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12/09/2007 | FRANCE | N°06/05848

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Chambre civile 3, 12 septembre 2007, 06/05848


T R I B U N A L
D E GRANDE
I N S T A N C E
D E P A R I S

3ème chambre 3ème section

No RG :
06 / 05848

No MINUTE :

Assignation du :
23 Mars 2006

JUGEMENT
rendu le 09 Janvier 2008

DEMANDERESSE

BANQUE CENTRALE EUROPEENNE, représentée par Monsieur Jean Claude BB...
...
60311 FRANKFORT

représentée par Me Yves BIZOLLON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire R 255

DÉFENDERESSE

DOCUMENT SECURITY SYSTEMS INC
...
Etat de New York (ETATS UNIS)

représentée par Me Grégoire

DESROUSSEAUX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire W. 03

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Elisabeth BELFORT, Vice-Président, signataire de la décision
Agnè...

T R I B U N A L
D E GRANDE
I N S T A N C E
D E P A R I S

3ème chambre 3ème section

No RG :
06 / 05848

No MINUTE :

Assignation du :
23 Mars 2006

JUGEMENT
rendu le 09 Janvier 2008

DEMANDERESSE

BANQUE CENTRALE EUROPEENNE, représentée par Monsieur Jean Claude BB...
...
60311 FRANKFORT

représentée par Me Yves BIZOLLON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire R 255

DÉFENDERESSE

DOCUMENT SECURITY SYSTEMS INC
...
Etat de New York (ETATS UNIS)

représentée par Me Grégoire DESROUSSEAUX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire W. 03

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Elisabeth BELFORT, Vice-Président, signataire de la décision
Agnès THAUNAT, Vice-Président
Michèle PICARD, Vice-Président,

assistée de Marie-Aline PIGNOLET, Greffier, signataire de la décision

DEBATS

A l'audience du 04 Juin 2007
tenue en audience publique

JUGEMENT

Prononcé par remise de la décision au greffe
Contradictoire
en premier ressort

FAITS ET PRETENTIONS DES PARTIES :

Par acte du 23 mars 2006, la Banque Centrale Européenne (ci-après dénommée BCE), institution européenne régie par l'article 8 du Traité instituant la Communauté Européenne, a assigné la société DOCUMENTS SECURITY SYSTEMS (ci-après dénommée société DSS) en nullité des revendications no1, 2 à 4 de la partie française du brevet EP 0455 750 dont cette dernière est titulaire.

Aux termes de ses dernières écritures du 18 mai 2007, la BCE demande au tribunal, au visa des articles 54, 56, 138 et 138 c) de la Convention sur le Brevet Européen (CBE) et l'article L 614-12 du Code de Propriété Intellectuelle de :

-constater qu'elle est bien-fondée et recevable en son action en nullité du brevet européen français précité,

-prononcer la nullité de la revendication no1 de la partie française de ce brevet pour défaut de nouveauté, d'activité inventive et pour extension de l'objet du brevet au-delà de la demande originale telle que déposée ;

-prononcer la nullité des revendications no 2 à 4 de ce même brevet pour absence d'activité inventive et pour extension de l'objet du brevet au-delà de la demande originale telle que déposée ;

-condamner la société DSS à lui payer une indemnité de 100. 000 euros en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

-ordonner la transcription du jugement à intervenir au Registre National des brevets, tenu par l'INPI, sur réquisition du greffier en chef du tribunal ;

-condamner la société DSS aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître Yves Bizollon, avocat aux offres de droit.

La BCE expose à l'appui de ses demandes que :

-M. Ralph A... a déposé le 16 janvier 1990 une demande internationale PCT de brevet relatif à un " procédé de production d'un document non reproductible " ;

-cette demande a été publiée sous le no WO 90 / 08046 et visait notamment la France, à travers une demande européenne. Elle revendiquait la priorité d'un brevet américain US 298 020 déposé le 18 janvier 1989 ;

-cette demande internationale valant demande de brevet européen a été enregistrée sous le no EP 0 455 750 et a d'abord fait l'objet d'une décision de la division d'examen de l'OEB du 18 juillet 1995 refusant la délivrance du brevet pour défaut d'activité inventive ;

