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20/02/2008 | FRANCE | N°03/01644

France | France, Tribunal de commerce de Paris, Chambre civile 3, 20 février 2008, 03/01644


3ème chambre 3ème section
No RG : 03 / 01644

Assignation du : 10 Janvier 2003

JUGEMENT rendu le 20 Février 2008

DEMANDERESSE

Madame Catherine X...... 75016 PARIS

représentée par Me Jacques Georges BITOUN de la SELARL CABINET BITOUN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire P. 189

DÉFENDERESSES

Association THEATRE MUSICAL DE PARIS CHATELET représentée par son Directeur Général, M. Jean- Pierre Y... ... 75001 PARIS

représentée par Me Michel MAGNIEN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire B. 1020
OPERA NATIONAL DE FIN

LANDE pris en la personne de son Directeur Général, M. Erkki Z... et de son administrateur, M. John Erik A... Fin...

3ème chambre 3ème section
No RG : 03 / 01644

Assignation du : 10 Janvier 2003

JUGEMENT rendu le 20 Février 2008

DEMANDERESSE

Madame Catherine X...... 75016 PARIS

représentée par Me Jacques Georges BITOUN de la SELARL CABINET BITOUN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire P. 189

DÉFENDERESSES

Association THEATRE MUSICAL DE PARIS CHATELET représentée par son Directeur Général, M. Jean- Pierre Y... ... 75001 PARIS

représentée par Me Michel MAGNIEN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire B. 1020
OPERA NATIONAL DE FINLANDE pris en la personne de son Directeur Général, M. Erkki Z... et de son administrateur, M. John Erik A... Finish National Opera- Suomen Kansallisoopera PL 176-00251 HELSINKI (FINLANDE)

représentée par Me Marie- Hélène CHAUDONNERET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire D 707
Madame Sylvie B......... LONDRES (ROYAUME UNI)

Société ARTUSTEE CARRIERES ET DEVELOPPEMENT 18 Quai Gustave Ador CH-1207 GENEVE (SUISSE)

représentés par Me Eric LANDON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire. D. 786
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Elisabeth BELFORT, Vice- Président, signataire de la décision Agnès THAUNAT, Vice- Président Michèle PICARD, Vice- Président,

assistée de Marie- Aline PIGNOLET, Greffier, signataire de la décision
DEBATS
A l'audience du 12 Novembre 2007 tenue en audience publique

JUGEMENT
Prononcé par remise de la décision au greffe Contradictoire en premier ressort

FAITS ET PRETENTIONS DES PARTIES :
Mme Catherine X... expose avoir écrit quatre versions d'un scénario à partir du livret du ballet GISELLE de Théophile Gautier et Jules VERNOY DE SAINT- GEORGES à la demande de la réalisatrice Françoise G... pour une adaptation cinématographique qui devait être interprétée par la danseuse Sylvie B....
Le 16 octobre 1998, une version de Giselle est créée par ballet national de Finlande à Helsinki avec Sylvie B... dans le rôle de Giselle.
En 2000 et 2001, l'association THEATRE MUSICAL DE PARIS CHATELET a donné à Paris plusieurs représentations de cette version de Giselle, toujours avec Sylvie B... dans le rôle principal.
Par assignation du 10 janvier 2003, Mme X... a assigné l'association " Théâtre Musical de Paris Châtelet ", l'Opéra National de Finlande, la société IMG ARTISTS en qualité d'agent de ce dernier, producteur du spectacle, Mme Sylvie B... et la société ARTUSTEE en contrefaçon de son scénario.
Par un premier jugement du 9 novembre 2005, le présent Tribunal a :
- rejeté l'exception d'incompétence,- dit que le tribunal ne statuant que sur le caractère contrefaisant des sept représentations du ballet en cause au Châtelet courant janvier 2001, il sera fait application du droit français s'agissant de faits commis en France au préjudice de l'oeuvre d'un auteur français,- rejeté la demande de nullité des procès- verbaux d'huissier des 11, 12, 15, 16 et 18 janvier 2001,- mis hors de cause la société IMG ARTITS,- rejeté la mise hors de cause de l'association défenderesse,- rouvert les débats pour que les parties s'expliquent sur la création dans les versions antérieures du ballet Giselle de onze éléments du scénario et sur leur reproduction dans les sept représentations litigieuses ;- sursit à statuer sur le reste des demandes.

