EXPOSÉ DU LITIGE :
Par exploit d'huissier en date du 11 janvier 2006 la société d'exercice libéral à forme anonyme Compagnie Fiduciaire Antiboise (ci-après désigné Compagnie Fiduciaire Antiboise) et Monsieur X... Thierry ont fait assigner Monsieur Y... Denis devant le juge de proximité d'ANTIBES en vue de sa condamnation au paiement à chacun des requérants de :
- la somme de 1525 € en réparation du préjudice subi du fait des imputations contenues dans la lettre de Monsieur Y... Denis en date du 16 octobre 2005, constituant des diffamations non publiques ;
- la somme de 800 € chacun au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, outre les dépens.
Le juge de proximité d'Antibes a, par mention au dossier, renvoyé l'affaire devant le tribunal d'instance d'ANTIBES.
Le tribunal d'instance d'ANTIBES a, par jugements en date des 23 février 2006, 13 avril 2006, premier juin 2006 renvoyé la procédure, puis, par jugement en date du 7 septembre 2006, a fait droit à la demande de délocalisation formulée par Monsieur Y... Denis, en application de l'article 47 du nouveau code de procédure civile et renvoyé la procédure devant le tribunal d'instance de NICE.
La procédure a été reçue au greffe du tribunal d'instance de NICE le 6 novembre 2006 et les parties ont été convoquées par le secrétariat-greffe le 17 janvier 2007, pour l'audience du premier février 2007.
La procédure a fait l'objet de renvois par jugements successifs du premier février 2007 et du 7 mars 2007.
A l'audience du 2 mai 2007, Monsieur X... Thierry et la Compagnie Fiduciaire Antiboise se sont référées à leurs écritures.
Monsieur Y... Denis s'est référé à ses écritures, sollicitant la nullité de l'assignation en raison de divers griefs, à savoir :
- le fait qu'elle ait été délivrée devant le juge de proximité au lieu du tribunal d'instance,
- le cumul des fondements juridiques, les demandeurs visant à la fois l'article 1382 du code civil et la loi de 1881, ce qui n'est pas possible,
- le fait que seule une partie des textes applicables est visée,
- le défaut de signification de l'assignation au ministère public, qui est partie jointe,
- le défaut d'élection de domicile,
- l'absence de précision, dans le dispositif de l'assignation des atteintes à l'honneur et à la considération,
Il soulève également la prescription de l'action, le tribunal d'instance d'Antibes ayant renvoyé la procédure plus de trois mois avant la nouvelle audience. Enfin, sur le fond, Monsieur Y... Denis fait valoir que le courrier n'a pas été diffusé et qu'il s'agit d'un simple courrier de mécontentement.
MOTIFS :
Sur les exceptions de nullité de l'assignation soulevées par Monsieur Y... Denis :
* Sur la nullité de l'assignation au motif que la juridiction désignée était la juridiction de proximité au lieu du tribunal d'instance :
Monsieur Y... Denis soulève la nullité de l'assignation au motif qu'elle a été délivrée pour comparaître devant le juge de proximité et non devant le tribunal d'instance.
Selon l'article R321-8 2o du code de l'organisation judiciaire, le tribunal d'instance connaît des actions civiles pour diffamation ou pour injures publiques ou non publiques, verbales ou écrites, autrement que par voie de la presse, et des actions civiles pour rixes et voies de fait, le tout lorsque les parties ne se sont pas pourvues par la voie répressive.
Il résulte de ce texte que le tribunal d'instance est donc compétent et non la juridiction de proximité. Cependant, la saisine erronée de la juridiction de proximité ne saurait entraîner la nullité de l'assignation, une telle nullité n'étant pas prévue par les textes.
Au surplus, en l'espèce, la juridiction de proximité a renvoyé le litige au tribunal d'instance d'ANTIBES, conformément aux dispositions du nouveau code de procédure civile. Ce tribunal a renvoyé la procédure au tribunal d'instance de NICE, lequel est effectivement compétent.
Monsieur Y... Denis sera donc débouté de son exception de nullité de ce chef.
