3ème chambre 3ème section
No RG : 05 / 10927
Assignation du : 19 Juillet 2005
JUGEMENT rendu le 06 Février 2008
DEMANDEURS
Monsieur Francis X... ...... ISRAEL
Société SERVICE INTERNATIONNAL KOSHER SUPERVISION LTD (SIKS) 1220 North Market Street 606 WILMINGTON 19801 DELAWARE USA
représentés par Me Sabine BONNEH, avocat au barreau de PARIS, vestiaire C 1347
DÉFENDERESSE
ASSOCIATION CONSISTORIALE ISRAELITE DE PARIS 17 rue Saint- Georges 75009 PARIS
représentée par Me Marc BENSIMHON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire P 410
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Elisabeth BELFORT, Vice- Président, signataire de la décision Agnès THAUNAT, Vice- Président Michèle PICARD, Vice- Président,
assistée de Marie- Aline PIGNOLET, Greffier, signataire de la décision
DEBATS
A l'audience du 07 Janvier 2008 tenue en audience publique
JUGEMENT
Prononcé par remise de la décision au greffe Contradictoire en premier ressort
I- RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :
Monsieur Francis X... exerce l'activité de Grand Rabbin à Bologne en Italie. Il est l'unique associé de la société de droit américain SERVICE INTERNATIONAL KOSHER SUPERVISION Ltd qui a pour activité principale le contrôle et la certification du caractère casher de produits alimentaires. Pour ce faire, il a créé le logo " siKs " label de certification par lequel la société SIKS assure et certifie la casherisation des produits.
L'Association Consistoriale Israélite de Paris (ACIP) a pour but de subvenir à Paris et dans la région d'Ile de France aux frais, à l'entretien et à l'exercice du culte israélite. Elle gère à Paris et dans la région parisienne plus de 80 synagogues et dispose de 300 salariés. Elle assure parallèlement le respect des règles religieuses et enfin elle a pour mission de garantir à ses partenaires et aux consommateurs de produits cashers la conformité desdits produits aux pratiques du judaïsme et a en charge l'abattage rituel des animaux autorisés dans le respect des règles religieuses de la cacheroute. Pour ce faire, elle dispose d'un organe spécifique religieux dénommé BETH DIN DE PARIS à compétence nationale qui assure le contrôle religieux requis.
L'ACIP est agréée par le Ministère de l'agriculture pour la gestion et la cashérisation alimentaire dans le respect des règles religieuses.
Monsieur X... et la société SIKS ont appris en novembre 2004 que l'ACIP avait fait diffuser auprès de commerçants revendeurs de produits cashers une circulaire datée du 3 avril 2001 ayant pour objet de leur interdire de commercialiser les produits garantis par plusieurs rabbinats, dont celui de Monsieur X....
Estimant que leur activité avait diminué du fait de cette circulaire et après avoir tenté en vain un règlement amiable du différend, Monsieur Francis X... et la société SERVICE INTERNATIONAL KOSHER SUPERVISION Ltd (ci- après SIKS) ont fait assigner l'Association Consistoriale Israélite de Paris par acte d'huissier signifié le 19 juillet 2005.
Par jugement avant dire droit rendu le 25 octobre 2006, le tribunal a ordonné la réouverture des débats pour permettre aux parties de faire valoir leurs observations sur le point de savoir si le respect des prescriptions d'une religion non sectaire est susceptible de constituer un cas de dérogation à la prohibition des réseaux de distribution sélective qui résulte de la liberté du commerce et de l'industrie et a sursis à statuer sur le surplus.
