la mise en oeuvre d’un plan global d’accompagnement constitue une faute de nature à engager la responsabilité délictuelle de la MDPH.

Sur les préjudices subis par les consorts [R]

Au soutien de leurs demandes indemnitaires, les demandeurs versent au débat un certificat médical complété par le docteur [K] du 6 octobre 2022 qui souligne notamment “la nécessité d’une prise en charge multidisciplinaire de [T] [R] dans un établissement adapté”. Elle précise dans un certificat du 16 janvier 2023 que [T] [R] “(...) est actuellement au domicile familial sans prise en charge spécifique et régresse sur le plan neurologique et comportemental. Cette patiente nécessite une prise en charge multidisciplinaire avec un encadrement médical, paramédical, et a besoin de stimulations au travers d’une rééducation motrice, d’activités et d’interaction sociale. Un accueil en journée dans un établissement adapté serait l’idéal lui permettant tout à la fois de bénéficier de la prise en charge dont elle a besoin et de retrouver sa famille le soir à laquelle elle est très attachée.”

Aux termes d’une attestation du docteur [Y] du 30 mars 2023, celui-ci “atteste avoir examiné Mme [L] [R]”. Il précise que “son état de santé ne lui permet pas de s’occuper de sa fille [R] [T] à temps complet, source d’épuisement mental et physique”. Il ajoute qu’ “une place en maison d’accueil serait nécessaire aussi rapidement que possible pour sa fille afin de soulager sa mère.”

Aux termes d’un certificat médical non daté, le docteur [H] atteste que “l’état de santé de Mr [R] [V] ne lui permet pas de s’occuper à plein temps de sa fille [T]”.

Différentes attestations de proches sont produites et notamment une attestation de Mme [U] [R] du 3 avril 2023 selon laquelle: “(...) A chaque visite chez mes parents, je constate que [T] régresse de plus en plus. Je perçoit chez elle de l’ennui et du désintérêt pour certaines activités. Mes parents sont contraints d’assumer une tâche très lourde en assurant la prise en charge totale de [T]. Ce qui a causé l’aggravation de leurs pathologies. Par ailleurs, n’étant pas des professionnels du secteur, ils ne peuvent lui prodiguer les soins dont elle a besoin et ne savent pas vers qui se tourner. Cette situation en plus d’avoir eu des répercussions sur les acquis et la santé de [T] a touché plus largement l’ensemble de la famille.”

Aux termes d’une attestation du 26 avril 2023, Mme [I] [R], une autre soeur de Mme [T] [R] indique: “(...) Ma soeur s’est retrouvée du jour au lendemain au domicile familial sans aucune activité ni soins. Mes parents ont dû se rendre totalement disponibles pour elle. Ils ont assumé une tâche qui a eu pour conséquence d’aggraver leur état de santé. (...) Cette situation a eu des conséquences égalemement sur leur moral. En effet, ils ressentent une forme d’injustice. (...) Je vois un réel changement chez [T]. Son comportement n’est plus le même. Elle a pris des habitudes qui semblent être liées à son ennui comme le fait de machouiller ses vêtements jusqu’à les déchirer”.

Enfin, Mme [Z] [S], une amie de la famille, indique dans une attestation du 12 mai 2023 que les parents de Mme [T] [R] “sont des personnes âgées de 61 et 64 ans qui souffrent de problèmes de santé”. Elle précise que “cette charge n’a fait qu’empirer leur état de santé” notamment s’agissant de douleurs dorsales. Elle constate également que “[T] n’est plus aussi heureuse qu’avant et qu’elle ne réagit plus de la même manière avec les autres. (...)”.

Les consorts [R] ne versent aucune pièce permettant de justifier d’un préjudice matériel et ce d’autant qu’il n’est pas contesté que la PCH Aides humaines à domicile a été versée rétroactivement à compter de la fin de prise en charge au sein de la MAS [12].

En revanche, un préjudice moral de Mme [T] [R] et de ses parents sera reconnu et indemnisé. Il résulte pour la majeure protégée d’une régression sur le plan neurologique et comportemental consécutive à une rupture de prise en charge adaptée. S’agissant de ses parents, il s’agit d’indemniser les troubles dans les conditions d’existence se manifestant par un épuisement physique et mental dans la prise en charge à domicile de leur fille polyhandicapée depuis le 13 juillet 2018. Ce préjudice résulte également du constat par les parents de la régression de leur fille depuis cette fin de prise en charge en établissementa adapté.

En réparation de ces préjudices moraux, la MDPH sera condamnée à verser à Mme [T] [R] la somme de 30.000 euros et respectivement à M. [B] [R] et Mme [L] [R] la somme de 20.000 euros.

Sur les dépens

La MDPH, partie perdante, sera condamnée aux dépens en application des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.

Sur les frais irrépétibles

La MDPH sera également condamnée à verser aux consorts [R] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Sur l’exécution provisoire

L’exécution provisoire sera ordonnée en application de l’article R. 142-10-6 du code de la sécurité sociale.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire, rendu en premier ressort, par mise à disposition au greffe,

Condamne la maison départementale des personnes handicapées de Seine-Saint-Denis à verser à Mme [T] [R] la somme de 30.000 euros ;

Condamne la maison départementale des personnes handicapées de Seine-Saint-Denis à verser à M. [B] [R] la somme de 20.000 euros ;

Condamne la maison départementale des personnes handicapées de Seine-Saint-Denis à verser à Mme [L] [R] la somme de 20.000 euros ;

Condamne la maison départementale des personnes handicapées de Seine-Saint-Denis aux dépens de l’instance :

Condamne la maison départementale des personnes handicapées de Seine-Saint-Denis à verser à Mme [T] [R], M. [B] [R] et Mme [L] [R] la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Ordonne l’exécution provisoire ;

Rappelle que tout appel contre le présent jugement doit, à peine de forclusion, être interjeté dans le délai d’un mois à compter de sa notification.

Fait et mis à disposition au greffe du service du contentieux social du tribunal judiciaire de BOBIGNY.

La Minute étant signée par :

Le greffier Le président
Denis TCHISSAMBOUCédric BRIEND


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bobigny
Formation : Serv. contentieux social
Numéro d'arrêt : 23/00929
Date de la décision : 07/03/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-07;23.00929 ?
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