T R I B U N A L
D E GRANDE
I N S T A N C E
D E P A R I S
3ème chambre 3ème section
No RG :
06/11595
No MINUTE :
Assignation du :
10 Août 2006
JUGEMENT
rendu le 16 Avril 2008
DEMANDERESSE
L'ETAT FRANCAIS pris en la personne de M. le Ministre de la Culture et de la Communication.
3 rue de VALOIS
75001 PARIS
représentée par Me Fabienne FAJGENBAUM, avocat au barreau de PARIS, , vestiaire P.305
DÉFENDEURS
Monsieur Michaël Y...
...
75011 PARIS
Monsieur Guillaume Z...
...
92100 BOULOGNE BILLANCOURT
Monsieur Gregory A...
...
92150 SURESNES
Monsieur Jean-Louis B...
...
92200 NEUILLY SUR SEINE
représentés par Me André BERTRAND, avocat au barreau de PARIS, vestiaire L.207
Madame Isabelle C...
...
75006 PARIS
représentée par Me Alain Léopold STIBBE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire P 211
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Elisabeth BELFORT, Vice-Président, signataire de la décision
Agnès THAUNAT, Vice-Président
Sophie CANAS , Juge
assistée de Marie-Aline PIGNOLET, Greffier
DEBATS
A l'audience du 03 Mars 2008
tenue en audience publique
JUGEMENT
Prononcé par remise de la décision au greffe
Contradictoire
en premier ressort
RAPPEL DES FAITS ET PROCEDURE
Par acte d'huissier de justice en date du 10 août 2006, l'ETAT FRANCAIS pris en la personne de M. Le Ministre de la Culture et de la Communication, a assigné M. Michaël Y..., M. Guillaume Z..., M. Gregory A..., M.Jean-Louis F... et Mlle Isabelle C... devant le tribunal de grande instance de Paris
Par dernières conclusions communiquées le 2 avril 2007, l'Etat Français demande de:
dire et juger l'Etat français, pris en la personne de Monsieur le Ministre de la culture et de la communication, recevable en ses demandes, l'en dire bien fondé,
au visa des articles L. 321-1, L.321-3, R321.1 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle,
constater que
-la demande de constitution de la société de perception et de répartition des droits DROITS EN LIGNE / RIGHTS ON LINE ne justifie pas de la qualité de ses associés au regard des dispositions de l'article L. 321-1 du Code de la propriété intellectuelle,
-le projet de constitution de la société de perception et de répartition des droits en ligne DROITS EN LIGNE / RIGHTS ON LINE n'offre aucune garantie quant à sa représentativité et quant au recouvrement et à la redistribution des droits pour ceux dont elle revendique la représentation,
-la demande de constitution de la société de perception et de répartition des droits DROITS EN LIGNE / RIGHTS ON LINE ne justifie pas de la qualification professionnelle des fondateurs ni des moyens humains et matériels qu'elle propose de mettre en œuvre pour assurer l'exploitation d'un répertoire, le recouvrement et la répartition des droits.
En conséquence,
-dire et juger que des motifs réels et sérieux s'opposent à la constitution de la société de perception et de répartition des droits en ligne DROITS EN LIGNE / RITGH ON LINE,
-refuser la constitution de la société de perception et de répartition des droits en ligne DROITS EN LIGNE / RIGHTS ON LINE,
débouter Messieurs Y..., Z..., A..., B... de l'ensemble de leurs moyens, fins et conclusions,
en tout état de cause,
condamner in so/idum Messieurs Y..., Z..., A... et Madame C... à payer à l'Etat français, pris en la personne de Monsieur le Ministre de la Culture et de la Communication, la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ,
condamner in so/idum Messieurs Y..., Z..., A... et Madame C... aux entiers dépens.
