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10/06/2008 | FRANCE | N°07/02484

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Chambre civile 3, 10 juin 2008, 07/02484


T R I B U N A L

D E GRANDE

I N S T A N C E

D E P A R I S

3ème chambre 1ère section

No RG :

07/02484

No MINUTE :

Assignation du :

13 Février 2007

JUGEMENT

rendu le 10 Juin 2008

DEMANDERESSE

Madame Bénédicte X...

...

75011 PARIS

représentée par Me Agnès TRICOIRE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire C.1207

DÉFENDERESSE

Editions ZOE

11 rue des Moraines

Cas Postale 1972 CH - 1227 CAROUGE - GENEVE

représentée par Me Jean BRAGHINI, avocat

au barreau de PARIS, vestiaire E.205

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Marie-Christine COURBOULAY, Vice Présidente

Guillaume MEUNIER

Sylvie LEFAIX, Juge placée, déléguée au Tribunal de Grand...

T R I B U N A L

D E GRANDE

I N S T A N C E

D E P A R I S

3ème chambre 1ère section

No RG :

07/02484

No MINUTE :

Assignation du :

13 Février 2007

JUGEMENT

rendu le 10 Juin 2008

DEMANDERESSE

Madame Bénédicte X...

...

75011 PARIS

représentée par Me Agnès TRICOIRE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire C.1207

DÉFENDERESSE

Editions ZOE

11 rue des Moraines

Cas Postale 1972 CH - 1227 CAROUGE - GENEVE

représentée par Me Jean BRAGHINI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire E.205

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Marie-Christine COURBOULAY, Vice Présidente

Guillaume MEUNIER

Sylvie LEFAIX, Juge placée, déléguée au Tribunal de Grande Instance de Paris en vertu d'une ordonnance du 1er président de la Cour d'Appel de Paris en date du 31 mars 2008, et déléguée à la 3e chambre en vertu d'une ordonnance du président du Tribunal de Grande Instance de Paris en date du 31 mars 2008,

assistés de Léoncia BELLON, Greffier,

DÉBATS

A l'audience du 06 Mai 2008 tenue publiquement devant Marie-Christine COURBOULAY et Sylvie LEFAIX, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seules l'audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 786 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT

Prononcé par remise au greffe

Contradictoire

en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

Madame Bénédicte X... a publié en 1998 aux EDITIONS DU ROUERGUE un roman intitulé Parole de ventriloque, mettant en scène un enfant de six ans dont la mère est incarcérée, et qui va nouer des liens avec un ventriloque qui se révèlera être son père.

En 2002, les Editions ZOE ont publié la traduction d'un ouvrage de Madame Pauline A... sous le titre Parole de ventriloque, et dont le titre original était The ventriloquist's tale. Ce roman narre la relation incestueuse liée à l'éclipse d'un frère et d'une soeur au sein d'une communauté d'indiens d'Amazonie.

Madame X... s'en est aperçue en 2006, a demandé, par un courrier du 21 janvier 2006, aux Editions ZOE de mentionner les références de son roman sur leur catalogue, d'insérer un encart dans les ouvrages litigieux et de modifier le titre lors d'une nouvelle édition, ce à quoi les Editions ZOE ont répondu favorablement dans un courrier du 2 février 2006.

Estimant que rien n'avait été fait, Madame X... a fait assigner par exploit en date du 13 février 2007 les Editions ZOE devant le tribunal de grande instance de PARIS sur le fondement des articles L 112-4 et L 121-1 du code de la propriété intellectuelle.