* Sur les nullités invoquées en application de la loi du 29 juillet 1881 :
Monsieur Y... Denis invoque la nullité de l'assignation, dans la mesure où les demandeurs l'ont fondé sur l'article 1382 du code civil et où ils ont visé cumulativement ce texte avec l'article 29 de la loi sur la presse. Il fait également grief à l'assignation de ne pas mentionner l'intégralité des textes de loi applicables à la poursuite. En outre, Monsieur Y... Denis fait valoir que l'assignation est nulle à défaut de dénonciation au ministère public, partie jointe. Enfin, le défendeur soulève la nullité de la citation pour défaut d'élection de domicile dans le ressort du tribunal d'instance d'Antibes et de Nice.
Il est exact que les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382 du Code civil.
Par ailleurs, les cas de nullité susvisés sont prescrits par la loi du 29 juillet 1881 et notamment l'article 53 de ce texte législatif, lequel prévoit que la citation précisera et qualifiera le fait incriminé et qu'elle indiquera le texte de loi applicable à la poursuite. C'est également ce texte qui pose, à peine de nullité, l'élection de domicile dans la ville où siège la juridiction saisie.
Les exigences de l'article 53 répondent à la nécessité pour le défendeur de connaître sans équivoque, dès la lecture de l'assignation, l'objet de l'incrimination et la nature des moyens de défense qu'il peut y opposer dans les conditions strictement définies par la loi. Le demandeur ne peut, dès lors, à peine de nullité de son acte introductif d'instance, recourir à des qualifications cumulatives des propos incriminés. En application de ce texte, le demandeur ne peut donc pas invoquer, tout à la fois et à titre principal, les dispositions spéciales de la loi sur la presse et l'article 1382 du code civil relatif au droit commun de la responsabilité civile.
Afin de pouvoir statuer sur ces exceptions de nullité et déterminer si les demandeurs pouvaient, sans encourir la nullité de leur exploit introductif d'instance, se fonder sur l'article 1382 du code civil, cumuler les visas aux règles de la responsabilité civile et à la loi sur la presse, s'abstenir de dénoncer la procédure au parquet et enfin, ne pas faire élection de domicile dans le ressort de la présente juridiction, il convient donc de rechercher si la loi du 29 juillet 1881 est effectivement applicable en l'espèce.
En effet, même si les dispositions de ce texte législatif ont été élargies à d'autres cas que les diffamations ou injures diffusées par voie de presse, le seul fait que la demande consiste en une action civile pour diffamation ou injure n'implique pas nécessairement l'application de cette loi.
L'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation et l'injure. Ainsi, toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l'identification est rendue possible par les termes des discours, cris menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés. Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure.
L'article 32 de la loi du 29 juillet 1881, qui prévoit les cas de diffamation envers des particuliers, renvoie à l'article 23 de la loi pour la définition des moyens par lesquels la diffamation est commise. Or, en vertu de l'article 23 de la loi susvisée, ces moyens sont les suivants : des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l'écrit, de la parole ou de l'image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique.
Ainsi, dès lors que les allégations ou imputations de faits portant atteinte à l'honneur ou à la considération d'une personne n'ont été effectués qu'auprès du seul destinataire du courrier, elles ne présentent pas le caractère de publicité requis par l'article 23 de la loi de 1881.
Or, en l'espèce, les propos reprochés au défendeur résultent d'un courrier recommandé adressé à Monsieur X... Thierry le 16 octobre 2005.
La circonstance de publicité n'est donc pas établie, à défaut d'une diffusion de cet écrit au public par vente, distribution, exposition, placard, affiche ou par tout autre moyen de communication au public par voie électronique.
D'ailleurs, Monsieur X... Thierry et la Compagnie Fiduciaire Antiboise ne se réfèrent dans leurs écritures, à l'article 29 de la loi de 1881 que définir la diffamation, mais leur demande de réparation du préjudice résultant de la diffamation est fondée sur les dispositions de l'article 1382 du code civil. Ils convient d'ailleurs de relever qu'ils sollicitent d'ailleurs du tribunal de qualifier les imputations contenues dans la lettre de Monsieur Y... Denis de diffamation non publique engageant sa responsabilité.
