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27/06/2008 | FRANCE | N°07/03587

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Chambre civile 3, 27 juin 2008, 07/03587


T R I B U N A L

D E GRANDE

I N S T A N C E

D E P A R I S

3ème chambre 2ème section

No RG :

07/03587

No MINUTE :

Assignation du :

07 Mars 2007

JUGEMENT

rendu le 27 Juin 2008

DEMANDEUR

Monsieur Guy X...

...

92380 GARCHES

représenté par Me Anita ANTON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire D.1080 et Me André SCHMIDT avocat au Barreau de Paris(P391)

DÉFENDERESSE

INSTITUT NATIONAL DE L'AUDIOVISUEL

...

94360 BRY SUR MARNE

représentée par Me Yv

es BAUDELOT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire P216

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Véronique RENARD, Vice-Président, signataire de la décision

Sophie CANAS, Juge

Guillaume MEUNIER...

T R I B U N A L

D E GRANDE

I N S T A N C E

D E P A R I S

3ème chambre 2ème section

No RG :

07/03587

No MINUTE :

Assignation du :

07 Mars 2007

JUGEMENT

rendu le 27 Juin 2008

DEMANDEUR

Monsieur Guy X...

...

92380 GARCHES

représenté par Me Anita ANTON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire D.1080 et Me André SCHMIDT avocat au Barreau de Paris(P391)

DÉFENDERESSE

INSTITUT NATIONAL DE L'AUDIOVISUEL

...

94360 BRY SUR MARNE

représentée par Me Yves BAUDELOT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire P216

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Véronique RENARD, Vice-Président, signataire de la décision

Sophie CANAS, Juge

Guillaume MEUNIER, Juge

assistée de Marie-Aline PIGNOLET, Greffier, signataire de la décision

DEBATS

A l'audience du 23 Mai 2008

tenue en audience publique

JUGEMENT

Prononcé par remise de la décision au greffe

Contradictoire

en premier ressort

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La Société Nationale de Télévision en Couleurs ANTENNE 2 a produit et diffusé les émissions intitulées "Apostrophes" animées par Monsieur Bernard A..., et notamment l'émission "Apostrophes en chanson" enregistrée le 22 décembre 1986 et diffusée le 26 décembre 1986, au cours de laquelle a eu lieu une altercation entre Messieurs Serge B... et Guy X....

Par l'effet des lois des 07 août 1974, 29 juillet 1982 et 30 septembre 1986, les droits de l'ORTF et des sociétés de programmes qui lui ont succédé sur les émissions qu'ils ont produites et diffusées ont été transférés à l'Institut National de l'Audiovisuel (ci-après INA), qui s'est vu confier par le législateur la double tâche de conserver leurs archives et de les exploiter.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 12 décembre 2000, Monsieur Guy X... a demandé à ce dernier de ne pas rediffuser d'extraits de l'émission "Apostrophes en chanson" en ces termes :

"Concernant l'émission "APOSTROPHES EN CHANSON" enregistrée le 22 décembre 1986 et diffusée le 26 décembre 1986, je vous notifie si besoin par la présente que j'interdis toutes rediffusions d'extraits des dialogues des participants à cette émission où ma voix serait reproduite et toutes rediffusions d'extraits de cette émission où je figurerais, ainsi que tous extraits de cette émission où l'un quelconque des participants ferait référence à ma personne ou s'adresserait à moi.".

Dans un courrier en date du 19 décembre 2000, Monsieur Christian C..., directeur adjoint marketing et ventes de l'INA, a accédé à sa demande dans les termes suivants :

"Pour faire suite à votre courrier recommandé adressé à Xavier D..., je vous confirme que l'INA détient bien votre contrat (lettre d'engagement de Antenne 2 signée par vous) relatif à l'émission "Apostrophes en chansons", dont je vous transmets copie en pièce jointe à cette correspondance. A ce titre, l'INA est bien fondée à pouvoir exploiter les images de cette émission, notamment sous forme d'extraits.