Dans ses dernières conclusions signifiées le 25 septembre 2007, Monsieur X... et la société SIKS demandent au tribunal de dire que les agissements de l'ACIP sont contraires au principe de libre concurrence, de dire que le réseau organisé autour de l'ACIP constitue une entente prohibée compte tenu des engagements et des contrats imposés par l'ACIP à ses partenaires, de prendre acte que les critères qualitatifs liés à la certification de casheroute permettent uniquement de protéger les intérêts de l'ACIP en excluant tout type de concurrence, de dire que ces critères sont purement subjectifs et n'entrent pas dans la définition de la distribution sélective qui exigent l'objectivité des critères, de constater que l'ACIP impose à ses partenaires des restrictions à la concurrence qui lui sont indispensables pour atteindre ses objectifs commerciaux et cultuels, de dire que l'ACIP a constitué une atteinte à la liberté de la concurrence par la constitution d'une entente prohibée, et qu'ainsi le réseau qu'elle entend constituer est un réseau de distribution sélective prohibé, de dire que la diffusion de la circulaire du 3 avril 2001 est un acte de concurrence déloyale par dénigrement ainsi qu'une entente illicite, de constater que l'ACIP s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale par dénigrement ainsi que d'entente illicite en leur causant un préjudice que la diffusion de la circulaire pendant plusieurs années a rendu considérable, de la condamner à leur payer la somme de 270. 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice matériel subi, de la condamner à payer au rabbin X... la somme de 150. 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral subi en raison du discrédit porté à sa personne et à ses compétences de " rabbin décisionnaire ", de lui faire interdiction de diffuser cette circulaire sous astreinte, de la condamner à publier le jugement et de la condamner à leur payer la somme de 4. 500 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, le tout sous le bénéfice de l'exécution provisoire.
L'ACIP a signifié ses dernières conclusions le 19 juin 2007. Elle demande au tribunal de déclarer les demandeurs irrecevables et mal fondés, de déclarer que les conventions régularisées par l'ACIP avec ses partenaires sont licites au regard du droit français et du droit communautaire, de dire en conséquence que celles- ci ne peuvent s'analyser en une atteinte à la liberté de concurrence par la constitution d'entente prohibée, de constater qu'elle ne s'est jamais rendue coupable d'aucun acte de dénigrement ou de concurrence déloyale à l'encontre de Monsieur X... et de la société SIKS ceux- ci ne justifiant en tout état de cause pas des faits et du préjudice qu'ils invoquent, en conséquence de les débouter de leurs demandes et à titre reconventionnel de les condamner à lui payer la somme de 30. 000 euros à titre de dommages et intérêts et la somme de 6. 000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
II- SUR CE :
Monsieur X... et la société SIKS font valoir que leur activité est concurrente de celle de l'ACIP et que cette dernière s'est rendue coupable de concurrence déloyale et de dénigrement en diffusant auprès des commerçants une lettre circulaire leur faisant interdiction de vendre leur produits au motif qu'il n'était pas établi que ces produits respectaient les règles de la casheroute. Selon eux l'ACIP n'a aucun monopole sur la certification casher des produits alimentaires. Il font valoir également, à la suite de la question posée par le tribunal que l'ACIP a formé avec ses commerçants un réseau de distribution sélective qui ne répond pas aux critères de licéité définie par les textes.
L'ACIP fait valoir qu'elle est l'unique association cultuelle agréée par le Ministère de l'Agriculture, que sa lettre circulaire du 3 avril 2001 est interne et ne constitue pas un acte de concurrence déloyale ou de dénigrement, qu'elle est rédigée en termes généraux et ne comporte aucune information malveillante car elle se contente de s'interroger sur les normes de certification des produits cashérisés par Monsieur X... et la société SIKS. Elle fait également valoir qu'il n'est pas établi que le rabbin X... mentionné dans la lettre n'est pas forcément Monsieur X.... Par ailleurs il ne justifie pas être titulaire du diplôme de rabbin décisionnaire. Enfin, elle soutient que les conventions passées entre l'ACIP et ses partenaires sont licites au regard des règles de la distribution sélective.
Ainsi qu'il avait été rappelé dans le précédent jugement, l'ACIP, Monsieur X... et la société SIKS exercent une même activité à titre lucratif qui est celle de certifier la conformité de certains produits aux règles religieuses du judaïsme afin que les adeptes de cette religion consomment ces produits à l'exclusion de ceux qui ne seraient pas conformes à la cacheroute. L'ACIP est agréée par le Ministère de l'Agriculture pour ce qui concerne l'abatage rituel des animaux. Elle est également agréée par ce Ministère pour la certification casher des produits alimentaires. Elle ne dispose cependant d'aucun monopole sur l'alimentation casher.
Les parties sont donc bien en situation de concurrence contrairement à ce que soutient l'ACIP.
Pour exercer son activité, l'ACIP dispose d'un organe spécifique religieux nommé BETH DIN DE PARIS qui assure le contrôle religieux requis par les lois religieuse au travers d'un réseau de commerçants agréés.