Par un jugement du 18 janvier 2006, le tribunal réparant une omission de statuer, a débouté la société IMG ARTITS de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et condamné Mme X... à lui payer une indemnité de 3000 euros en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 19 juin 2007, Mme X... demande au tribunal, au visa des articles L 112-3, L 121-1, L 121-2, L 122-4 et L 335-3 du Code de Propriété Intellectuelle et du constat d'huissier des 11, 12, 15, 16, 18 janvier et 10 mars 2001 de :
- constater la contrefaçon de ses scenarii relatifs à une adaptation audiovisuelle du ballet " Giselle " par la représentation scénographique présentée comme la chorégraphie et la mise en scène de Mme B..., produite par l'Opéra de Finlande au théâtre du Châtelet ;
- constater l'aggravation de l'atteinte à son droit moral par l'annonce sur le site de l'Opéra de Finlande de huit nouvelles représentations du spectacle Giselle créé par Sylvie B... " ;
- ordonner sous astreinte à l'Opéra de Finlande de cesser la mise en ligne de toutes informations artistiques, promotionnelles et / ou commerciales relatives au dit spectacle ;
- condamner in solidum Mme Sylvie B..., la société ARTUSTEE, l'Opéra de Finlande, l'association musicale de Paris- Châtelet à lui payer une somme de 400. 000 euros de dommage et intérêts au titre de la violation de ses prérogatives du droit moral ainsi que la somme de 285. 122 euros pour l'exploitation illicite de son adaptation du ballet " Giselle " majorée des intérêts ;
- condamner Mme B... à lui payer la somme de 262. 000 euros au titre des sommes reçues personnellement pour l'exploitation du ballet (hors cachet de danseuse) majorée des intérêts ;
- condamner in solidum les défendeurs à lui payer la somme de 200. 000 euros de dommages et intérêts pour la perte subie au moment des faits et la perte d'une chance de recueillir le fruit de son travail créatif tant sur le plan moral que patrimonial ainsi qu'une indemnité de 20. 000 euros en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
le tout, sous le bénéfice de l'exécution provisoire et de l'autorisation de publication de la décision à intervenir.
Mme Sylvie B... et la société ARTUSTEE, dans leurs dernières écritures du 10 septembre 2007 relèvent :
*que Mme X..., suite au jugement avant- dire droit a abandonné de nombreuses prétentions d'originalité qu'elle avait exprimées dans son assignation ;
*qu'un ballet est une forme particulière d'art de la danse pris comme art du mouvement corporel fondé sur un certain rythme, sur une certaine chorégraphie et exécuté par plusieurs danseurs en vue d'un spectacle dans lequel le livret n'est qu'accessoire.
Ces défenderesses soutiennent que :
- les onze éléments relevés par le tribunal ont fait l'objet de traitement lors d'une ou plusieurs versions antérieures (Mats Ek de 1982, ballet de Kirov de 1983, Royal Ballet de Peter Wright de 1986 ou de 1976, American Ballet Théâtre de 1968, P. Wright 1976, Bolchoï 1990, la Scala Patrice bart de 1996 etc...) et ne constituent que des éléments marginaux qui n'ont aucune originalité, l'originalité de la version litigieuse prenant sa source dans l'expression corporelle résultant de la chorégraphie et de la danse ;
- Mme X... n'a eu qu'une intervention technique pour mettre en forme le manuscrit de Mme B... en vue de la constitution du dossier de financement du film du ballet Gisèle que la réalisatrice Mme Françoise G... avait envisagé de faire avec le concours de la danseuse- étoile et c'est de manière particulièrement abusive qu'elle se prévaut de la qualité de coauteur du document qu'elle a déposé à la SGDL en juillet 1996 puis d'auteur seul dans son dépôt à la SCALA ;
- Mme X... n'a eu aucun apport créatif et ce, d'autant qu'elle n'a jamais eu la capacité et la connaissance technique pour pouvoir exprimer quoi que ce soit sur le terrain créatif en matière de chorégraphie ; les quelques personnages secondaires dont elle revendique la paternité étaient déjà présents avant son intervention ; seule Mme B... avait la maîtrise de tous les aspects du ballet " Giselle " qu'elle a dansé dans 7 versions différentes.
- le préjudice que la demanderesse allègue n'est pas démontré, la quasi- totalité des représentations ne concernant pas le territoire français et la juridiction française.
