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24/06/2008 | FRANCE | N°06/01599

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Chambre civile 3, 24 juin 2008, 06/01599


T R I B U N A L

D E GRANDE

I N S T A N C E

D E P A R I S

3ème chambre 1ère section

No RG :

06/01599

No MINUTE :

JUGEMENT

rendu le 24 Juin 2008

DEMANDERESSE

Madame Cécile X...

...

75018 PARIS

représentée par Me RABILLER, avocat au barreau de PARIS, avocat vestiaire D356

DÉFENDERESSE

S.A.S VAN CLEFF ET ARPELS INTERNATIONAL - Y...

...

75001 PARIS

représentée par Me Vincent FAUCHOUX - SCP DEPREZ DIAN GUIGNOT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire P.221>
COMPOSITION DU TRIBUNAL

Marie-Christine COURBOULAY, Vice Président

Guillaume MEUNIER, Juge

Sylvie LEFAIX, Juge placée, déléguée au Tribunal de Grande Instance de Paris...

T R I B U N A L

D E GRANDE

I N S T A N C E

D E P A R I S

3ème chambre 1ère section

No RG :

06/01599

No MINUTE :

JUGEMENT

rendu le 24 Juin 2008

DEMANDERESSE

Madame Cécile X...

...

75018 PARIS

représentée par Me RABILLER, avocat au barreau de PARIS, avocat vestiaire D356

DÉFENDERESSE

S.A.S VAN CLEFF ET ARPELS INTERNATIONAL - Y...

...

75001 PARIS

représentée par Me Vincent FAUCHOUX - SCP DEPREZ DIAN GUIGNOT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire P.221

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Marie-Christine COURBOULAY, Vice Président

Guillaume MEUNIER, Juge

Sylvie LEFAIX, Juge placée, déléguée au Tribunal de Grande Instance de Paris en vertu d'une ordonnance du 1er président de la Cour d'Appel de Paris en date du 31 mars 2008, et déléguée à la 3e chambre en vertu d'une ordonnance du président du Tribunal de Grande Instance de Paris en date du 31 mars

assistés de Léoncia BELLON, Greffier

DEBATS

A l'audience du 02 Juin 2008

tenue publiquement

JUGEMENT

Prononcé par remise au greffe

Contradictoire

en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

Par un contrat de travail conclu le 1er mars 1999, Madame Cécile X... a intégré la Société des Lapidaires et Professionnels de la Recherche Artistique (SLEPRA) en qualité de dessinatrice et responsable de création.

A compter du 1er avril 2000, ledit contrat de travail a été transmis à la société VAN CLEEF AND ARPELS INTERNATIONAL (ci après la société Y...) sans modification.

Le 19 janvier 2001, Madame X... a été convoquée à un entretien préalable de licenciement, lequel est intervenu le 25 janvier suivant.

Le 31 janvier 2001, elle s'est vue notifier son licenciement pour cause réelle et sérieuse mais les parties au contrat ont cependant signé une transaction le 5 février 2001.

Par exploit en date du 24 janvier 2006, Madame X... a fait assigner son ancien employeur devant le tribunal de grande instance de Paris sur le fondement notamment des articles 2044 et suivants et 2048 du code civil, L 511-1, L 111-1 et suivants, L 131-1 et suivants, L 121-1, L 146 du code de la propriété intellectuelle.

Dans ses dernières écritures visées au greffe le 30 octobre 2007, Madame X... demande au tribunal :

- de la déclarer recevable et bien fondée en son action et de débouter la société Y... de l'ensemble de ses moyens, fins et conclusions à cet égard,

- d'écarter la pièce no39 de la société Y..., nul ne pouvant se constituer une preuve à soi-même,

- de constater que les dessins de Madame X... constituent des oeuvres originales marquées de son empreinte, et non des ébauches ou documents préparatoires, et doivent être protégées à ce titre,

- de rejeter les conclusions de la société Y... tendant à rapporter la preuve d'oeuvres collectives qui seraient sa propriété ab initio,

- de dire que le contrat de travail ne saurait constituer un obstacle à la naissance des droits de propriété intellectuelle de ses oeuvres sur sa tête et ne peut valoir cession de droits,

- de juger que la cession envisagée par l'article 6 de la transaction signée le 5 février 2001 est nulle pour violation des articles L 131-1 et L 131-3 du code de la propriété intellectuelle et juger que Madame X... dispose de la plénitude des droits de propriété intellectuelle sur les dessins litigieux,

