T R I B U N A L
D E GRANDE
I N S T A N C E
D E P A R I S
3ème chambre 2ème section
No RG :
06/17593
No MINUTE :
Assignation du :
04 Décembre 2006
JUGEMENT
rendu le 11 Juillet 2008
DEMANDERESSE
S.A. TRESOR DU PATRIMOINE
6 rue Anatole de la Forge
75017 PARIS
représentée par Me Jean-Marc FEDIDA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire E.485
DÉFENDERESSE
S.A.R.L. AU TRESOR DE PARIS
11 Quai de Conti
75006 PARIS
représentée par Me Claude MIZRAHI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire L265
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Véronique RENARD, Vice-Président, signataire de la décision
Sophie CANAS, Juge
Guillaume MEUNIER, Juge
assistée de Marie-Aline PIGNOLET, Greffier signataire de la décision
DEBATS
A l'audience du 12 Juin 2008
tenue en audience publique
JUGEMENT
Prononcé par remise de la décision au greffe
Contradictoire
en premier ressort
Faits et procédure
La société Trésor du Patrimoine, ayant pour objet social l'édition, la diffusion et la vente par correspondance de produits d'édition, se présente comme un distributeur agréé par l'Administration des Monnaies et Médailles diffusant notamment des médailles commémoratives, des pièces de monnaie et des ouvrages à caractère historique.
Elle justifie être titulaire de la marque verbale française "LES TRÉSORS DU PATRIMOINE T.D.P.", déposée le 3 octobre 1988, renouvelée le 14 septembre 1998, enregistrée sous le no1 491 793 pour désigner en classes 6, 14, 16, 20, 21 et 35 les "métaux communs et leurs alliages, produits métalliques non compris dans d'autres classes ; métaux précieux et leurs alliages, produits en ces matières ou en plaqué, non compris dans d'autres classes ; papier, carton et produits en ces matières, non compris dans d'autres classes ; glaces (miroirs), cadres, produits non compris dans d'autres classes, en bois, liège, roseau, jonc, osier, corne, os, ivoire, baleine, écaille, ambre, nacre, écume de mer, succédané de toutes ces matières ou en matières plastiques ; verrerie, porcelaine et faïence, non comprises dans d'autres classes ; publicité, distribution de prospectus, d'échantillons",
Elle est également propriétaire de la marque verbale française "LES TRÉSORS DU PATRIMOINE", déposée le 14 septembre 1998, enregistrée sous le no98 749 964 pour désigner en classe 41"l' édition de livres, enregistrements phonographiques, montage de bandes vidéo".
La société Trésor du Patrimoine expose avoir constaté que le numéro de novembre 2006 du magazine "Numismatique et Change" comportait deux bons de commande pour des coffrets de pièces de monnaie proposés par la société Au Trésor de Paris.
Jugeant que cette dernière portait ainsi atteinte à son droit sur "la marque nominale "LES TRÉSORS DU PATRIMOINE", la société Trésor du Patrimoine, par exploit d'huissier en date du 4 décembre 2006, l'a assignée devant le Tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de marque aux fins d'obtenir, outre l'indemnisation du préjudice subi, des mesures d'interdiction et de publication sous le bénéfice de l'exécution provisoire.
La clôture a été prononcée par ordonnance du 14 février 2008, l'affaire étant fixée pour plaidoiries à l'audience du 12 juin 2008, date à laquelle la décision du Tribunal a été mise en délibéré à ce jour.
Prétentions des parties
Par conclusions récapitulatives signifiées le 15 janvier 2008, la société Trésor du Patrimoine demande au Tribunal :
- de juger que la dénomination "Au Trésor de Paris" constitue l'imitation contrefaisante de la marque "Trésors du Patrimoine" dans le domaine numismatique et de l'édition,
- de juger que le défendeur s'est rendu coupable d'actes de contrefaçon de la marque "Trésors du Patrimoine" en proposant à la vente sous la dénomination "Trésor de Paris" un produit identique ou similaire à ceux commercialisés par la société Trésor du Patrimoine,
- d'ordonner l'interdiction, sous astreinte de 1.500 € par infraction constatée, de l'utilisation de la dénomination "Trésor de Paris" dans le domaine numismatique et de l'édition,
- de condamner le défendeur à payer à la société Trésor du Patrimoine la somme de 45.000 € à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice causé,
- d'ordonner la publication du jugement à intervenir dans trois journaux ou périodiques au choix de la requérante et aux frais avancés par le défendeur, sans que le coût total de ces insertions excède la somme de 10.000 €,
- de condamner le défendeur en tous les dépens et à la somme de 4.500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- d'ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.
