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16/04/2008 | FRANCE | N°05/07003

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Chambre civile 3, 16 avril 2008, 05/07003


3ème chambre 3ème section
No RG : 05 / 07003

Assignation du : 20 Avril 2005

JUGEMENT rendu le 16 Avril 2008

DEMANDEURS
Madame Anna X... Y... divorcée A... domiciliée : chez Société MARK GROSSET PHOTOGRAPHIES 26 rue du Mont THABOR 75001 PARIS
Société MARK GROSSET PHOTOGRAPHIES SAS 26 rue du MONT THABOR 75001 PARIS
Monsieur Léonid Z... Y..., (Intervenant Volontaire) domicilié : chez Société MARK GROSSET PHOTOGRAPHIES 26 Rue du Mont Thabor 75001 PARIS
représentés par Me Philippe LAMOTTE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire B 90

D

ÉFENDERESSE
S. A. R. L. AKG IMAGES PARIS 67 rue Notre Dame des CHAMPS 75006 PARIS
représentée par ...

3ème chambre 3ème section
No RG : 05 / 07003

Assignation du : 20 Avril 2005

JUGEMENT rendu le 16 Avril 2008

DEMANDEURS
Madame Anna X... Y... divorcée A... domiciliée : chez Société MARK GROSSET PHOTOGRAPHIES 26 rue du Mont THABOR 75001 PARIS
Société MARK GROSSET PHOTOGRAPHIES SAS 26 rue du MONT THABOR 75001 PARIS
Monsieur Léonid Z... Y..., (Intervenant Volontaire) domicilié : chez Société MARK GROSSET PHOTOGRAPHIES 26 Rue du Mont Thabor 75001 PARIS
représentés par Me Philippe LAMOTTE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire B 90

DÉFENDERESSE
S. A. R. L. AKG IMAGES PARIS 67 rue Notre Dame des CHAMPS 75006 PARIS
représentée par Me Jean- Louis LAGARDE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire D. 127
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Elisabeth BELFORT, Vice- Président, signataire de la décision Agnès THAUNAT, Vice- Président Michèle PICARD, Vice- Président, assistée de Marie- Aline PIGNOLET, Greffier, signataire de la décision

DEBATS
A l'audience du 05 Février 2008 tenue en audience publique
JUGEMENT
Prononcé par remise de la décision au greffe Contradictoire en premier ressort

FAITS ET PRETENTIONS DES PARTIES :
Evgueni Y... est un photographe russe de renommée qui a pris de nombreux clichés dans l'ancienne URSS et notamment une célèbre photographie datant du 2 mai 1945 montrant un soldat russe plaçant le drapeau de l'Union Soviétique sur le Reichtag à Berlin, cliché devenu le symbole de la chute du 3ème Reich allemand.
Evgueni Y... est décédé en 1997 laissant sa fille Anna et son fils Léonid comme héritiers.
La société MARK GROSSET PHOTOGRAPHIES est une agence de photographies spécialisée dans la diffusion des oeuvres des photographes russes.
Par acte du 21 avril 2005, Mme Anna Y... et la société MARK GROSSET PHOTOGRAPHIES ont assigné la société AKG IMAGES PARIS en contrefaçon de l'oeuvre photographique d'Evgueni Y... pour plusieurs reproductions sans leur autorisation du cliché de 1945, l'une publiée dans le magazine " Ca m'intéresse " d'avril 2003, une autre dans l'ouvrage " Le Book " et enfin la dernière dans le magazine " Science et Vie " de mai 2003.
Par conclusions du 28 mars 2006, Léonid Y... intervenait volontairement à l'instance et s'associait aux demandes présentées par Anna Y... et par la société MARK GROSSET.
Par une ordonnance du 15 novembre 2006, le juge de la mise en état rejetait l'exception de nullité de l'assignation soulevée par la société AKG et se déclarait incompétent pour trancher des fins de non- recevoir.
Aux termes de ses dernières conclusions du 28 août 2007, les consorts Y... et la société MARK GROSSET PHOTOGRAPHIES demandent au tribunal de :
- dire que leurs demandes sont recevables et de recevoir Léonid Y... en son intervention volontaire,
- rejeter les demandes de nullité formées par la société AKG ;