-suite à un appel, la Chambre de Recours de l'OEB a accepté la délivrance du brevet sous réserve d'une modification de rédaction de la revendication principale no1 et de plusieurs passages de la description ;

-le brevet américain précité a quant à lui été annulé par décision de l'United States Court of Federal Claims en raison d'un défaut d'activité inventive ;

-le brevet européen a été cédé y compris sa partie française à la société DSS ; cette cession a été inscrite au registre national des brevets à l'INPI le 27 septembre 2005 ;

-par acte du 1er août 2005, la société DSS a assigné la BCE devant le Tribunal de Première Instance des Communautés Européennes (TPI) en contrefaçon alléguant que le design des billets de banque en euros constitue une contrefaçon de son brevet ;

-en réponse, la BCE a engagé des actions en nullité de ce brevet européen devant différentes juridictions nationales et c'est dans ce cadre que s'inscrit l'introduction de la présente procédure ;

-en Grande-Bretagne, la Patent Court de la High Court of Justice a, par une décision du 26 mars 2007 annulé la partie britannique du dit brevet au motif que l'objet du brevet délivré s'étend au-delà de la demande initiale telle que déposée (article 123 (2) de la CBE) :

-en Allemagne, le Tribunal Fédéral des Brevets de Münich, dans un arrêt du 27 mars 2007, a reconnu la validité de la partie allemande du brevet européen litigieux.

Dans ses dernières écritures du 25 mai 2007, la société DSS conclut à la validité des revendications de son brevet européen et sollicite à titre reconventionnel, la condamnation de la BCE à lui payer une indemnité de 80. 000 euros en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

En cours de délibéré, la société DSS a fait parvenir au Tribunal le 3 septembre 2007 copie de la décision de la juridiction allemande.

Le 4 septembre 2007, la BCE a transmis au Tribunal l'avis de Jordan et Hall, avocats allemands spécialisés en brevet suite à la décision allemande.

Le 5 septembre 2007, la société DSS a indiqué au tribunal qu'elle émettait toute réserve sur l'opinion des avocats allemands de la BCE.

Le 14 septembre 2007, la BCE a communiqué au tribunal, copie de la décision du TPI déclinant sa compétence et renvoyant la société DSS à saisir les instances nationales.

Le 19 octobre 2007, la BCE a communiqué au tribunal un extrait d'un rapport de l'expert indépendant désigné par le tribunal espagnol saisi d'une demande de nullité identique à celle pendante devant la juridiction française, extrait aux termes duquel l'invention, objet de de la revendication principale du brevet européen 0 455 750 ne fait pas preuve d'activité inventive.

Le 6 novembre 2007, la société DSS soulignait que le rapport espagnol produit n'avait pas été traduit et que le juge espagnol n'était pas lié par les conclusions expertales.

SUR CE,

A titre liminaire, le tribunal constatant que les parties ne s'accordent pas sur l'objet de l'invention protégée par le brevet EP 0455750 abordera directement l'examen du premier motif de nullité de la revendication 1 à savoir que son objet s'étend au-delà du contenu de la demande telle que déposée, sans exposé préalable de l'invention, l'étendue de celle-ci découlant du raisonnement qui sera adopté dans de le cadre de l'étude de ce moyen de défense.

Principes juridiques :

Selon l'article 138 c) de la CBE, le brevet européen peut être déclaré nul si son objet " s'étend au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée... ".

Par ailleurs l'article 123 2o) de cette même Convention prohibe au cours de la procédure devant l'Office Européen des Brevets les modifications telles que l'objet du brevet sollicité s'étende au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée.

Il est constant en application de ces dispositions que pour être acceptées les modifications doivent être déduites directement et sans ambiguïté de la demande telle que déposée.

La méthodologie suivante doit s'appliquer pour apprécier la conformité des modifications aux dispositions précitées :

-dans une première phase et abstraction faite de l'état de la technique, il faut comparer simplement l'objet de la protection recherchée dans la demande modifiée avec les éléments divulgués expressément dans les pièces de la demande telle que déposée ;

-dans une deuxième phase, une fois identifiés les éléments ajoutés, il faut étudier s'ils peuvent être déduits objectivement par l'homme du métier précisément identifié, de tous les éléments divulgués dans la demande déposée (description, revendications, dessins) sans introduction de tout élément technique qui n'y figure pas sauf si celui-ci découle clairement et sans ambiguïté de ce qui est explicitement mentionné. Il ne s'agit pas dans cette phase d'un test d'évidence.