Le 3 avril 2001, le BETH DIN adressait à l'ensemble des commerçants bouchers, pâtissiers, restaurateurs et traiteurs dépendants de son réseau une " NOTE " ayant l'objet suivant " Hachgarot INTERDITES dans le circuit dépendant du BETH DIN DE PARIS ".
Le texte de cette note précisait " Nous vous informons qu'à dater de ce jour, le BETH DIN DE PARIS ne permet pas que soient commercialisés dans son circuit par les commerçants dépendant de son autorité, les produits garantis par les rabbinats suivants : (...)- Rav X... d'Espagne (...). Cette décision a été adoptée en raison de l'absence totale d'information quant aux normes de cacheroute suivies par ces rabbinats. Nous demandons aux Inspecteurs Rituels de faire retirer sans délai tout article qui porterait leur estampille. "
Il résulte des termes clairs de cette note que loin de constituer une simple interrogation et une réserve ou même une simple mise en garde, elle interdisait aux commerçants dépendants du réseau du BETH DIN DE PARIS de commercialiser les produits cashérisés par les personnes mentionnées et notamment les produits certifiés par Monsieur X....
Il ne fait aucun doute que le nom de Monsieur X... désigne bien le requérant malgré une erreur sur l'origine géographique de celui- ci ainsi qu'il ressort d'un communiqué postérieur diffusé par le BETH DIN DE PARIS intitulé " ALERTE KACHEROUTE DU BETH DIN DE PARIS " reproduisant entre autres le logo de la société SIKS accompagné du nom de Monsieur X... pour mettre en garde les " fidèles " sur le fait que les produits portant ce logo ne pouvaient être consommés.
L'ACIP reconnaît disposer d'un réseau de commerçants qui distribuent les produits qu'elle certifie et ce, d'autant plus qu'elle- même qualifie la note qui leur a été adressée de " note interne ".
Pour faire partie de ce réseau, les commerçants signent unilatéralement un document intitulé " ENGAGEMENT " dans lequel ils s'engagent contre agrément du BETH DIN et pose d'un panonceau sur leur boutique, outre le paiement d'une redevance fixée par le Conseil d'Administration du Consistoire et le paiement des salaires des Rabbins- Surveillants désignés par le BETH DIN, de ne commercialiser que des produits ayant reçu l'agrément du BETH DIN et reconnus par le BETH DIN.
Le réseau de commercialisation du BETH DIN doit en conséquence être qualifié de réseau de distribution agréé et même exclusif, les commerçants s'engageant à se fournir exclusivement des produits agréés par lui.
Aux termes des dispositions de l'article L. 420- 1 du Code de commerce sont prohibées lorsqu'elles ont pour objet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché les actions concertées, conventions ou ententes, notamment lorsqu'elles tendent à limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises.
Il résulte de cette disposition qu'un réseau de distribution exclusif doit, pour être licite, répondre à certains critères objectifs, appliqués de façon non discriminatoire, ne pas comporter d'exigences disproportionnées et ne doivent pas avoir pour objet ou pour effet d'exclure certaines formes de distribution.
En l'espèce, le tribunal constate que le seul critère de distribution appliqué par l'ACIP réside dans l'engagement des commerçants à ne distribuer que les produits qu'il labellise à l'exclusion de tout autre quels qu'ils soient.
Le commerçant agréé par le BETH DIN n'a d'autres obligations que celle de se fournir à titre exclusif auprès des entreprises agréées par celui- ci et de payer une redevance pour obtenir ce label. Aucune autre obligation tenant à la formation ou à des renseignements aux clients ne figure dans les conventions signées par les commerçants.
Il résulte de ces éléments que le réseau mis en place par le BETH DIN n'a pour autre objet que d'éliminer toute forme de concurrence et est donc prohibé sur le fondement de l'article L. 420- 1 précité du Code de commerce.
Le tribunal constate des dires mêmes de l'ACIP que ce dernier n'établit pas que les produits certifiés par Monsieur X... contreviendraient aux lois de la casheroute.
Au demeurant si le but du Consistoire était de certifier le caractère casher des aliments dans l'intérêt des consommateurs de religion judaïque, la labellisation par l'apposition de sa marque " BETH DIN DE PARIS " de ces aliments est suffisant.
