T R I B U N A L
D E GRANDE
I N S T A N C E
D E P A R I S
3ème chambre 2ème section
No RG :
07/04080
No MINUTE :
Assignation du :
16 Mars 2007
JUGEMENT
rendu le 13 Juin 2008
DEMANDERESSE
Société NUPTIALLIANCE anciennement dénommée GROUPE MACE.
Boulevard de la Communication
53950 LOUVERNE
représentée par Me Stéphane GUERLAIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire W.07
DÉFENDERESSE
Société CHANT'UNION
108 rue d'AURON
18000 BOURGES
représentée par Me Pierre CHEVALIER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire P 228
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Véronique RENARD, Vice-Président, signataire de la décision
Sophie CANAS, Juge
Guillaume MEUNIER, Juge
assistée de Marie-Aline PIGNOLET, Greffier, signataire de la décision
DEBATS
A l'audience du 07 Mai 2008
tenue en audience publique
JUGEMENT
Prononcé par remise de la décision au greffe
Contradictoire
en premier ressort
Faits et procédure
La société NUPTIALLIANCE, anciennement dénommée GROUPE MACE, est titulaire de la marque verbale "COMPLICITÉ LA FÊTE" déposée le 23 janvier 1986, enregistrée sous le numéro 1 386 147 en classe 25 (vêtements), et régulièrement renouvelée depuis.
Par convention du 15 septembre 1993, l'usage de la marque verbale "COMPLICITÉ LA FÊTE" a été concédé à la société CHANT'UNION. Cette convention a ensuite été résiliée à compter du 30 septembre 2005, sur demande de la gérante de la société CHANT'UNION, qui s'est vue notifier l'obligation de retirer tous signes distinctifs reprenant la marque à l'intérieur et l'extérieur de son magasin, sis 108 rue Auron à Bourges.
La société NUPTIALLIANCE a néanmoins fait constater par huissier de justice, le 9 novembre 2006, que la consultation du site www.infogreffe.fr attribuait à la société CHANT'UNION le nom commercial "COMPLICITÉ LA FÊTE" , et que le site internet www.pagesjaunes.fr continuait à référencer l'établissement de Bourges de la société CHANT'UNION sous l'intitulé "COMPLICITÉ LA FÊTE". Il est également ressorti d'un extrait du registre des commerces et des sociétés en date du 6 novembre 2006 qu'à cette date, le nom commercial de la société CHANT'UNION demeurait "COMPLICITÉ LA FÊTE".
C'est dans ce contexte que par exploit d'huissier en date du 16 mars 2007, la société NUPTIALLIANCE a assigné la société CHANT'UNION devant le Tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de marque aux fins d'obtenir outre la réparation du préjudice subi, des mesures d'interdiction et de publication, ainsi que l'application d'une clause pénale prévue à l'article 5 de la convention des parties, le tout sous le bénéfice de l'exécution provisoire.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 avril 2008.
L'affaire a été plaidée le 7 mai 2008, et mise en délibéré ce jour.
Prétentions des parties
Par conclusions récapitulatives signifiées le 12 mars 2008, la société NUPTIALLIANCE demande au Tribunal :
- de débouter la société CHANT'UNION de l'ensemble de ses demandes,
- de juger qu'en faisant usage de la marque "COMPLICITÉ LA FÊTE" dont elle est propriétaire , la société CHANT'UNION s'est rendue coupable de contrefaçon au sens des articles L. 713-2 et L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle,
- de faire interdiction à la défenderesse de faire usage, sous quelque forme que ce soit, et à quelque titre que ce soit, notamment à titre de marque, de dénomination sociale, de nom commercial, d'enseigne ou de nom de domaine, de la dénomination "COMPLICITÉ LA FÊTE" et ce sous astreinte de 300 € par infraction constatée passé un délai d'un mois à compter de la signification du jugement à intervenir,
- d'ordonner à la défenderesse, sous astreinte de 1.000 € par jour de retard à s'exécuter passé un délai de quinze jours à compter de la signification du jugement à intervenir de procéder à la dépose de l'enseigne "COMPLICITÉ LA FÊTE" et d'effectuer toutes démarches auprès du Registre du commerce et des sociétés de Bourges afin de supprimer la mention "COMPLICITÉ LA FÊTE" tant à titre de nom commercial que d'enseigne,
- d'ordonner à la défenderesse, sous astreinte de 1.000 € par jour de retard à s'exécuter passé un délai de quinze jours à compter de la signification du jugement à intervenir de supprimer du site internet www.pagesjaunes.fr la concernant toute référence à la marque complicité la fête,
- de condamner la société CHANT'UNION à lui payer la somme de 100.000 € en réparation du préjudice résultant des actes de contrefaçon,
- de condamner la société CHANT'UNION à payer la somme de 84.304 € en application des dispositions de la clause pénale prévue à l'article 5 de la convention signée le 15 septembre 1993,
- de se réserver la liquidation de l'astreinte,
- d'ordonner la publication de la décision à intervenir dans cinq journaux ou revues de son choix, à concurrence de 3.000 € HT par insertion, si besoin est à titre de complément de dommages et intérêts,
- d'ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir,
- de condamner la défenderesse à lui payer la somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- de la condamner aux entiers dépens, dont distraction au profit de son conseil.