Dans ses dernières écritures visées au greffe le 21 septembre 2007, Madame X... sollicite du tribunal :

- qu'il juge que le titre du roman de Madame A... est la contrefaçon du titre original du son roman et porte atteinte à ses droits patrimoniaux et moraux,

- subsidiairement qu'il juge que la similitude exacte entre les deux titres emporte un risque de confusion justifiant les mesures sollicitées,

- qu'il ordonne le retrait de tous ouvrages commercialisés sous le titre Parole de ventriloque de Madame A..., le retrait du référencement du titre litigieux de la base de donnée Electre destinée aux libraires, du moteur de recherche GOOGLE, des sites et moteurs de

recherche comme fnac.fr et amazon.fr, et la production des justificatifs de ces retraits sous astreinte de 300 euros par jour et par document à compter de la décision à intervenir,

- qu'il ordonne la publication du dispositif de la décision à intervenir dans trois journaux ou magazines nationaux et internationaux aux frais des Editions ZOE à raison de 5.000 euros par insertion,

- qu'il condamne les Editions ZOE à lui verser la somme de 30.000 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice subi au regard de ses droits patrimoniaux et moraux du fait de la contrefaçon, ainsi que la somme de 3.000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, Madame X... souligne que malgré un courrier de la part des Editions ZOE du 2 février 2006 où elles reconnaissaient leur négligence, sollicitaient son indulgence et s'engageaient à prendre toutes les mesures sollicitées, elles ont par la suite argué du fait qu'il ne s'agissait que d'une traduction d'un titre anglais et contesté le risque de confusion et ce, malgré l'intervention de la Société des gens de lettres.

Invoquant l'article L 112-4 du code de la propriété intellectuelle, Madame X... estime que son titre remplit le critère d'originalité, comme l'ont reconnu les Editions ZOE, en ce qu'il fait référence au personnage principal, exprime son ambivalence et sa tendance au double discours, en ce qu'il contient un travail sur l'allitération mettant en lumière l'opposition psychologique qui est le thème du livre, et mettant en garde contre le double langage.

Aux arguments présentés par les Editions ZOE sur l'absence d'originalité des termes, Madame X... oppose que c'est l'agencement de ces termes qui fait l'originalité du titre, et souligne que Parole de ventriloque n'est pas la traduction littérale du titre original de Madame A....

Subsidiairement, Madame X... invoque le risque de confusion entre les deux ouvrages, qui sont tous deux des romans, écrits par des femmes, touchant un même public, et invoque le fait que sur des moteurs de recherche, celui de Madame A... est seul mentionné ou tout au moins apparaît en premier.

S'agissant de son préjudice, Madame X... estime que des droits qu'elle aurait pu percevoir de son éditeur depuis 2002 ont été captés par les personnes ayant acheté le roman de Madame A... au lieu du sien, ce qui constitue un manque à gagner certain. Elle ajoute que la violation de son droit moral sur son titre est manifeste, ce dernier ayant été copié à l'identique et atteint dans son intégrité puisqu'il désigne une autre oeuvre que la sienne. Elle mentionne également la mauvaise foi du défendeur qui, en tant que professionnel, aurait dû s'inquiéter de ce que le titre choisi n'était pas déjà utilisé et qui, après avoir reconnu sa faute, a refusé de réparer à l'amiable le préjudice subi.

Dans leurs dernières conclusions visées au greffe le 30 août 2007, les Editions ZOE sollicitent du tribunal :

- qu'il juge Madame X... mal fondée en ses demandes et l'en déboute,

- qu'il leur donne acte de ce qu'elles ont pris l'engagement de donner à la traduction française de The ventriloquist's tale de Madame A... le titre Le conte du ventriloque ou Le récit du ventriloque ou Le Dit du ventriloque, en cas de réédition ou de nouvelle édition de cet ouvrage,

- qu'il condamne Madame X... à leur verser la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, avec distraction au profit de Maître BRAGHINI.

Au soutien de leurs conclusions, les Editions ZOE soulignent l'augmentation des exigences de Madame X... au fur et à mesure des échanges intervenus en 2006, et ce alors qu'elles ont immédiatement obtempéré à sa demande d'insertion d'un encart dans les ouvrages de Madame A... en stock, précisant que le titre original était de Madame X....

Elles ajoutent que l'ouvrage de Madame A... s'est vendu à 538 exemplaires au 31 mars 2007 et que les ventes depuis 2004 s'établissent à 10 exemplaires par an, tandis que celui de Madame X... s'est vendu à 905 exemplaires, a rapporté au 31 mars 1999 la somme de 877,59 francs et s'est vendu annuellement à une vingtaine d'exemplaires entre 2001 et 2003, donc sans chute significative des ventes après la parution de la traduction litigieuse.