Néanmoins, et à titre tout à fait exceptionnel, nous accédons à votre demande d'interdiction de toute rediffusion de l'extrait de l'émission citée en objet correspondant à l'échange verbal polémique entre Serge B... et vous-même. Ce faisant, l'interdiction d'utilisation de cet extrait rend désormais caduque toute exploitation de ladite émission sous forme d'intégrale.

En revanche, il nous est impossible d'accéder à votre demande en ce qui concerne les autres participants de cette émission sauf si vous êtes en mesure de nous produire leur accord écrit ou celui de leurs ayants droit."

Indiquant avoir constaté que l'INA avait mis en ligne à compter du 27 avril 2006 sur son site internet dénommé "Archives pour tous" accessible à l'adresse http://www.ina.fr un extrait de l'émission "Apostrophes en chanson" diffusée le 26 décembre 1986, ainsi présenté : "Bernard A... présente un album consacré à B..., assis au piano, Serge B... répond aux questions de Pivot sur sa première passion : la peinture, vive altercation entre B... et Guy X... à propose de la musique, B... considère en effet que c'est un "art mineur". Désaccord total de Guy X... sur ce point, B... l'insulte en le traitant de "connard".", et que cet extrait figurait au "TOP 10" des programmes visités, Monsieur Guy X... a, selon acte d'huissier en date du 11 septembre 2006, fait assigner l'INA en référé d'heure à heure aux fins notamment de lui voir faire injonction de retirer l'extrait litigieux de son site internet et interdiction de le mettre en ligne.

Par ordonnance rendue le 05 octobre 2006, le Juge des référés a déclaré l'assignation nulle en ce qu'elle est fondée sur l'article 9 du Code civil, dit n'y avoir lieu à référé en ce qu'elle est fondée sur les articles 1134 et 1147 du Code civil et condamné Monsieur Guy X... à payer à l'INA la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Estimant que l'INA a violé l'engagement contractuel qu'il avait pris à son égard par lettre du 19 décembre 2000 de ne pas rediffuser l'extrait de l'émission correspondant à l'échange verbal polémique entre Serge B... et lui-même et se fondant désormais sur les seules dispositions des articles 1134 et 1142 du Code civil, Monsieur Guy X... a, suivant exploit d'huissier en date du 07 mars 2007, fait assigner l'INA devant le Tribunal de Grande Instance de PARIS aux fins d'obtenir, outre la communication de tout document permettant d'établir le nombre de visionnages gratuits de l'extrait litigieux effectués depuis son site internet et le montant des téléchargements effectués sur le site concernant cet extrait, la condamnation de ce dernier à lui payer la somme de 80.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral ainsi que celle de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, le tout sous le bénéfice de l'exécution provisoire.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 31 août 2007, Monsieur Guy X..., après avoir réfuté les arguments présentés en défense, a repris, en les développant, l'ensemble des moyens et prétentions contenus dans son acte introductif d'instance, sauf en ce qu'il ne sollicite plus la mesure de communication sous astreinte précédemment réclamée.

Dans le dernier état de ses écritures en date du 08 novembre 2007, l'INA conclut au débouté de Monsieur Guy X... de ses demandes, faisant en substance valoir qu'il était autorisé à diffuser, sur son site internet www.ina.fr, tout ou partie de l'émission "Apostrophes en chanson" sans avoir à solliciter l'autorisation préalable de Monsieur Guy X..., que la faveur accordée à ce dernier de ne plus diffuser cette séquence constitue non pas un contrat mais un engagement sans cause, ou à tout le moins une obligation naturelle qui ne peut produire aucun effet juridique, qu'il ne peut en tout état de cause être tenu pour responsable de l'offense constituée par les seuls propos de Serge B..., qu'il a procédé le 05 septembre 2006, soit le lendemain même de la réception du projet d'assignation en référé, au retrait de la séquence litigieuse, qui n'a été visionnée que par 12.013 internautes et téléchargée seulement à 30 reprises, générant 45 euros de recettes brutes, qu'enfin il a fait le nécessaire, dès qu'il a eu connaissance de diffusions illicites réalisées sur d'autres sites internet, pour que l'extrait en cause soit immédiatement retiré et ne peut être tenu pour responsable des actes de contrefaçon commis par des tiers. Il sollicite reconventionnellement la condamnation de Monsieur Guy X... à lui verser la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 janvier 2008.

