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01/07/2008 | FRANCE | N°06/10922

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Chambre civile 3, 01 juillet 2008, 06/10922


T R I B U N A L

D E GRANDE

I N S T A N C E

D E P A R I S

3ème chambre 1ère section

No RG :

06/10922

No MINUTE :

JUGEMENT

rendu le 01 Juillet 2008

DEMANDEUR

Monsieur Christian X...

...

75014 PARIS

représenté par Me Christophe VOITURIEZ, avocat au barreau de PARIS, vestiaire R.143

DÉFENDERESSE

S.A. GLENAT EDITIONS

6 rue du Lieutenant Chanaron

38100 GRENOBLE

représentée par Me Gilles ADLER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire E.167

COMPOSITION DU

TRIBUNAL

Marie-Christine COURBOULAY, Vice Présidente

Guillaume MEUNIER, Juge

Sylvie LEFAIX, Juge placée, déléguée au Tribunal de Grande Instance de Paris en vertu d'une o...

T R I B U N A L

D E GRANDE

I N S T A N C E

D E P A R I S

3ème chambre 1ère section

No RG :

06/10922

No MINUTE :

JUGEMENT

rendu le 01 Juillet 2008

DEMANDEUR

Monsieur Christian X...

...

75014 PARIS

représenté par Me Christophe VOITURIEZ, avocat au barreau de PARIS, vestiaire R.143

DÉFENDERESSE

S.A. GLENAT EDITIONS

6 rue du Lieutenant Chanaron

38100 GRENOBLE

représentée par Me Gilles ADLER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire E.167

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Marie-Christine COURBOULAY, Vice Présidente

Guillaume MEUNIER, Juge

Sylvie LEFAIX, Juge placée, déléguée au Tribunal de Grande Instance de Paris en vertu d'une ordonnance du 1er président de la Cour d'Appel de Paris en date du 31 mars 2008, et déléguée à la 3e chambre en vertu d'une ordonnance du président du Tribunal de Grande Instance de Paris en date du 31 mars 2008,

assistés de Léoncia BELLON, Greffier

DÉBATS

A l'audience du 03 Juin 2008 tenue publiquement devant Marie-Christine COURBOULAY et Sylvie LEFAIX, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seules l'audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 786 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT

Prononcé par remise au greffe

Contradictoire

en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur Christian Z... est l'auteur d'un ouvrage publié en 1977 aux Editions ARTHAUD sous le titre Croisière des sables, à la suite d'une expédition qu'il a menée de décembre 1976 à avril 1977 à travers les déserts d'Afrique du Nord.

En octobre 2005, Monsieur Z... a constaté que les Editions GLENAT ont publié un ouvrage intitulé LA CROISIÈRE DES SABLES, Sur les pistes de Tombouctou, et consacré à une expédition automobile ralliant L'Algérie au Mali en 1923, écrit par Madame Ariane A..., fille de l'un des membres de l'expédition.

Après l'avoir mise en demeure en vain, Monsieur Z... a, par exploit en date du 12 juillet 2006, fait assigner la société GLENAT EDITIONS devant le tribunal de grande instance de Paris sur les fondements de la contrefaçon de droit d'auteur et de la concurrence déloyale.

Dans ses dernières écritures signifiées le 4 juillet 2007, Monsieur Z... sollicite du tribunal, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :

- qu'il juge que les Editions GLENAT ont commis des actes de contrefaçon à son encontre en reproduisant le titre qu'il a créé sans autorisation de sa part et sans mention de son nom,

- qu'il juge que le comportement des Editions GLENAT est constitutif d'agissements parasitaires et de concurrence déloyale,

- qu'il condamne les Editions GLENAT à lui verser la somme de 40.000 euros au titre de l'atteinte portée à son droit patrimonial, la somme de 40.000 euros au titre de l'atteinte portée à son droit moral et la somme de 40.000 euros à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale et agissements parasitaires,