En tout état de cause, dans cet examen, le contenu de la demande ne doit pas être considéré comme un réservoir à partir duquel il sera possible de combiner des caractéristiques afin de créer artificiellement une combinaison particulière. La demande doit décrire dans leur ensemble et de manière objective l'intégralité des caractéristiques de la revendication déposée et non uniquement des caractéristiques isolées. Enfin, lors d'une modification, le titulaire du brevet ne peut ajouter des éléments qui auraient été évidents à l'homme du métier à la lecture de la demande.

*sur les éléments ajoutés :

La revendication 1 du brevet litigieux telle qu'initialement déposée était libellée comme suit : " procédé de production d'une image non reproductible, comprenant le placement sur un support adéquat de réglures visibles et distinctes formées en divers motifs de lignes, de points de spirales pour créer ladite image, lesdites réglures ayant un pas de réglure prédéterminé qui diffère d'un pas de balayage d'un copieur classique de seulement l'épaisseur d'une ligne de balayage du dit copieur et de jusqu'à 50 % de l'espacement entre les lignes de balayage du dit copieur dans lequel lorsqu'on copie ladite image au moyen du dit copieur, on obtient une copie moirée de l'image qui compromet ainsi la duplication par photocopie de ladite image non reproductible "
La revendication 1 telle que délivrée est la suivante : " procédé d'élaboration d'un document non fidèlement reproductible par un dispositif de reproduction de type à balayage (A), ce document comprenant une image originale visible comprenant un dessin, une photographie et / ou une image constitué de lignes courbes, de points et / ou de spirales (B), ce procédé comprenant les étapes suivantes :
-déterminer le pas (p) d'analyse et la largeur des lignes de balayages du dispositif de reproduction (C) ;
-produire un motif de grille de ligne parallèles ayant un pas très peu supérieur ou inférieur au pas de balayage (D), la différence entre les pas étant dans une plage d'environ la moitié de la largeur des lignes de balayage à environ la moitié du pas de balayage (E) et
-recouvrir l'image originale par le motif de grille pour produire sur le document une image imprimée qui comprend l'image originale sur laquelle est superposé un motif d'impression ou obstrué conformément de grille et dans laquelle le motif d'impression n'est normalement pas discernable à l'oeil nu (F) de sorte que l'image originale et l'image imprimée apparaissent à l'oeil nu comme globalement identiques, le motif d'impression amenant des motifs d'interférence discernables à l'oeil (par exemple des moirés) et / ou de fausses teintes, des couleurs ou des omissions à se produire dans l'image imprimée dans des copies du document faites par les dispositifs de reproduction (G) ".

Les parties s'accordent pour dire que les caractéristiques F et G précitées ont été ajoutées par le titulaire lors de la procédure orale devant la chambre des recours de l'Office Européen des Brevets.

*sur l'homme du métier :

Le brevet litigieux est relatif à une invention de procédé de détection de documents falsifiés ou contrefaits et en particulier un procédé pour imprimer ou fabriquer un document non reproductible pour tout dispositif de reproduction de type à balayage tel qu'un photocapteur, une caméra vidéo et analogue.

Ainsi que l'ont relevé M. VAN RENESSE, expert amiable de la société DSS et M. FURLEY, expert amiable de la BCE, l'homme du métier est en l'espèce un technicien qui travaille pour une organisation ayant besoin de sécuriser les titres qu'elle émet (banques, services de police etc...) ou pour les imprimeurs réalisant les dits titres. Ce technicien possède un diplôme technique en optique ou en physique ou a une très grande expérience dans l'industrie de l'impression de sécurité. Cet homme du métier est appelé à travailler en équipe avec le personnel du donneur d'ordre pour répondre au cahier des charges en termes d'esthétique, de sécurité et de coût.