Aussi, ces défenderesses concluent à l'irrecevabilité des demandes de Mme X... et à tout le moins au débouté de celles- ci et considérant que la mise en cause de Mme B... procède d'une évidente intention de nuire, sollicite la condamnation de la demandesse à payer à celle- ci et à la société ARTUSTEE, chacune, une indemnité de 50. 000 euros ainsi qu'une somme de 4000 euros HT en application de l'article 700 du NCPC, le tout sous le bénéfice de l'exécution provisoire de la décision à intervenir.
Dans ses dernières conclusions du 21 juin 2006, l'Association " Théâtre Musical de Paris Châtelet " demande sa mise hors de cause ; elle a acquis de l'Opéra National de Finlande un opéra " clefs en main " et dont elle n'avait nullement la possibilité de percevoir l'éventuel caractère contrefaisant même après l'exécution du constat d'huissier, l'ordonnance qui lui a été signifiée ne faisant nullement état des prétentions d'un éventuel coauteur.
En toute hypothèse, le Théâtre Musical de Paris Châtelet sollicite la garantie de l'Opéra National de Finlande et de Mme B..., la première sur le fondement de l'article 1er du contrat du 23 décembre 2000, la seconde sur le fondement du contrat du 17 novembre 2006 par lequel Mme B... a reconnu avoir la qualité de co- auteur de la version du ballet Giselle litigieuse.
A titre reconventionnel, le Théâtre Musical de Paris Châtelet demande la condamnation de Mme X... à lui payer une indemnité de 10. 000 euros au titre de la procédure abusive intentée à son encontre et une même indemnité en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile et à titre subsidiaire la condamnation solidaire de Mme B... et de l'Opéra National de Finlande à prendre en charge cette dernière somme.
Le 7 février 2006, l'Opéra National de Finlande réitère sa demande de rejet des débats des vidéos (pièce 28b) dont l'origine et l'intégrité ne sont pas assurées.
L'Opéra National de Finlande soutient encore que :
- Mme X..., si elle a bien écrit un manuscrit, l'a réalisé à partir de différents éléments qui lui ont été fournis (dossier de présentation 1996 qui résumait le projet, note d'intention de Mme B..., photographies, note d'intention de la réalisatrice, exemplaire des " écrits sur la danse " de Théophile Gautier, livret de ce dernier et de Vernoy de saint- George, texte " De l'Allemagne " de Heinrich Heine, vidéo du ballet, manuscrit de Mme B... comportant un découpage scène par scène) et l'a déposé aux deux noms de Mme B... et d'elle- même reconnaissant par là- même que seule la première est auteur (statuts de la SGDL) ;
- l'originalité de la contribution de Mme X... n'est pas démontrée ;
- en tout état de cause, le Ballet dansé sur la scène de l'Opéra de Finlande ne s'inspire en aucune façon du travail de Mme X... ; il est le résultat de la contribution de nombreux artistes : M. L... pour les costumes et la scénographie, M. David M... pour l'adaptation musicale, Mme B... pour la chorégraphie ;
- le préjudice allégué est disproportionné et s'il existe, sa réparation devrait tenir compte des seules sept représentations données à Paris, aucune exploitation audiovisuelle n'ayant été réalisée et la part contributive de Mme X... étant très limitée.
Aussi, l'Opéra National de Finlande conclut au débouté des demandes et à titre reconventionnel à la condamnation de Mme X... à lui payer la somme de 30. 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, celle de 8500 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile et l'autorisation de publication de la décision à intervenir aux frais de Mme X..., les sommes sollicitées devant porter intérêts à compter de la date de l'assignation et être assorties de l'anatocisme de l'article 1154 du Code Civil.
A titre subsidiaire, l'Opéra National de Finlande demande la garantie solidaire de Mme B... et de la société ARTUSTEE ainsi que leur condamnation à lui payer la somme de 8500 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
SUR CE,
A titre liminaire, il convient de rappeler que le tribunal dans son jugement du 9 novembre 2009 a indiqué qu'il ne prendrait en compte dans l'appréciation de la contrefaçon :
- comme oeuvre dont la paternité est revendiquée par Mme X... que la version déposée à la SGDL le 25 juillet 2006 ;
- comme actes allégués de contrefaçon, que les sept représentations données au Théâtre Musical du Châtelet à Paris ;