- dire que l'utilisation à trois reprises de la photographie prise en 1945 par M. Evguéni Y... dans les publications précitées constitue une contrefaçon de l'oeuvre photographique de cet auteur par application des articles L 122- 1 et L 122- 4 du Code de Propriété Intellectuelle ;
- interdire la poursuite de cette exploitation illicite,
- condamner la société AKG à payer à Mme Y... une indemnité provisionnelle de 30. 000 euros et une même indemnité à la société MARK GROSSET PHOTOGRAPHIES ;
- ordonner une expertise comptable pour déterminer, compte- tenu des ventes illicites du cliché, le préjudice subi ;
- condamner la société AKG à leur payer une indemnité de 3000 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
le tout, sous le bénéfice de l'exécution provisoire de la décision à intervenir et de l'autorisation de sa publication dans trois journaux de leur choix et aux frais de la défenderesse.
La société AKG dans ses dernières écritures signifiées le 12 juin 2007 soutient que :
- la société MARK GROSSET PHOTOGRAPHIES n'a aucune qualité à agir, l'association (UPR) dont elle se prétend le mandataire ayant une activité et des modalités de fonctionnement inconnus ;
- les consorts Y... sont également irrecevables à agir :
*dès lors qu'ils ne démontrent pas que leur père était titulaire de droits d'auteur dans son pays d'origine alors notamment qu'il était militaire de l'Armée Rouge lorsqu'il a pris le cliché en cause qui était une commande de son employeur et que par ailleurs, cette photographie a été copiée de la célèbre photographie de Joseph D... prise à Iwo Jima le 23 février 1945 ;
*dès lors qu'ils ne prouvent pas avoir hérité des droits d'auteur de leur père, à les supposer constituer ;
- en tout état de cause, ce cliché n'est pas protégeable :
*la Fédération de Russie n'a adhéré à la Convention de Berne que le 9 décembre 1994 avec effet au 13 mars 1995 ; l'application de cette convention ne s'appliquant qu'aux oeuvres encore protégées au moment de son entrée en vigueur et aux oeuvres réalisées postérieurement à celle- ci et le cliché en cause étant par l'effet de l'application du droit soviétique tombé dans le domaine public le 31 décembre 1955, celui- ci n'est plus protégé ;
*il n'est pas original car de l'aveu de son auteur, il est inspiré du cliché de Joseph D... ;

*elle ne peut bénéficier de la protection du Code de Propriété Intellectuelle dès lors que la condition de réciprocité posée par l'article L 111- 4 du Code de Propriété Intellectuelle n'est pas remplie ;
- le préjudice allégué n'est pas démontré et ce, d'autant que ce cliché est largement diffusé par les grosses agences sans protestation des demandeurs.
Aussi, la société AKG demande le débouté des demandes et l'allocation d'une indemnité de 10. 000 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
SUR CE,
*sur la recevabilité à agir des demandeurs :
Il ressort :
*des différents certificats produits aux débats en original et en traduction que Mme Anna Y... et M. Léonid Y..., respectivement en qualité de fille et de fils d'Efim E... Y..., connu sous le nom d'auteur Evgueni Y... ont vocation à hériter des droits d'auteur de leur père ;
*des mandats donnés par Léonid et Anna Y... que la société MARK GROSSET PHOTOGRAPHIES a qualité à les représenter en France pour la protection des droits d'auteur de leur père.
Dans ces conditions, le tribunal considère que les consorts Y... ont qualité à agir pour la défense des droits d'auteur de leur père et la société MARK GROSSET PHOTOGRAPHIES en sa qualité de mandataire.
En revanche, le mandat du 29 avril 2002 donné par l'association Union des Photographes Russes ne donne aucune qualité à la société MARK GROSSET PHOTOGRAPHIES, dès lors qu'il n'est pas démontré que cette association détienne un quelconque droit sur les oeuvres de Evgueni Y....
*sur les droit moraux d'auteur d'Evgueni Y... :
Dès lors que le cliché du 2 mai 1945 sur la prise du Reichstag a été divulgué sous le nom d'Evgueni Y..., il est acquis qu'il en est l'auteur (cf nombreux articles de presse produits).
Il est constant que la règle de protection des droits moraux des auteurs étant une loi impérative, elle donne qualité aux héritiers Y... pour exercer en France la défense des droits moraux de leur père sur les oeuvres photographiques de ce dernier et cela, quelque soit par ailleurs, le sort des droits patrimoniaux.
Toutefois, ses droits moraux ne peuvent porter que sur une oeuvre originale.