- qu'il condamne les Editions GLENAT sous astreinte de 500 euros par infraction constatée, à compter de la signification du jugement à intervenir, à insérer dans chaque ouvrage restant en stock l'insert suivant : "l'attention du lecteur est attirée sur le fait que le titre de l'ouvrage de Madame A... est identique à celui d'un ouvrage précédemment publié aux éditions ARTHAUD et écrit par Monsieur Christian Z... qui a accepté, nonobstant l'emprunt de son titre, de ne pas entraver la mise à disposition au public de l'ouvrage de Madame A... aux Editions GLENAT, qui expriment néanmoins leurs regrets d'avoir, sans l'autorisation de Monsieur Z..., reproduit cette caractéristique propre de son ouvrage",

- qu'il juge que le jugement à intervenir sera publié dans cinq journaux au choix de Monsieur Z... aux frais avancés par les Editions GLENAT,

- qu'il interdise à la défenderesse de poursuivre les agissements litigieux lors d'une prochaine réédition sous astreinte de 4.000 euros par infraction constatée,

- qu'il condamne les Editions GLENAT à lui verser la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Au soutien de ses écritures, Monsieur Z... expose que la paternité du titre lui revient, personne ne l'ayant utilisé avant lui, et la circonstance qu'il ait divulgué cette expression avant la parution du livre ne saurait lui ôter sa qualité à agir. Il ajoute que le titre est parfaitement original et empreint de la personnalité de son auteur, du fait de la combinaison insolite des mots "croisière" et "sable", du fait de l'appropriation par les médias de ce titre pour désigner l'expédition à laquelle a participé le demandeur et qui a donné lieu à la publication de 1977. Il ajoute que le titre se distingue totalement des "croisière jaune" et "croisière noire" qui associent le mot croisière à une couleur.

S'agissant de la concurrence déloyale, Monsieur Z... souligne le risque de confusion, les deux ouvrages étant consacrés à une expédition automobile dans le Sahara et ayant une couverture similaire à savoir la photographie d'une voiture dans le désert, l'écart entre les dates de parution n'ayant à lui seul pas d'incidence.

Subsidiairement, le demandeur estime que les agissements des Editions GLENAT sont au moins constitutifs de parasitisme dans la mesure où elles cherchent à profiter de sa notoriété et à s'insérer dans son sillage alors même que les deux expéditions n'ont eu ni la même ampleur matérielle et technique, ni les mêmes retombées médiatiques. Il ajoute que son préjudice est incontestable puisque les deux ouvrages apparaissent indifféremment lors d'une recherche sur internet, celui de Madame A... apparaissant en premier, et alors qu'ayant récupéré ses droits d'auteur, il peut envisager une nouvelle édition.

Il précise que son ouvrage a été tiré à 30.000 exemplaires et que les stocks sont aujourd'hui écoulés.

Dans leurs dernières écritures signifiées le 10 septembre 2007, les Editions GLENAT demandent au tribunal :

- de juger que Monsieur Z... ne démontre pas qu'il est l'auteur ou l'auteur unique du titre "Croisières des Sables" dont il est établi qu'il serait également une création de Monsieur Constantin B..., co-organisateur de l'expédition,

- de les accueillir en leur fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité pour agir et de dire la demande de Monsieur Z... irrecevable,

- de juger que le titre "Croisière des sables" n'est pas protégeable sur le fondement de l'article L112-4 du code de la propriété intellectuelle,

- de juger qu'il n'existe aucun risque de confusion entre les deux ouvrages en cause et que l'ouvrage de Monsieur Z... ne bénéficie pas d'une notoriété telle que la société GLENAT cherche à en profiter,

- de juger que Monsieur Z... ne démontre pas l'existence d'un préjudice,

- de débouter Monsieur Z... de ses demandes au titre de la concurrence déloyale et des agissements parasitaires,

- de condamner Monsieur Z... aux dépens avec distraction au profit de Maître ADLER, ainsi qu'au versement de la somme de 2.500 euros à la société GLENAT en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, la société GLENAT estime que Monsieur Z... ne rapporte pas la preuve qu'il est l'auteur du titre litigieux, d'autant moins que ce titre a été donné à l'expédition que l'ouvrage retrace, et que Monsieur B... a largement contribué à l'organisation de cette expédition, comme le souligne l'ouvrage. Elle en déduit que Monsieur Z... est irrecevable à agir sur le fondement de l'article L 113-3 du code de la propriété intellectuelle.

