La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

31/10/2007 | FRANCE | N°06/00430

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Chambre civile 3, 31 octobre 2007, 06/00430


3ème chambre 3ème section
Assignation du : 05 Décembre 2005

JUGEMENT rendu le 31 Octobre 2007

DEMANDERESSES
Madame Dominique X...... 75014 PARIS

S. A. R. L. L' OFFICE 45 avenue Jean Moulin 75014 PARIS

représentée par Me Pascal NARBONI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire E. 700
DÉFENDEURS
Monsieur Jean- Luc Y... domicilié : chez GALERIE RODOLPHE JANSSEN 35 rue de Livourne 1050 BRUXELLES

GALERIE RODOLPHE JANSSEN 35 rue de Livourne 1050 BRUXELLES

représentés par Me Jean Paul COMBENEGRE, avocat au barreau de PARIS, vestiai

re P 12, et de Me Alexis EWBANK, avocat au barreau de Bruxelles,
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Elisabeth BEL...

3ème chambre 3ème section
Assignation du : 05 Décembre 2005

JUGEMENT rendu le 31 Octobre 2007

DEMANDERESSES
Madame Dominique X...... 75014 PARIS

S. A. R. L. L' OFFICE 45 avenue Jean Moulin 75014 PARIS

représentée par Me Pascal NARBONI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire E. 700
DÉFENDEURS
Monsieur Jean- Luc Y... domicilié : chez GALERIE RODOLPHE JANSSEN 35 rue de Livourne 1050 BRUXELLES

GALERIE RODOLPHE JANSSEN 35 rue de Livourne 1050 BRUXELLES

représentés par Me Jean Paul COMBENEGRE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire P 12, et de Me Alexis EWBANK, avocat au barreau de Bruxelles,
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Elisabeth BELFORT, Vice- Président, signataire de la décision Agnès THAUNAT, Vice- Président Michèle PICARD, Vice- Président, assistée de Marie- Aline PIGNOLET, Greffier, signataire de la décision

DEBATS
A l' audience du 18 Septembre 2007 tenue en audience publique

JUGEMENT
Prononcé par remise de la décision au greffe Contradictoire en premier ressort