En réponse, par voie de conclusions signifiées le 4 avril 2008, la société CHANT'UNION prétend avoir procédé à toutes les modifications relatives à l'enseigne et au nom commercial dès la cessation de la convention de location du droit à l'usage de la marque revendiquée, et n'avoir pas renouvelé son abonnement aux fins d'être référencée sous la marque "COMPLICITÉ LA FÊTE" auprès des Pages Jaunes.
Elle demande donc au Tribunal de débouter la société NUPTIALLIANCE de l'ensemble de ses prétentions, de la condamner au paiement de la somme de 20.000 € pour procédure abusive, outre la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Motifs de la décision
I. Sur la contrefaçon
Attendu qu'aux termes de l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle, sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, la reproduction, l'usage ou l'apposition d'une marque, même avec l'adjonction de mots tels que : "formule, façon, système, imitation, genre, méthode", ainsi que l'usage d'une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l'enregistrement ;
Attendu, en l'espèce, qu'il résulte du constat dressé le 9 novembre 2006 par Me Y..., huissier de justice à Paris, qu'à cette date l'établissement exploité 108 rue Auron, à Bourges, par la société CHANT'UNION demeurait référencé sous le nom "COMPLICITÉ LA FÊTE" sur le site www.pagesjaunes.fr ; qu'il ressort d'un extrait du registre du commerce et des sociétés que le 6 novembre 2006, le nom commercial de la société CHANT'UNION demeurait "COMPLICITÉ LA FÊTE" ;
Qu'à ces dates, postérieures au 30 septembre 2005, date de résiliation du contrat du 15 septembre 1993, la société CHANT'UNION ne disposait plus d'aucun droit sur la marque "COMPLICITÉ LA FÊTE" ;
Que les dénominations arguées de contrefaçon sont identiques à la marque "COMPLICITÉ LA FÊTE" ;
Qu'il n'est pas contesté que l'établissement de Bourges de la société CHANT'UNION vend des robes de mariées, à savoir des vêtements, produits désignés lors de l'enregistrement de la marque verbale "COMPLICITÉ LA FÊTE" no1 386 147 ;
Attendu que la société CHANT'UNION prétend avoir effectué le 1er octobre 2005 une déclaration auprès du centre de formalité des entreprises de Bourges aux fins de suppression de son enseigne et de modification de son nom commercial ;
Mais attendu que la date du 1er octobre 2005 invoquée correspond en réalité au jour de rédaction de la déclaration, et nom au jour de sa réception par le centre de formation des entreprises ; que la lettre de l'INSEE faisant état d'une "mise à jour de la dénomination sociale de l'établissement" intervenue le 31 décembre 2005 ne comporte aucune mention se rapportant expressément à l'abandon du nom commercial "COMPLICITÉ LA FÊTE" ; qu'en toute hypothèse, le site www.infogreffe.fr, site officiel des greffes des Tribunaux de commerce, et l'extrait du registre du commerce et des sociétés précité, font foi de l'absence de modification effective, au moins jusqu'au 9 novembre 2006, du nom commercial litigieux ;
Attendu, ensuite, que la société CHANT'UNION affirme que son abonnement auprès des Pages Jaunes a fait l'objet d'un dernier versement le 30 septembre 2005 sans être renouvelé par la suite, que les Pages Jaunes ont été informées de sa volonté de ne plus apparaître sous la marque "COMPLICITÉ LA FÊTE" mais sous la dénomination "MARIAGE ET MARIAGES", et ont enregistré cette demande, le constat d'huissier produit par la demanderesse démontrant que la référence litigieuse permet en réalité d'aiguiller l'internaute vers le site www.mariageetmariages.com ;
Mais attendu que l'absence de renouvellement du contrat liant la société CHANT'UNION à la société exploitant le site internet www.pagesjaunes.fr, ou l'existence d'un lien hypertexte renvoyant l'internaute à un site qui n'est pas exploité par la société demanderesse ne constituent pas une preuve certaine de la réalisation de démarches visant à obtenir la cessation de l'usage de la marque revendiquée aux fins de référencement de l'établissement exploité par la défenderesse ; que la société exploitant l'annuaire internet litigieux ne saurait en l'état répondre de l'absence de modifications constatées, n'ayant pas été attraite en la cause;
Attendu, en conséquence, que l'usage par la société CHANT'UNION de la marque revendiquée en tant que nom commercial et dénomination de référencement auprès du site www.pagesjaunes.fr, alors qu'elle était depuis le 30 septembre 2005 dépourvue du droit d'utiliser la marque revendiquée, est constitutif de contrefaçon.