Le tribunal considère que la lettre circulaire du 3 avril 2001 est illicite en ce qu'elle fausse les règles de la concurrence et en ce qu'elle dénigre Monsieur X... et sa société SIKS, bien que cette dernière ne soit pas mentionnée, en introduisant un doute sur leur conformité aux régles religieuses alors qu'il n'est pas démontré que le BETH DIN pouvait légitimement croire que ces produits contrevenaient aux prescriptions religieuses.
* Sur les mesures réparatrices :
Monsieur X... et la société SIKS sollicitent le paiement de la somme de 270. 000 euros au titre de leur préjudice matériel.
Ils produisent à l'appui de leur demande les factures de l'exercice 2000- 2001 afin d'établir le montant de leur chiffre d'affaires avant la diffusion de la note litigieuse, soit un montant d'environ 271. 000 euros, une attestation de Monsieur X... et une télécopie de novembre 2004 émanant d'une société PARAGUM INTERNATIONAL adressée à la société CRISPO et une télécopie de cette dernière à Monsieur X... lui indiquant l'existence de problèmes comme l'année précédente avec les certificats casher non reconnu par le rabbin de leur client en France.
L'attestation de Monsieur X... sera écartée des débats. Les télécopies n'apparaissent pas probantes d'une part parce qu'elles ne concernent qu'un seul client et d'autre part car elles ne précisent pas l'origine de la difficulté. Enfin, les factures produites sont libellées en dollars américains et destinées à des clients italiens, israéliens ou espagnols et non à des clients français, ce qui ne permet pas au tribunal d'apprécier le montant du chiffre d'affaires de la société SIKS en France avant la note. De plus le tribunal constate que le chiffre d'affaires postérieur n'est pas communiqué, ce qui rend toute comparaison impossible.
Monsieur X... et la société SIKS n'établissant pas avoir subi un réel préjudice matériel du fait des actes reprochés à l'ACIP, leur demande d'allocation de dommages et intérêts destinée à réparer leur préjudice matériel sera rejetée.
Pour ce qui concerne le préjudice moral, le tribunal l'estime à la somme de 5. 000 euros. Le tribunal ordonnera en complément de réparation la publication de la présente décision dans les termes du dispositif.
* Sur l'exécution provisoire :
Il n'y a pas lieu en l'espèce d'ordonner l'exécution provisoire.
* Sur l'article 700 :
Monsieur X... et la société SIKS sollicitent le paiement de la somme de 4. 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Il serait inéquitable de laisser à leur charge les sommes exposées par eux et non comprises dans les dépens. Il leur sera en conséquence alloué la somme de 4. 500 euros de ce chef.
PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL, Statuant en premier ressort, par jugement contradictoire remis au greffe,
Dit que l'Association Consistoriale Israélite de Paris a commis des actes de concurrence déloyale par dénigrement et d'entente illicite au préjudice de Monsieur Francis X... et de la société SIKS en diffusant auprès de commerçants revendeurs des produits cashers une note circulaire leur interdisant de commercialiser les produits certifiés par Monsieur Francis X...,
Fait interdiction à l'Association Consistoriale Israélite de Paris de poursuivre la diffusion de la note circulaire litigieuse ou de tout autre message sous quelque forme que ce soit contenant des propos constitutifs de concurrence déloyale à l'encontre de Monsieur Francis X... sous astreinte de 300 euros par infraction constatée passé le délai d'un mois à compter de la signification du jugement,
Condamne l'Association Consistoriale Israélite de Paris à payer à Monsieur X... la somme de 5. 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,
Ordonne la publication du jugement dans deux journaux au choix de Monsieur Francis X... et aux frais de l'Association Consistoriale Israélite de Paris sans que le coût de chaque insertion dépasse la somme de 2. 500 euros HT,
Déboute Monsieur Francis X... et la société SIKS de leur demande de réparation du préjudice matériel,
Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement,
Condamne l'Association Consistoriale Israélite de Paris à payer à Monsieur Francis X... et à la société SIKS la somme de 4. 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Condamne l'Association Consistoriale Israélite de Paris aux dépens.
Fait à PARIS le 6 février 2008.