FAITS ET PRETENTIONS :
Mme X... exerce la profession de photographe et a réalisé notamment une photographie intitulée " Visuel COCO Mademoiselle " représentant le mannequin Kate Z.... Ce cliché était destiné à promouvoir le parfum COCO de la société Chanel.
Mme X... a découvert lors d' une foire internationale d' art contemporain (FIAC) qui s' est déroulée du 6 au 10 octobre 2005 à Paris sur le stand de la Galerie bruxelloise Rodolphe JANSSEN, que cette photographie originale avait été reproduite sans son autorisation et sans mention de son nom.
Suite à un procès- verbal dressé par huissier le 10 octobre 2005, Mme X... et la société L' OFFICE ont assigné M. Y... Jean- Luc, artiste- peintre et la société GALERIE RODOLPHE JANSSEN en contrefaçon de leurs droits d' auteur et en indemnisation.
Aux termes de leurs dernières écritures du 5 mars 2007, Mme X... et la société L' OFFICE demandent au tribunal de :
- constater que les défendeurs ont porté atteinte à leurs droits moraux et patrimoniaux d' auteur,
- les condamner solidairement à leur payer la somme de 100. 000 euros à titre de dommages et intérêts et celle de 10. 000 euros en application de l' article 700 du nouveau code de procédure civile ;
- ordonner la confiscation de l' affiche réalisée par M. Y... et reproduisant sans autorisation le cliché litigieux ;
- faire injonction aux défendeurs de leur communiquer les coordonnées de l' acquéreur de l' affiche contrefaisante sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
- condamner les défendeurs aux dépens qui comprendront les frais d' huissier engagés pour le PV de constat et la sommation interpellative.
M. Y... et la société Galerie Gokelaere et Janssen exposent que :
- M. Y... est un artiste de nationalité et de résidence belge qui dessine et colorie des formes organiques sur différents supports, dont l' affiche en cause, ses créations étant notamment de nature parodique ;
- l' affiche CHANEL, support de son oeuvre mesurant de 1, 90 mètre sur 1 mètre33 était gracieusement offerte à Bruxelles au public par l' agence publicitaire de la marque et par le diffuseur en abribus DECAUX ;
- M. Y... a dessiné sur cette affiche des tatouages " urbains " sur le corps du mannequin afin de tourner le cliché initial en dérision, l' oeuvre seconde se voulant une parodie du monde de la mode et de la beauté ;
- cette oeuvre a été exposée à la foire internationale d' art contemporain.
Les défendeurs soutiennent sur le fond que :
- la société L' OFFICE ne justifie pas d' une cession des droits d' exploitation sur le cliché en cause qui appartiennent sans doute à la société CHANEL, s' agissant d' une oeuvre publicitaire ;
- l' oeuvre représentée sur la foire n' est pas une reproduction illicite de l' oeuvre puisque seul le support original de celle- ci a été utilisé, le cliché ayant été tiré en grand format par Chanel ;
- M. Y... n' a commis aucun acte de représentation du cliché, celui- ci relevant de la responsabilité de la Galerie ;
- M. Y... a joui de son droit d' expression artistique en travestissant l' affiche publicitaire originale ; il peut donc prétendre à l' exception de parodie et s' est conformé aux lois du genre (exemple : détournement de clichés photographiques dans le " pop art ") ;
- les droits patrimoniaux de Mme X... ne sont pas atteints car l' affiche a été diffusée gracieusement par le distributeur CHANEL au public ;
- ses droits moraux ne sont pas plus atteints dès lors que la parodie entraîne nécessairement le travestissement de l' oeuvre parodiée ; en tout état de cause, cette atteinte ne relève pas de la responsabilité de la Galerie mais de celle de l' artiste ;.
- en tout hypothèse aucun préjudice n' est justifié ;
Aussi, les défendeurs concluent au débouté des demandes et à la condamnation des demanderesses ou de l' une à défaut de l' autre au paiement d' une indemnité de 10. 000 euros en application de l' article 700 du nouveau code de procédure civile.
SUR CE,
*sur les droits des demandeurs.
Il est constant que Mme X... en sa qualité d' auteur du visuel en cause est titulaire des droits moraux sur cette oeuvre et est donc recevable en la défense de ceux- ci.
Aux termes du contrat conclu le 8 décembre 2004 entre la société CHANEL et Mme X... et notamment de sa clause 1- 1, les droits cédés (sur le visuel en cause) comprennent le droit exclusif d' exploitation à des fins commerciales ou non, gratuites ou non.... ce droit d' exploitation comprenant la totalité des droits exclusifs de reproduction et de représentation de la photographie.
La clause 1- 2 précise que les droits cédés comprennent également le droit d' adapter sous réserve du droit moral de l' auteur la photographie notamment par colorisation, découpage, détourage, recadrage, montage, autres transferts de supports que ceux prévus au paragraphe 1- 1 ci- dessus, avec l' accord préalable écrit de l' auteur ;
Cette cession étant conclue pour une durée d' un an à compter du 1er janvier 2005 était donc en cours de validité au moment du constat des faits (10 octobre 2005).
Toutefois si comme le soutiennent les défendeurs, Mme X... avait cédé à la société CHANEL ses droits d' exploitation sur le cliché en cause non seulement pour un usage promotionnel et publicitaire mais à toutes fins, il n' en demeure pas moins que Mme X... s' était réservée d' autoriser préalablement toute adaptation. Dès lors une adaptation faite sans son accord comme en l' espèce n' entre pas dans le champ d' application de cette convention.
Dans ces conditions, la société L' OFFICE est recevable à agir pour la défense des droits patrimoniaux sur l' oeuvre en cause, le contrefacteur allégué n' étant pas recevable à contester cette cession en la présence de l' auteur qui la confirme.
*sur l' absence de reproduction :
Les défendeurs soutiennent que " l' artiste a créé une oeuvre seconde... Sur une affiche librement mise à la disposition du public par l' agence publicitaire de la marque ; qu' il s' est contenté de dessiner au feutre des tatouages sur l' affiche... on ne peut donc lui reprocher un acte de contrefaçon ".
En l' espèce, il n' est pas contesté que l' oeuvre exposée de M. Y... sur le stand de la Galerie Rodolphe Janssen est constituée d' un tirage du visuel dont Mme X... est l' auteur, tirage sur lequel M. Y... a apposé des tatouages. Il s' en suit que l' oeuvre de M. Y... est une oeuvre composite qui intègre l' oeuvre préexistante de Mme X....
L' article L 113- 4 du Code de Propriété Intellectuelle dispose que l' oeuvre composite est la propriété de l' auteur qui l' a réalisée sous réserve des droits de l' auteur de l' oeuvre préexistante.
Il est constant en application de cet article que l' autorisation de l' auteur de l' oeuvre première doit être donnée pour toute exploitation de l' oeuvre composite.
Par ailleurs, il est constant que la propriété du support matériel de l' oeuvre ne confère au propriétaire aucun droit de propriété intellectuelle sur l' oeuvre elle- même.
Aussi, quand bien même l' agence publicitaire a- t- elle fait distribuer à titre gratuit les tirages du cliché en cause, cette cession du support matériel ne pouvait entraîner aucune cession des droits d' exploitation sur le cliché et notamment pas le droit d' adaptation.
Par ailleurs, la reproduction au sens de l' article L 122- 3 du Code de Propriété Intellectuelle consistant dans la fixation matérielle de l' oeuvre par tous procédés qui permettent de la communiquer au public, M. Y... a bien fait un acte de reproduction en tatouant un tirage du cliché dont Mme X... est l' auteur.
De même, en exposant avec l' accord de M. Y..., l' affiche tatouée dans un salon d' art contemporain, ce dernier et la société Galerie Rodolphe JANSSEN ont commis un acte de représentation de l' oeuvre première.
*sur les exceptions opposées :
- sur l' exception tirée de la Liberté d' expression :
M. Y... prétend avoir usé de son droit d' expression artistique en travestissant l' affiche publicitaire originale de la marque Chanel mettant en scène le mannequin Kate Z..., droit protégé par les articles 10 et 11 de la Convention Européenne des droits de l' homme.
S' il est exact que ces articles protègent la liberté artistique des auteurs encore faut- il que celle- ci s' exerce dans le cadre légal du droit d' auteur qui protège les droits tant moraux que patrimoniaux des créateurs.
L' article L 113- 4 du Code de Propriété Intellectuelle n' interdit nullement à un auteur de réaliser une oeuvre seconde à partir d' une oeuvre première mais interdit sa divulgation sans l' autorisation de l' auteur de l' oeuvre première. Cette disposition qui ne bride pas la liberté artistique des auteurs, les oblige à respecter les droits des autres auteurs lorsqu' ils exploitent les oeuvres de ces derniers. En disposer autrement, reviendrait à spolier les auteurs de l' oeuvre première au profit de ceux de l' oeuvre seconde.
- sur l' exception de parodie :
L' article L 122- 5 du Code de Propriété Intellectuelle dispose que lorsque l' oeuvre est divulguée, l' auteur ne peut interdire... 4o) la parodie, le pastiche, la caricature, compte- tenu des lois du genre.
S' il est acquis que la parodie est un travestissement de l' oeuvre première à des fins d' humour, d' hommage ou de critique, il n' en demeure pas moins que toute oeuvre composite n' est pas une oeuvre parodique.
En l' espèce, dans l' oeuvre seconde de M. Y... l' apposition de tatouages sur le corps du mannequin photographié " dans un style papoue ou égérie de la culture contemporaine " (sic) apparaît comme une marque du style de l' auteur (cf catalogue de l' artiste) et non comme l' expression d' un humour, d' un hommage ou d' une critique.
Dans ces conditions, l' exception de parodie est rejetée.
- sur la contrefaçon :
Dès lors que l' oeuvre seconde a été adaptée et divulguée sans l' autorisation et sans le nom de Mme X..., la reproduction de l' oeuvre par M. Y... et sa représentation autorisée par ce dernier et réalisée par la société JANSSEN ont porté atteinte aux droits moraux de cette dernière ainsi qu' aux droits de reproduction et de représentation de la société L' OFFICE.
- sur les mesures réparatrices :
Eu égard à la nature de l' oeuvre seconde, le préjudice moral de Mme X... sera justement indemnisé par l' allocation d' une somme de 5000 euros.
Compte- tenu du prix de vente de l' oeuvre seconde (6000 euros) et de la notoriété attachée à l' oeuvre première, le tribunal considère que le préjudice subi par la société L' OFFICE sera réparé par l' allocation d' une indemnité de 5000 euros.
Dès lors que l' affiche contrefaisante n' est plus entre les mains des défendeurs, la mesure de confiscation est devenue sans objet. En revanche, il est fait droit à la demande d' injonction des coordonnées de l' acquéreur de l' affiche.