- de juger que la société Y... a porté atteinte au droit moral de Madame X... en modifiant et en utilisant ses oeuvres sans autorisation,

- d'ordonner une expertise portant sur les dessins pour une période allant de 1999 jusqu'à aujourd'hui, en précisant que l'expert pourra se faire remettre tous documents utiles, et notamment les dessins dont Madame X... ne dispose pas, et qui sont dans les mains de la défenderesse,

- de dire que l'expert devra déterminer les déclinaisons qui ont été faites sous formes de 5 catégories ainsi répertoriées : collier, clip, motif d'oreille, bague et bracelet, le nombre d'exemplaires fabriqués et vendus pour chaque catégorie, la date de cession et la quantité encore en stock, le prix de vente en France et dans le monde, et donner son avis sur un taux de rémunération proportionnelle proposé par Madame X... à hauteur de 2%,

- d'allouer à la demanderesse la somme provisionnelle de 400.000 euros dans l'attente du dépôt du rapport, à valoir sur son indemnisation,

- s'agissant du droit moral, d'ordonner une mesure d'expertise pour vérifier si des adaptations nouvelles des dessins de Madame X... ont été réalisées à son insu, pour rechercher si les dessins pouvaient être déclinés en d'autres modèles dans d'autres catégories que celle pour laquelle ils avaient été réalisés, de déterminer le nombre d'adaptation par catégorie et/ou par dessins réalisées sans l'autorisation de la demanderesse, définir l'ampleur de l'adaptation par déclinaison du dessin d'une catégorie à une autre et/ou par substitution de matériaux aboutissant à modifier l'aspect, l'homogénéité et la couleur,

- d'allouer à la demanderesse la somme provisionnelle de 30.000 euros dans l'attente du dépôt du rapport à valoir sur la réparation de l'atteinte à son droit moral,

- de rejeter la demande de réparation formulée par la société Y... ainsi que sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir,

- condamner la société Y... à verser à Madame X... la somme de 7.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens dont distraction au profit de Maître RABILLER.

S'agissant de la recevabilité de son action, Madame X... expose que la transaction signée le 5 février 2001 ne peut s'y opposer dans la mesure où son article 6 est nul. Elle fait valoir que la transaction ne concernait que son licenciement, que l'article 6 a été rajouté in extremis, empêchant Madame X... d'avoir conscience de ce qu'il impliquait, que la société Y... se contredit en disant qu'elle était propriétaire ab initio des créations alors qu'elle a écrit le contraire à la demanderesse et prend soin dans les contrats de travail de ses salariés d'organiser la cession de droits. Elle ajoute que l'exigence de concessions réciproques n'est pas remplie, Madame X... n'ayant rien perçu pour cette cession de droit puisque les sommes prévues dans la transaction lui ont été versées au titre de son licenciement.

Elle fait valoir que contrairement à ce que soutient la défenderesse, il ne s'agit pas d'oeuvres collectives puisque ses dessins sont des oeuvres premières et n'ont jamais été divulgués sous le nom de la société Y..., ce que cette dernière a reconnu. Elle ajoute que ses dessins sont une "contribution personnelle identifiable" et qu'elle disposait d'une grande liberté de création encadrée par aucune direction artistique puisqu'elle était elle-même chef de création et avait la charge de l'encadrement de l'équipe. Elle souligne que ses dessins ne sauraient être qualifiés de documents préparatoires ou d'ébauches compte tenu de l'utilisation à des fins d'illustrations sur différents supports qu'en a fait la société Y..., et expose que, s'agissant de la libellule, son dessin tranche totalement avec les modèles antérieurs et écarte l'hypothèse d'un style "Van Cleef" comme titulaire de la paternité de cette oeuvre. Elle précise que ses initiales étant apposées sur ses dessins, excluant le doute sur leur origine.

Madame X... fait valoir que ses dessins ne sauraient être soumis au régime des articles L 511-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, n'ayant pas été déposés à l'INPI et constituant des oeuvres artistiques, originales et revêtues de la marque de sa personnalité, ayant donné lieu à transpositions parfaites en pièces de haute joaillerie.