MOTIFS DE LA DÉCISION

- Sur la responsabilité de l'INA

Attendu qu'il est constant que suivant lettre d'engagement en date des 16 et 30 décembre 1986, la Société Nationale de Télévision en Couleurs ANTENNE 2 a engagé en qualité de "collaborateur" Monsieur Guy X... en vue de sa participation à l'enregistrement de l'émission "Apostrophes" du 22 décembre 1986 moyennant un cachet brut d'un montant de 2.000 francs, ledit contrat prévoyant que "ce cachet couvre exclusivement les diffusions du 26 et 29 décembre 2006. Toute nouvelle diffusion se fera conformément à la Convention des Artistes Interprètes" ;

Qu'il n'est pas contesté qu'au regard de ce contrat et en vertu de l'article 2.1 de l'Accord Collectif du 16 juin 2005 se substituant aux conventions collectives antérieures, l'INA était en principe en droit d'exploiter l'émission en cause sans avoir à solliciter l'autorisation préalable de Monsieur Guy X... ;

Que cependant, celui-ci estime que de par son engagement de ne pas rediffuser la séquence litigieuse contenu dans sa lettre du 19 décembre 2000, dont les termes ont été ci-dessus rappelés, l'INA a expressément dérogé à ces règles et s'est soumis à son égard à une obligation contractuelle ;

Qu'il se fonde dès lors sur les dispositions de l'article 1134 du Code civil, aux termes duquel "les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites", pour obtenir réparation de son préjudice moral, estimant que la rediffusion et l'exploitation à titre commercial par l'INA de l'insulte proférée en public par Serge B..., qui l'avait à l'époque traité de "connard", ravive la peine causée par cette offense et y participe ;

Attendu que l'INA oppose en premier lieu que l'engagement pris "à titre tout à fait exceptionnel" à l'égard de Monsieur Guy X... consistait en une faveur, dépourvue de contrepartie, et ne peut dès lors avoir aucun effet juridique s'agissant d'une obligation sans cause ;

Qu'il y a lieu cependant de rappeler que l'absence de contrepartie ne saurait être assimilée, s'agissant d'un acte à titre gratuit, à l'absence de cause, dès lors qu'il se caractérise justement par l'absence voulue de contrepartie ;

Qu'il convient dès lors de rechercher la cause d'un tel engagement dans le mobile déterminant qui a pu animer le débiteur de l'obligation ;

Qu'en l'espèce, ainsi que le relève justement la partie demanderesse, les circonstances de fait permettent de considérer que l'INA a accédé à la demande de Monsieur Guy X... de ne plus diffuser la séquence litigieuse pour ne pas exploiter inutilement un passage de l'émission blessant pour l'artiste du fait du caractère insultant des propos tenus à son égard ;

Que l'engagement pris par l'INA dans son courrier du 19 décembre 2000 n'est pas en conséquence dépourvu de cause au sens de l'article 1131 du Code civil ;

Attendu que l'INA soutient en second lieu que cette "faveur", accordée "pour être agréable" à Monsieur Guy X... alors même qu'il était juridiquement fondée à diffuser l'émission litigieuse, doit à tout le moins être regardée comme une simple obligation naturelle, sans effet juridique et dont l'exécution ne peut être demandée en justice ;

Que le demandeur objecte toutefois à juste titre que l'engagement unilatéral pris par l'INA en connaissance de cause d'exécuter une obligation naturelle - soit, en l'espèce, le souhait de lui "être agréable" comme le reconnaît la défenderesse elle-même dans ses écritures - transforme celle-ci en obligation civile valable et dès lors susceptible d'exécution forcée ;

Que l'argumentation développée par l'INA ne saurait donc pas plus prospérer, la lettre en date du 19 décembre 2000 s'analysant comme un contrat unilatéral ayant donné naissance à une obligation de ne pas faire à la charge de l'INA ;

Attendu qu'il est suffisamment établi par les pièces versées aux débats, et notamment par le procès-verbal de constat dressé le 29 juin 2006 par Maître Eric E..., Huissier de Justice associé près le Tribunal de Grande Instance de PARIS, que la séquence litigieuse était à cette date accessible sur le site internet http://www.ina.fr, soit en vue d'un simple visionnage, soit pour téléchargement moyennant le paiement de la somme de 1,50 euros, faits dont la défenderesse ne conteste d'ailleurs pas la matérialité ;

Que l'INA a ainsi manqué à l'obligation de ne pas rediffuser qu'elle avait contractée dans la lettre en date du 19 décembre 2000 et voit dès lors sa responsabilité engagée, sans en revanche que puissent lui être imputées les diffusions constatées sur d'autres sites internet.

