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28/11/2007 | FRANCE | N°06/05013

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Chambre civile 3, 28 novembre 2007, 06/05013


T R I B U N A L D E GRANDE I N S T A N C E D E P A R I S

3ème chambre 3ème section
No RG : 06 / 05013

No MINUTE :

Assignation du : 23 Mars 2006

JUGEMENT rendu le 28 Novembre 2007

DEMANDEURS

Madame Anne- Charlotte X... dite Charlotte Y... ... 75007 PARIS

Monsieur Jean Z... ...06410 BIOT

S. A. LE CHERCHE MIDI EDITEUR 23 rue du Cherche MIDI 75006 PARIS

représentés par Me Emmanuel PIERRAT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire L. 166
DÉFENDERESSE
Société MONDADORI MAGAZINES FRANCE anciennement dénommée EMA

P FRANCE 48 rue GUYNEMER 92865 ISSY LES MOULINEAUX

représentée par Me Delphine PANDO, avocat au barreau de PARIS, ves...

T R I B U N A L D E GRANDE I N S T A N C E D E P A R I S

3ème chambre 3ème section
No RG : 06 / 05013

No MINUTE :

Assignation du : 23 Mars 2006

JUGEMENT rendu le 28 Novembre 2007

DEMANDEURS

Madame Anne- Charlotte X... dite Charlotte Y... ... 75007 PARIS

Monsieur Jean Z... ...06410 BIOT

S. A. LE CHERCHE MIDI EDITEUR 23 rue du Cherche MIDI 75006 PARIS

représentés par Me Emmanuel PIERRAT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire L. 166
DÉFENDERESSE
Société MONDADORI MAGAZINES FRANCE anciennement dénommée EMAP FRANCE 48 rue GUYNEMER 92865 ISSY LES MOULINEAUX

représentée par Me Delphine PANDO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire E 2052
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Elisabeth BELFORT, Vice- Président, signataire de la décision Agnès THAUNAT, Vice- Président Michèle PICARD, Vice- Président,

assistée de Marie- Aline PIGNOLET, Greffier, signataire de la décision

DEBATS

A l' audience du 22 Octobre 2007 tenue en audience publique

JUGEMENT
Prononcé par remise de la décision au greffe Contradictoire en premier ressort

I- RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :

Madame Anne- Charlotte X..., connue sous le pseudonyme de Charlotte Y..., est actrice. Elle a écrit un ouvrage autobiographique intitulé " L' amour dans le sang ", édité par la société LE CHERCHE MIDI EDITEUR, et devant paraître le 22 septembre 2005. Un entretien exclusif avait été accordé au magazine l' Express qui devait être publié le 19 septembre 2005.
Le 12 septembre 2005 le magazine CLOSER dans son no 13, consacrait sa Une ainsi que deux autres pages à la présentation de cet ouvrage et notamment à la séropositivité de l' actrice.
Par ordonnance de référé rendue le 20 septembre 2005, la société EMAP, éditrice du magazine CLOSER, était condamnée à verser à la société LE CHERCHE MIDI EDITEUR la somme de 12. 000 euros à titre de provision à valoir sur le préjudice né des actes de contrefaçon de l' ouvrage. En revanche les demandes formulées par Madame X... au titre de son droit de divulgation et au respect de son oeuvre étaient rejetées car jugées comme ne relevant pas du degré d' évidence requis en référé.
Madame Anne- Charlotte X..., Monsieur Jean Z..., coauteur de l' ouvrage, et la société LE CHERCHE MIDI EDITEUR faisaient assigner la société EMAP (devenue par la suite MONDADORI MAGAZINE FRANCE) par acte d' huissier délivré le 23 mars 2006.
Dans leurs dernières conclusions signifiées le 13 mars 2007 ils demandent au tribunal de constater que la société MONDADORI MAGAZINE FRANCE (ci- après MONDADORI) a porté atteinte au droit moral de Madame X..., qu' elle a porté atteinte aux droits patrimoniaux de la société LE CHERCHE MIDI, qu' elle a commis des acte de parasitisme économique à l' encontre de Madame X... et de la société LE CHERCHE MIDI, en conséquence de la condamner à payer à Madame X... la somme de 50. 000 euros à titre de dommages et intérêts pour atteinte à son droit moral, de la condamner à payer à la société LE CHERCHE MIDI la somme de 50. 000 euros à titre de dommages et intérêts pour atteinte à ses droits patrimoniaux, de la condamner à verser à chacun d' eux la somme de 20. 000 euros au titre du parasitisme économique et de la condamner à payer à chacun d' eux la somme de 4. 000 euros en application de l' article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société MONDADORI a signifié ses dernières conclusions le 7 novembre 2007. Elle demande au tribunal de constater qu' elle n' a porté aucune atteinte au droit moral de Madame X... en sa qualité d' auteur de l' ouvrage " L' amour dans le sang ", de constater qu' elle n' a pas porté atteinte aux droits patrimoniaux de la société LE CHERCHE MIDI, de constater qu' elle n' a commis aucun acte de parasitisme économique, de lui donner acte de ce que Monsieur Jean Z... ne formule aucune demande, de dire qu' aucun comportement fautif ne lui est imputable, de dire que les préjudices allégués ne sont pas établis, en conséquence de débouter les demandeurs de l' intégralité de leurs demandes, d' ordonner la répétition de la somme de provisionnelle de 12. 000 euros qui a été payée en application de l' ordonnance de référé rendue le 20 septembre 2005 et de condamner solidairement Madame X..., Monsieur Z... et la société LE CHERCHE MIDI au paiement de la somme de 5. 000 euros en application de l' article 700 du nouveau Code de procédure civile.
II- SUR CE :
* Sur l' atteinte aux droits moraux de Madame Y... :
1- Sur le droit de divulgation
Madame X... fait valoir que son ouvrage n' avait pas encore été divulgué à la date de la parution du magazine CLOSER, la divulgation ne pouvant s' entendre que par la mise à disposition du public.
La société MONDADORI soutient que la divulgation de l' oeuvre est la manifestation de la volonté de l' auteur de la communiquer au public et qu' en l' espèce Madame X... avait déjà décidé de publier son ouvrage au jour de la parution de l' article litigieux, que l' ouvrage était déjà imprimé, annoncé sur le site internet de la société LE CHERCHE MIDI et avait fait l' objet d' une large distribution auprès des journalistes. Ainsi, selon elle, la divulgation est intervenue bien avant le 12 septembre 2005, date de parution du magazine CLOSER.
Aux termes des dispositions de l' article L. 121- 2 du Code de la propriété intellectuelle " L' auteur a seul le droit de divulguer son oeuvre. Sous réserve des dispositions de l' article L. 132- 24, il détermine le procédé de divulgation et fixe les conditions de celle- ci. (...) "
En l' espèce le tribunal relève que l' ouvrage litigieux, à la date de la parution du magazine CLOSER était achevé, qu' il avait déjà été imprimé avec un numéro ISBN, qu' il avait été distribué à de nombreux journalistes ainsi qu' il résulte de l' ordonnance de référé du 20 septembre 2005 et qu' il avait été annoncé sur le site internet de l' éditeur ainsi que dans la presse spécialisée.
Le droit de divulgation ayant pour objet de permettre à l' auteur de déterminer si son oeuvre est achevée et donc de l' opportunité de la rendre publique en la faisant sortir de la sphère de l' intime, il y a lieu de constater que le droit de divulgation de Madame X... était épuisé dès lors que la version achevé de l' ouvrage avait été diffusé auprès des journalistes sans restriction.

Madame X... fait également valoir qu' elle est seule juge des conditions de divulgation de l' oeuvre et qu' en l' espèce le fait d' en publier des extraits dans un magazine à sensation porte atteinte à son droit.

Le tribunal ayant constaté l' épuisement du droit de divulgation de l' oeuvre avant la parution du magazine CLOSER, peu importe en l' espèce les conditions dans lesquelles ce magazine a présenté l' ouvrage de Madame X....
Il convient en conséquence de débouter Madame X... de sa demande tendant à voir juger une atteinte à son droit de divulgation.
2- Sur l' atteinte au respect de l' oeuvre
Madame X... fait valoir que la société MONDADORI a porté atteinte au respect de son oeuvre en en publiant des extraits tronqués en association avec d' autres textes sans rapport, et ce, dans un magazine à scandales sans article de fond et en laissant croire qu' elle avait donné une interview à ce magazine.
La société MONDADORI soutient que la demanderesse est de mauvaise foi en affirmant qu' elle a toujours pris soin de ne pas apparaître dans la presse " people " alors qu' elle a donné des interviews aux magazines VOICI et PARIS MATCH, que les commentaires du magazine CLOSER qui lui sont consacrés sont très élogieux, qu' il ne peut y avoir de méprise sur le fait qu' il ne s' agit pas d' une interview et enfin que les extraits présentés sont dans l' esprit de l' oeuvre
Aux termes des dispositions de l' article L. 121- 1 du Code de la propriété intellectuelle " L' auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre. Ce droit est attaché à sa personne. Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible. Il est transmissible à cause de mort aux héritiers de l' auteur (...) "