- les vidéos produites par Mme X..., les contestations de principe toujours maintenues par l'Opéra de Finlande sur leur origine et leur matérialité étant rejetées, faute de précision sur les éléments qui auraient été falsifiés, étant relevé qu'il ressort du Procès- Verbal de constat de Maître N..., huissier de justice, que deux copies de cassettes lui ont été adressées par le Théâtre du Châtelet.

*sur le ballet comme oeuvre originale :
Il n'est pas contesté qu'un ballet est un spectacle protégeable au titre du droit d'auteur en application de l'article L 112-2 3o et 4o du Code de Propriété Intellectuelle.
Il est également acquis qu'un spectacle de ballet non abstrait est une oeuvre de collaboration entre :
- l'auteur du livret qui définit les personnages, les lieux, les actions et leur enchaînement,- l'auteur de la chorégraphie,- l'auteur de la musique,- l'auteur des décors,- l'auteur des costumes,

aux quels peuvent se joindre d'autres contributeurs dont les prestations à priori techniques peuvent être qualifiées dans certains cas d'originales (lumières, effets spéciaux, machinerie, etc...).
Par ailleurs, compte- tenu de la nature de ce spectacle qui repose sur l'expression corporelle des danseurs, ces derniers par leur interprétation peuvent apporter également une contribution originale à l'oeuvre lorsque la chorégraphie leur laisse des marges de liberté dans l'exécution des pas (par exemple : possibilité de variations).
Enfin, à l'instar de l'opéra, le ballet après sa première création peut faire l'objet d'adaptations de toutes ou partie de ses contributions et notamment de sa chorégraphie.
C'est ainsi qu'il ressort des éléments produits aux débats que :- le ballet Giselle a été créé sur la scène de l'Opéra de Paris le 28 juin 1841 selon le livret de Théophile Gautier et de Vernoy de Saint- Georges, une chorégraphie de MM. Corelli et Perrot, une musique d'Adolphe Adam et les décors de Cicéri ;

- ce ballet a été dansé de par le monde à travers plus de 220 versions ;
- la version actuellement en litige a été créée à l'Opéra de Finlande sur une chorégraphie de Mme B... assistée de M. Olivier R..., avec les décors, costumes et une scénographie créés par M. S... et sur une adaptation musicale de M. David M....
Il n'est pas contestable que cette nouvelle version qui a reçu un accueil favorable dans le monde entier est une adaptation originale de l'oeuvre initiale tombée dans le domaine public et qu'elle est en tant que telle protégeable par le droit d'auteur.
Contrairement à l'argumentation de Mme B... et de sa société, l'originalité de la version en cause ne réside pas uniquement dans celle de la chorégraphie et de la scénographie mais également dans celle de chacune des contributions qui ont adapté l'oeuvre initiale (musique, livret) ou qui constituent des créations (décors, costumes).
D'ailleurs, Mme B... explique très bien dans la note qui figure dans la présentation du ballet (programme du Théâtre du Châtelet) comment la combinaison d'une adaptation de la dramaturgie (le livret), de la chorégraphie, de la musique et également des costumes permet de réaliser une spectacle original qu'elle qualifie de " résultat d'une réflexion... d'une interprétation de la vie ".
*sur l'originalité du document déposé à la Société des Gens de Lettres le 25 juillet 1996 au nom de Mme B... et de Mme X... :
Ainsi que l'a relevé le tribunal de céans dans sa décision du 9 novembre 2005, ce document est un scénario de cinéma réalisé à partir du livret de Giselle de MM. GAUTIER et de SAINT- GEORGES.
Ce document s'écarte du livret d'origine par la création de onze éléments :
- la présentation, en scène 1 de l'acte 1 d'un Hilarion cueillant des fleurs,- la scène d'habillage dans le château du Duc d'Albrechet marquant le début de la musique ;- la présentation en scène 2 de l'acte 1 d'un Hilarion qui arrive au village à pied chargé d'un lièvre et qui salue les paysans,- la dissimulation de l'épée et de la cape dans la maison de Loys en scène 3 de l'acte 1,- le jeu amoureux des petits cailloux en scène 4 de l'acte 1 ;- la présentation en scène 7 du même acte, d'Hilarion se dirigeant vers la maison de Giselle, cachant l'épée dans son dos et croisant Wilfried alors qu'affolé celui- ci cherche Loys et reconnaît Hilarion ;- en scène 8 de l'acte 1, la rencontre des chasseurs et de Wilfriefd, la tentative d'approche d'Hilarion ainsi que la désignation de deux gardes pour veiller sur Bathilde qui abandonnent leur poste pour un flirt avec des lavandières et laissent sans surveillance le cor suspendu devant la maison de Gisèle, le vol du cor à la scène suivante et son usage à la scène de l'acte 1,- l'arrivée des gardes et de Wilfried en scène 9 du même acte,- l'éclat de rire de Bathilde ainsi que le départ gêné des nobles remplacés par des villageois en scène 13 de l'acte 1 ;- la présentation en scène 2 de l'acte 2 d'un Hilarion prenant soin de la tombe de Giselle,- la présentation du supplice d'Hilarion en scène 7.