Par dernières conclusions communiquées le 14 février 2007, MM. Michael Y..., Guillaume Z..., Gregory A... et Jean-Louis F... demandent de :
au visa de l'article L.321-3 du code de propriété intellectuelle ,
constater que les fondateurs sont tous soit des auteurs/compositeurs, des artistes ou des producteurs,
constater que deux des quatre fondateurs sont des anciens élèves de l'EDHEC ;
constater que M. Jean-Louis F..., qui a été nommé Gérant de la SPRD DROITS EN LIGNE a une expérience réussie de plusieurs années en matière de management et de gestion, ainsi qu'en matière d'informatique et de monétique, en qualité de responsable du marché monétaire/francs de la Caisse Nationale de l'Energie (1965/1969), puis de Directeur de l'activité systèmes financiers de la société NCR France (1969/1991), puis de Directeur Marketing d'ATetT GIS (1991/1996) et enfin en qualité de Vice-Président d'INGENICO (1998/2006) ;
constater que les statuts, le règlement général, le dossier ainsi que les documents complémentaires communiqués les 3 et 4 Août 2006 à Mr. Emmanuel H... du Ministère de la Culture, sont conformes à la loi et satisfont aux exigences des articles L32l-3 du code de propriété intellectuelle
constater que l'Assignation délivrée le 11 Juillet 2006 ne contient aucun motif réel et sérieux permettant au Ministère de s'opposer à la création de la SPRD DROITS EN LIGNE;
valider la création de la SPRD DROITS EN LIGNE,
constater la procédure particulièrement abusive du Ministre de la Culture et condamner celui-ci, s'il s'avère qu'il est effectivement à l'origine de l'assignation, à payer à titre personnel la somme de 5.000 Euros à chacun des défendeurs, soit au total 20.000 Euros, sans qu'il puisse être remboursé ou garanti par l'Etat, dès lors que la présente procédure est manifestement abusive.
condamner également M. le Ministre de la Culture à la publication judiciaire du jugement à intervenir, et ce, dans trois journaux ou revues au choix des défendeurs étant précisé que le coût total de ces insertions ne devront pas excéder les 15.000 Euros HT.
condamner M. Le Ministre de la Culture aux frais et dépens de la présente instance dont distraction au profit de Maître André Bertrand par application de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
Par dernières conclusions en date du 2 octobre 2007, Mme Isabelle C... demande au tribunal de :
au visa de l'article 38 de la Loi 55-366 du 3 avril 1955, déclarer nulle l'action de l'Etat sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et sur sa demande de condamnation de Mme C...,
pour le surplus,
débouter l'Etat.
MOTIFS DE LA DECISION L'article L 321-1 du code de propriété intellectuelle dispose que :
"Les sociétés de perception et de répartition des droits d'auteur et des droits des artistes-interprètes et des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes sont constituées sous forme de sociétés civiles.
Les associés doivent être des auteurs, des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes ou de vidéogrammes, des éditeurs, ou leurs ayants droit. Ces sociétés civiles régulièrement constituées ont qualité pour ester en justice pour la défense des droits dont elles ont statutairement la charge.
Les actions en paiement des droits perçus par ces sociétés civiles se prescrivent par dix ans à compter de la date de leur perception, ce délai étant suspendu jusqu'à la date de leur mise en répartition".
L'article L321-3 du même code dispose que :
"Les projets de statuts et de règlements généraux des sociétés de perception et de répartition des droits sont adressés au ministre chargé de la culture.
Dans les deux mois de leur réception, le ministre peut saisir le tribunal de grande instance au cas où des motifs réels et sérieux s'opposeraient à la constitution d'une de ces sociétés.
Le tribunal apprécie la qualification professionnelle des fondateurs de ces sociétés, les moyens humains et matériels qu'ils proposent de mettre en oeuvre pour assurer le recouvrement des droits et l'exploitation de leur répertoire ainsi que la conformité de leurs statuts et de leur règlement général à la réglementation en vigueur.
Le ministre chargé de la culture peut, à tout moment, saisir le tribunal de grande instance pour demander l'annulation des dispositions des statuts, du règlement général ou d'une décision des organes sociaux non conformes à la réglementation en vigueur dès lors que ses observations tendant à la mise en conformité de ces dispositions ou cette décision n'ont pas été suivies d'effet dans un délai de deux mois à compter de leur transmission, ou de six mois si une décision de l'assemblée des associés est nécessaire"
Et enfin, l'article R 321-1 du dit code dispose que :
"Le dossier adressé au ministre chargé de la culture, en application de l'article L. 321-3, comprend les projets de statuts et de règlements généraux et toutes pièces justifiant la qualité professionnelle des fondateurs ainsi que l'état des moyens humains, matériels ou financiers permettant à la société d'assurer effectivement la perception des droits et l'exploitation de son répertoire."