En réponse, par conclusions récapitulatives signifiées le 21 novembre 2007, la société Au Trésor de Paris, concluant à l'absence de contrefaçon, demande au Tribunal :
- de la recevoir en ses demandes et d'y faire droit,
- de juger qu'elle n'a commis aucun acte de contrefaçon et de débouter la demanderesse de l'ensemble de ses demandes,
- de juger que la société Trésor du Patrimoine "a agi en procédure abusive" en application des articles 32-1 du Code de procédure civile,
- de condamner la société Trésor du Patrimoine à payer à la société Au Trésor de Paris la somme de 10.000 € en réparation de son préjudice,
- d'ordonner la publication du jugement à intervenir dans trois journaux au choix de la société Au Trésor de Paris aux frais avancés par la société Trésor du Patrimoine dans la limite de 3.000 € HT par insertion,
- d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir sur la page d'accueil du site internet accessible à l'adresse www.tresordupatrimoine.com en dehors de tout encart publicitaire et sans mention ajoutée de quelque nature que ce soit, dans un encadré de 465x120 pixels, le texte produit devant être d'une taille suffisante pour recouvrir intégralement la surface développée à cet effet,
- d'ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir, sans constitution de garantie,
- de condamner la société Trésor du Patrimoine à lui verser la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- de condamner la défenderesse aux entiers dépens.
Motifs de la décision
Attendu, à titre liminaire, que la demande de la société Au Trésor du Paris tendant à voir le Tribunal la juger recevable paraît tout au plus constituer une clause de style, sans objet en l'absence de fin de non-recevoir opposée par la demanderesse au principal ; qu'il n'y a donc pas lieu de statuer sur ce point.
I. Sur la contrefaçon
Attendu que dans le dispositif de ses conclusions, la société Trésor du Patrimoine incrimine, au titre de la contrefaçon, non pas le signe "Trésor de Paris", mais la "dénomination Au Trésor de Paris", dont il apparaît qu'elle constitue la dénomination sociale de la défenderesse, visible en effet dans le numéro de novembre du magazine Numismatique et Change de novembre 2006, sur deux bons de commande pour des coffrets de pièces de monnaie au sein du texte "A retourner (découpé, photocopié ou recopié sur papier libre) accompagné du règlement à l'adresse suivante : AU TRESOR DE PARIS, 11, quai de Conti, 75006 Paris - Tél. 01.44.52.17.23. Fax 01 .44.52.17.34" ;
Qu'elle invoque au soutien de son action en contrefaçon la marque "LES TRÉSORS DU PATRIMOINE", sans plus de précision ;
Qu'elle est titulaire d'une marque verbale française "LES TRÉSORS DU PATRIMOINE", déposée le 14 septembre 1998, enregistrée sous le no98 749 964, de sorte que la société Au Trésor de Paris ne peut utilement faire valoir que la "dénomination déposée à titre de marque" telle que revendiquée serait en réalité la seule marque "LES TRÉSORS DU PATRIMOINE T.D.P." ;
Qu'il convient donc d'apprécier le bien fondé du grief de contrefaçon au regard de la marque verbale française "LES TRÉSORS DU PATRIMOINE"no98 749 964 d'une part, de la marque verbale française "LES TRÉSORS DU PATRIMOINE T.D.P." no1 491 793 d'autre part ;
Attendu que le signe protégé et le signe argué de contrefaçon étant différents, c'est au regard de l'article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle, qui prohibe, sauf autorisation du propriétaire, s'il peut en résulter un risque de confusion dans l'esprit du public, l'imitation d'une marque et l'usage d'une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l'enregistrement, qu'il convient d'apprécier le bien-fondé de la demande en contrefaçon ;
Qu'il convient particulièrement de rechercher au regard d'une appréciation des degrés de similitude entre la marque et le signe, et entre les produits désignés, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public ;
Attendu que le contenu du droit du propriétaire de la marque étant déterminé par le dépôt, la similitude entre les produits et les services dont il s'est réservé l'exclusivité sous la marque déposée et ceux proposés par le prétendu contrefacteur doit s'apprécier par rapport au libellé du dépôt et non par rapport à ceux effectivement exploités sous la marque ;
Attendu qu'en l'espèce, force est de constater, en premier lieu, que la marque verbale "LES TRÉSORS DU PATRIMOINE" no98 749 964 a été enregistrée pour désigner en classe 41 l' "édition de livres, enregistrements phonographiques, montage de bandes vidéo", et non "les pièces de monnaie et tous les produits annexes et complémentaires", comme le soutient la société Trésor du Patrimoine ;
Que la demanderesse ne démontre pas en quoi le signe litigieux servirait à désigner des produits ou services identiques ou similaires à l'édition de livres, aux enregistrements phonographiques ou au montage de bandes vidéo ;
Que la contrefaçon de la marque verbale "LES TRÉSORS DU PATRIMOINE" no98 749 964 ne saurait donc être caractérisée ;
Attendu, en second lieu, que la société Au Trésor de Paris ne conteste pas que les produits ou services qu'elle propose à ses clients sous la dénomination litigieuse sont identiques ou similaires à ceux désignés lors de l'enregistrement de la marque verbale "LES TRÉSORS DU PATRIMOINE T.D.P." no1 491 793 ;
