T R I B U N A L
D E GRANDE
I N S T A N C E
D E P A R I S
3ème chambre 2ème section
No RG :
06 / 05870
No MINUTE :
Assignation du :
14 Mars 2006
JUGEMENT
rendu le 11 Juillet 2008
DEMANDERESSE
S. A. R. L. LIBRECHANGE,
Parc d'Activité de Limonest
513 rue Sans Souci
69560 LIMONEST
représentée par Me Gladys CLAP, avocat au barreau de PARIS, vestiaire PC 288, et LA SELARL CABINET DENARD, Avocat au barreau de Lyon,
DÉFENDEURS
Monsieur Georges AA...
...
75005 PARIS
S. A. S. LIBRE ET CHANGE
3 rue Bellanger
92300 LEVALLOIS PERRET
représentée par Me Annie GAUTHERON VEBRET de la SCP DEFLERS- ANDRIEU et ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire R047
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Véronique RENARD, Vice- Président, signataire de la décision
Sophie CANAS, Juge
Guillaume MEUNIER, Juge
assistée de Marie- Aline PIGNOLET, Greffier, signataire de la décision
DEBATS
A l'audience du 13 Juin 2008
tenue en audience publique
JUGEMENT
Prononcé par remise de la décision au greffe
Contradictoire
en premier ressort
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société à responsabilité limitée LIBRECHANGE expose qu'elle a pour activité le conseil en publicité et qu'elle est plus particulièrement spécialisée dans l'achat d'espace et les partenariats optimisés par l'échange de marchandises.
Indiquant avoir découvert le 22 août 2005 le dépôt sous le numéro 3366804 de la marque semi- figurative " LIBRE et CHANGE " effectué le 23 juin 2005 par Monsieur Georges AA..., président de la société par actions simplifiée à associé unique LIBRE et CHANGE, la société LIBRECHANGE a, selon actes d'huissier en date du 14 mars 2006, fait assigner Monsieur Georges AA... et la société LIBRE et CHANGE devant le Tribunal de Grande Instance de PARIS aux fins d'obtenir, outre des mesures d'interdiction d'utiliser l'expression " LIBRECHANGE " à quelque titre que ce soit et de publication dans cinq journaux ou périodiques de son choix aux frais des défendeurs, la nullité de la marque no 3366804 au visa des articles L. 713-1 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle et la condamnation de ces derniers à lui verser la somme de 15. 000 euros à titre de dommages- intérêts sur le fondement de l'article L. 711-4 du même Code, ainsi que la somme de 5. 000 euros à titre de dommages- intérêts pour résistance abusive et celle de 5. 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, le tout sous le bénéfice de l'exécution provisoire.
Dans ses conclusions récapitulatives signifiées le 15 novembre 2007, la société LIBRECHANGE, après avoir réfuté les arguments présentés en défense et conclu au rejet de la demande reconventionnelle formée par Monsieur Georges AA... et la société LIBRE et CHANGE, a repris, en les développant, l'ensemble des moyens et prétentions contenus dans son acte introductif d'instance, sauf en ce qu'elle porte à 10. 000 euros le montant de l'indemnité sollicitée sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Dans leurs dernières écritures en date du 13 novembre 2007, Monsieur Georges AA... et la société LIBRE et CHANGE concluent au débouté de la société LIBRECHANGE de l'ensemble de ses demandes, demandent au Tribunal de faire injonction à cette dernière de verser aux débats une version couleur de la nouvelle présentation de sa dénomination sociale et sollicitent reconventionnellement sa condamnation avec exécution provisoire à leur payer à chacun la somme de 8. 000 euros à titre de dommages- intérêts pour procédure abusive ainsi que celle de 10. 