II. Sur les mesures réparatrices
Attendu que la société NUPTIALLIANCE sollicite en premier lieu la condamnation de la défenderesse au paiement d'une somme de 100.000 € en réparation du préjudice résultant de la contrefaçon ;
Attendu que celui-ci résulte de l'atteinte portée aux droits que la demanderesse détient sur sa marque, laquelle se trouve dévalorisée par un tel usage indu ; qu'il convient de relever que le loyer dû par la défenderesse en exécution du contrat de location conclu par les parties était de 1 franc français par année, mais que l'usage délictueux de la marque "COMPLICITÉ LA FÊTE" a perduré plus d'un an après la résiliation de cette convention ; que selon un extrait kBis en date du 2 avril 2007, le nom commercial de la défenderesse ne contrefait plus la marque de la société NUPTIALLIANCE ; que le préjudice résultant de l'atteinte à la marque sera en conséquence réparé par l'octroi d'une somme de 10.000 € de dommages et intérêts ;
Attendu, en outre, que la société NUPTIALLIANCE demande au Tribunal de condamner la société CHANT'UNION à lui payer la somme de 84.304 € en application de la clause pénale prévue à l'article 5 de la convention signée le 15 septembre 1993, qui stipule qu' "en cas d'utilisation abusive de la marque par le locataire sous quelque forme que ce soit, notamment après le terme de la présente convention, le locataire sera passible de dommages et intérêts fixés à cinq mille francs français (soit 762,25 €) par journée ayant dépassé le terme du bail, plus remboursement des frais exposés. Ces dommages et intérêts seront indexés sur l'indice des prix à la consommation, l'indice de base étant celui publié lors de la signature de la présente convention" ;
Attendu qu'il résulte de l'article 1152 du Code civil que le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue par les parties, si elle est manifestement excessive ou dérisoire, toute stipulation contraire étant réputée non écrite ;
Qu'il ressort des pièces versées aux débats que la société CHANT'UNION a entamé des démarches, dépourvues d'effectivité dans un premier temps, mais réelles, aux fins de faire cesser l'usage contrefaisant de la marque "COMPLICITÉ LA FÊTE" ; qu'il en résulte que la somme réclamée au titre de la clause pénale est manifestement excessive, et doit être réduite ;
Qu'en conséquence, la société CHANT'UNION sera condamnée à payer à la demanderesse une somme de 5.530 € ;
Attendu qu'il sera fait droit, en tant que de besoin, à la demande d'interdiction sollicitée dans les conditions énoncées au dispositif de la présente décision ;
Que le préjudice étant suffisamment réparé, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de publication.
III. Sur les autres demandes
Attendu que la société CHANT'UNION, condamnée pour contrefaçon, ne saurait voir prospérer sa demande fondée sur le caractère abusif de la présente procédure ;
Attendu que la nature de l'espèce et l'ancienneté du litige justifient d'ordonner l'exécution provisoire du présent jugement ;
Attendu que la société CHANT'UNION, succombant, sera condamnée aux entiers dépens ;
Qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société NUPTIALLIANCE la totalité des frais irrépétibles ; qu'il convient, en conséquence, de lui allouer la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Par ces motifs
Le Tribunal,
Statuant publiquement, par mise à disposition du présent jugement au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par le deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile,
Par jugement contradictoire, rendu en premier ressort,
- DIT qu'en faisant usage, postérieurement au 30 septembre 2005, de la marque verbale "COMPLICITÉ LA FÊTE" déposée le 23 janvier 1986, enregistrée sous le numéro 1 386 147, à titre de nom commercial, et aux fins de référencement sur le site www.pagesjaunes.fr, la société CHANT'UNION s'est rendue coupable de contrefaçon au préjudice de la société NUPTIALLIANCE,
- INTERDIT, en tant que de besoin, la poursuite de ces agissements sous astreinte de 500 € par jour de retard passé un délai d'un mois à compter de la signification du présent jugement, le Tribunal se réservant la liquidation de l'astreinte,
- CONDAMNE la société CHANT'UNION à payer à la société NUPTIALLIANCE la somme de 10.000 € en réparation du préjudice résultant de la contefaçon,
- CONDAMNE la société CHANT'UNION à payer à la société NUPTIALLIANCE la somme de 5.530 € au titre de la clause pénale figurant à l'article 5 du contrat du 15 septembre 1993,
- DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
- ORDONNE l'exécution provisoire,
- CONDAMNE la société CHANT'UNION à payer à la société NUPTIALLIANCE la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- CONDAMNE la société CHANT'UNION aux entiers dépens.
Fait et jugé à Paris le 13 Juin 2008
Le Greffier Le Président