Les défenderesses opposent que ces éléments qui différencient le scénario du livret ne sont pas originaux car ils sont présents dans une ou plusieurs versions antérieures du ballet.
Il y a lieu de relever qu'aucune des versions antérieures opposées (ballet de Kirov de 1983, Royal Ballet de Peter Wright de 1986, American Ballet théâtre de 1968, P. Wright de 1976, Bolchoï 1975, 1990, 1993, Rome 1980, Américan Ballet Théâtre de Blair 1968, Kirov de O. Vinogradov de 1983, la Scala Patrice Bart de 1996) ne reprend l'intégralité des onze éléments précités ni une partie substantielle de ceux- ci.
Le tribunal considère que la combinaison de ces éléments constitue une adaptation originale du livret d'origine de Giselle car ils portent l'empreinte de la personnalité de leur (s) auteur (s), ces petites scènes devant permettre de rendre l'histoire de Giselle plus facile à porter au cinéma ainsi que le souligne Mme X... dans la note d'intention qu'elle a remise le 13 novembre 1996 à Mme T..., productrice associée du Groupe EXPAND dans le cadre de la recherche de financement pour le film à réaliser par Mme G....
Dans ces conditions, ce scénario est protégeable au titre du droit d'auteur.
*sur la contribution de Mme X... en qualité de co- auteur de ce scénario :
Les défenderesses soutiennent que la contribution de Mme X... à ce scénario n'a été que purement technique, cette dernière ayant mis en forme un manuscrit de Sylvie B..., en moins de 15 jours, en vue de la constitution du dossier de financement et après avoir participé à deux ou trois réunions avec la danseuse et la réalisatrice.
Aucun contrat écrit n'est produit aux débats pour déterminer quelle mission a été confiée par Mme B... à Mme X....
Toutefois, il y a lieu de relever que :
- Mme X... a déposé le manuscrit du scénario à la SGDL aux deux noms de Mme B... ;
- Mme B... a remboursé le coût de ce dépôt et a versé une somme de 20. 000 francs à Mme X... par deux chèques déposés en banque le 2 août 1996 ;
- Mme X... a été présentée dans les démarches auprès des producteurs éventuels du film comme l'unique scénariste (cf attestation de Mme T...) ; elle a d'ailleurs rédigé une note d'intention présentant les caractéristiques du film ;
- Mme X... a continué à travailler sur le scénario jusqu'en mai 1997 puisque le 11 de ce mois, Mme B... lui accusait réception de la " dernière version de Giselle ".
A vu de ces éléments qui sont contraires à la thèse de la contribution purement technique et ponctuelle de Mme X..., le tribunal considère que le scénario déposé à la SGDL en 1996 est une oeuvre de collaboration dont les co- auteurs sont Mme B... et Mme X..., la première ayant contribué à sa réalisation par un premier apport de " découpage musical " ((fax du 6 mai 1996) puis par un dialogue avec Mme X... qui n'avait pas de connaissance chorégraphique particulière et la seconde par la mise en forme des idées de Mme B... en langage cinématographique et notamment par un découpage du livret original et l'ajout de scènes à celui- ci.
*sur la contrefaçon :
Le scénario déposé à la SGDL étant une oeuvre de collaboration, son exploitation devait recueillir l'accord des deux co- auteurs. L'exploitation par un seul de ceux- ci sans l'accord de l'autre constitue une contrefaçon en application de l'article L 113-3 du Code de Propriété Intellectuelle.
Il convient d'examiner si les onze éléments originaux précités ont été reproduits dans la version scénique de Giselle réalisée par Mme B..., produit par l'Opéra de Finlande et représenté par le Théâtre du Châtelet.
Malgré la très mauvaise qualité des copies du spectacle en cause produites aux débats, le tribunal a relevé de leur visionnage que l'ensemble des éléments originaux du scénario de Mme B... et X... avait été repris à l'exception des éléments relatifs à Hilarion cueillant des fleurs dans la première scène de l'acte 1 et à Hilarion prenant soin de la tombe de Giselle.
D'une façon plus générale, le déroulement de l'action de l'acte 1 du ballet litigieux apparaît très fidèle à celui du scénario en cause ; c'est ainsi par exemple que la scène 12 du livret initial n'est pas distingué dans le ballet de la scène suivante et que dans cette séquence, Giselle trace sur le sol le cercle magique des Willis avec l'épée d'Albrecht.