Elle exclut l'incidence du contrat de travail comme cause de cession de ses droits, dans la mesure où ledit contrat prévoyait que des contrats de cession soient formalisés, ce qui n'a pas été le cas, où aucune rémunération et aucune précision quant l'étendue et la destination de la cession n'est prévue. Elle précise que le salaire qu'elle a perçu en exécution de ce contrat de travail ne peut être assimilé en prix pour la transmission de ses droits de propriété intellectuelle, puisque c'est la contrepartie de l'exécution de sa tâche contractuellement prévue.

Elle ajoute que l'article L 131-1 du code de la propriété intellectuelle interdit la cession globale d'oeuvres futures, ce que constitue l'article 5 du contrat de travail, et que la défenderesse ne peut valablement invoquer le caractère implicite de la cession.

S'agissant des atteintes à son droit moral, Madame X... mentionne notamment l'utilisation de ses dessins dans des catalogues sans mention de sa paternité, et la transformation de certains dessins destinés à servir de modèle pour une catégorie de

bijoux et qui ont servi pour d'autres catégories de bijoux, voire après modification des couleurs ou des matériaux, altérant par-là l'intégrité de son oeuvre selon la demanderesse. De même, elle estime que la défenderesse a porté atteinte à l'esprit de son oeuvre en utilisant sa libellule et son papillon pour illustrer un emballage de parfum.

Elle en déduit qu'au vu de ces innombrables contrefaçons de ses droits d'auteur, une expertise est nécessaire pour déterminer l'assiette de la rémunération qui lui est due, Madame X... ne disposant pas des informations nécessaires, notamment commerciales et comptables de la société Y..., ainsi que des dessins que cette dernière a conservés.

S'agissant des dommages-intérêts réclamés par la société Y..., Madame X... estime que l'accusation de chantage n'est pas établie et, s'agissant de l'accusation d'intention de nuire en initiant une procédure au moment du centenaire de la Maison Van Cleef And Arpels, la demanderesse souligne qu'elle n'est pas responsable du rythme qu'a pris la procédure du fait de l'inertie de la défenderesse.

* *

*

Dans ses dernières écritures visées au greffe le 31 octobre 2007, la société Y... demande au tribunal :

- de juger que la transaction intervenue entre les parties le 5 février 2001 a éteint tout litige et a autorité de chose jugée entre elles, notamment quant à la propriété des droits sur les dessins litigieux,

- de juger que les dessins litigieux sont des contributions à des bijoux commercialisés sous la marque "Van Cleef et Arpels", oeuvres collectives et propriété ab initio de la société Y...,

- dire en conséquence Madame X... irrecevable en son action et la débouter de toutes ses demandes et prétentions,

- condamner Madame X... à payer à la société Y... la somme de 50.000 euros en réparation du préjudice causé par cette procédure abusive,

- condamner Madame X... à payer à la société Y... la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

A titre préliminaire, la défenderesse souligne que lorsqu'elle était salariée, Madame X... n'avait aucun pouvoir de direction artistique et était soumise aux décisions et initiatives de Madame A..., alors directrice générale de la société.

La société Y... estime en premier lieu que Madame X... ne peut remettre en cause la transaction dans la mesure où elle prévoyait bien des concessions réciproques, la société Y... ayant versé la somme de 165.636 francs à son ex salariée contre sa renonciation à toute contestation sur le terrain des droits d'auteur. De même, la transaction ne prévoyait pas la cession ou la concession de droits d'auteur mais déclarait la propriété incorporelle de la société

Y... sur les dessins, ce qui écarte toute l'argumentation de la demanderesse fondée sur la nullité d'une telle cession de droit selon la défenderesse. En outre, la société Y... estime que la transaction mettait fin à une contestation née ou prévenait une contestation à naître, comme le démontre son préambule et son contenu.

En deuxième lieu, la société défenderesse fait valoir que Madame X... ne peut agir en contrefaçon de dessins qui sont des contributions à des oeuvres collectives en ce qu'ils sont préparatoires à la création de modèles de bijoux, n'ont pas vocation à faire l'objet d'une divulgation au sens du code de la propriété intellectuelle, mais peuvent seulement être montrés au public sous forme de photographies de très haute qualité sous la marque "Van Cleef et Arpels". Elle ajoute que ces dessins ne se conçoivent qu'en rapport

avec les modèles commercialisés sous sa marque, et le fait que les initiales du dessinateur apparaissent n'a qu'un intérêt pour l'organisation interne du travail.