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. Ils font en substance valoir que la société LIBRECHANGE est une société de bartering alors que la société LIBRE et CHANGE est une agence média, qu'elles exercent donc des activités différentes relevant de métiers différents, que ces différences excluent tout risque de confusion entre la marque " LIBRE et CHANGE " et la dénomination sociale " LIBRECHANGE ", que la dénomination sociale de la société LIBRE et CHANGE n'est pas constituée de l'expression " LIBRE et CHANGE ", mais d'un ensemble combinant les termes " LIBRE " suivi d'un logo constitué d'une boule de billard américain de couleur rouge comportant à la place du numéro le signe typographique figurant la conjonction " et " en gris sur fond blanc, et enfin du terme " CHANGE ", se distinguant ainsi de la dénomination " LIBRECHANGE " de la société demanderesse et excluant tout risque de confusion, que cette dernière a modifié la présentation de sa dénomination sociale depuis l'introduction de la présente instance pour se rapprocher de celle de la société LIBRE et CHANGE, qu'enfin la demanderesse n'a pu se méprendre sur l'étendue de ses droits et a agi abusivement à son encontre.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 novembre 2007.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- Sur la contrefaçon
Attendu que la société LIBRECHANGE entend en premier lieu voir prononcer, sur le fondement des articles L. 713-1 du Code de la Propriété Intellectuelle, la nullité de la marque " LIBRE et CHANGE " no 3366804 déposée le 23 juin 2005 par Monsieur Georges AA... au motif que celle- ci constituerait la contrefaçon par imitation du signe " LIBRECHANGE " ;
Que cependant, sans qu'il y ait lieu à ce stade de rentrer dans le détail de l'argumentation des défendeurs, il convient de rappeler que les dispositions en cause, énoncées dans le chapitre III intitulé " Droits conférés à l'enregistrement " du Titre Ier du Livre VII du Code de la Propriété Intellectuelle, supposent pour être mises en oeuvre l'existence d'une marque régulièrement enregistrée et déposée antérieurement au signe argué de contrefaçon ;
Or attendu en l'espèce que la société LIBRECHANGE ne justifie nullement être titulaire d'une marque " LIBRECHANGE " déposée avant le 23 juin 2005, date du dépôt de la marque contestée ;
Que bien qu'elle ne soit pas expressément invoquée à ce titre dans ses écritures, il convient en outre de relever qu'elle ne saurait pas plus se prévaloir de la marque " Libréchange " no 06 3 469 069 déposée le 11 décembre 2006, soit postérieurement au dépôt du signe incriminé, et dont elle n'est en tout état de cause pas titulaire, le certificat d'enregistrement produit mentionnant Madame Régine Y...et Monsieur Jean- Bruno Y...en qualité de propriétaires ;
Que la société LIBRECHANGE ne pourra donc qu'être déboutée de sa demande en contrefaçon.
- Sur l'atteinte aux droits antérieurs
Attendu que la société LIBRECHANGE invoque en second lieu les dispositions de l'article L. 711-4 du Code de la Propriété Intellectuelle aux termes desquelles " Ne peut être adopté comme marque un signe portant atteinte à des droits antérieurs, et notamment : b) A une dénomination ou raison sociale, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public " ;
Que sans formuler expressément sur ce fondement une demande en nullité de la marque no 3366804 dont Monsieur Georges AA... est titulaire dans le dispositif de ses conclusions, elle indique cependant dans le corps de celles- ci que l'existence d'une dénomination sociale identique constitue une antériorité entraînant la nullité d'une marque déposée ;
Qu'il résulte de l'extrait du Registre du commerce et des sociétés versé aux débats par les seules défenderesses que la société LIBRECHANGE, immatriculée le 13 avril 1995, a pour activité déclarée les " études et conseil en communication média, l'achat et la vente d'espaces publicitaires, ainsi que l'achat et la vente de biens et de services " ;
