Vu la requête enregistrée le 19 juin 1997, sous le n° 971610, et le mémoire complémentaire enregistré le 29 août 1997 par lesquels Mme Farida X..., demeurant 4 Cité du Docteur Léon Mangeney 68300 Saint-Louis, demande au tribunal administratif l'annulation de la décision du préfet du Haut-Rhin en date du 19 juin 1997 refusant d'établir un permis de conduire à son nom en cas de réussite à l'examen du permis de conduire auquel elle entend se présenter, au motif qu'elle n'apparaît pas "tête nue" sur les photographies fournies en vue de l'établissement de son dossier ;
Vu la Convention européenne des droits de l'homme et le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Le tribunal a entendu à l'audience publique :
- le rapport de M. Dayan, conseiller,
- les conclusions de M. Pommier, commissaire du gouvernement.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
Considérant qu'aux termes de l'article 9 de la convention européenne des droits de l'homme : "1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion : ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. 2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui" ;
Considérant que pour demander l'annulation de la décision du préfet du Haut-Rhin en date du 19 juin 1997 l'invitant à fournir, en vue de la délivrance d'un permis de conduire, des photographies d'identité sur lesquelles elle apparaît tête nue, ou à tout le moins avec la racine des cheveux, le cou et les oreilles dégagés, faute de quoi la délivrance du titre de conduite lui serait refusée, Mme X... soutient que la décision attaquée est contraire à l'article 9 de la convention européenne des droits de l'homme ;
Considérant que les photographies à fournir en vue de la délivrance du permis de conduire ont pour objet de faciliter l'identification du détenteur de ce permis ; que le but de sécurité publique ainsi poursuivi est de nature à justifier que des restrictions soient apportées à la liberté de religion garantie par l'article 9 précité de la convention européenne des droits de l'homme, telles que celles relatives à la tenue vestimentaire dans laquelle figurent les intéressés sur les photographies qu'ils produisent, dans la mesure où ces restrictions trouvent un fondement légal dans le droit national et où elles apparaissent nécessaires à la réalisation de l'objectif d'identification susmentionné ;
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 12-2° de l'arrêté du ministre de l'équipement en date du 31 juillet 1975 fixant les conditions d'établissement, de délivrance et de validité du permis de conduire, le dossier qui doit être joint à la demande du candidat comprend : "... deux exemplaires de sa photographie, de face ou de trois quarts, à l'état d'épreuves non collées (avec lunettes pour les candidats en portant habituellement)" ; qu'il ne résulte ni de cet arrêté, ni d'aucune autre disposition du droit national que les photographies exigées en vue de la délivrance du permis de conduire doivent nécessairement faire apparaître le pétitionnaire tête nue, voire avec la racine des cheveux, le cou et les oreilles dégagés ; qu'aucune disposition ne confère au préfet le pouvoir d'ajouter des prescriptions nouvelles à la réglementation édictée par le ministre de l'équipement, laquelle prévoit seulement la production d'une photographie de face ou de trois-quarts ; que, d'autre part, le port d'un voile sur les photographies d'identité apposées sur les permis de conduire n'apparaît pas, par lui- même, de nature à empêcher une identification suffisante du titulaire de ce document, compte tenu de la fiabilité relative qui s'attache par nature à un tel moyen d'identification ; qu'enfin, il est dans le pouvoir du préfet, pour appliquer la réglementation édictée par le ministre de l'équipement, d'apprécier dans chaque cas, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les photographies fournies par les candidats au permis de conduire sont de nature à assurer une identification suffisante de ces personnes ; que, dès lors, la prescription à caractère réglementaire, relative à l'obligation de figurer tête nue, ou avec la racine des cheveux, le cou et les oreilles dégagés, contenue dans la décision du préfet du Haut-Rhin en date du 19 juin 1997, qui constitue une restriction générale à la liberté de manifester sa religion à travers sa tenue vestimentaire, est dépourvue de fondement légal ; qu'en outre, elle n'apparaît pas comme une mesure nécessaire à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé, ou de la morale publique, ou à la protection des droits et libertés d'autrui, ainsi que le prévoit limitativement l'article 9 précité de la convention européenne des droits de l'homme ; qu'il en résulte que Mme X... est fondée à soutenir que la décision litigieuse méconnaît les dispositions dudit article 9 et à en obtenir l'annulation par ce moyen ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 8-2 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 8-2 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "Lorsqu'un jugement ou un arrêt implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, le tribunal administratif ou la cour administrative d'appel, saisi de conclusions en ce sens, prescrit cette mesure, assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution, par le même jugement ou le même arrêt. - Lorsqu'un jugement ou un arrêt implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public doit à nouveau prendre une décision après une nouvelle instruction, le tribunal administratif ou la cour administrative d'appel, saisi de conclusions en ce sens, prescrit par le même jugement ou le même arrêt que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé" ;
Considérant que l'exécution du présent jugement implique que le préfet du Haut-Rhin, en cas de réussite de Mme X... à l'examen du permis de conduire, procède à l'examen particulier des photographies d'identité qu'elle a produites, afin de déterminer si elles permettent une identification suffisante de la requérante ; que le préfet ayant d'ores et déjà estimé, dans la décision attaquée, que lesdites photographies rendaient impossible toute identification dès lors qu'elles ne laissaient pas apparaître la racine des cheveux, le cou et les oreilles, il appartient au tribunal de se prononcer ; qu'il ressort des photographies produites et des constatations faites à l'audience, qu'en l'espèce le port d'un voile n'empêche pas une identification suffisante de Mme X... au regard de la nature du moyen d'identification employé ; qu'il y a lieu, par suite, pour l'exécution du présent jugement, d'enjoindre au préfet du Haut-Rhin de délivrer à la requérante, en cas de réussite à l'examen, un permis de conduire revêtu de la photographie d'identité jointe à son dossier de demande d'inscription ;
Article 1er : La décision du préfet du Haut-Rhin en date du 19 juin 1997 est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Haut-Rhin de délivrer à Mme X..., en cas de succès à l'examen en vue du permis de conduire, un permis de conduire revêtu de la photographie d'identité jointe à son dossier d'inscription.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à Mme X... et au ministre de l'intérieur.