En revanche, le déroulement de l'action de l'acte 2 s'en éloigne très sensiblement.

Là encore, les défenderesses ne sauraient plaider que les éléments repris figuraient dans les versions antérieures dès lors que c'est leur combinaison qui, en explicitant l'action et en contribuant à augmenter son ressort dramatique donne l'originalité à ce scénario.
Si le découpage du scénario en un grand nombre de séquence dans des lieux variés n'est pas protégeable dans son principe, il n'en demeure pas moins qu'en reproduisant à la fois ce découpage et neuf des onze éléments précités, le ballet Giselle donné au Théâtre du Châtelet constitue une reproduction partielle illicite du scénario B... / X.... Cette reprise d'un scénario destiné à la réalisation d'un film a d'ailleurs été perçue par les critiques (cf dossier de presse) qui ont souligné que cette création était directement inspirée par une vision cinématographique.
Dans ces conditions, le tribunal considère que le grief de contrefaçon est fondé.
*sur les responsabilités :
Dès lors que Mme B... était le co- auteur du scénario, elle est responsable de l'exploitation de celui- ci dans la version scénique de Giselle en cause sans l'accord de M. X....
L'Opéra de Finlande qui connaissait l'existence du projet de film de Mme B... et qui savait que cette dernière était pour la première fois auteur et lui proposait une adaptation du livret original, nouvelle, est également responsable de la contrefaçon commise au détriment de Mme X....
En revanche, le tribunal ne trouve dans les écritures de la demanderesse, aucun élément sur le rôle de la société ARTUSTEE qui aurait pu engager sa responsabilité du fait de la contrefaçon, sa qualité de mandataire de Mme B... dans les rapports de celle- ci avec le THEATRE DU CHATELET étant insuffisante à cet égard.
De même, le tribunal considère que le THEATRE DU CHATELET qui a acquis de l'Opéra de Finlande les droits d'exploitation d'un spectacle " clefs en mains " est de parfaite bonne foi et ne pouvait soupçonner que le livret était une adaptation illicite d'un scénario, les dépôts à la SGDL n'étant pas publics.

Dans ces conditions, seuls Mme B... et l'OPERA DE FINLANDE sont responsable des sept représentations illicites en cause étant précisé à nouveau que le présent tribunal n'est pas compétent pour indemniser la demanderesse pour les représentations du ballet hors du territoire français.