Il résulte de l' examen du magazine CLOSER que sa couverture présente en son centre une photographie posée de l' actrice accompagnée de la vignette " EXCLUSIF- Dans un livre l' héroïne de Cordier, juge et flic témoigne " puis de la légende " Le courageux aveu de Charlotte Y... " JE SUIS SEROPOSITIVE " en très gros caractères rouges. De part et d' autre de cette photographie d' autres articles sont annoncés tels " Mon fils est une drag- queen ", " j' ai claqué l' argent du 11 septembre " ou encore " 50 stars déchaînées " et " Laura E... et Frédéric F... En route vers le mariage ! "
Les pages intérieures du magazine qui sont consacrées à l' ouvrage de Madame X... sont d' une part un éditorial élogieux puis une double page dans les tons de rouge, la première étant barrée d' une vignette jaune où est inscrit " SCOOP CLOSER " Charlotte Y... " JE SUIS séropositive ". Suivent un article tout aussi élogieux que l' éditorial, de nombreuses photos et une suite d' extraits du livre qui débutent tous par une phrase choc sortie du contexte.
Le tribunal constate d' une part que ne sont reproduits dans le magazine que la narration des événements à sensation de la vie de l' actrice et non les petites anecdotes amusantes ou graves qui en font le charme et qui replacent la comédienne dans la vie de tous les jours et d' autre part que ce côté racoleur est accentué par les autres articles particulièrement futiles annoncés en couverture.
Ce choix, qui correspond clairement à la ligne éditoriale du magazine et qui est, comme l' a souligné le juge des référés étranger à l' esprit de l' ouvrage, donne à celui- ci un aspect racoleur, vulgaire et futile, ce qu' il n' est pourtant pas.
Compte tenu de ces éléments, le tribunal estime qu' il y a eu dénaturation de l' ouvrage et en conséquence atteinte au droit moral de Madame X....
* Sur l' atteinte aux droits patrimoniaux de la société LE CHERCHE MIDI :
La société LE CHERCHE MIDI estime que la société MONDADORI en publiant des extraits de l' ouvrage sans autorisation a porté atteinte à ses droits patrimoniaux.
La société MONDADORI oppose l' exception de courte citation.
Aux termes des dispositions de l' article L. 122- 5- 2o du Code de la propriété intellectuelle " Lorsque l' oeuvre a été divulguée, l' auteur ne peut interdire : (...) 3o Sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l' auteur et la source : a) les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d' information de l' oeuvre à laquelle elles sont incorporées ; (...) "

Il n' est pas contestable que les extraits publiés par le magazine CLOSER de l' ouvrage de Madame X... ne sont justifiés par aucune des exceptions précitées de l' article L. 122- 5 du Code de la propriété intellectuelle.
Ilo convient en conséquence de retenir à l' encontre de la société MONDADORI une atteinte aux droits patrimoniaux de la société LE CHERCHE MIDI EDITEUR qui n' avait pas donné d' autorisation de reproduction de l' ouvrage.
* Sur les actes de parasitisme :
Les demandeurs font valoir que le magazine CLOSER a vu augmenter ses ventes du fait de la publication des extraits de l' ouvrage de Madame X..., qu' il a présenté ces extraits de manière volontairement racoleuse et trompeuse pour le lecteur amené à croire que le magazine avait obtenu l' exclusivité des demandeurs et qu' il a tiré indûment profit de la notoriété de Madame X... afin de détourner les lecteurs.

La société MONDADORI conteste s' être placée dans le sillage des demandeurs afin d' en tirer un profit indu et fait valoir que le magazine CLOSER n' est pas en concurrence avec les éditions LE CHERCHE MIDI et qu' aucun préjudice économique n' existe, l' ouvrage s' étant très bien vendu pendant plusieurs semaines.