Elle précise qu'en tant que salariée de la société Y..., Madame X... était soumise à un lien de subordination, et affirme que la demanderesse n'a réalisé des dessins que sur l'initiative et sous la direction et les instructions de la société Y..., en particulier de Madame A..., dont l'attestation doit être retenue, la preuve d'un fait s'administrant par tout moyen.

Elle souligne que compte tenu de l'investissement technique et financier, ainsi que des études nécessaires en amont pour déterminer les attentes de la clientèle et les tendances que nécessite chaque création, Madame X... ne pouvait travailler seule sans supervision. Elle ajoute que le "style Van Cleef et Arpels" impose que les dessinateurs respectent le patrimoine artistique de cette entreprise, contrairement à ce que prétend la demanderesse qui, selon la société Y..., tente vainement d'établir qu'elle est à l'origine de certains modèles comme les libellules litigieuses.

En troisième lieu, la société Y... expose qu'elle est propriétaire ab initio des droits sur les modèles qu'elle commercialise sous sa marque, comme l'avait établi le contrat de travail de la demanderesse, ce qui rend son action en contrefaçon irrecevable, d'autant plus que selon la défenderesse, Madame X... n'établit pas d'atteinte à ses prétendus droits moraux d'auteur, n'établissant pas sur quelles oeuvres porterait l'atteinte.

S'agissant de rémunération proportionnelle, la société Y... souligne que ça n'a jamais été admis dans le secteur de la joaillerie compte tenu du prix des pierres à l'état brut, justifiant le recours au forfait dans la loi du 11 mars 1957 ayant donné la rédaction de l'article L 131-4 du code de la propriété intellectuelle.

Pour justifier sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts, la société défenderesse souligne que Madame X... connaît parfaitement le secteur de la joaillerie et ses rouages, en particulier le caractère collectif du processus de fabrication des bijoux, et a commis un abus en introduisant cette action au moment du centenaire de la société et en dépit d'une transaction par laquelle elle s'était engagée à ne pas le faire.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé à leurs écritures, en application de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 novembre 2007.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité de la pièce no 39 de la société Y...

Attendu qu'il appartient au juge d'apprécier le caractère probant d'une attestation produite par une partie, en tenant compte du contenu attesté ou de la qualité de son auteur ;

Que le simple fait que son auteur ait pu dans le passé être salarié d'une des parties à l'instance ne saurait rendre irrecevable son attestation, d'autant moins que cette circonstance n'est pas dissimulée;

Qu'en conséquence, la pièce no 39 de la société Y..., qui par ailleurs respecte les prescriptions de l'article 202 du code de procédure civile, ne sera pas écartée des débats, ayant été régulièrement communiquée au cours de la procédure et la qualité passée de Madame GUICHOT au sein de la société défenderesse étant connue de tous ;

Sur la recevabilité de l'action de Madame X...

Sur la qualification de contribution à une oeuvre collective des dessins litigieux

Attendu que l'article L 113-2 alinéa 3 du code de la propriété intellectuelle dispose qu'est dite collective l'oeuvre créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom, et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé ;

Que l'article L 113-5 du même code ajoute que l'oeuvre collective est, sauf preuve contraire, la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée; que cette personne est investie des droits d'auteur ;

Attendu qu'il est constant que Madame X... a été salariée de la société Y... comme responsable du service création du 1er mars 1999 au 30 avril 2001;

Que durant cette période, elle a contribué à la réalisation de nombreux modèles de haute joaillerie en tant que dessinatrice ;

Qu'il est également constant que la totalité des bijoux résultant des dessins litigieux a été financée, divulguée et commercialisée sous le nom de la société Y..., et qu'à aucun moment les dessins de Madame X... n'ont été divulgués sous son nom ;

Attendu qu'il résulte des pièces produites aux débats, et notamment des comptes-rendus de comités de création que lors de ces réunions, chaque projet de bijou en préparation était étudié et critiqué, quelle que soit l'étape à laquelle son élaboration se situait ;

Que des directives neutres, techniques et précises étaient données à tous les intervenants, dessinateurs, maquettistes, techniciens artisans-joailliers, en vue de corriger chaque bijou en projet et d'harmoniser toutes les contributions ;

Qu'en particulier, les dessins, dont l'auteur est rendu identifiable par ses initiales et par la numérotation du bijou, étaient étudiés pour qu'une décision soit prise à leur égard : non retenu, à retravailler, à envoyer à la maquette pour élaborer un prototype ;