Etant un professionnel de la sécurisation des titres, cet homme du métier connaît parfaitement les différents systèmes de sécurisation utilisés antérieurement au 18 janvier 1989, date à laquelle la demande du brevet US a été déposée, à savoir : les supports spécialisés (chiffon, polymères, fils de sécurité etc...), les encres spécialisées (fluorescentes, métamères, magnétiques), les motifs de sécurité imprimés, les films iridescents, les portraits, les numéros de série, les pièges à écran utilisant une méthode de tramage en demies teintes.

De même, cet homme du métier connaît parfaitement les procédés d'impression utilisés jusqu'alors, à savoir la reproduction offset tramée.

En revanche, en 1989, cet homme du métier connaît mal les copieurs couleurs à balayage de seconde génération qui viennent d'apparaître sur le marché (gamme CANON CLC apparu en 1987) et qui moins coûteux que les précédents vont être accessibles à un public " amateur ". Ces machines travaillent avec le réseau CCD (dispositif à couplage de charges) pour enregistrer l'objet à scanner, le réseau CCD étant indexé dans la direction x tandis que le réseau CCD balaye dans la direction y ; la sortie est ensuite envoyée à un processeur où elle est préparée en vue du stockage et de l'impression. La sortie de chaque dispositif est une imprimante. Compte-tenu du caractère très concurrentiel du domaine des copieurs couleurs, l'homme du métier ne connaît le fonctionnement de ces appareils que grâce aux manuels techniques de leur maintenance.

Le brevet n'étant pas cantonné à un procédé de fabrication de billets de banque sécurisés mais concernant d'autres titres (chèques, permis etc... : cf description page 1 lignes 11 et suivantes), l'homme du métier n'est pas un éminent spécialiste de la lutte contre la fausse monnaie mais un généraliste des méthodes de sécurisation des titres.

*état de l'art antérieur au brevet et exposé de l'invention :

Dans la partie descriptive de son titre, le breveté écrit :

-qu'existent de très nombreux procédés pour vérifier l'authenticité de titres sécurisés (billets de banque, chèques, permis etc..) ; que la solution la plus simple est celle dans laquelle le document contient en lui-même les moyens pouvant empêcher sa duplication ;

-que des brevets antérieurs (DE-C-3602563, GB A 1138011, EP A 0046327 et US 1 3109239) ont mis en place des systèmes utilisant le phénomène de moiré ; ces systèmes appelés pièges à écran utilisent dans l'image du titre à sécuriser des motifs de lignes fines ayant une fréquence spatiale uniforme ou une périodicité variable dans l'espace, conçus pour provoquer une interférence moirée évidente dans les documents falsifiés, avec les trames de points des machines offset en demies teintes, utilisées pour leur fabrication ;

-que l'arrivée des photocopieurs couleurs modernes notamment de type laser est de nature à créer une augmentation exponentielle de documents falsifiés compte-tenu de la qualité de la reproduction des couleurs par ces machines ;

-qu'il a découvert accidentellement qu'une reproduction par un copieur couleur d'un chèque de voyage original ne pouvait être utilisée pour créer une nouvelle copie très ressemblante, celle-ci présentant des défauts révélateurs importants ;

-qu'il en a conclu que ces copieurs contenait une grille dans le format de pas fixes à balayage parallèle qui pouvait être utilisée en lien avec l'inclusion de lignes, de points et / ou de courbes formées dans les images pour empêcher la copie des titres originaux, les copies étant affectées de motifs ou de couleurs d'interférence très visibles à l'oeil nu.

-qu'ainsi le procédé de l'invention comporte les étapes suivantes :

*une étape de détermination du pas de l'analyseur de la machine de reproduction électro-optique ;

*une étape de fabrication du titre original en prévoyant " sur un papier mat un motif linéaire de lignes visibles définissant une image avec un pas prédéterminé prévoyant un effet de moiré en relation avec le protocole de balayage de la machine de reproduction électro-optique " (cf page 8 de la description lignes 22 et suivantes).

*sur le respect des dispositions de l'article 138 c) de la CBE :

-au titre de la caractéristique F :

La caractéristique F ajoute une troisième étape au procédé ; elle est libellée comme suit : " recouvrir l'image originale par le motif de la grille pour produire sur le document une image imprimée qui comprend l'image originale sur laquelle est superposé un motif d'impression transmis ou obstrué conformément au motif de grille et dans laquelle le motif d'impression n'est normalement pas discernable à l'oeil nu ".

