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18/12/2007 | FRANCE | N°06/04148

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Chambre civile 3, 18 décembre 2007, 06/04148


3ème chambre 1ère section
Assignation du :01 Mars 2006

JUGEMENT rendu le 15 Janvier 2008

DEMANDEURS

S.A.R.L. SEGAPdomiciliée au siège social du Centre d'Entreprises du Val d'Aran83150 BANDOL

Monsieur Yves X......83150 BANDOL

représentés par Me Francis PUDLOWSKI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire R 58
DÉFENDERESSE
S.A. VYGON5 rue Adeline95440 ECOUEN

représentée par Me Yves MARCELLIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire D.420

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Marie-Claude APELLE, Vice PrésidenteMarie COURBOULAY, Vice Présid

enteCarole CHEGARAY

assistées de Léoncia BELLON, Greffier

DÉBATS

A l'audience du 9 juillet 2007, tenue en audien...

3ème chambre 1ère section
Assignation du :01 Mars 2006

JUGEMENT rendu le 15 Janvier 2008

DEMANDEURS

S.A.R.L. SEGAPdomiciliée au siège social du Centre d'Entreprises du Val d'Aran83150 BANDOL

Monsieur Yves X......83150 BANDOL

représentés par Me Francis PUDLOWSKI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire R 58
DÉFENDERESSE
S.A. VYGON5 rue Adeline95440 ECOUEN

représentée par Me Yves MARCELLIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire D.420

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Marie-Claude APELLE, Vice PrésidenteMarie COURBOULAY, Vice PrésidenteCarole CHEGARAY

assistées de Léoncia BELLON, Greffier

DÉBATS

A l'audience du 9 juillet 2007, tenue en audience publique devant Carole CHEGARAY, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l'audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 786 du Nouveau Code de Procédure Civile.

JUGEMENT

Prononcé par remise au greffe Contradictoireen premier ressort

Par acte du 1er mars 2006, la Société SEGAP et Monsieur Yves X... ont fait assigner devant ce Tribunal la Société VYGON en contrefaçon du brevet no 99 00106 déposé le 4 janvier 1999 par Monsieur Yves X... et exploité par la Société SEGAP, relatif à une "seringue avec embout luer lock femelle".
Dans leurs dernières écritures du 18 octobre 2006, la Société SEGAP et Monsieur Yves X... ont demandé à la juridiction saisie de:Vu les articles L.611-1, L.611-2-1o, L.611-6 alinéa 1,Vu les articles L.613-1 à L.615-17,Vu l'article L.613-27 du Code de la propriété intellectuelle,Vu les articles 65, 70 et R.312-2 du nouveau Code de procédure civile,Vu l'article 1382 du Code civil,- dire et juger les demandeurs recevables en leur demande et y faisant droit,- dire et juger la Société VYGON coupable de contrefaçon du produit breveté au nom de Monsieur Yves X... le 4 janvier 1999 sous le numéro 99 00106,- dire et juger le brevet d'invention no 03 14292 du 5 décembre 2003 au nom de la Société VYGON délivré en fraude des droits de Monsieur Yves X..., en conséquence prononcer la nullité du brevet no 03 14292 et dire et juger que le jugement à intervenir sera notifié à l'INPI Paris aux fins de radiation du Registre National des Brevets,

- condamner la Société VYGON à payer à Monsieur Yves X... en réparation de son préjudice moral et patrimonial un montant de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts avec intérêts de droit à compter du jour du jugement à intervenir,- condamner la Société VYGON à payer à la Société SEGAP la somme de 160.000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice matériel et trouble commercial occasionné avec intérêts de droit à compter du jugement à intervenir,- faire interdiction à la Société VYGON de reproduire, utiliser ou diffuser sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit le produit contrefait sous sa marque VYGON ou sous quelque marque que ce soit, sous astreinte de 1.000 euros par jour et par infraction constatée à compter du prononcé du jugement à intervenir,- ordonner la destruction immédiate et sans délai de tous produits contrefaisants qui se trouveraient en stock dans les locaux de la Société VYGON et dire et juger que la destruction devra être constatée par ministère d'huissier dans les 15 jours de la signification du jugement à intervenir moyennant astreinte de 5.000 euros par jour de retard à compter du 16ème jour suivant la notification du jugement,- condamner la Société VYGON à la publication à ses frais du jugement à intervenir dans trois journaux de publication nationale ou professionnelle au choix des demandeurs, le coût global de ces publications ne pouvant excéder 7.500 euros HT,- débouter la Société VYGON en tous ses fins, moyens et conclusions au titre de sa demande reconventionnelle,- condamner la Société VYGON aux entiers frais et dépens de l'instance, en sus aux frais d'huissiers de constat et procès-verbal de saisie conservatoire liquidée à 496,79 euros, en sus à payer aux demandeurs 30.000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