Elle souligne que l'ouvrage LA CROISIÈRE DES SABLES, Sur les pistes de Tombouctou qu'elle a édité fait suite à deux autres ouvrages qui s'intitulent "La croisière jaune, sur la route de la soie" et "La croisière noire, sur la trace des explorateurs du XIXè", consacrés aux expéditions d'André CITROËN. Elle en déduit qu'il est normal que, pour le troisième ouvrage comme pour les deux autres, elle utilise le mot "croisière", et justifie l'utilisation du mot sable par le fait que cette troisième édition se consacre au Sahara.

Elle ajoute que l'utilisation du mot croisière pour les deux expéditions CITROËN des années 1920 démontre l'absence d'originalité et d'empreinte de la personnalité dans l'utilisation de ce terme pour désigner une expédition automobile.

S'agissant de la concurrence déloyale et du parasitisme, la défenderesse fait valoir que les deux véhicules photographiés en couverture sont très différents, du fait de leur âge, que l'ouvrage du demandeur n'est plus en vente, ne bénéficie d'aucune notoriété, et que 29 années séparent les deux livres, de sorte qu'aucune confusion n'est possible selon elle.

S'agissant du parasitisme et du préjudice allégué, la société GLENAT souligne que seuls 15.000 exemplaires de l'ouvrage de Monsieur Z... ont effectivement été vendus, et que Madame A... n'a quant à elle vendu que 2.100 exemplaires de son livre.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 31 octobre 2007.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité de l'action de Monsieur Z...

Attendu que l'article 31 du code de procédure civile dispose que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé ;

Attendu qu'en l'espèce, le demandeur invoque la présomption simple de l'article L 113-1 du code de la propriété intellectuelle qui dispose que la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'oeuvre est divulguée ;

Qu'il est constant que l'ouvrage Croisière des sables de 1977 a été divulgué sous le nom de Monsieur Z..., ce qui établit une présomption simple de paternité au profit du demandeur sur l'ouvrage et sur son titre ;

Que la circonstance que les médias aient désigné à l'époque l'expédition relatée dans l'ouvrage sous la dénomination "croisière de sable" ne saurait priver Monsieur Z... d'user de cette dénomination pour intituler son ouvrage ;

Que de même, la circonstance que Monsieur Constantin B... fasse l'objet d'un encart sur la jaquette du livre, dans la mesure où il "a largement participé à l'organisation de la Croisière des sables" ne saurait efficacement combattre la présomption de paternité susvisée d'autant moins qu'il n'est pas allégué qu'il ait participé à la réalisation de l'ouvrage ;

Qu'enfin, le courrier adressé par le Président de la République Léopold D... SENGHOR à Messieurs Z... et B... concerne l'expédition et n'anéantit en rien la présomption de paternité de Monsieur Z... sur le titre de son ouvrage ;

Que l'auteur d'un ouvrage étant libre de choisir le titre qu'il lui appose, dans le respect du droit des tiers, Monsieur Z... est donc recevable en son action de contrefaçon de droit d'auteur sur le titre de son livre ;

Sur la contrefaçon du titre Croisière des sables

Attendu que l'article L 112-4 alinéa 1er du code de la propriété intellectuelle exige, pour que le titre d'une oeuvre de l'esprit soit protégé, qu'il présente un caractère original ;

Que l'appréciation de cette originalité se concentre sur les termes même du titre, et ne doit pas s'appuyer sur le contenu du livre ;

Attendu qu'en l'espèce, le titre est constitué de deux mots, croisière et sable, qui sont tous deux employés dans leur sens commun, avec cependant un caractère extensif de l'utilisation du mot croisière qui, au sens strict, désigne l'action de parcourir la mer et non la terre ;

Qu'il résulte des pièces produites au débat que cette utilisation extensive du mot "croisière" pour désigner une aventure automobile dans le désert a déjà été faite lors des expéditions André CITROËN des années 1920, communément désignées par "la croisière jaune" et "la croisière noire", par ailleurs mentionnées dans les coupures de presse produites au débat par le demandeur, ce qui relativise grandement l'effort littéraire contenu dans le titre "croisière des sables" ;