*sur les mesures réparatrices :
Ces sept représentations illicites ont causé un préjudice certain à Mme X... dont les droit à la paternité et à l'intégrité de l'oeuvre ont été violés et qui n'a perçu aucune participation financière sur les résultats de ces exploitations.
Mme X... sollicite une indemnité de 400. 000 euros au titre de la violation de ses prérogatives du droit moral et la somme de 285. 122 euros au titre de la violation de ces droits patrimoniaux, une somme de 262. 000 euros au titre des sommes reçues personnellement par Mme B... pour l'exploitation du ballet, une somme de 200. 000 euros pour la perte subie au moment des faits et pour la perte d'une chance de recueillir le fruit de son travail créatif tant sur le plan patrimonial que moral.
Le tribunal relève :
*que le succès des sept représentations en cause, s'il était en partie la conséquence d'une approche cinématographique du livret, tenait de façon prépondérante à la personnalité de Mme B... qui s'est exprimée tant dans la chorégraphie dont elle l'auteur, que dans son interprétation ainsi qu'à la contribution remarquable de l'adaptateur musical et du créateur des décors et des costumes ;
*que le scénario est une oeuvre de collaboration à laquelle Mme B... a fortement contribué par sa connaissance du ballet Giselle, de l'art de la danse en général et de sa vision sur le projet cinématographique.
Compte- tenu de ces éléments, le tribunal considère que :
- le préjudice moral subi par Mme X... sera justement indemnisé par l'allocation d'une somme de 50. 000 euros ;
- le préjudice patrimonial subi par Mme X... sera justement indemnisé par l'allocation d'une somme de 50. 000 euros qui comprendra le reversement de la part de redevances perçues à torts par Mme B... sur les sept représentations en cause.
A titre de dommages et intérêts complémentaires, la publication du dispositif de la présente décision est autorisée.
La perte de chance alléguée par Mme X... sur la réalisation d'un film Giselle à partir de son scénario n'apparaît pas justifiée, dès lors que le projet avait été abandonné avant les représentations illicites, faute d'en avoir trouvé le financement.
S'agissant de la mesure d'interdiction sollicitée, le tribunal y fait droit uniquement en ce que le site en cause visera le public français, n'ayant pas compétence prendre cette mesure en dehors du territoire national, les défenderesses succombantes étant domiciliées hors de ce territoire.
Eu égard à l'ancienneté du litige et à sa nature, le tribunal assortit son jugement de l'exécution provisoire.
L'équité commande en outre d'allouer à Mme X... la somme de 20. 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a exposés dans la présente procédure.
*sur les autres demandes :
L'Opéra de Finlande ne précisant pas le fondement juridique de son appel en garantie, le tribunal considère qu'il s'agit d'une action récursoire entre co- auteur d'un dommage. Compte- tenu des fautes respectives des parties, la charge des condamnations supportées in solidum par Mme B... et l'Opéra de Finlande sera répartie à hauteur de Mme B... pour 90 % et à hauteur de 10 % pour l'Opéra de Finlande, ce dernier ne pouvant se dégager de sa propre faute à savoir ne pas s'être assuré que Mme B... jouissait de l'intégralité des droits sur le scénario ayant servi à la version scénique de Giselle créée par elle.
Aucune considération d'équité ne commande de faire application de l'article 700 du Code de Procédure Civile à d'autres parties qu'à Mme X....
Les défenderesses succombant en parties, la procédure engagée à leur encontre n'apparaît nullement abusive.
PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL, statuant contradictoirement, par décision en premier ressort et remise au greffe, sous le bénéfice de l'exécution provisoire,

Dit que Mme X... est le co- auteur avec Mme B... d'un scénario original du ballet Giselle déposé à la société des gens de lettres le 25 juillet 1996 ;

Dit que les sept représentations données au Théâtre du Châtelet en 2000 et 2001 de la version scénique du ballet Giselle en reproduisant partiellement le scénario précité constituent des contrefaçons de celui- ci dont Mme B..., co- auteur et l'OPERA DE FINLANDE, producteur du spectacle, sont responsables ;

Interdit à l'Opéra de Finlande de mettre en ligne à destination du public français des informations sur le " spectacle Giselle " contrefaisant et ce, sous astreinte de 1500 euros par infraction constatée passé le délai de 4 mois après la signification de la présente décision ;
Condamne in solidum Mme B... et l'OPERA DE FINLANDE à payer à Mme X... une indemnité de 100. 000 euros à titre de dommages et intérêts et celle de 20. 000 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
Autorise la publication du dispositif du présent jugement dans deux journaux ou revues aux frais de Mme B... et de l'OPERA DE FINLANDE tenus in solidum et au choix de Mme X... dans la limite de 6000 euros HT par insertion ;
Dit que Mme B... garantira l'OPERA DE FINLANDE à hauteur de 90 % des condamnations ainsi mises à leur charge,
Déboute les parties de leurs autres demandes,
Condamne in solidum Mme B... et l'OPERA DE FINLANDE aux dépens,
Fait et Jugé à Paris, le 20 février 2008,

LE GREFFIER LE PRESIDENT

Fait et jugé à Paris le 20 Février 2008.


Synthèse
Tribunal : Tribunal de commerce de Paris
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 03/01644
Date de la décision : 20/02/2008
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.commerce.paris;arret;2008-02-20;03.01644 ?
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