En droit, les Editions ZOE estiment que le titre Parole de ventriloque ne recèle pas l'originalité exigée par l'article L 112-4 du code de la propriété intellectuelle, dans la mesure où il ne s'agit que d'une combinaison simple de mots pris dans leur acception normale avec une conjonction ou une préposition placée conformément à la syntaxe. Elles font valoir qu'il s'agit d'une traduction possible du titre original de Madame A..., paru en anglais antérieurement à celui de la demanderesse, et qu'aucune allitération de valeur ne caractérise le titre de Madame X....

S'agissant du risque de confusion, les Editions ZOE l'écartent, arguant que les deux oeuvres n'appartiennent pas au même registre, l'ouvrage de Madame X... étant tiré de son expérience d'accompagnatrice d'enfants de parents détenus et relevant de la littérature sociologique, tandis que celui de Madame A..., d'un genre exotique, met en scène les indiens Waspisiana et confronte leur magie avec la civilisation à l'européenne à travers l'histoire d'un frère et d'une soeur métisses, nés de ce mélange. Elles ajoutent que faute d'effort intellectuel personnalisé, d'apport de nouveauté ou de créativité, le titre de Madame X... ne peut être protégé contre le risque de confusion, compte tenu du nombre de titres d'ouvrages comportant les termes "parole", "parole de..." ou "ventriloque".

Les Editions ZOE en déduisent que les demandes de retrait de référencement formulées par Madame X... devront être rejetées, de même que ses demandes d'indemnisation compte tenu du nombre d'exemplaires vendus par chacune des deux auteures, et soulignent que l'encart sollicité en demande a été inséré dans les ouvrages de Madame A... et que l'engagement de modification du titre en cas de réédition ou de nouvelle édition sera rempli.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 octobre 2007.

Par conclusions visées au greffe le 28 avril 2008, Madame X... a sollicité du juge de la mise en état qu'il rabatte l'ordonnance de clôture afin de produire une nouvelle pièce établissant que les Editions ZOE ont transmis les droits de traduction de l'ouvrage de Madame A... aux Editions DE LA MARTINIERE en imposant un changement de titre.

Par des conclusions visées au greffe le 5 mai 2008, les Editions ZOE s'en sont remis à l'appréciation du juge de la mise en état, précisant toutefois que cet élément pouvait difficilement être considéré comme une cause grave au sens de l'article 784 du code de procédure civile dans la mesure où les Editions ZOE, depuis le début de la procédure, se sont engagées à modifier le titre s'il devait y avoir une nouvelle édition ou une réédition de l'ouvrage de Madame A....

A l'audience de plaidoiries du 6 mai 2008, l'ordonnance de clôture a été à nouveau prononcée avec l'accord des deux parties, afin de tenir compte de la dernière pièce produite par la demanderesse.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la contrefaçon du titre Parole de ventriloque

L'article L 112-4 alinéa 1er du code de la propriété intellectuelle exige, pour que le titre d'une oeuvre de l'esprit soit protégé, qu'il présente un caractère original.

Cette originalité se concentre sur les termes même du titre, et ne doit pas s'appuyer sur le contenu du livre.

En l'espèce, le titre est constitué de deux mots, parole et ventriloque, qui sont tous deux employés dans leur sens habituel sans que leur ait été donnée une signification autre que celle qui est la leur.

L'association de ces deux mots ne recèle pas non plus d'originalité particulière dans la mesure où un ventriloque désigne une personne qui peut parler sans remuer les lèvres d'une voix étouffée qui semble venir du ventre. Ainsi, le concept de parole d'un ventriloque n'a rien d'original dans la mesure où le ventriloque est intrinsèquement doué de parole. Si l'auteur a effectué un travail sonore sur l'utilisation de certaines lettres, censées se répondre dans les deux mots, le résultat en demeure discret et ne saurait suffire à donner une valeur littéraire suffisante au titre litigieux.

