3ème chambre 2ème section
Assignation du :28 Septembre 2006
JUGEMENT rendu le 15 Février 2008
DEMANDERESSE
SOCIETE DES AUTEURS DANS LES ARTS GRAPHIQUES ET PLASTIQUES (A.D.A.G.P)11, Rue Berryer75008 PARIS
représentée par Me Juliette SIMONI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire C.966
DÉFENDERESSE
Association LES ENFANTS D'ARLEQUIN53 Avenue de VILLIERS75017 PARIS
représentée par Me Jacques-Max LASSEZ, avocat au barreau de PARIS, vestiaire P0155
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Véronique RENARD, Vice-Président, signataire de la décision Sophie CANAS, JugeGuillaume MEUNIER, Juge
assistée de Marie-Aline PIGNOLET, Greffier, signataire de la décision
DEBATS
A l'audience du 21 Décembre 2007 tenue en audience publique
JUGEMENT
Prononcé par remise de la décision au greffe Contradictoireen premier ressort
Faits et procédure
La société des Auteurs Dans les Arts graphiques et Plastiques (ci-après l'ADAGP) est une société de perception et de répartition des droits d'auteur dont l'activité est régie notamment par les articles L. 321-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Elle exerce à ce titre les droits patrimoniaux de propriété intellectuelle attachés aux oeuvres de ses associés.
Madame Jeanne Y..., dessinatrice et sculptrice, compte au nombre de ceux-ci.
Elle est l'auteur de quatre oeuvres réalisées à l'encre de chine et autres encres de couleur, ayant pour thème l'enfance et la justice, conçues en 2004 à la demande de l'association Les Enfants d'Arlequin, afin d'illustrer un livre intitulé "Les enfants face à la justice", et décrites comme suit :
- la première représente un "jeune enfant dans la cour principale du Palais de Justice de Paris",- la deuxième représente "le même enfant dans le bureau d'un magistrat",- la troisième représente "l'enfant dans la salle d'audience d'une chambre correctionnelle",- la quatrième représente l'enfant "aux côtés de son avocat, la main (rassurante) de ce dernier sur son épaule, quand l'accusé apparaît à l'arrière, emmené par deux représentants des forces de l'ordre".
Une somme de 1.675 € aurait été promise à l'auteur, sans qu'aucune convention ait toutefois été signée par les parties.
Ayant constaté au printemps 2006, la reproduction, sans autorisation, de ces oeuvres sur le site internet de l'association, www.enfants-arlequin.com, l'ADAGP, par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception, datée du 18 mai 2006, a mis en demeure l'association Les Enfants d'Arlequin d'en faire cesser la diffusion, avant de l'assigner en contrefaçon devant le Tribunal de grande instance de Paris, par exploit d'huissier en date du 28 septembre 2006.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 27 septembre 2007.
Prétentions des parties
Par conclusions récapitulatives du 14 mai 2007, l'ADAGP demande au Tribunal :
- de dire qu'en reproduisant sans autorisation puis en présentant sur son site internet domicilié à l'adresse URL http://www.enfants-arlequin.com sans davantage d'autorisation les quatre oeuvres objet du débat de Madame Jeanne Y..., la défenderesse a commis des actes de contrefaçon, par violation des droits patrimoniaux de propriété intellectuelle attachés à ces quatre oeuvres,
- de faire interdiction à la défenderesse de poursuivre l'exploitation de chacune de ces quatre oeuvres dont Madame Jeanne Y... est l'auteur, de quelque façon que ce soit, et sur quelque support que ce soit, directement et par tous tiers, et ce sous astreinte de 500 € par infraction constatée à compter du jugement à intervenir,- de condamner l'Association les Enfants d'Arlequin à lui payer la somme de 15.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la violation de ses droits de propriété intellectuelle,- de condamner la défenderesse à lui payer la somme de 4.000 € en réparation du préjudice moral subi,- de débouter la défenderesse de l'ensemble de ses demandes,- de condamner l'association les Enfants d'Arlequin à la somme de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,- de condamner l'association les Enfants d'Arlequin aux entiers dépens, dont distraction au profit de son conseil,- d'ordonner l'exécution provisoire.