Le Ministère reproche aux défendeurs d'avoir déposé un dossier qui ne justifie pas :
-de la qualité de ses associés, en violation des dispositions de l'article L321-1 du code de propriété intellectuelle ,
-de l'existence d'un répertoire,
-de la qualification professionnelle de ses fondateurs,
-des modalités effectives d'adhésion de collecte et de répartition des droits et, plus généralement des moyens humains, matériels ou financiers qui lui permettraient d'assurer ses missions, à savoir la recouvrement et la répartition en vue de l'exploitation d'un répertoire.
Sur le premier point, le tribunal observe que les fondateurs soutiennent avoir la qualité d'auteurs, artistes interprètes, producteurs de phonogrammes, de vidéogrammes ainsi que cela est mentionné dans leur curriculum vitae et relève que ces faits ne sont contredits par aucun élément.
Sur le deuxième point, le tribunal remarque que le défaut de répertoire reproché par le Ministre aux défendeur n'est pas un motif réel et sérieux car une société de perception ne peut obtenir des adhésions que postérieurement à sa création, les auteurs n'ayant aucun intérêt à faire l'apport de leurs droits à une société dont ils ne sont pas sûr de la création.
Sur le troisième point, le tribunal relève que le défaut de bulletin d'adhésion type n'est pas un élément demandé par le texte sus visé et que les conditions d'adhésion se déduisent du statut.
En revanche, le tribunal constate que la société dont s'agit n'a qualité à percevoir et à répartir qu'entre ses membres alors qu'en l'espèce il est prévu qu'elle perçoive et répartisse également via des sociétés de perception étrangères auxquelles les auteurs ne sont pas affiliés.
Par ailleurs, les défendeurs n'ont pas produit de projet de convention avec la société ATOS lequel aurait permis de préciser les modalités de recouvrement et de perception, ainsi que la rémunération de la société ATOS. A cet égard, il y aurait lieu de préciser le caractère exclusif de l'engagement de la société ATOS envers la nouvelle société de perception.
Le tribunal relève également que les défendeurs n'ont produit aucun élément quant au financement de la première année d'activité pendant laquelle ne s‘effectuera que le recouvrement. Il serait souhaitable que la société ATOS communique un budget de fonctionnement de départ.
Dès lors, compte tenu de ces éléments qui constituent des motifs réels et sérieux de refus d'enregistrement de la nouvelle société de recouvrement, le tribunal refuse la constitution de cette nouvelle société.
Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile
Mme C... soutient que l'Etat Français est irrecevable à solliciter une condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au motif qu'il résulte de l'application de l'article 38 de la loi du 3 avril 1955 que "toute action portée devant les tribunaux de l'ordre judiciaire et tendant à faire déclarer l'Etat créancier ou débiteur pour des causes étrangères à l'impôt et au domaine doit, sauf exception prévue par la loi, être intentée à peine de nullité par ou contre l'Agent judiciaire du Trésor."
Ce texte légal s'il désigne le service ayant qualité à agir au sein de l'ETAT pour représenter ce dernier dans les instances judiciaires n'est pas applicable à l'espèce où les textes précités du Code de la Propriété Intellectuelle donne exclusivement compétence au Ministère de la culture. Dès lors, l'article 700 du code de procédure civile est applicable au profit de ce dernier, toutefois eu égard à la nature de l'affaire, l'équité ne commande pas d'en faire application.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal statuant contradictoirement, en premier ressort et par décision remise au greffe,
Dit que des motifs réels et sérieux s'opposent à la constitution de la société de perception et de répartition des droits en ligne DROITS EN LIGNE / RITGH ON LINE,
Refuse la constitution de la société de perception et de répartition des droits en ligne DROITS EN LIGNE / RIGHTS ON LINE,
Déboute MM. Y..., Z..., A..., B...,
Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile ,
Condamne in solidum les défendeurs aux entiers dépens.
Fait à Paris, 16 avril 2008
LE GREFFIER LE PRESIDENT
Marie-Aline PIGNOLET Elisabeth BELFORT