- Sur les mesures réparatrices

Attendu qu'aux termes de l'article 1142 du Code civil, "Toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts, en cas d'inexécution de la part du débiteur" ;

Que Monsieur Guy X... se prévaut de ces dispositions pour solliciter l'allocation de la somme de 80.000 euros en réparation du préjudice moral qu'il prétend avoir subi du fait du manquement de l'INA à son obligation de ne pas rediffuser la séquence litigieuse de l'émission "Apostrophes en chanson" diffusée le 26 décembre 1986 ;

Qu'il soutient à ce titre que la défenderesse, en diffusant l'extrait en cause sur son site internet du 27 avril 2006 à début septembre 2006, s'est associée aux propos outranciers tenus par Serge B... en leur assurant une rediffusion au plus grand nombre et sans aucune maîtrise, et en permettant en outre aux internautes de télécharger cet extrait et donc de le rediffuser à leur tour sur tous supports ;

Qu'il ajoute que l'exploitation de cette altercation publique ravive la peine causée par cette offense, tant à lui-même qu'à son entourage familial, et y participe ;

Que l'INA, quant à elle, relève à juste titre qu'il ne peut être tenu pour responsable de l'offense constituée par les seuls propos tenus par Serge B... pas plus que des exploitations illicites de l'extrait en cause sur des sites tiers, et indique pour le surplus, sans être contredit, qu'il a procédé le 05 septembre 2006, soit le lendemain même de la réception du projet d'assignation en référé d'heure à heure du demandeur, au retrait de la séquence litigieuse sur son site internet accessible à l'adresse www.ina.fr et que celle-ci n'a été visionnée que par 12.013 internautes et téléchargée seulement à 30 reprises, générant à son profit 45 euros de recettes brutes ;

Qu'il justifie par ailleurs des démarches effectuées pour faire procéder au retrait de l'extrait incriminé sur les sites internet accessibles à l'adresse www.top-videos.fr et www.video.google.fr ainsi que sur la page internet http:/blog.jsansonnens.ch/post/240 ;

Qu'il y a lieu compte tenu de l'ensemble de ces éléments d'allouer à Monsieur Guy X... la somme de 1 euro à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral.

- Sur les autres demandes

Attendu qu'il y a lieu de condamner l'INA, partie perdante, aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Qu'en outre, elle doit être condamnée à verser à Monsieur Guy X..., qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 3.000 euros.

Attendu que les circonstances de l'espèce justifient le prononcé de l'exécution provisoire, qui est en outre compatible avec la nature du litige.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et rendu en premier ressort,

- DIT qu'en rediffusant sur son site internet accessible à l'adresse http://www.ina.fr un extrait de l'émission "Apostrophes en chanson" enregistrée le 22 décembre 1986 et diffusée le 26 décembre 1986 au cours duquel a eu lieu une altercation entre Messieurs Serge B... et Guy X..., l'Institut National de l'Audiovisuel a manqué à l'obligation contractuelle qu'elle avait souscrite dans sa lettre en date du 19 décembre 2000 à l'égard de Monsieur Guy X... ;

En conséquence,

- CONDAMNE l'Institut National de l'Audiovisuel à payer à Monsieur Guy X... la somme de 1 (UN) euro à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral ;

- CONDAMNE l'Institut National de l'Audiovisuel à payer à Monsieur Guy X... la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNE l'Institut National de l'Audiovisuel aux dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

- ORDONNE l'exécution provisoire.

Fait et jugé à PARIS le 27 juin 2008.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 07/03587
Date de la décision : 27/06/2008
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2008-06-27;07.03587 ?
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