L' équité commande enfin d' allouer aux demandeurs une indemnité de 7500 euros en application de l' article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Enfin, eu égard à la nature de l' affaire, l' exécution provisoire de la présente décision est ordonnée.
PAR CES MOTIFS LE TRIBUNAL, statuant contradictoirement et en premier ressort et par remise de la décision au greffe, sous le bénéfice de l' exécution provisoire,

Déclare recevable à agir Mme X... au titre de la défense de ses droits moraux d' auteur sur le cliché " visuel Coco Mademoiselle " et la société L' OFFICE au titre des droits patrimoniaux sur cette même oeuvre ;
Dit que M. Y... en reproduisant et en autorisant la représentation, et la société Galerie GOKELAERE et JANSSEN en représentant une affiche intitulée " projet tatouage " (K Z...) lors de la FIAC d' octobre 2005 à Paris sans l' autorisation de Mme X... ont porté atteinte aux droits moraux de celle- ci et aux droits patrimoniaux cédés à la société L' OFFICE ;
Condamne in solidum M. Y... et la Galerie GOKELAERE et JANSSEN à payer à Mme X... et à la société L' OFFICE, à chacune une somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts ainsi qu' aux deux une indemnité de 7500 euros en application de l' article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Fait injonction à M. Y... et à la Galerie GOKELAERE et JANSSEN de communiquer à Mme X... les nom, prénom et adresse de l' acquéreur de l' affiche contrefaisante sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé le délai de deux mois après la signification de la présente décision,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne in solidum M. Y... et la Galerie GOKELAERE et JANSSEN aux dépens qui comprendront les frais d' huissier relatifs au constat et à la sommation interpellative,
Fait et jugé à Paris le 31 Octobre 2007.


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 06/00430
Date de la décision : 31/10/2007
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2007-10-31;06.00430 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award