Dans ses dernières conclusions du 18 décembre 2006, la Société VYGON a demandé au Tribunal de :- dire et juger les demandeurs tant irrecevables que mal fondés en toutes leurs demandes, fins et prétentions y compris additionnelles et en conséquence les en débouter,- prononcer la nullité du brevet no 99 00106 pour défaut de nouveauté compte tenu de l'antériorité de toutes pièces constituée par le dispositif Nutrisafe I commercialisé par la Société VYGON en 1994 ou à tout le moins en 1995, antériorité consistant pour l'alimentation entérale pédiatrique en une sonde luer lock mâle avec une gaveuse munie à son extrémité d'un raccord femelle luer lock,- à titre subsidiaire, prononcer la nullité du brevet no 99 00106 pour défaut d'activité inventive,- à titre infiniment subsidiaire et au cas où par extraordinaire le Tribunal validerait néanmoins le brevet Winckler, constater et dire et juger que le Nutrisafe II, objet du brevet no 03 14292 et exploité par la Société VYGON, consiste en des embouts non luer aux dimensions spécifiques permettant d'éviter tout raccordement aux autres embouts du commerce et donc par définition ne pouvant constituer la contrefaçon du brevet no 99 00106,

- à titre reconventionnel, condamner les demandeurs solidairement à payer à la Société VYGON une somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure manifestement abusive,- les condamner en outre dans la même solidarité à payer à la Société VYGON une somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,- condamner les demandeurs aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Yves MARCELLIN, avocat aux offres de droit.

MOTIFS

Monsieur Yves X... est titulaire d'un brevet d'invention français déposé le 4 janvier 1999 et enregistré sous le no 99 00106 relatif à une "seringue avec embout luer lock femelle", pour lequel les redevances annuelles ont été régulièrement acquittées.
La Société SEGAP exploite ce brevet aux termes d'un contrat de licence du 2 décembre 2000 inscrit le 9 février 2006 au Registre National des Brevets sous le no 150 289. Elle commercialise en exclusivité la seringue brevetée auprès des centres hospitaliers et de revendeurs professionnels.
Dans ce cadre, la Société VYGON qui a commercialisé un dispositif de nutrition entérale dit NUTRISAFE I mais qui ne fabriquait pas de seringue a régulièrement passé commande à la Société SEGAP des seringues objet du brevet jusqu'en 2005, soit jusqu'à l'échec d'un accord de distribution entre les parties des seringues et des sondes.
Les demandeurs reprochent à la Société VYGON d'avoir contrefait sa seringue et de la commercialiser sous la marque VYGON, cessant par là même tout approvisionnement auprès de la Société SEGAP et emportant des appels d'offres lancés par des centres hospitaliers, tels le CHU de Caen. Ils versent à l'appui de leur argumentation un procès verbal de constat du 10 juin 2005 procédant à l'examen des deux produits concurrents ainsi qu'un procès verbal de saisie contrefaçon du 1er mars 2006 effectuée au siège de la Société VYGON.
En défense, la Société VYGON a soulevé la nullité du brevet no 99 00106 pour défaut de nouveauté et subsidiairement d'activité inventive. Elle a également conclu à l'absence de contrefaçon puisque les raccords mâles et femelles qu'elle utilise ont pour caractéristique essentielle de ne pas être des raccords luer, seuls revendiqués par les requérants, mais des embouts d'une connexité de 8 % incompatibles avec tout dispositif ayant une extrémité luer, en raison de leurs dimensions spécifiques.