Le tribunal constate qu' une lecture peu attentive de la page de couverture du magazine CLOSER sur laquelle est inscrit en gros caractères " EXCLUSIF " puis " Charlotte Y... " JE SUIS SEROPOSITIVE " laisse penser que l' actrice a effectivement donné une interview exclusive au magazine à qui elle fait des révélations sur sa vie privée. Le magazine CLOSER, ce faisant, s' est approprié la notoriété de Madame X... ainsi que les informations attachées à sa vie privée.
Il convient également de retenir que le magazine CLOSER, qui a tiré son magazine à plus de 450. 000 exemplaires, a retiré un profit indu des investissements réalisés par la société éditrice pour faire paraître l' ouvrage.
Il y a lieu en conséquence de relever à l' encontre de la société MONDADORI des actes de parasitisme au préjudice de la société LE CHERCHE MIDI et de Madame X....
* Sur les mesures réparatrices :
Madame X... sollicite le paiement de la somme de 50. 000 euros en réparation de son préjudice moral et la somme de 20. 000 euros au titre du parasitisme économique.
La société LE CHERCHE MIDI EDITEUR sollicite le paiement de la somme de 50. 000 euros en réparation de son préjudice patrimonial et la somme de 20. 000 euros en réparation du préjudice né des actes de parasitisme.
Compte tenu des éléments de l' espèce, la réparation du préjudice moral de Madame X... est fixée à la somme de 30. 000 euros, celle du préjudice patrimonial de la société LE CHERCHE MIDI à la somme de 25. 000 euros et celle du préjudice résultant du parasitisme économique à la somme de 20. 000 euros pour chacun d' eux.
* Sur l' article 700 :

Madame X... et la société LE CHERCHE MIDI EDITEUR sollicitent le paiement de la somme de 4. 000 euros chacun au titre des dispositions de l' article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Il serait inéquitable de laisser à leur charge les sommes exposées par eux et non comprises dans les dépens. Il leur sera en conséquence alloué la somme globale de 4. 000 euros de ce chef.
PAR CES MOTIFS LE TRIBUNAL, Statuant en premier ressort, par jugement contradictoire et remis au greffe,

1Dit que la société MONDADORI MAGAZINE FRANCE n' a pas porté atteinte au droit de divulgation de Madame Anne- Charlotte X... sur son ouvrage " L' amour dans le sang ",
Dit que la société MONDADORI MAGAZINE FRANCE a porté atteinte au droit moral de Madame Anne- Charlotte X... en dénaturant son ouvrage par sa publication par extraits dans le magazine CLOSER no13 du 12 septembre 2005,
Dit que la société MONDADORI MAGAZINE FRANCE a porté atteinte au droit patrimonial de la société LE CHERCHE MIDI EDITEUR par sa publication d' extraits de l' ouvrage " L' amour dans le sang " dans le magazine CLOSER no13 du 12 septembre 2005 sans son autorisation,
Dit que la société MONDADORI MAGAZINE FRANCE a commis des actes de parasitisme économique au préjudice de Madame Anne- Charlotte X... et de la société LE CHERCHE MIDI EDITEUR en publiant des extraits de l' ouvrage " L' amour dans le sang " dans le magazine CLOSER no13 du 12 septembre 2005,
En conséquence,
Condamne la société MONDADORI MAGAZINE FRANCE à payer à Madame Anne- Charlotte X... la somme de 30. 000 euros en réparation de son préjudice moral,
Condamne la société MONDADORI MAGAZINE FRANCE à payer à la société LE CHERCHE MIDI EDITEUR la somme de 25. 000 euros en réparation de son préjudice patrimonial,
Condamne la société MONDADORI MAGAZINE FRANCE à payer à Madame Anne- Charlotte X... et à la société LE CHERCHE MIDI EDITEUR la somme de 20. 000 euros à chacun en réparation du préjudice né des actes de parasitisme économique,
Rejette le surplus des demandes,
Condamne la société MONDADORI MAGAZINE FRANCE à payer à Madame Anne- Charlotte X... et à la société LE CHERCHE MIDI EDITEUR la somme de 4. 000 euros sur le fondement des dispositions de l' article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Dit n' y avoir lieu à application des dispositions de l' article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Condamne la société MONDADORI MAGAZINE FRANCE aux dépens.

Fait à PARIS le 28 novembre 2007.


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 06/05013
Date de la décision : 28/11/2007
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2007-11-28;06.05013 ?
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