Dans ses dernières écritures, signifiées le 29 juin 2007, l'association les Enfants d'Arlequin demande au Tribunal :
- de débouter l'ADAGP de l'ensemble de ses demandes,- de condamner l'ADAGP à lui payer la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,- de condamner l'ADAGP aux entiers dépens, dont distraction au profit de son conseil,- de condamner l'ADAGP à lui payer la somme de 10.000 € pour procédure abusive,- d'ordonner l'exécution provisoire.
Motifs de la décision
I. Sur la contrefaçon
Attendu qu'en vertu de l'article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction intégrale ou partielle d'une oeuvre, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite ;
Qu'il ressort des constats réalisés par Madame Sylvie Z..., agent assermenté responsable du service multimédia de l'ADAGP, que les quatre oeuvres litigieuses étaient visibles sur le site internet accessible à l'adresse www.enfants-arlequin.com, les 11 juillet, 25 août, 18 septembre et 4 octobre 2005 ;
Que l'association les Enfants d'Arlequin ne conteste pas avoir procédé aux actes de reproduction jugés contrefaisants par la demanderesse ;
Attendu, au contraire, que pour conclure au débouté de l'action en contrefaçon, l'association les Enfants d'Arlequin argue de l'existence d'un "ensemble contractuel dans lequel Jeanne Y... s'était engagée à réaliser les illustrations d'un livre sur la Justice destiné aux enfants", l'association s'étant quant à elle obligée"à payer à Jeanne Y... la somme de 1.675 €", la cause de l'engagement de l'auteur étant "une libéralité, c'est-à-dire une bonne action en faveur de l'enfance malheureuse comme c'est le cas avec tous les autres partenaires des Enfants d'Arlequin" ;
Attendu qu'il ressort des courriers échangés entre l'auteur et l'association les Enfants d'Arlequin que cette dernière et Madame Y... ont conclu un accord, aux termes duquel l'artiste s'est engagée à réaliser les illustrations d'un livre consacré aux rapports entre les enfants et la Justice ; qu'il n'est pas contesté que le prix de commande des illustrations litigieuses était de 1.675 € ; qu'ainsi qu'il ressort d'un courrier daté du 4 mai 2005, Madame Y... a reçu en septembre 2004 un premier versement de 500 € ; que l'auteur a par la suite refusé d'encaisser un chèque destiné à régler le solde lui restant dû ;
Mais attendu que l'existence d'une telle commande ne saurait révéler l'existence d'un contrat emportant cession des droits patrimoniaux de l'ADAGP sur les oeuvres concernées ;
Attendu, en effet, qu'il résulte de l'article L. 131-2 du Code de la propriété intellectuelle que les contrats de représentation, d'édition et de production audiovisuelle doivent être constatés par écrit ; que l'article L. 131-3 du même Code précise que la transmission des droits de l'auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit limité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée ;
Que faute de produire un contrat répondant à ces exigences, l'association les Enfants d'Arlequin ne peut se prévaloir d'une quelconque cession, à son profit, du droit d'exploiter, par reproduction sur son site internet, les dessins objets du présent litige ;
Que la volonté de l'association de ne pas travailler avec des personnes "qui n'auraient pas envie de faire quelque chose pour l'enfance malheureuse", et le caractère non lucratif de son activité, ne peuvent conduire le Tribunal à écarter l'exigence légale d'un contrat écrit et à admettre l'existence de la cession de droits revendiquée ;
Que le prétendu retard pris par l'auteur dans la réalisation des oeuvres, ou les problèmes de santé du représentant de l'association les Enfants d'Arlequin, ayant empêché une réponse immédiate aux mises en demeure de l'ADAGP, sont à ce stade dépourvus de portée ;
Attendu que la contrefaçon se trouve ainsi caractérisée.