Qu'il a été précédemment exposé que Monsieur Georges AA... a procédé le 23 juin 2005 au dépôt de la marque semi- figurative " LIBRE et CHANGE " enregistrée sous le no3366804 pour désigner, en classes 35 et 38, les services suivants : " Publicité ; conseil en publicité, en communication ; agence de publicité ; régie publicitaire ; conseil et assistance dans tous les domaines de la gestion administrative, commerciale, de la gestion de programmes de fidélisation de la clientèle, des relations publiques, de la promotion des ventes pour des tiers ; gestion de fichiers informatiques et de banques de données interactives, gestion des affaires commerciales ; administration commerciale ; travaux de bureau ; étude de marché ; communication interne et externe des entreprises ; diffusion d'annonces publicitaires ; diffusion de matériels publicitaires (tracts, prospectus, imprimés, échantillons) ; publication de textes publicitaires ; location et recherche d'espaces publicitaires ; sondages d'opinion ; relations publiques ; services de développement de la communication et de la mercatique interactive ; agences de créations publicitaires ; conseils en communication interne et externe et en mercatique ; relations presse ; promotions et stimulations des ventes pour des tiers ; élaboration (conception) de campagnes publicitaires, d'annonces publicitaires, de matériels publicitaires ; organisation d'événements au sein de l'entreprise notamment aux fins de motiver, de stimuler les forces de ventes ; organisation d'expositions à buts commerciaux et de publicité ; conseils en marchandisage ; conseil aux entreprises quant au choix des supports publicitaires ; conseils- média. " ;
Que pour déterminer s'il existe un risque de confusion entre la dénomination sociale " LIBRECHANGE " et la marque " LIBRE et CHANGE " no 3366804, il convient de procéder d'une part à une comparaison entre les signes en présence, tel que déclaré au Registre du commerce et des sociétés s'agissant de la dénomination sociale, et tel que déposé auprès de l'INPI s'agissant de la marque, et d'autre part, et de la même manière, à une comparaison entre l'objet social déclaré et les produits et services visés à l'enregistrement ;
Que s'avèrent dès lors parfaitement inopérants les développements consacrés par les défendeurs à la démonstration des différences entre les activités effectivement exercées par la société LIBRECHANGE et celles exercées par la société LIBRE et CHANGE ainsi que leur argumentation selon laquelle cette dernière ferait usage à titre de dénomination sociale d'un ensemble combinant les termes " LIBRE " suivi d'un logo constitué d'une boule de billard américain de couleur rouge comportant à la place du numéro le signe typographique figurant la conjonction " et " en gris sur fond blanc, et enfin du terme " CHANGE ", se distinguant ainsi nettement de la dénomination sociale " LIBRECHANGE " ;
Que les signes en cause présentent d'un point de vue visuel, phonétique et intellectuel une incontestable similitude dès lors qu'ils ne diffèrent l'un de l'autre que par l'adjonction dans la marque incriminée du signe typographique " et " ;
Que les services visés dans l'enregistrement de la marque, ci- dessus énoncés, se rapportent au même domaine d'activité que celui mentionné au Registre du commerce et des sociétés lors de l'immatriculation de la société LIBRECHANGE ;
Qu'il en résulte un risque de confusion dans l'esprit du public qui peut être amené à croire à l'existence de liens économiques entre les parties ;
Qu'il y a lieu en conséquence, par application combinée des articles L. 711-4 et L. 714-3 du Code de la Propriété Intellectuelle, de prononcer la nullité de la marque semi- figurative " LIBRE et CHANGE " no 3366804 dont Monsieur Georges AA... est titulaire.
- Sur les mesures réparatrices
Attendu qu'il sera fait à la mesure d'interdiction sollicitée dans les conditions énoncées au dispositif de la présente décision et dans les limites de la saisine du Tribunal, la société LIBRECHANGE ne pouvant demander une interdiction d'utiliser l'expression " LIBRECHANGE " " à quelque titre que ce soit " alors même qu'elle n'articule ses demandes que sur le fondement des articles L. 713-1 et suivants et L. 711-4 du Code de la Propriété Intellectuelle, incriminant ainsi le seul dépôt de la marque no 3366804 ;
Attendu que la demande de dommages- intérêts par ailleurs formée par la société LIBRECHANGE sera rejetée, la nullité de la marque no 3366804 précédemment prononcée étant suffisante à réparer intégralement le préjudice dont elle a été victime ;
Qu'il n'y a dès lors pas plus lieu d'autoriser la publication du présent jugement.