Que lorsque la décision était prise de modifier le dessin, les commentaires rapportés dans le compte rendu étaient adressés à son auteur sous forme d'instructions neutres mais techniques et précises ne laissant plus aucune place à la liberté de création ;

Que concernant de Madame X..., il lui a été par exemple demandé dans le compte rendu du 20 décembre 2000, s'agissant de colliers, de "retravailler l'attache de la poire pour rester sur un motif rond, baguette ou trapèze", de "supprimer la boucle et enrouler la ligne jonquille sur le brin blanc, remplacer la poire par une perle gold" ;

Que dans le compte rendu du 13 octobre 2000, il lui a été demandé, a propos d'un dessin comportant les initiales de la demanderesse "d'être plus strict, moins dégoulinant, d'éviter le côté naïf de l'Isadora, on finit ce collier avec un mélange de pierres et de couleurs, de façon générale, on évite de redessiner des fleurs";

Que par ailleurs, il ressort également des mails échangés entre Madame A..., alors présidente de la société Y..., et la demanderesse et produits par cette dernière, que c'est la première qui sélectionnait les croquis à retenir, et que, si Madame X... pouvait se permettre de critiquer un choix retenu sur des couleurs de pierres, Madame A... avait un pouvoir non contestable de décision, notamment en considération des vertus commerciales des bijoux ;

Qu'il résulte de ces comptes-rendus et de ces mails que la contribution personnelle de Madame X... à l'élaboration des pièces de haute joaillerie de la société Y... se fondait dans un seul ensemble sous la direction de la société qui contrôlait totalement le processus de création ;

Qu'en outre, le contrat de travail conclu entre Madame X... et la SLEPRA, repris ensuite par la société Y... stipulait expressément en son article 5 que "toutes les oeuvres ainsi créées en matière de joaillerie par Madame X... font ou feront l'objet d'une cession de ses droits, de manière que VAN CLEEF et ARPELS en ait la propriété immédiate. Tous dessins et modèles seront la propriété immédiate de VAN CLEEF et ARPELS";

Qu'enfin, et s'agissant plus particulièrement des libellules, il résulte des pièces produites au débat que la société Y... commercialisait des bijoux en forme de libellule avant l'arrivée de Madame Y... et dont se sont inspirés ceux qu'elle a dessinés, rendant son argumentation sur ce point inopérante pour contredire la qualification de ses dessins de documents de travail dans un processus d'élaboration de pièces de joaillerie ;

Qu'ainsi, les dessins de Madame X... ne sont que des contributions à des oeuvres collectives constituées des modèles de bijoux commercialisés sous la marque "Van Cleef et Arpels", et la demanderesse ne peut en conséquence être titulaire de droits distincts de ceux de la société Y... sur l'ensemble ;

Que par suite, Madame X... est irrecevable à agir, n'étant pas titulaire de droits d'auteur sur les dessins litigieux ;

Sur la validité de l'article 6 de la transaction du 5 février 2001

Attendu que l'article 2044 du code civil dispose que la transaction est un contrat par lequel les parties terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître, et doit être rédigé par écrit ;

Que pour être valable, la transaction implique l'existence de concessions réciproques des parties, quelle que soit leur importance relative, en particulier de la part de l'employeur lorsqu'elle intervient lors de la rupture de relations de travail ;

Que l'article 2052 du même code précise que les transactions ont, entre les parties, l'autorité de la chose jugée en dernier ressort ;

Attendu qu'en l'espèce, la transaction en date du 5 février 2001est intervenue entre la société Y... et Madame X... à la suite du licenciement de cette dernière "pour cause réelle et sérieuse, en raison de son incapacité à encadrer une équipe";

Qu'il est fait état dans le préambule de ladite transaction qu'elle a été conclue car "Madame X... a immédiatement contesté le licenciement en indiquant à la société Y... qu'elle considérait qu'il était abusif et injustifié et a immédiatement fait part de son intention de saisir le Conseil de Prud'hommes compétent" afin d'obtenir une condamnation de la société Y... notamment "en réparation du préjudice qu'elle estimait subir";

Que le préambule se termine en exposant que "les parties se sont rapprochées et ont décidé, par la présente transaction de mettre un terme définitif à tous les litiges existant ou à venir entre elles, dans les conditions ci-après exposées" ;

Que l'article 1er de la transaction énonce qu'à titre de réparation de son préjudice moral né de la rupture de son contrat de travail, la société Y... verse une indemnité de 100.000 francs à Madame X... ;