Attendu que l'appréciation de la similitude visuelle, auditive et conceptuelle des signes doit être fondée sur l'impression d'ensemble produite par ceux-ci, en tenant compte, notamment, de leurs éléments distinctifs et dominants ;
Attendu que la marque revendiquée comprend sept syllabes, outre les trois lettres "T.D.P.", alors que la dénomination "Au Trésor de Paris" n'en comprend que six ; que tant l'attaque que la finale des signes en cause diffèrent ; qu'il en résulte une disparité certaine, tant sur le plan visuel, que sur le plan phonétique ; qu'en outre, si le terme "trésor" est commun aux deux ensembles verbaux en cause, il convient de relever, à l'instar de la défenderesse, que l'emploi de la dénomination "au" dans la dénomination arguée de contrefaçon identifie le "trésor de Paris" en question comme étant un lieu précis de la capitale française où sont entassées des richesses ; qu'en revanche, la marque revendiquée, exempte d'une telle référence, s'avère, par l'emploi du pluriel "les trésors" et une référence générale au "patrimoine", évocatrice des éléments les plus précieux du patrimoine culturel français, pris dans son ensemble ; qu'ainsi, d'un point de vue conceptuel, les signes en cause ne présentent aucune similitude, de sorte que rien ne conduira le consommateur normalement attentif à attribuer aux produits ou services proposés par les parties au litige une origine commune ;
Que l'ancienneté de l'exploitation de la marque revendiquée ou les efforts de promotion consentis par la demanderesse sont à cet égard dépourvus de portée ;
Attendu qu'il en résulte que la contrefaçon par imitation de la marque "LES TRÉSORS DU PATRIMOINE T.D.P."no1 491 793 dont la société Trésor du Patrimoine est propriétaire, n'est pas caractérisée ;
Que la société Trésor du Patrimoine sera en conséquence déboutée de l'ensemble de ses demandes.
II. Sur les demandes reconventionnelles
Attendu que la société Au Trésor de Paris sollicite reconventionnellement la condamnation de la société Trésor du Patrimoine au paiement de dommages et intérêts et le prononcé d'une mesure de publication, en raison du caractère abusif de la procédure ; qu'elle soutient notamment avoir entretenu des relations commerciales avec la demanderesse pendant plus de quinze ans, et lui avoir acheté pour 137.459 € de produits divers, sans que la société Trésor du Patrimoine ne relève le moindre risque de confusion ;
Mais attendu que la loi confère au propriétaire d'une marque le droit d'agir en contrefaçon contre toute personne se livrant, dans des conditions prédéfinies, à une utilisation indue de cette marque ;
Que l'exercice d'une action en justice constitue, en principe, un droit, et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol ;
Que la société Au Trésor de Paris ne justifie pas avoir commercialisé, sous son actuelle dénomination sociale, des produits similaires à ceux proposés par la société Trésor du Patrimoine au cours de la période considérée ; que la société Trésor du Patrimoine fait d'ailleurs valoir que jusqu'aux agissements à l'origine de la présente instance, la société Au Trésor de Paris limitait son activité au réseau des fonctionnaires du Trésor public, à l'exclusion de toute activité concurrentielle de vente dans le secteur privé ; que la défenderesse n'apporte aucun élément permettant de justifier du contraire, la circonstance avérée selon laquelle elle aurait acheté, entre 2002 et le mois de novembre 2007, pour 14.562.659,06 € HT de marchandises auprès de la Monnaie de Paris ne démontrant pas qu'elle concurrençait directement la société Trésor du Patrimoine ;
Que la société Au Trésor de Paris échoue à démontrer que la demanderesse a engagé la présente action aux fins d'évincer un concurrent direct ;
Qu'elle sera donc déboutée de ses demandes reconventionnelles, faute de rapporter la preuve de faits susceptibles de caractériser une quelconque intention de nuire de la part de la société Trésor du Patrimoine, qui a pu légitimement se méprendre sur l'étendue de ses droits.
III. Sur les autres demandes
Attendu que la société Trésor du Patrimoine, succombant, sera condamnée aux entiers dépens ;
Qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Au Trésor de Paris la totalité des frais irrépétibles ; qu'il convient, en conséquence, de lui allouer la somme globale de 3.000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
Attendu que la nature de l'espèce et l'ancienneté du litige justifient d'ordonner l'exécution provisoire du présent jugement.
Par ces motifs
Le Tribunal,
Statuant publiquement, par mise à disposition du présent jugement au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par le deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile,
Par jugement contradictoire, rendu en premier ressort,
- DEBOUTE la société Trésor du Patrimoine de son action en contrefaçon,
- DEBOUTE la société Au Trésor de Paris de ses demandes reconventionnelles,
- CONDAMNE la société Trésor du Patrimoine à payer à la société Au Trésor de Paris la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure,
- CONDAMNE la société Trésor du Patrimoine aux entiers dépens,
- ORDONNE l'exécution provisoire.
Fait et jugé à Paris le 11 Juillet 2008
Le Greffier Le Président