- Sur le demande de dommages- intérêts pour résistance abusive
Attendu que la société LIBRECHANGE sollicite à ce titre l'allocation de la somme de 5. 000 euros, faisant valoir que Monsieur Georges AA... n'a pas retiré la marque déposée malgré les démarches amiables qu'elle a entreprises et malgré la contrefaçon évidente dont il s'était rendu coupable ;
Que cependant, si la notion de résistance abusive est consacrée par l'article 1153, alinéa 4 du Code civil en vue de sanctionner l'inexécution ou le retard dans l'exécution d'une obligation née d'un contrat, elle ne saurait se concevoir en matière délictuelle dès lors qu'aucun acte distinct de ceux précédemment sanctionnés n'est démontré.
- Sur les demandes reconventionnelles
Attendu que Monsieur Georges AA... et la société LIBRE et CHANGE sollicitent qu'il soit fait injonction à la demanderesse de verser aux débats une version couleur de la nouvelle présentation de sa dénomination sociale, arguant du fait que cette dernière tend à se rapprocher de celle retenue par la société LIBRE et CHANGE pour sa propre dénomination sociale ;
Qu'il n'y a pas lieu de faire droit à une telle demande dès lors qu'il a été précédemment indiqué qu'une telle argumentation est sans portée dans le présent litige, seule la dénomination sociale telle que définie dans les Statuts et déclarée au Registre du commerce et des sociétés étant prise en considération pour apprécier le risque de confusion au sens de l'article L. 711-4 du Code de la Propriété Intellectuelle ;
Attendu que les défendeurs seront en outre déboutés de leur demande de dommages- intérêts pour procédure abusive, l'action engagée par la société LIBRECHANGE ayant partiellement prospéré.
- Sur les autres demandes
Attendu qu'il y a lieu de condamner Monsieur Georges AA... et la société LIBRE et CHANGE, parties perdantes, aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
Qu'en outre, ils doivent être condamnés à verser à la société LIBRECHANGE, qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 1. 500 euros ;
Attendu que les circonstances de l'espèce justifient le prononcé de l'exécution provisoire, qui est en outre compatible avec la nature du litige.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et rendu en premier ressort,
- DEBOUTE la société LIBRECHANGE de sa demande en contrefaçon ;
- DIT qu'en déposant le 23 juin 2005, en classes 35 et 38, la marque semi- figurative " LIBRE et CHANGE " no 3366804, Monsieur Georges AA... a porté atteinte aux droits antérieurs de la société LIBRECHANGE sur sa dénomination sociale " LIBRECHANGE " ;
En conséquence,
- DECLARE nul l'enregistrement no 3366804 de la marque semi- figurative " LIBRE et CHANGE " déposée le 23 juin 2005 par Monsieur Georges AA... ;
- DIT que la présente décision, une fois devenue définitive, sera transmise, par les soins du greffier saisi à la requête de la partie la plus diligente, à Monsieur le Directeur Général de l'Institut National de la Propriété Industrielle pour inscription au Registre National des Marques ;
- FAIT INTERDICTION à Monsieur Georges AA... de poursuivre de tels agissements ;
- CONDAMNE Monsieur Georges AA... et la société LIBRE et CHANGE à payer à la société LIBRECHANGE la somme de 1. 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
- CONDAMNE Monsieur Georges AA... et la société LIBRE et CHANGE aux dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
- ORDONNE l'exécution provisoire.
Fait et jugé à PARIS le 11 juillet 2008.
Le Greffier Le Président