T R I B U N A L
D E GRANDE
I N S T A N C E
D E P A R I S
3ème chambre 3ème section
No RG :
06 / 06837
No MINUTE :
Assignation du :
05 Avril 2005
JUGEMENT
rendu le 06 Février 2008
DEMANDEUR
Monsieur Jimmy A...
...
26790 TULETTE
représenté par Me Jean Louis LANGLOIS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire C. 880
DÉFENDEURS
S. A. EDITIONS GALLIMARD
5 rue Sébastien Bottin
75007 PARIS
représentée par Me Josée- Anne BENAZERAF, avocat au barreau de PARIS, vestiaire P327
S. A. R. L. LES FILMS ALEPH
18 rue Marbeuf
75008 PARIS
Monsieur Claude B..., Intervernant Volontaire
39 rue Boulard
75014 PARIS
représentés par Me Jacques MARCHAND, avocat au barreau de PARIS, vestiaire C. 1414
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Elisabeth BELFORT, Vice- Président, signataire de la décision
Agnès THAUNAT, Vice- Président
Michèle PICARD, Vice- Président,
assistée de Marie- Aline PIGNOLET, Greffier, signataire de la décision
DEBATS
A l'audience du 18 Décembre 2007
tenue en audience publique
JUGEMENT
Prononcé par remise de la décision au greffe
Contradictoire
en premier ressort
RAPPEL DES FAITS ET PROCEDURE
M. Claude B... est le réalisateur du film " SHOA ".
M. Jimmy A..., a été engagé le 18 juillet 1978 par la société LES FILMS ALEPH en qualité de directeur- technicien de la photo pour collaborer à certaines séquences du film SHOA.
La société EDITIONS GALLIMARD est l'éditeur du texte intégral des sous- titres du film SHOA.
La couverture de cet ouvrage paru au mois d'octobre 1997 dans la collection FOLIO reproduit un photogramme extrait de la séquence du film SHOA montrant le conducteur du train menant au camp de concentration de TREBLINKA. Ce photogramme constituait l'affiche du film lors de sa sortie en salles en 1985 ainsi que la couverture des différents vidéogrammes (vidéocassettes et DVD) reproduisant le film. En quatrième de couverture il est indiqué " Photo (C) Christophe L. ", ce dernier étant selon la société EDITIONS GALLIMARD le collectionneur ayant fourni la dite photographie.
M. Jimmy A... estimant qu'il était l'auteur du plan dont était extraite ladite photographie a, par acte d'huissier de justice en date du 5 avril 2005, fait assigner la société EDITIONS GALLIMARD et la SARL LES FILMS ALEPH devant le tribunal de grande instance de Paris.
Par conclusions signifiées le 26 janvier 2006, M. Claude B... a déclaré intervenir volontairement aux débats.
Par dernières conclusions signifiées le 22 mai 2007, M. Jimmy A... demande au tribunal de :
dire et juger que par application des dispositions de l'article L 112-2 du Code de la Propriété Intellectuelle, il a la qualité d'auteur de la cinématographie des plans du film dont il assuré les prises de vues,
dire et juger que par application des dispositions de l'article L 112-2 du Code de la Propriété Intellectuelle il a la qualité d'auteur du photogramme litigieux issu de la cinématographie des plans du film dont il a assuré les prise s de vues,
dire et juger en conséquence que toute exploitation du photogramme litigieux devra être créditée à son bénéfice sous la mention " photos Jimmy Glasberg ",
condamner la société LES FILMS ALEPH conjointement et solidairement avec la société des EDITIONS GALLIMARD à lui payer une somme de 5000 euros à titre de préjudice pécuniaire pour les exploitations du photogramme litigieux intervenues illicitement jusqu'à la date de l'assignation,
faire interdiction à la société LES FILMS ALEPH et la société EDITIONS GALLIMARD d'exploiter tout photogramme issu des plans du film dont il est auteur de la cinématographie sans régulariser préalablement avec lui, en sa qualité d'auteur du photogramme litigieux, la cession de ses droits et les conditions de mention de ses nom et qualité,
condamner la société LES FILMS ALEPH à lui payer une somme de 5000 euros en réparation du préjudice moral du fait de l'exploitation contrefaisante du photogramme litigieux sous la mention du nom d'un tiers,
prononcer la nullité partielle de son contrat d'engagement en ce qu'il a stipulé que Monsieur ; A... " renonce, en tant que de besoin en faveur (des FILMS ALEPH) à tous ses droits de propriété artistique sur sa collaboration au film, qu'il s'agisse de sa reproduction ou de sa représentation, "
ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir,
condamner conjointement et solidairement la société LES FILMS ALEPH et la société EDITIONS GALLIMARD à lui payer la somme de 7500 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Par dernières conclusions signifiées le 31 octobre 2006, la société LES FILMS ALEPH et M. Claude B... demandent au tribunal de :
donner acte à Claude B... de ce que le demandeur déclare renoncer à se prévaloir de la qualité de co- auteur du film,
dire et juger cependant que M. A... ne saurait revendiquer pour autant la qualité d'auteur de la cinématographie des plans du film dont il a assuré les prises de vues non plus que de la qualité d'auteur du photogramme litigieux issu de la cinématographie des plans du film dont il a assuré les prises de vues dont il est l'auteur (sic),
subsidiairement, dire et juger que le demandeur est irrecevable en sa prétention de voir prononcer la nullité partielle de son contrat d'engagement et en tout cas mal fondé en cette prétention,
débouter en conséquence le demandeur,
le condamner à leur payer à chacun la somme de 1000 euros à titre de dommages- intérêts pour procédure abusive et vexatoire,
ordonner l'exécution provisoire,
condamner M. Jimmy A... à leur payer à chacun la somme de 15. 000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, avec distraction au profit de Maître Jacques MARCHAND, avocat qui affirme en avoir fait l'avance sans en avoir reçu provision.