II. Sur les mesures réparatrices
Attendu que les actes de contrefaçon dont l'association les Enfants d'Arlequin s'est rendue coupable ont occasionné à la demanderesse un préjudice constitué, en l'espèce, de la violation de la prérogative que constitue la faculté de donner ou non l'autorisation d'exploiter, sur internet, les oeuvres litigieuses, et de la privation de rémunération afférente à l'autorisation en méconnaissance de laquelle les oeuvres ont été reproduites ;
Que le Tribunal trouve en la cause les éléments lui permettant d'allouer à l'ADAGP la somme de 3.500 € en réparation de l'atteinte à ses droits patrimoniaux ;
Attendu, par ailleurs, que les faits litigieux ont causé à l'ADAGP, dont l'objet social vise notamment "la défense des droits individuels de ses membres et des intérêts et droits de la généralité de ses associés", un préjudice moral qui sera réparé par l'octroi de la somme de1 € à titre de dommages et intérêts ;
Attendu qu'il convient de faire droit, en tant que de besoin, à la demande d'interdiction, dans les limites fixées par le dispositif de la présente décision ;
Que le dommage se trouvant ainsi suffisamment réparé, il n'y a pas lieu d'ordonner la publication de la présente décision.
III. Sur les autres demandes
Attendu que l'association les Enfants d'Arlequin ne peut qu'être déboutée de sa demande de dommages intérêts motivée par le caractère prétendument abusif de l'action engagée, avec succès, par la demanderesse ;
Attendu que la nature de l'espèce et l'ancienneté du litige justifient d'ordonner l'exécution provisoire du présent jugement ;
Attendu que l'association les Enfants d'Arlequin, succombant, sera condamnée aux entiers dépens ;
Qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de l'ADAGP la totalité des frais irrépétibles ; qu'il convient, en conséquence, de lui allouer la somme globale de 3.000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Par ces motifs
Le Tribunal,Statuant publiquement, par mise à disposition du présent jugement au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par le deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile,Par jugement contradictoire, rendu en premier ressort,
- DIT qu'en reproduisant sur son site internet accessible à l'adresse http://www.enfants-arlequin.com, sans autorisation, quatre oeuvres de Madame Jeanne Y..., associée de la société des Auteurs Dans les Arts Graphiques et Plastiques, représentant un "jeune enfant dans la cour principale du Palais de Justice de Paris", "le même enfant dans le bureau d'un magistrat", "l'enfant dans la salle d'audience d'une chambre correctionnelle", et enfin l'enfant "aux côtés de son avocat, la main (rassurante) de ce dernier sur son épaule, quand l'accusé apparaît à l'arrière, emmené par deux représentants des forces de l'ordre", l'association les Enfants d'Arlequin a commis des actes de contrefaçon,
- INTERDIT, en tant que de besoin, la poursuite de ces actes, sous astreinte de 100 € par jour de retard, à compter de la signification de la présente décision,
- CONDAMNE l'association les Enfants d'Arlequin à payer à la société des Auteurs Dans les Arts Graphiques et Plastiques la somme de 3.500 € en réparation du préjudice résultant de l'atteinte à ses droits patrimoniaux sur les oeuvres susvisées,
- CONDAMNE l'association les Enfants d'Arlequin à payer à la société des Auteurs Dans les Arts Graphiques et Plastiques la somme de 1 € en réparation de son préjudice moral,
- DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
- ORDONNE l'exécution provisoire,
- CONDAMNE l'association les Enfants d'Arlequin à payer à la société des Auteurs Dans les Arts Graphiques et Plastiques la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- CONDAMNE l'association les Enfants d'Arlequin aux entiers dépens, qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.
Fait et jugé à Paris le 15 Février 2008
Le Greffier Le Président