La société DSS soutient que le recouvrement par une grille pour créer une image combinée est décrite dans la demande telle que déposée : dans les dessins des figures 1 et 3 ainsi que dans les parties de la description s'y rapportant, dans les revendications 10, 12 et 13 et dans différents autres passages de la description.

Ainsi que le relève justement la BCE, les revendications de la demande d'origine visent toutes à générer une image constituée d'un simple agencement de réglures (linéatures) et non d'apposer une grille pour créer une image combinée.

Ces revendications sont ainsi libellées :

R1 : " placement sur un support adéquat de réglures visibles et distinctes formées en divers motifs de lignes, de points et de spirales pour créer la dite image, lesdites linéatures ayant un pas de linéature prédéterminé.. "

R2 : " le placement sur un support adéquat par des procédés classiques, des réglures visibles et distinctes comprenant divers motifs de lignes, de points et de spirales à un pas de linéature prédéterminé " ;

R5 : " placer des linéatures, dont le pas a été déterminé dans l'étape de détermination sur un support adéquat tout en donnant aux dites réglures la forme de divers motifs voulus " ;

R8 : " image d'un document déposé sur un support adéquat, ladite image comprenant des réglures dont le pas varie " ;

R9 : " déposer ladite image sur ledit support sous forme de réglures, les dites réglures ayant un azimut variable... " ;

R10 " à placer sur un substrat un motif réglé de lignes visibles définissant une image, ledit motif réglé ayant un pas prédéterminé désaligné... " ;

R12 : " document non reproductible par des procédés électro-optiques comprenant une image définie par une pluralité de réglures qui comprennent des lignes, des points et des spirales, lesdites réglures ayant un pas et un azimut de pas prédéterminés... ".

S'agissant de la revendication 13, le tribunal relève qu'il s'agit d'un procédé de production d'un duplicata destiné à être dupliqué qui n'est pas protégé par les revendications précédentes. Ce duplicata (copie de première génération) ne comporte pas de réglures (ou linéatures) ; il est issu de la copie d'un document original et devient " en fait comme un document authentique mais de forme non reproductible ". Comme l'indique la description (page 8 lignes 7 et suivantes), cette copie contrefaite contient maintenant la source de sa propre détection si la méthodologie corrélative est appliquée.

Contrairement à l'opinion des juges allemands dans leur décision du 27 mars 2007, le présent tribunal considère qu'il ne peut être déduit par l'homme du métier directement et sans ambiguïté de cette revendication la caractéristique F, à savoir le recouvrement par une grille pour créer une image combinée En effet, la grille du duplicata du document original de la R13 est celle issue de l'appareil de reproduction à balayage et non celle déterminée dans la revendication 1 à savoir celle résultant " des réglures ayant un pas prédéterminé qui diffère d'un pas de balayage d'un copieur classique de seulement l'épaisseur d'une ligne... ". Par ailleurs, les éléments divulgués dans cette R13 et notamment l'impossibilité d'obtenir une copie sans interférence de la copie de première génération d'un document original par un copieur à balayage, découverte fortuite faite par l'inventeur (page 6 lignes 32 et suivantes de la description) ont conduit celui-ci à prévoir l'inclusion de lignes, de points et / ou de courbes dans les images artistiques (pages 7 lignes 33 et suivantes) originales et non à utiliser une grille proche de celle de l'appareil à balayage à superposer sur l'image originale. Le raisonnement basé sur la divulgation des éléments de la revendication 13 relève du test de l'évidence qui n'a pas sa place dans l'application de l'article 138 c) de la CBE.

S'agissant des figures 1a, 1b et 1c, elles sont définies comme suit dans la description page 10 lignes 14 et suivantes :

-la figure 1a est le motif de lignes, points et courbures d'une intaille ou impression de gravure,
-la figure 1b est un recouvrement en forme de grille
-la figure 1c est la vue de la figure 1a à travers le recouvrement en forme de grille de la figure 1b,

Au vu de la description du mode de réalisation préféré en page 11 lignes 5 et suivantes,

-la figure 1a est un motif consistant en divers points, lignes courbes " périodiquement espacés " de nature à donner des " résultats de moiré satisfaisants " ;

-la figure 1b est un réseau de " bandes noires parallèles également espacés et orthogonales " analogue à " une barrière de neige " ;

-la figure 1c est le résultat de la superposition de 1a sur 1c.