Qu'il ne ressort pas de ces articles de presse que Monsieur Z... serait à l'origine de la dénomination donnée à l'expédition en cause, d'autant moins que Monsieur Constantin B... en est toujours cité comme co-organisateur principalau même titre que Monsieur Z...;

Qu'en outre, l'utilisation du mot "sables" pour désigner les déserts parcourus est une synecdoque c'est-à-dire une figure de style réaliste, dépourvue d'originalité littéraire et dont l'empreinte de la personnalité de l'auteur n'est pas démontrée ;

Qu'en conséquence, ce titre ne peut prétendre à la protection définie par l'article L 112-4 alinéa 1 du code de la propriété intellectuelle ;

Que Monsieur Z... doit donc être déboutée de ses demandes en contrefaçon ;

Sur la concurrence déloyale et le parasitisme

Attendu que l'alinéa 2 de l'article précité énonce que nul ne peut utiliser le titre d'une oeuvre de l'esprit pour individualiser une oeuvre du même genre dans des conditions susceptibles de provoquer une confusion ;

Qu'il n'est pas contesté par les Editions GLENAT que les deux ouvrages litigieux appartiennent au même genre littéraire, remplissant ainsi la première condition du texte ;

Que cependant, s'agissant du risque de confusion, 29 années séparent les deux livres, le premier n'ayant jamais été réédité et n'étant plus en vente ;

Qu'ils ne sont par ailleurs pas consacrés aux mêmes événements puisque 50 années séparent les deux expéditions auxquelles ils sont consacrés, ce qui exclut qu'un lecteur d'attention moyenne intéressé par ce genre littéraire consacré aux expéditions automobiles pionnières puisse confondre les deux ouvrages ;

Que la capture d'écran du moteur de recherche sur internet produit par le demandeur et qui montre que l'ouvrage de Madame A... apparaît parmi les premiers résultats ne saurait suffire à étayer un risque de confusion, et ce d'autant moins que son ouvrage est beaucoup plus récent et toujours en vente à la différence de celui du demandeur ;

Que par ailleurs l'ouvrage de Monsieur Z... apparaît également dans les premières réponses, et les résultats proposés par un tel moteur de recherche ainsi que l'ordre dans lequel ils apparaissent ne sont pas immuables et varient en permanence selon les pages internet et les sites visités et le nombre d'internautes qui s'y rendent ;

Qu'en conséquence ni la concurrence déloyale, ni le parasitisme n'étant établi, les demandes de Monsieur Z... sur ces fondements seront également rejetées ;

Sur les autres demandes

Attendu que compte tenu de la solution donnée au litige, les demandes de réparations et de publication judiciaire formulées par Monsieur Z... seront rejetées ;

Que Monsieur Z..., qui succombe, sera condamné à verser aux Editions GLENAT la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Que compte tenu de la solution donnée au litige, il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire ;

Que Monsieur Z... sera également condamné aux dépens, avec distraction au profit de Maître ADLER ;

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant par jugement contradictoire, rendu en premier ressort par mise à disposition au greffe le jour du délibéré,

Déclare mal fondée l'action en contrefaçon du titre Croisière des sables engagée par Monsieur Christian Z... à l'encontre de la société GLENAT Editions et l'en déboute,

Déclare mal fondée l'action en concurrence déloyale et parasitisme engagée par Monsieur Christian Z... à l'encontre de la société GLENAT Editions et l'en déboute,

Rejette l'ensemble des demandes de Monsieur Christian Z...,

Condamne Monsieur Christian Z... à verser à la société GLENAT Editions la somme de 2.500 euros (DEUX MILLE CINQ CENT EUROS) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

Condamne Monsieur Christian Z... aux dépens, avec distraction au profit de Maître Gilles ADLER.

FAIT ET PRONONCE À PARIS LE 01 JUILLET 2008 par remise au greffe.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 06/10922
Date de la décision : 01/07/2008
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2008-07-01;06.10922 ?
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