Il s'ensuit que la demande en réparation du préjudice résultant de cet écrit s'analyse en une action civile pour diffamation ou pour injures non publiques, autrement que par voie de presse, sur le fondement de l'article 1382 du code civil.
Cette action en réparation n'est donc pas soumise au formalisme prévu par l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 et d'une manière générale aux exigences de ladite loi.
De la sorte, la citation délivrée à Monsieur Y... Denis n'est pas entachée de nullité.
Monsieur Y... Denis sera donc débouté de ses exceptions de nullité de la citation invoquées de ce chef.
Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action des requérants :
Monsieur Y... Denis invoquent la prescription de l'action de Monsieur X... Thierry et la Compagnie Fiduciaire Antiboise, au motif que celle-ci serait acquise depuis le 8 décembre 2006.
Si l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 prévoit effectivement un délai de prescription abrégé (trois mois), l'action civile pour diffamation diligentée par les requérants, ne présentant pas le caractère de publicité prévu à l'article 23 de la loi de 1881, n'est pas soumise au délai de prescription prévu par ce texte, mais au régime de la prescription du droit commun.
Il convient, en conséquence, de rejeter la fin de non-recevoir soulevée par Monsieur Y... Denis.
Sur la demande principale :
Selon l'article 1382 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par lequel il est arrivé, à le réparer.
En l'espèce, Monsieur Y... Denis a adressé à la Compagnie Fiduciaire Antiboise et à Monsieur X... Thierry un courrier recommandé avec avis de réception, en date du 16 octobre 2005, présenté le 20 octobre 2005, dans lequel il y est indiqué :
« Monsieur,
Il est évident que vous défendez mieux vos INTERETS que les intérêts de VOS CLIENTS ; Surtout quand la totalité de vos honoraires vous ont été réglés COMPTANT (Affaire CASINO/Y...).
Vous respectez plus facilement les dates vous concernant, que les dates que vous aviez négociées et que vous n'avez pas su faire respecter à mon EXPERT-COMPTABLE et votre AMIE madame Z....
Le jugement pour l'affaire CASINO a été rendu, et l'on peut s'apercevoir que les seuls griefs qui m'ont été retenus et l'INCAPACITE de mes CONSEILS.
Je me réserve donc le droit de voir avec mon AVOCAT ; les suites à donner à cette affaire ; Et suite il y aura !
Pour faire suite à mon courrier par lequel je m'engageais à vous payer ; Vous trouverez donc ci-joint un chèque no4597747 à tirer sur le CREDIT AGRICOLE pour la S.A.R.L. VITAL.
Je vous règle la totalité de la somme par CHEQUE, soit cinq cent quarante €uros cinquante et un cents (540,51 €).
J'attends toujours la FACTURE DES 50 % QUE VOUS m'avez fortement suggéré de vous régler en ESPECES !
Je vous salue.
Monsieur Y...
PS : Copie à MAITRE A... »
Monsieur X... Thierry et la Compagnie Fiduciaire Antiboise font valoir que les imputations contenues dans cette lettre constituent une diffamation non publique à leur encontre. Monsieur Y... Denis le conteste, faisant valoir que la lettre qu'il a ainsi adressée aux demandeurs est un simple courrier de mécontentement.
Toute expression qui contient l'imputation d'un fait précis et déterminé, de nature à porter à l'honneur ou à la considération de la personne visée, constitue une diffamation, même si elle est présentée sous une forme déguisée ou dubitative ou par voie d'insinuation.
S'il est vrai que cette lettre apparaît comme une lettre de mécontentement, ses termes contiennent néanmoins l'imputation de faits de nature à porter atteinte à l'honneur et à la considération de Monsieur X... Thierry, avocat. En effet, le premier paragraphe fait état de ce que cet avocat néglige les intérêts de ses clients au profit de ses intérêts personnels. En outre, le dernier paragraphe suggère que le destinataire du courrier perçoit des honoraires de façon illégale.