En l'espèce, s'il n'est pas contestable de l'aveu même de son auteur que le cliché du 2 mai 1945 s'inspire du célèbre cliché de Joseph D... qui avait photographié des soldats américains plantant un drapeau sur l'Ile d'Iwo Jima, il n'en demeure pas moins que la photographie de Y... dont il est acquis qu'il s'agit d'une mise en scène, n'en est pas moins originale par la construction de son sujet, le choix des accessoires (le drapeau), de la position des soldats au premier plan qui font échos aux statues en arrière- plan, de l'angle de prise de vue qui permet au drapeau de se déployer sur Berlin détruit et des lumières (contraste entre le Reichstag et le drapeau d'un gris foncé se détachant sur un arrière- plan presque blanc).
Dans ces conditions, le tribunal considère que le cliché du 2 mai 1945 est original et que les héritiers Y... sont recevables à défendre les droits moraux de leur père sur cette oeuvre protégeable au titre du droit d'auteur. Il importe peu à cet égard que cette oeuvre soit une oeuvre de commande de l'Agence Tass ou de l'Armée Rouge dès lors qu'il est acquis que M. Y... n'a reçu aucune instruction pour réaliser concrètement son cliché et qu'aucune autre personne n'a contribué à cette oeuvre.
*sur les droits patrimoniaux :
Il est constant que M. Y... est de nationalité russe et que dès lors, son oeuvre en application de la Convention de Berne du 9 septembre 1886 à laquelle la Fédération de Russie a adhéré le 9 décembre 1994 avec effet au 13 mars 1995 a vocation à recevoir protection en France sous réserve, en application de l'article 7- 8o que dans le pays d'origine de l'oeuvre, celle- ci soit encore protégée.
Or, il ressort de la Loi de la République Soviétique du 8 octobre 1928 applicable en 1945 que la durée de la protection du droit d'auteur pour les oeuvres photographiques était de 5 ans après la première publication.
Dès lors, au moment de l'adhésion de la Fédération de Russie à la Convention de Berne, le cliché en cause était tombé dans le domaine public, plus de cinq ans s'étant écoulé depuis sa première publication en 1945 étant souligné que cette Fédération a expressément ratifié la Convention de Berne avec la déclaration suivante : " il est entendu que la Convention sus- mentionnée ne s'applique pas aux oeuvres qui, au moment de son entrée en vigueur à l'égard de la Fédération de Russie sont déjà tombées dans le domaine public de son territoire ".
Eu égard à ces éléments, le tribunal considère que les héritiers Y... ne peuvent se prévaloir d'avoir hérité de leur père des droits patrimoniaux sur le cliché en cause, ses droits n'existant plus au décès de celui- ci.
*sur la contrefaçon :
Les demandeurs ne faisant état que d'un défaut d'autorisation soit une atteinte à leurs droits patrimoniaux, leurs prétentions de ce chef ne sont pas fondées.
*sur les autres demandes :
Aucune considération d'équité ne commande de faire application de l'article 700 du Code de Procédure Civile en l'espèce.
Eu égard au contenu de la décision, son exécution provisoire est dénuée d'intérêt.
PAR CES MOTIFS LE TRIBUNAL, statuant contradictoirement, par décision en premier ressort et remise au greffe,
Reçoit l'intervention volontaire de M. Léonid Y...,
Déclare recevables Mme Anna Y... et M. Léonid Y... en qualité d'héritiers, au titre de la défense des droits moraux de M. Evgueni Y..., leur ayant- cause, sur le cliché du 2 mai 1945 dont ce dernier est l'auteur et qui est original ;
Déclare recevable la société MARK GROSSET PHOTOGRAPHIES en qualité de mandataires des consorts Y... précités ;
Déclare irrecevable la société MARK GROSSET PHOTOGRAPHIES au titre de son mandat de l'Union des Photographes Russes ;
Dit que le cliché en cause n'étant plus protégé au titre des droits patrimoniaux à la date d'adhésion de la Fédération de Russie à la Convention de Berne, les demandeurs sont irrecevables au titre des droits patrimoniaux d'Evgueni Y... ;
Déboute les consorts Y... et la société MARK GROSSET PHOTOGRAPHIES de leurs demandes,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
Condamne solidairement les consorts Y... et la société MARK GROSSET PHOTOGRAPHIES aux dépens,
Fait application des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile au profit de Maître Jean- Louis LAGARDE, avocat, pour la part des dépens dont il a fait l'avance sans en avoir reçu préalablement provision,
Fait et Jugé à Paris, le 16 avril 2008.


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 05/07003
Date de la décision : 16/04/2008
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2008-04-16;05.07003 ?
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