Enfin, à supposer que le titre soit analysé en fonction du contenu de l'oeuvre, il ne présente pas de décalage susceptible de lui donner un caractère original dans la mesure où le ventriloque correspond à un personnage central de l'oeuvre qui, justement, est capable de parler sans remuer les lèvres.

En conséquence, ce titre ne peut prétendre à une valeur littéraire propre en raison du caractère usuel de ses deux mots et de leur association, et ne peut prétendre à la protection définie par l'article L 112-4 alinéa 1 du code de la propriété intellectuelle.

Madame X... doit donc être déboutée de ses demandes en contrefaçon.

Sur la concurrence déloyale

L'alinéa 2 de l'article précité énonce que nul ne peut utiliser le titre d'une oeuvre de l'esprit pour individualiser une oeuvre du même genre dans des conditions susceptibles de provoquer une confusion.

Les deux ouvrages litigieux appartiennent tous deux au genre du roman littéraire, remplissant ainsi la première condition du texte, et ce, même si le registre de l'histoire racontée par l'ouvrage diffère.

Cependant, quatre années séparent la parution des deux ouvrages.

En outre, au vu d'un titre aussi peu évocateur, le lecteur moyen sera amené à consulter le quatrième de couverture ou le synopsis de l'éditeur, afin d'apprécier le sujet du livre, ainsi que sa localisation dans le temps et dans l'espace qui, en l'espèce, diffèrent totalement.

Le risque de confusion est en effet inexistant, dans la mesure où, ayant les deux livres dans les mains, le lecteur saura immédiatement que celui de Madame X... présente, derrière les yeux d'un enfant de six ans, son quotidien ballotté en banlieue, entre une mère incarcérée et un ventriloque magicien, tandis que celui de Madame A... se situe en Amérique du sud, sur trois générations, à la fin du XIXè et au début du XXè siècle, et mêle mythologie et légendes autour de l'éclipse, sur fond d'une relation incestueuse un frère et une soeur.

La circonstance que certains moteurs de recherche sur internet, selon les mots clefs choisis, ne mentionnent que l'ouvrage de Madame A... sur leur première page de résultats ne saurait suffire à étayer un risque de confusion, et ce d'autant moins que les pages internet produites par la demanderesse et tirées de sites de vente de livres proposent sur une même page internet les deux ouvrages à la vente.

En conséquence, le risque de confusion n'étant pas établi, Madame X... sera également déboutée de ses demandes en concurrence déloyale.

Sur les autres demandes

Compte tenu de la solution donnée au litige, les demandes de réparations, de publication judiciaire et de retraits de recensement formulées par Madame X... seront rejetées et ce, d'autant plus que les Editions ZOE, conformément à leur engagement, ont fait modifier le titre litigieux lors de la réédition de l'ouvrage de Madame A..., comme le montre la dernière pièce produite par la demanderesse.

Madame X..., qui succombe, sera condamnée à verser aux Éditions ZOE la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Madame X... sera également condamnée aux dépens, avec distraction au profit de Maître Jean BRAGHINI.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant par jugement contradictoire, rendu en premier ressort par mise à disposition au greffe le jour du délibéré,

Prononce le rabat de l'ordonnance de clôture au 6 mai 2008 pour permettre la production par Madame Bénédicte X... de sa pièce no 39,

Déclare mal fondée l'action en contrefaçon du titre Parole de ventriloque engagée par Madame Bénédicte X... à l'encontre des Editions ZOE et l'en déboute,

Déclare mal fondée l'action en concurrence déloyale engagée par Madame Bénédicte X... à l'encontre des Editions ZOE et l'en déboute,

Rejette l'ensemble des demandes de Madame Bénédicte X...,

Condamne Madame Bénédicte X... à verser aux Éditions ZOE la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Madame Bénédicte X... aux dépens, avec distraction au profit de Maître Jean BRAGHINI.

FAIT ET PRONONCE A PARIS DIX JUIN DEUX MIL HUIT par Marie-Christine COURBOULAY, Vice Président, assistée de Léoncia BELLON, Greffier

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 07/02484
Date de la décision : 10/06/2008
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2008-06-10;07.02484 ?
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