Le préjudice qui en résulte pour le demandeur est simplement moral, d'autant plus qu'une copie courrier a été adressée à une tierce personne (Me B...).
En revanche, il n'est pas justifié de préjudice matériel résultant de ces imputations (telle que mauvaise publicité, perte de clients ou doute de la clientèle sur l'honorabilité et la compétence de l'avocat ou de son cabinet), la diffamation n'étant pas publique.
De même, il n'est pas démontré l'existence d'un préjudice subi par la Compagnie Fiduciaire Antiboise et qui découlerait directement de cette lettre. En effet, les termes du courrier s'adressent exclusivement à Monsieur X... Thierry, le fonctionnement ou la probité de la Compagnie Fiduciaire Antiboise n'étant pas mise en cause.
S'agissant de l'évaluation de son préjudice, Monsieur X... Thierry ne produit pas, à l'appui de sa demande de dommages et intérêts, de pièces de nature à caractériser un préjudice justifiant une indemnisation à hauteur de 1525 € ou les répercussions qu'aurait eu ce courrier.
Le préjudice subi par Monsieur X... Thierry peut donc être évalué à la somme de 1 €.
Monsieur Y... Denis sera donc condamné à payer à Monsieur X... Thierry la somme de un euro (1 €) en réparation du préjudice moral résultant des imputations de nature à porter atteinte à son honneur et à sa considération, contenues dans la lettre recommandée avec avis de réception en date du 16 octobre 2005.
Il convient de débouter la Compagnie Fiduciaire Antiboise de ses demandes.
Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive :
Toutes parties ont le droit de défendre leur position devant un tribunal.
En l'espèce, le demandeur reconventionnel ne caractérise pas de la part de Monsieur X... Thierry et de la Compagnie Fiduciaire Antiboise de faute constitutive d'un abus ou l'existence du préjudice allégué.
Monsieur Y... Denis sera donc débouté de sa demande de ce chef.
Sur les dépens et l'article 700 du nouveau code de procédure civile :
Monsieur Y... Denis, succombant à titre principal, supportera les dépens de la procédure conformément aux dispositions de l'article 696 du nouveau code de procédure civile.
Monsieur Y... Denis, tenu aux dépens, sera condamné à payer à Monsieur X... Thierry une somme qu'il est équitable d'évaluer à cinq cents euro (500 €), au titre des frais irrépétibles que ce dernier a dû exposer pour la présente procédure.
En conséquence, Monsieur Y... Denis, tenu aux dépens, sera débouté de sa demande au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
La Compagnie Fiduciaire Antiboise sera déboutée de sa demande de ce chef.
PAR CES MOTIFS,
Le tribunal, statuant par jugement contradictoire et en dernier ressort, prononcé par mise à la disposition du public au greffe,
Déboute Monsieur Y... Denis de ses exceptions de nullité de l'assignation ;
Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par Monsieur Y... Denis;
Déclare Monsieur Y... Denis responsable du préjudice causé à Monsieur X... Thierry par les imputations de nature à porter atteinte à son honneur et à sa considération, contenues dans la lettre recommandée avec avis de réception en date du 16 octobre 2005 ;
Condamne, en conséquence, Monsieur Y... Denis à payer à Monsieur X... Thierry la somme de un euro (1 €) à titre de dommages et intérêts, en réparation de son préjudice moral ;
Déboute Monsieur X... Thierry du surplus de sa demande ;
Déboute la société d'exercice libéral à forme anonyme Compagnie Fiduciaire Antiboise de l'ensemble de ses demandes ;
Déboute Monsieur Y... Denis de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour résistance abusive ;
Condamne Monsieur Y... Denis à payer à Monsieur X... Thierry la somme de cinq cents euros (500 €) au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Condamne Monsieur Y... Denis aux dépens de la procédure ;
Rejette tous autres chefs de demandes ;
Ainsi jugé et prononcé. Et A. MORF, juge a signé avec P. MICHEL, greffier.