Que l'article 2 énumère les indemnités légales accompagnant un licenciement auxquelles Madame X... a droit, soit en tout la somme de 65.636 francs ;

Que l'article 5 stipule que "sous réserve de la parfaite exécution des engagements ci-dessus, Madame X... se reconnaît intégralement et définitivement remplie de tous ses droits. Elle s'interdit de présenter toute autre réclamation à quelque titre que ce soit. Elle renonce, en conséquence, à toute instance et action à l'encontre de la société Y... et/ou de toutes les sociétés du groupe concernant les conditions d'exécution de son contrat de travail et les conditions dans lesquelles il a été mis un terme à son contrat de travail" ;

Que l'article 6 expose que "Madame X... reconnaît que Y... est pleinement titulaire de tous les droits patrimoniaux d'auteur afférents aux créations, et notamment aux dessins et aux modèles réalisés par Madame X... dans le cadre de son contrat de travail ou auxquelles elle a participé dans le même cadre et pour lesquelles elle a été rémunérée. Madame X... reconnaît que, sans nouvelle contrepartie à son égard, Y... a l'entière liberté d'utiliser et d'exploiter à titre exclusif lesdites créations dans le monde entier, directement ou indirectement, pendant leur durée de protection légale, et notamment de les reproduire sur tout support et de les représenter par tout moyen, en particulier afin de fabriquer et/ou de commercialiser tout article et de promouvoir tout produit, service et activité de Y..." ;

Attendu que cette transaction, qui renvoie à l'article 2044 du code civil, est parfaitement valable en ce qu'elle prévoit des concessions réciproques entre les parties, et en ce qu'aucune ambiguïté ne réside dans la commune intention des parties de renoncer à toute instance et action entre elles;

Que s'agissant des droits d'auteur de Madame X..., compte tenu de ce qui a été dit plus haut ainsi que de l'article 5 du contrat de travail précité, l'article 6 litigieux de la transaction ne constitue qu'un rappel d'une situation juridique antérieure consistant en la propriété ab initio de la société défenderesse qui est pleinement investie des droits d'auteur sur les oeuvres collective auxquelles Madame X... a contribué contre paiement de son salaire ;

Qu'en conséquence, l'argument de la demanderesse tendant à affirmer qu'elle n'a pas eu conscience de ce qu'impliquait cette clause, ce qui est d'autant moins établi qu'elle a su faire preuve de réactivité juridique pour défendre ses droits au moment de son licenciement, est inopérant, la clause litigieuse ne faisant que rappeler les conséquences de l'article 5 de son contrat de travail et de la qualification juridique d'oeuvre collective des bijoux en cause ;

Qu'en conséquence, Madame X... est également irrecevable à agir en nullité de l'article 6 de la transaction du 5 février 2001 ;

Sur les autres demandes

Attendu que compte tenu de la solution donnée au litige, les demandes en réparation et en désignation d'un expert de B... ARNAUD-CHEVILLARD seront rejetées ;

Attendu que la société défenderesse ne rapporte ni la preuve d'une faute commise par la demanderesse ayant fait dégénérer son droit d'agir en justice en abus, ni la preuve d'un quelconque préjudice, sa demande de dommages-intérêts sera rejetée ;

Attendu que Madame X... qui succombe, sera condamnée à verser à la société Y... la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Que compte tenu de la durée du litige, l'exécution provisoire sera ordonnée ;

Que Madame X..., partie perdante, sera condamnée aux dépens ;

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant par jugement contradictoire, rendu en premier ressort par mise à disposition au greffe le jour du délibéré,

Déclare Madame Cécile X... irrecevable en son action fondée sur la protection de droits d'auteur sur ses dessins à l'égard de la société VAN CLEEF AND ARPELS INTERNATIONAL,

Rejette en conséquence l'ensemble de ses demandes,

Rejette la demande reconventionnelle de la société VAN CLEEF AND ARPELS INTERNATIONAL en réparation pour procédure abusive,

Condamne Madame Cécile X... à verser à la société VAN CLEEF AND ARPELS INTERNATIONAL la somme de 5.000 euros (CINQ MILLE EUROS) en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Ordonne l'exécution provisoire,

Condamne Madame Cécile C... aux dépens.

FAIT ET JUGÉ À PARIS LE 24 JUIN 2008

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 06/01599
Date de la décision : 24/06/2008
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2008-06-24;06.01599 ?
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