Par dernières conclusions signifiées le 13 mars 2007, la société EDITIONS GALLIMARD demande au tribunal de :
débouter le demandeur,
le condamner à lui payer la somme de 3000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la titularité des droits d'auteur
Selon l'article L112-2 du code de propriété intellectuelle " sont considérées notamment comme oeuvres de l'esprit au sens du présent code (...) les oeuvres photographiques et celles réalisées à l'aide de techniques analogues à la photographie. "
Par ailleurs, l'article L113-7 du code de propriété intellectuelle dispose : qu'" ont la qualité d'auteurs d'une oeuvre audiovisuelle la ou les personne physiques qui réalisent la création intellectuelle de cette oeuvre. Sont présumés, sauf preuve contraire, coauteurs d'une oeuvre audiovisuelle réalisée en collaboration : l'auteur du scénario, l'auteur de l'adaptation, l'auteur du texte parlé, l'auteur des compositions musicales avec ou sans paroles spécialement réalisées pour l'oeuvre, le réalisateur. (...). "
M. A... soutient qu'il est l'auteur de la ciménatographie du plan séquence, relatif à l'entrée de la locomotive dans le camp de TREBLINKA, notamment parce qu'il s'est trouvé seul face au témoin et face à des choix artistiques et des " initiatives qui n'ont procédé que de sa sensibilité, de sa créativité, de sa subjectivité, bref de sa personnalité. " Il explique qu'il a " fait seul le choix de la manière dont le plan séquence serait cadré photographié et filmé, qu'il a fait le choix de la pellicule, de la focale, de l'objectif, de sa position dans l'action de son point de vue de cinématographeur. (..) que lui seul a pris l'initiative de filmer la scène de l'extérieur de la machine "
Il est constant qu'il y a eu plusieurs directeurs de la photographie sur le film SHOA réalisé par M. B... et que M. Jimmy A..., directeur de la photographie, a de surcroît réalisé les prises de vues effectuées à TREBLINKA en qualité de caméraman.
M. A..., dans ses écritures reconnaît que M. B..., en sa qualité de réalisateur et d'auteur du film SHOA a donné des instructions à tous ceux qui concouraient à la fabrication du documentaire et notamment que c'est M. B... qui a eu l'idée du long plan séquence muet relatif à l'entrée de la locomotive dans le camps de concentration de TREBLINKA. Il déclare que M. B... a donné des directives au témoin filmé ainsi qu'au directeur de la photo.
Le tribunal observe tout d'abord que le directeur de la photographie ne figure pas parmi les personnes que la loi présume coauteurs d'une oeuvre audiovisuelle.
Il appartient en conséquence à M. A... de démontrer que sa contribution relève de la protection du droit d'auteur.
Or, M. A... qui ne conteste pas avoir reçu des directives afin de réaliser le plan litigieux n'établit pas que sa prestation est allée au delà d'une simple prestation technique et que l'oeuvre porte l'empreinte de sa personnalité.
Dans ces conditions, il n'est pas possible de le déclarer titulaire de droits d'auteur sur la " cinématographie " de l'oeuvre. Il convient d'observer, en outre, que ce concept aboutirait à nier qu'un film soit une oeuvre de collaboration au sens de l'article L113-2 du code de propriété intellectuelle mais créerait une superposition d'oeuvres distinctes.
Il convient en conséquence de débouter M. A... de ses demandes.
Sur la demande reconventionnelle en procédure abusive
M. B... et la société FILMS ALEPH demandent la condamnation de M. A... à leur payer la somme de 1000 euros à titre de dommages- intérêts pour procédure abusive.
Le tribunal remarque qu'à l'origine de l'action de M. A... se trouve le fait que la photographie dont il a assuré la prise de vue était crédité du nom d'un tiers qui s'est révélé être un collectionneur. Dans ces conditions, celui- ci a pu se méprendre sur l'étendue de ses droits et son action ne revêt aucun des caractères de l'action abusive.
Il y a donc lieu de débouter M. B... et la société des FILMS ALEPH de leur demande reconventionnelle.
Sur l'application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile
Il parait inéquitable de laisser à la charge de M. B... et de la société FILM ALEPH les frais irrépétibles qu'ils ont pu engager et qui ne sont pas compris dans les dépens. Il convient de leur allouer à ce titre à chacun une indemnité de 8000 euros.
En revanche la société GALLIMARD étant à l'origine de l'erreur portant sur le crédit photo, il ne parait pas inéquitable de laisser à sa charge les frais irrépétibles et non compris dans les dépens.
Sur l'exécution provisoire
Il ne parait pas nécessaire en l'espèce d'ordonner l'exécution provisoire de la présente décision.
Sur les dépens
M. A... succombant dans ses prétentions doit être condamné aux entiers dépens.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal statuant en premier ressort, contradictoirement par jugement remis au greffe,
Déboute M. A... de l'ensemble de ses demandes et les défendeurs de leurs demandes reconventionnelles en procédure abusive,
Condamne M. A... à payer à M. B... et à la société LES FILMS ALEPH la somme de 8000 euros à chacun en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Condamne M. A... aux entiers dépens, avec distraction au profit de Maître JACQUES MARCHAND qui a fait l'avance des dépens sans en avoir reçu provision conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
fait à Paris le 6 février 2008
LE GREFFIERLE PRESIDENT
Marie- Aline PIGNOLETElisabeth BELFORT