Contrairement à l'argumentation de la société DSS, le tribunal ne considère pas que ces figures divulguent le recouvrement d'une grille pour créer une image combinée, la figure 1b étant la grille d'analyse de lecture du photocopieur à balayage et non la grille à superposer à l'image avant photocopie. Ceci est confirmé par la description à la page 5 lignes 1 et suivante où le breveté explique que la grille de l'appareil à balayage agit comme une barrière de neige et provoque sur la copie de la deuxième génération des effets de moiré.

S'agissant des figures 3 qui sont explicitées de la manière suivante dans la description : " la figure 3a représente un motif d'impression d'une image imprimée familière ", " la figure 3b est la distorsion de moiré du motif d'impression de la figure 3a ", " la figure 3c est un flou ou une défocalisation du motif de la figure 3b à titre d'anticipation d'un reconstitution " et " la figure 3d est l'image balayée de la figure 3c en préparation d'une réimpression ", elles doivent s'interpréter à la lumière de la description page 14 lignes 4 et suivantes :

-la figure 3a est présentée comme une image non protégée par l'invention ;
-la figure 3b est présentée comme une image protégée par l'invention c'est-à-dire après insertion de linéatures à fréquence déterminée d'après le pas de l'appareil de balayage ;
-la figure 3c est cette même image protégée mais volontairement défocalisée ou rendue floue dans une tentative pour reproduire 3a ;
-la figure 3 d est la tentative de reproduction de la figure 3c par un contrefacteur.

Le tribunal considère que ces éléments ne divulguent pas le recouvrement d'une grille sur une image originale pour réaliser une image combinée. En effet, le brevet explique par ces figures que le contrefacteur ne peut pas retrouver l'image originale non " sécurisée " à partir de la mise en oeuvre de l'invention. A aucun moment, l'homme du métier ne peut déduire de ces figures qu'il y a superposition d'une trame sur l'image originale ; il y a inclusion dans le dessin de linéatures prédéterminées au lieu et place des lignes et points du dessin original et ce procédé empêche le contrefacteur de reconstituer l'image initiale, la défocalisation et le " rendu flou " entraînant une dégradation supplémentaire en ce qui concerne les détails et les teintes dans les copies générées à partir de 3c.

S'agissant des passages de la description encore opposés pour justifier de la grille de recouvrement, le tribunal relève qu'en associant des passages isolés de la description pour ce faire, la société DSS contrevient aux règles d'application de l'article 138 c) de la CBE rappelées ci-avant.

C'est ainsi que la société DSS oppose les passages suivants :

-" après création du document authentique, c'est-à-dire incluant les lignes de grille de pas déterminé, le procédé de base de protection contre la contrefaçon ainsi que son produit sont réalisés ". (page 8 lignes 12 et suivantes) ;

-" les lignes de la grille sont constituées de façon à se différencier très peu dans leur pas vertical et horizontal des grilles linéaires utilisées par les mécanismes de balayage des machines utilisées pour reproduire ces documents en noir et blanc ou en couleur " (page 8 lignes 1 et suivantes) ;

-" la facilité relative avec laquelle un recouvrement de grille horizontal peut être réalisé dans la machine (ou instrument) de reproduction de type à balayage se prête merveilleusement bien à être utilisé selon la présente invention ".

S'agissant des deux premières citations, le tribunal relève que l'homme du métier ne saurait en déduire qu'il faut superposer une grille à une image originale, le breveté employant le verbe " inclure " et non superposer et les mots " lignes de grille " et non " grille de recouvrement ". S'agissant du dernier passage, il fait référence à la grille de la machine de reproduction et non à celle déterminée d'après le protocole d'analyse de celle-ci.

Aux termes de cet examen, le tribunal considère que la caractéristique F qui a été ajoutée a étendu l'objet de l'invention au-delà de la demande telle que déposée puisqu'elle a ajouté une étape au procédé non prévue dans celle-ci.