Sur la validité du brevet no 99 00106 de Monsieur Yves X... déposé le 4 janvier 1999 :

1- A titre préalable, il y a lieu de préciser qu'on utilise dans le domaine médical des raccords normalisés pour relier entre eux deux dispositifs de distribution de liquide, tels un tube souple (cathéter ou sonde) introduit dans une veine ou une artère d'une part et un récipient(seringue) contenant une solution à injecter par le tube d'autre part. Ces raccords normalisés destinés à équiper respectivement une entrée du tube et une sortie du récipient comprennent une partie de raccord mâle conique extérieurement et une partie de raccord femelle conique intérieurement aptes à s'emboîter l'un dans l'autre. Ces raccords sont dits "luer" (du nom de l'inventeur) quand la conicité est de 6 % et sont dits "lock" quant les deux parties peuvent se visser l'une sur l'autre pour être verrouillées entre elles.
Selon la partie descriptive du brevet, l'invention concerne une seringue de gavage munie à son extrémité d'un embout luer lock femelle sur lequel on adapte une sonde d'alimentation munie d'un embout luer lock mâle, destinée à la nutrition entérale à l'usage particulièrement des enfants prématurés.
Il est précisé que ce dispositif permet de différencier les seringues servant à l'injection entérale de celles servant à l'injection parentérale, ceci afin d'éliminer les risques d'interversion au moment de l'injection (comme l'alimentation du nourrisson avec le contenu d'une seringue contenant un médicament, aux conséquences mortelles), car les sondes et cathéters parentéraux étant équipés d'un embout luer lock femelle, la seringue brevetée ne pourra pas s'y adapter.
Le brevet comporte une unique revendication : "1. Seringue caractérisée en ce qu'elle comprend un embout luer lock femelle c'est-à-dire dont la conicité se rétrécit en direction de l'arrière de la seringue, sur lequel peut s'adapter par exemple une sonde de gavage et d'alimentation entérale munie d'un embout luer lock mâle".
2- La Société VYGON invoque à titre d'antériorité de toutes pièces son propre dispositif NUTRISAFE I dont la preuve de la commercialisation est rapportée à partir de 1995, comprenant d'une part une sonde équipée d'une partie de raccord mâle et d'autre part un raccord femelle double luer lock à monter sur la sortie mâle du récipient (soit de la seringue) de sorte que la sortie mâle de ce récipient se transforme en sortie femelle.
Et la société défenderesse de conclure qu'une seringue courante à embout mâle ainsi équipée de ce raccord femelle double luer lock équivaut à une seringue à embout femelle luer lock telle que revendiquée par les demandeurs.
Il sera toutefois relevé, ainsi que la société défenderesse elle-même l'a justement indiqué dans ses conclusions, que les seringues de la Société SEGAP, à la différence des seringues de la Société VYGON, sont des seringues monobloc et que cette différence, même si elle n'est pas précisément revendiquée en tant que telle mais qui n'en constitue pas moins une caractéristique induite importante de la seringue brevetée, ne permet pas de considérer le dispositif NUTRISAFE I comme une antériorité de toutes pièces destructrice de nouveauté.
3- Au titre de l'activité inventive, il est justifié qu'était connu avant la date de dépôt du brevet français no 99 00106 de réaliser des assemblages coniques à 6 % (Luer) à verrouillage adaptés aux seringues et aiguilles hypodermiques, ainsi qu'il résulte des normes AFNOR de décembre 1993 et de février 1997 s'appliquant aux "seringues et aiguilles et à certains autres appareils à usage médical".
Par ailleurs, était également connue une seringue avec embout mâle comme en témoigne la demande de brevet européen 0 148 116 publiée le 10 juillet 1985 portant sur une "pièce d'accouplement pour seringues à injection" destiné à garantir la stérilité des opérations de transfert d'une seringue à l'autre, embout mâle qu'on a su ensuite adapter pour le transformer à la demande en embout femelle comme dans le dispositif Nutrisafe I, ou encore une seringue fabriquée directement avec un embout femelle telle que figurant dans la demande de brevet européen 0 564 505 publiée le 13 octobre 1993 portant sur une forme d'administration d'une solution au moyen d'une seringue reliée de manière inamovible à une chambre de mélange ou avec une seconde seringue complémentaire.
Il résulte de ces différents éléments de l'état de la technique concernant les seringues que le choix d'un embout luer lock femelle pour des seringues destinées précisément à l'alimentation du nourrisson était une possibilité évidente pour l'homme du métier qui, ne pouvant se limiter au seul domaine très restreint du gavage des nourrissons et s'étant nécessairement tourné vers ce qui se pratiquait pour l'ensemble des seringues à usage médical, pouvait parvenir à l'invention revendiquée avec ses seules connaissances professionnelles et de simples opérations d'exécution.
A cet égard, et en réplique au défaut d'activité inventive allégué par la société défenderesse, les demandeurs se prévalent d'un élément qualifié d'essentiel de l'invention résidant dans le "pas de vis extérieur de la sonde et l'adaptation spécifique de l'aiguille et celle de la sonde" qui éliminerait ainsi le risque de confusion entre les différentes seringues réservées à d'autres usages. Toutefois, cet élément ne figure pas dans l'unique revendication du brevet.
En conséquence, le brevet de Monsieur Yves X... apparaît dépourvu d'activité inventive et sera annulé de ce chef. Les requérants seront déboutés de leur demande de contrefaçon qui ne repose désormais plus sur aucun titre.