Si effectivement, ainsi que le relève l'expert amiable VAN RENESSE, " l'adoption de la méthode de superposition du Brevet " est nouvelle et présente des avantages intéressants par rapport au procédé de l'art antérieur, il n'empêche que ce n'est pas l'invention qui a été initialement déposée mais le fruit d'un travail rétrospectif qui est contraire aux dispositions de l'article 138 c) de la CBE.

Enfin, si la Chambre de Recours de l'OEB a effectivement statué sur les caractéristiques F et G au regard de l'application de l'article 123 (2) de la CBE, cette décision d'une autorité administrative ne saurait lier le présent tribunal.

*sur la caractéristique G :

Celle-ci est la suivante : " de sorte que l'image originale et l'image imprimée apparaissent à l'oeil nul comme globalement identiques, le motif d'impression amenant des motifs d'interférence discernables à l'oeil par exemple des moirés et / ou des fausses teintes, des couleurs, des omissions à se produire dans l'image imprimée dans des copies du document faites par les dispositifs de reproduction ".

Ainsi que le défend justement la BCE, la caractéristique G n'est pas divulguée par la description dès lors que le motif d'impression est le résultat du recouvrement de la grille de l'image originale qui n'est pas divulgué.

*en conclusion :

Ainsi que l'a relevé justement le juge britannique dans sa décision, " le titulaire du brevet avait à l'esprit la création d'une image protégée en agençant des lignes, des points et des courbes de manière à produire une structure qui crée un motif moiré lorsque l'image est scannée par un copieur particulier. La description détaillée du mode de réalisation préféré fait ressortir la même chose. Dans cette affaire, la demande n'est pas silencieuse sur un point prétendûment implicite. Au contraire le titulaire du brevet donne de son procédé une description différente de ce que l'on dit implicite. Un homme du métier qui lit la demande n'a aucune raison de penser que la divulgation explicite présente des lacunes qu'il faut combler ".

Effectivement à la lecture de la description, l'homme du métier comprend que le breveté qui connaissait les pièges à écran de l'art antérieur, utilisés avec les machines offset à demies teintes, s'étant aperçu que les machines à photocopier à balayage utilisait un système similaire à ces systèmes d'impression à trémie mais avec un avantage, le pas de la grille de l'appareil étant fixe alors que ceux des machines offset dépendait de l'opérateur, obligeant les concepteurs à concevoir des pièges à écran de fréquences multiples, a découvert qu'on pouvait utiliser les pièges à écran pour sécuriser les documents mais plus simplement qu'auparavant, en tenant compte du pas fixe de l'appareil à balayage du marché. Le breveté n'a pas pensé à superposer sur l'image des documents à sécuriser une grille proche de celle des copieurs à balayage mais a uniquement écrit qu'il était possible d'inclure dans les dites images des pièges à écran à fréquence fixe.

Aussi, le tribunal considérant que le breveté a étendu par l'ajout des caractéristiques F et G de sa revendication 1 l'objet de son invention au-delà de la demande telle que déposée prononce la nullité de celle-ci ainsi que des trois autres revendications qui étant subordonnées à la première ont également vu leur objet étendu de façon illicite.

*sur les autres demandes :

Aucune considération d'équité ne commande de faire application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile en l'espèce.

Eu égard au contenu de la présente décision, il n'y a pas lieu d'ordonner son exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS LE TRIBUNAL,
statuant contradictoirement, par décision en premier ressort et remise au greffe,

Prononce la nullité des revendications 1, 2, 3 et 4 du brevet EP 0455750 dont la société DSS est titulaire pour extension de leur objet au-delà de la demande telle que déposée,

Dit que la présente décision devenue définitive sera transmise à l'INPI pour inscription sur le registre national des brevets, par la greffière de ce Tribunal préalablement requise par la partie la plus diligente,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

Condamne la société DSS aux dépens,

Fait application des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile au profit de Maître Yves BIZOLLON, avocat, pour la part des dépens dont il a fait l'avance sans en avoir reçu préalablement provision,

Fait et Jugé à Paris, le 9 janvier 2008,

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 06/05848
Date de la décision : 12/09/2007
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2007-09-12;06.05848 ?
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