Sur la demande additionnelle en nullité du brevet no 03 14292 du 5 décembre 2003 de la Société VYGON :

Les requérants sollicitent l'annulation de ce brevet "conformément à l'article L.613-27 du Code de la propriété intellectuelle", lequel porte sur l'effet de la décision d'annulation d'un brevet d'invention. Ils ne développent aucun des moyens de nullité limitativement énumérés à l'article L.613-25 du Code de la propriété intellectuelle ou aux articles L.611-10, L.611-11 et L.611-13 à L.611-17 du même code auxquels renvoie l'article L.613-25.
Tout au plus, expliquent-ils que le brevet de la Société VYGON doit être annulé car portant sur un dispositif contrefaisant identique à celui qu'ils ont antérieurement breveté. Or au regard de l'annulation du brevet de Monsieur Yves X... qui précède, cette demande ne saurait utilement prospérer de ce chef.
Sur les autres demandes :
La Société VYGON sollicite la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure manifestement abusive sans caractériser l'abus du droit d'agir qu'elle invoque. Elle sera donc déboutée de ce chef.
Il convient en revanche de condamner in solidum la Société SEGAP et Monsieur Yves X... qui succombent à verser à la Société VYGON la somme de 20.000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Compte tenu de la nature du litige, l'exécution provisoire de la présente décision n'apparaît pas opportune.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal statuant par remise au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,
Prononce la nullité du brevet no 99 00106 déposé le 4 janvier 1999 par Monsieur Yves X... pour défaut d'activité inventive,
Déboute en conséquence la Société SEGAP et Monsieur Yves X... de leur demande en contrefaçon dudit brevet,
Déboute la Société SEGAP et Monsieur Yves X... de leur demande additionnelle en nullité du brevet no 03 14292 du 5 décembre 2003 de la Société VYGON,
Déboute la Société VYGON de sa demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive,
Condamne in solidum la Société SEGAP et Monsieur Yves X... à payer à la Société VYGON la somme de 20.000 euros (vingt mille euros) en v..ertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement,
Dit que la présente décision devenue définitive sera notifiée par le greffe ou la partie la plus diligente à l'Institut National de la Propriété Industrielle aux fins d'inscription au Registre National des Brevets,
Condamne la Société SEGAP et Monsieur Yves X... aux entiers dépens de l'instance, lesquels pourront être directement recouvrés par Maître Yves MARCELLIN, avocat, dans les conditions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.
PRONONCE À PARIS LE QUINZE JANVIER 2008 par Marie COURBOULAY, Vice Présidente, assistée de Léoncia BELLON, Greffier.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 06/04148
Date de la décision : 18/12/2007
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2007-12-18;06.04148 ?
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